Sommaire

  • Mardi 30 novembre 2004
    • Action humanitaire d'urgence - Audition de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères
  • Mercredi 1er décembre 2004
    • Organismes internationaux - Déplacement aux Nations unies (1er au 4 novembre 2004) - Compte rendu
    • Traités et conventions - Convention organisant la gestion des stocks de poissons grands migrateurs dans le Pacifique occidental et central - Examen du rapport
    • Nomination de rapporteurs
    • Situation en Irak - Audition de M. Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS

Mardi 30 novembre 2004

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

Action humanitaire d'urgence - Audition de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères

La commission a procédé à l'audition de M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères.

Le secrétaire d'Etat a présenté à la commission l'action qu'il conduit dans le domaine de l'action humanitaire d'urgence. Celle-ci constitue un des axes prioritaires de la politique étrangère de la France, l'humanitaire et le politique étant liés. Deux principes sont retenus pour guider son action, l'un tendant à restaurer une cohérence dans l'action de l'Etat en matière humanitaire, l'autre à développer des synergies entre les différents intervenants. La France a été le premier pays à agir dans le domaine de l'humanitaire d'urgence, avec la création, il y a près de 30 ans, d'organisations non gouvernementales (ONG) qui ont joué un rôle pionnier en la matière. L'évolution des actions menées par les acteurs humanitaires justifie l'intervention de l'Etat : en effet, après les premiers médecins bénévoles, le domaine de l'action humanitaire d'urgence s'est professionnalisé et les ONG se sont multipliées, notamment dans le monde anglo-saxon. Cette concurrence implique la diversification des sources de financement : ainsi, outre les institutions européennes qui ont créé en 1995 l'Office humanitaire de la Communauté européenne (ECHO), les entreprises contribuent, elles aussi, de façon croissante, à ce financement.

Ce développement des ONG s'opère dans un climat de vive concurrence internationale, et elles doivent se référer à des techniques de gestion pratiquées dans le monde des affaires. Dans ce contexte, le rôle de l'Etat s'est affirmé dans la nécessaire cohésion entre les différents acteurs impliqués. En effet, a souligné M. Renaud Muselier, les situations d'urgence réclament des réponses concrètes et rapides, comme le démontrent les exemples récents du Darfour ou d'Haïti. M. Renaud Muselier a rappelé les deux initiatives majeures prises pour fédérer les différents acteurs : le plan gouvernemental présenté le 11 juin 2003 vise ainsi à renforcer la cohérence de l'action humanitaire de l'Etat et à développer les partenariats avec les ONG, les entreprises et les collectivités territoriales. Une Convention, réunie le 3 décembre 2003, a souligné la nécessité de créer de nouvelles synergies dans l'action l'humanitaire d'urgence et s'est traduite par une série de mesures concrètes. Celles-ci visent à renforcer la concertation entre tous les intervenants, et à accroître le rôle de régulation joué par la Délégation à l'action humanitaire du ministère des affaires étrangères ; ainsi, un groupe opérationnel interministériel se réunit-il lors de chaque grande crise, comme au début du mois de novembre, pour la Côte-d'Ivoire. M. Renaud Muselier a insisté sur l'importance des correspondants humanitaires présents dans chacune de nos ambassades et a souligné l'opportunité de créer une norme de qualité francophone, pour les ONG, qui ferait référence dans les appels d'offres internationaux. Par ailleurs, un annuaire permanent des ressources de chaque partenaire, par exemple en matière de fourniture de médicaments, a été constitué, et peut être consulté par voie électronique. Un portail Internet « Urgences humanitaires France » a été ouvert le 3 décembre 2003. Enfin, un Conseil d'orientation de l'action humanitaire d'urgence a été installé et s'est réuni à trois reprises durant l'année 2004.

Le secrétaire d'Etat a estimé que les résultats de l'ensemble de ces décisions étaient très encourageants. Elles ont permis d'instaurer une communauté de travail entre les acteurs traditionnellement éloignés les uns des autres que sont les ONG, les entreprises et le monde étatique. Le secrétaire d'Etat a ensuite exposé ses trois priorités, qui consistent en la poursuite du développement des synergies, le développement des recherches dans le domaine humanitaire et l'amélioration de la fiscalité des dons.

Puis M. Renaud Muselier a évoqué les difficultés de certaines ONG françaises, du fait de leur faible structure administrative, à remporter les appels d'offres internationaux passés dans le cadre des projets du Millénaire pour le développement, et a souligné le rôle actif de son ministère pour les soutenir en ce domaine. L'action du secrétariat d'Etat est à présent caractérisée par des relations apaisées, décrispées et confiantes avec les ONG, qui semblent maintenant convaincues que l'Etat peut faciliter leur action sans porter atteinte à leur indépendance.

M. Renaud Muselier a rappelé que l'ensemble des partenaires intéressés étaient représentés au sein du Conseil d'orientation de l'aide humanitaire d'urgence, impliquant les collectivités territoriales, les entreprises, les medias, le monde universitaire et de la recherche. Il a souligné l'efficacité du groupe opérationnel relevant du comité interministériel de l'aide humanitaire d'urgence ; en effet, cette structure interministérielle, réunissant, lors de chaque crise, tous les départements ministériels intéressés, est chargée de coordonner leurs interventions respectives. Par ailleurs, les ONG sont conviées à participer à des réunions d'évaluation de situations organisées sur chacun des pays en crise, comme le Darfour, les territoires palestiniens, la Birmanie ou encore Haïti. La décision de l'Etat de travailler avec une ONG est prise en fonction de critères concrets, comme sa capacité de réaction, la pertinence des projets proposés, et la qualité de son évaluation des situations de crise.

Le secrétaire d'Etat a estimé que les ONG avaient beaucoup gagné en professionnalisme et en rigueur de gestion. Cette évolution est d'autant plus positive qu'il existe une réelle concurrence sur le « marché » de l'humanitaire, qui se traduit par une sollicitation accrue des différents bailleurs de fonds. Il est aussi souhaitable que les ONG françaises, qui ont une excellente réputation et une grande visibilité, accroissent leur influence dans les enceintes internationales, où elles constitueront de précieux vecteurs d'influence pour notre pays.

Les crises humanitaires se doublent le plus souvent de crises politiques profondes qui nécessitent une intervention conjointe des ministres chargés des affaires étrangères, de l'aide au développement et de l'aide humanitaire. Il a ainsi salué la récente ouverture de couloirs humanitaires vers le Darfour, en dépit des réticences initiales du gouvernement soudanais.

M. Renaud Muselier a conclu en soulignant la modicité des crédits affectés au Fonds d'urgence humanitaire, qui sont d'un peu plus de 9 millions d'euros. Par comparaison, la Grande-Bretagne et l'Allemagne consacrent au même domaine des sommes respectivement cinq fois et trois fois supérieures. Les ONG anglo-saxonnes bénéficient également de budgets considérables : ainsi, l'ONG anglaise OXFAM a-t-elle disposé de 360 millions de dollars pour ses interventions en 2003, alors que l'ONG française la plus puissante, Médecins Sans Frontières, a un budget annuel d'environ 100 millions d'euros.

M. Robert Del Picchia a souligné la qualité exemplaire du dispositif mis en place pour l'accueil des Français rapatriés de Côte-d'Ivoire. Evoquant les dysfonctionnements qui avaient caractérisé l'action humanitaire en ex-Yougoslavie, il a considéré que la multiplicité des intervenants et l'absence de coordination avaient nui à l'image de la France et fait apparaître la nécessité et l'urgence d'une réforme. Il a souhaité savoir si la réorganisation de l'action humanitaire d'urgence avait permis de limiter le nombre des organisations non gouvernementales, de clarifier la nature de leurs relations avec l'Etat et d'éviter les dérives de l'ingérence politique. Il s'est interrogé sur le recours aux volontaires civils, dont le statut ne paraissait pas adapté aux ONG. Evoquant la situation en Irak, il a souhaité savoir si les ONG françaises pourraient de nouveau intervenir dans ce pays.

M. Renaud Muselier a souligné que le constat du manque global d'efficacité opérationnelle à l'époque, par l'ensemble des intervenants, avait facilité la réforme. Il a indiqué que le renforcement de la coordination s'était effectué sans nouvelle répartition des crédits entre les différents ministères acteurs de l'action humanitaire d'urgence. Les principaux responsables des ONG se sont impliqués dans la réforme, conscients de la nécessité d'une intervention de l'Etat et d'une meilleure coordination. La réforme des structures du ministère a également permis d'apporter des réponses plus cohérentes aux demandes des organisations humanitaires et de mieux cibler les actions faisant l'objet de co-financements. Les relations entre l'Etat et les ONG se caractérisent aujourd'hui par une plus grande confiance réciproque et le renforcement de la concertation permet de trouver des solutions plus satisfaisantes aux crises. Dès que la situation le permettra, le retour des ONG françaises en Irak s'effectuera avec le soutien de l'Etat.

M. Francis Giraud a souhaité connaître la place du service de santé des armées dans le dispositif d'action humanitaire d'urgence. Il s'est interrogé sur la période de sortie de crise et les conditions dans lesquelles, après l'action d'urgence proprement dite, le relais pouvait être passé à d'autres types d'interventions.

M. Renaud Muselier a indiqué que la mutualisation des moyens disponibles permettait de solliciter les personnels du service de santé des armées au même titre que d'autres réservoirs de compétences. La sortie de crise est en effet l'étape la plus critique d'une intervention. Il convient de prévenir les épidémies, d'anticiper la période des semences afin d'éviter une crise alimentaire, le tout dans un contexte où la sécurité n'est pas pleinement assurée et où des blocages politiques entravent l'action. Il a évoqué la situation en Somalie où la crise humanitaire touche 10 millions de personnes sans qu'aucun relais médiatique n'attire l'attention de l'opinion internationale. Soulignant le paradoxe de la situation en Haïti, il a constaté l'impuissance de la communauté internationale alors même que la volonté politique existe, que des moyens financiers ont été mobilisés et qu'il s'agit d'un territoire relativement réduit. L'ensemble des ressorts du développement est brisé, ce qui rend le déclenchement d'un cercle vertueux extrêmement difficile. La communauté internationale dispose pourtant de 1,5 milliard de dollars pour Haïti mais, sous les effets conjugués de l'insécurité, du dénuement extrême, de la déréliction des structures administratives, elle ne parvient pas, par exemple, à reconstruire les routes. Bien que les élections soient programmées à brève échéance, le pays ne dispose pas de listes électorales.

M. Jean-Guy Branger s'est interrogé sur le rôle des ambassades en cas de crise.

M. Renaud Muselier a souligné l'omniprésence et la disponibilité des personnels des ambassades en période de crise ainsi que l'ampleur des moyens mobilisables par la France en cas de nécessité. C'est cependant l'initiative politique qui est néanmoins déterminante pour l'efficacité et la coordination de tous les outils disponibles.

M. Serge Vinçon, président, a souhaité savoir comment l'action humanitaire d'urgence française était articulée avec les moyens de l'Union européenne et des Nations unies. Il s'est interrogé sur le recours à des ONG anglo-saxonnes, lors d'appels d'offre organisés par la France.

M. Renaud Muselier a indiqué que les appels d'offre lancés par les organisations multilatérales se référaient généralement au droit anglo-saxon, ce qui rendait le recours aux ONG françaises moins fréquent. Dans la plupart des cas, ce ne sont cependant pas les moyens financiers qui font défaut, mais la capacité des différents acteurs à agir ensemble.

M. Renaud Muselier a par ailleurs appelé les élus locaux, dont le travail sur les questions humanitaires est remarquable, à mieux coordonner leurs actions de coopération décentralisée et à avoir recours au service des ambassades dans un souci de plus grande efficacité et de meilleure visibilité.

Mercredi 1er décembre 2004

- Présidence de M. Serge Vinçon, président -

Organismes internationaux - Déplacement aux Nations unies (1er au 4 novembre 2004) - Compte rendu

La commission a tout d'abord entendu le compte rendu, par M. Serge Vinçon, président, du déplacement effectué aux Nations unies du 1er au 4 novembre 2004.

M. Serge Vinçon, président, a rappelé qu'il avait participé, du 1er au 4 novembre dernier, avec les sénateurs André Dulait, Jean-Pierre Plancade, Didier Boulaud et Jacques Legendre, à la 59e session de l'Assemblée générale de l'ONU.

A cette occasion, la délégation avait eu des entretiens avec plusieurs des responsables de l'Organisation, notamment M. Kofi Annan, Secrétaire général, MM. Guehenno et Pendergast, Secrétaires généraux adjoints, respectivement pour les opérations de maintien de la paix et les affaires politiques, ainsi qu'avec les représentants permanents des Etats-Unis, de la Russie, de la Chine, de Grande-Bretagne et d'Allemagne.

Plusieurs réunions avec M. Rochereau de la Sablière, représentant permanent de la France à l'ONU et ses collaborateurs ont par ailleurs permis d'approfondir plusieurs thèmes de l'actualité internationale.

Le sujet principal abordé lors des entretiens, qui constituera le « fil rouge » des travaux de l'ONU au cours de l'année 2005, a été la réforme des Nations unies. Cette réforme se justifie pour plusieurs raisons : la charte aura 60 ans l'an prochain et les menaces sur la paix ont très largement évolué -développement du terrorisme, prolifération, Etats déliquescents etc... Ensuite, comme la guerre d'Irak l'a démontré, l'ONU est en recherche d'une légitimité accrue -en particulier le Conseil de sécurité- et soucieuse d'accroître son efficacité dans la gestion des crises.

Le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, a donc mis en place un « panel de haut niveau » composé de 16 personnalités -dont M. Robert Badinter pour la France- panel qui remet aujourd'hui son rapport au Secrétaire général. C'est sur la base de ce rapport que seront engagées des consultations tout au long de l'année 2005 pour aboutir à une décision de réforme lors du sommet de septembre.

L'élargissement du Conseil de sécurité, a poursuivi M. Serge Vinçon, président, loin d'être le seul élément de la réforme, en est l'aspect le plus visible et aussi le plus compliqué. L'idée est de porter de 5 à 10 le nombre des membres permanents et d'augmenter celui des non-permanents, en faisant passer l'effectif du Conseil de 15 à 24. Un consensus se fait jour sur quatre nouveaux membres permanents possibles : l'Allemagne, le Japon, le Brésil et l'Inde. Un cinquième pays serait originaire du continent africain : l'Afrique du Sud, le Nigéria ou encore l'Egypte. Ces nouveaux membres permanents auront-ils ou non le droit de veto, au risque de multiplier les risques de blocage, ou en seront-ils privés, au risque alors de créer une sous-catégorie d'Etats ?

Les entretiens ont également porté sur la mise en oeuvre de la déclaration du Millénaire, faite il y a 5 ans et par laquelle les chefs d'Etat et de gouvernement s'étaient alors engagés, notamment, à réduire la pauvreté dans le monde de 50 % à l'horizon 2015. A l'évidence, le rythme atteint depuis 5 ans ne permettra pas d'atteindre les objectifs assignés. Aussi bien le débat du sommet du 60e anniversaire portera-t-il aussi sur la capacité de l'ONU à tenir ses engagements sur les objectifs du Millénaire avec, entre autres, la problématique des modalités nouvelles de financement du développement.

Les opérations de maintien de la paix ont été abordées en particulier avec M. Jean-Marie Guéhenno, Secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix. 17 opérations sont actuellement en cours et mobiliseront bientôt 70 000 hommes sous casques bleus. Ces OMP souffrent d'une faiblesse opérationnelle générale : en effet, les « grands » pays développés sont de plus en plus réticents à engager leurs propres forces dans des opérations « casques bleus » proprement dites. Celles-ci sont à présent majoritairement composées de contingents de pays « du Sud » -Asie du Sud, Bengladesh, Inde, Afrique ou Amérique latine dont les capacités opérationnelles, sauf exception, sont bien moindres.

Pour renforcer la capacité opérationnelle militaire de l'ONU, et s'il faut oublier l'utopie d'une « armée des Nations unies », l'idée fait son chemin d'une « réserve stratégique » de forces, d'un haut niveau de disponibilité opérationnelle, placées sous le commandement d'Etats membres. D'une certaine façon, la création des groupements tactiques de 1 500 hommes, récemment décidée par les 25, entrerait aussi dans cette perspective.

S'agissant de l'Irak, deux thèmes ont été plus particulièrement évoqués par les interlocuteurs de la délégation : l'attaque sur Falloujah -alors imminente- et la Conférence de Charm el-Cheikh, qui vient de se dérouler.

Pour l'ONU, la priorité est désormais triple : préparer l'élection, lancer le processus politique et rédiger la Constitution. La préparation de l'élection supposait, fin novembre, l'établissement des listes électorales, sur la base des listes des bénéficiaires du programme « pétrole contre nourriture », et l'enregistrement des partis politiques. Le calendrier est donc très serré. La rédaction de la Constitution demandera beaucoup de souplesse, de sagesse et d'imagination pour contenir les tensions, compte tenu des diversités ethniques et religieuses du pays.

Sur l'Afghanistan, chacun a salué le succès de l'élection présidentielle. Le processus électoral va continuer en vue des élections législatives d'avril 2005. La préparation et le contexte de ces élections seront cependant plus difficiles, du fait du recensement nécessaire des électeurs, du problème des réfugiés, de la multiplicité des circonscriptions. Leur bonne préparation suppose une sécurité accrue, une autorité plus étendue du gouvernement central, ce qui n'est pas acquis. Surtout, le problème de la drogue pèse très lourdement. L'Afghanistan a aujourd'hui tout d'un « narco-Etat ». 90 % de l'héroïne vient d'Afghanistan, 60 % du PNB du pays vient de la drogue. Si le revenu moyen par jour s'élève à 2 dollars, il atteint 15 dollars grâce à la culture du pavot. C'est la Grande-Bretagne qui est le « chef de file » de la lutte contre ce fléau. Son éradication, a rappelé le représentant permanent de Grande-Bretagne, suppose de pouvoir fournir aux fermiers un revenu de substitution. Le nouveau président afghan a déclaré la guerre à la culture du pavot et les soldats de la FIAS (Force internationale d'assistance à la sécurité) commencent à s'attaquer aux laboratoires.

Enfin, l'une des grandes inquiétudes de nos interlocuteurs du Conseil de Sécurité, à commencer par M. Kofi Annan et le représentant russe notamment, était l'éventuelle arrivée, devant le Conseil de sécurité, du dossier du nucléaire iranien. Pour le Secrétaire général, une saisine du Conseil avait pour principal risque que l'Iran se referme sur lui-même, dans un climat de conflit sur la base d'éventuelles sanctions. Rien alors n'empêcherait l'Iran de poursuivre son programme d'enrichissement à l'abri de toute surveillance internationale, entraînant des réactions régionales en chaîne. L'accord intervenu depuis, a précisé M. Serge Vinçon, président, entre l'Iran et la troïka européenne, et validé par l' AIEA, a écarté, pour l'heure, la menace d'une telle saisine, mais les Etats-Unis entendent bien maintenir la pression sur l'Iran.

En concluant son propos, M. Serge Vinçon, président, a salué la compétence des diplomates français en poste à la représentation permanente qui, sous l'autorité de l'ambassadeur, représentant permanent de la France, effectuent un travail d'analyse et de négociations remarquable qui donne à notre pays, au sein de l'ONU, une influence reconnue.

Relevant enfin que l'ONU traversait une situation difficile depuis l'affaire d'Irak, M. Serge Vinçon, président, a estimé que la réforme qui s'engage pouvait être décisive si elle permettait, avec le concours des Etats-Unis, de remettre l'ONU au centre des décisions collectives de recours à la force, de gestion des crises, de reconstruction politique des Etats déliquescents et du développement. Il a considéré que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pourrait utilement, l'année prochaine, approfondir cette importante question.

M. André Dulait a relevé que l'attention de la délégation avait été de nouveau attirée par ses interlocuteurs au PNUD sur la faiblesse relative des contributions françaises à ce programme, ce qui plaçait parfois la France dans une situation délicate au sein des instances de l'ONU dédiées au développement.

M. Jean-Pierre Plancade a reconnu la difficulté liée à ce problème des contributions volontaires françaises au système des Nations unies. Il s'est associé à l'hommage rendu aux diplomates français en poste à New York : la parole de la France y est attendue et écoutée. Il a enfin souligné les espérances fortes placées dans la perspective de réforme de l'Organisation.

M. Serge Vinçon, président, a fait observer que le séjour de la délégation avait correspondu à la date de l'élection présidentielle américaine. Il en avait retiré que, plus encore que les questions internationales, l'enjeu avait surtout porté sur les « valeurs » de la société américaine.

En réponse à une question de M. André Boyer sur la solidarité des pays francophones à l'égard de la France à l'ONU, M. Serge Vinçon, président, a fait observer que, sur une question comme la Côte-d'Ivoire, la solidarité internationale avait largement dépassé le cercle francophone, les différentes résolutions proposées par la France sur ce sujet ayant reçu un vote unanime du Conseil de sécurité.

Traités et conventions - Convention organisant la gestion des stocks de poissons grands migrateurs dans le Pacifique occidental et central - Examen du rapport

Puis la commission a examiné le rapport de M. André Boyer sur le projet de loi n° 45 (2004-2005) autorisant l'adhésion à la convention relative à la conservation et à la gestion des stocks de poissons grands migrateurs dans le Pacifique occidental et central.

M. André Boyer, rapporteur, a précisé que l'adoption de ce projet de loi par le Parlement permettrait à la France de siéger aux réunions de la commission chargée d'organiser la gestion des stocks halieutiques dans le Pacifique occidental et central. Il a rappelé que cette zone géographique englobait trois de nos collectivités d'Outre-Mer (COM) : la Nouvelle Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie. C'est cette dernière collectivité qui est la plus intéressée par le contenu de cette convention, car elle développe une flotte de navires hauturiers pour diversifier ses ressources économiques.

M. André Boyer, rapporteur, a souligné que la plupart des zones océaniques sont déjà couvertes par des organisations régionales compétentes en matière de gestion des poissons grands migrateurs, pour l'essentiel des thons. Il a précisé que la France participait ainsi à la commission internationale pour la conservation du thon de l'atlantique mise en place en 1969, à la commission des thons de l'Océan indien, instaurée en 1996, et à la commission interaméricaine du thon tropical, créée en 2003.

La zone du Pacifique occidental et central, particulièrement poissonneuse, s'est dotée à son tour d'une convention du même type, entrée en vigueur le 19 juin 2004. Les négociations ont réuni les Etats insulaires du Pacifique Sud, qui souhaitent protéger les ressources halieutiques pour les exploiter de façon durable, et les grands Etats asiatiques soucieux d'exploiter ces ressources à moindre coût. Un point d'équilibre a pu être trouvé et un accord signé à Honolulu en septembre 2000. Après la signature de cet accord, des conférences se sont réunies, chargées d'en appliquer les modalités pratiques, et notamment d'en élaborer le règlement intérieur. La France a participé à ces discussions pour défendre les capacités respectives de ses trois collectivités à gérer leur zone économique exclusive, comme leur statut leur en confère la compétence. Après avoir obtenu satisfaction, la France a décidé d'être partie à cette convention, qui prolonge l'effort de préservation des ressources halieutiques déjà en oeuvre dans d'autres parties du monde.

Suivant l'avis de M. André Boyer, rapporteur, la commission a ensuite adopté le projet de loi.

Nomination de rapporteurs

La commission a ensuite désigné comme rapporteurs :

- M. Daniel Goulet sur le projet de loi n° 13 (2004-2005) autorisant la ratification de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées à une peine privative de liberté entre la République française et la Fédération de Russie ;

- M. Jean-Pierre Plancade sur leprojet de loi n° 81 (2004-2005) autorisant l'approbation de l'accord entre les Etats membres de l'Union européenne relatif au statut du personnel militaire et civil détaché auprès des institutions de l'Union européennes, des quartiers généraux et des forces pouvant être mis à la disposition de l'Union européenne dans le cadre de la préparation et de l'exécution des missions visées à l'article 17, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, y compris lors d'exercices, et dupersonnel militaire et civil des Etats membres mis à la disposition de l'Union européenne pour agir dans ce cadre (SOFA UE) ;

- M. André Rouvière sur le projet de loi n° 1348 (A.N.- 12è législature), en cours d'examen par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbationdu protocole modifiant laconvention portant création d'unoffice européen de police (convention EUROPOL)et le protocole sur les privilèges et immunités d'EUROPOL, des membres de ses organes, de ses directeurs adjoints et de ses agents;

- M. Jacques Peyrat sur le projet de loi n° 83 (2004-2005) autorisant l'approbation de la convention établie par le Conseil conformément à l'article 34 du traité sur l'Union européenne relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l'Union européenne.

Situation en Irak - Audition de M. Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS et historien de l'Islam contemporain du Moyen-Orient, sur la situation en Irak.

M. Pierre-Jean Luizard a indiqué que son pessimisme sur l'évolution de la situation en Irak s'était accentué depuis sa dernière audition devant la commission, il y a un an. La perspective des élections législatives du 30 janvier 2005 ne semble malheureusement pas pouvoir être considérée comme un pas en avant décisif vers une reconstruction démocratique, car elle ne fait que renforcer la logique communautariste, véritable piège dans lequel se sont enfermées toutes les parties irakiennes ainsi que les autorités américaines depuis la chute du régime de Saddam Hussein.

M. Pierre-Jean Luizard a estimé que les prochaines élections allaient se résumer à un simple enjeu communautaire et que l'on assistait ainsi à une surenchère entre communautés, avec le risque majeur d'accélérer la spirale de la violence.

Il a évoqué la récente controverse portant sur le maintien des élections à la date du 30 janvier 2005, conformément à l'échéance prévue dans la Constitution provisoire de mars 2004, ou sur leur éventuel report du fait de la dégradation des conditions de sécurité dans les zones sunnites.

L'ayatollah Sistani ainsi que tous les partis chiites représentés au conseil de gouvernement s'opposent catégoriquement à tout report des élections, au motif que cela reviendrait à céder au terrorisme. Pour les responsables chiites, l'enjeu des élections porte autant sur la reconstruction de l'Etat que sur l'opportunité de faire enfin valoir ce qu'ils appellent « le droit de la communauté majoritaire », en lui conférant une influence politique à la mesure de son poids démographique. L'ensemble de la direction politique et religieuse chiite s'est ainsi considérablement investie dans le processus électoral. L'ayatollah Sistani a fait de la participation au vote un devoir religieux et il n'a pas hésité à apparaître sur des affiches incitant à se rendre aux urnes. L'engagement chiite dans les élections ne se limite pas à des appels en faveur de la participation électorale. Il vise également à obtenir un « bloc chiite » majoritaire au Parlement, grâce à la constitution d'une liste unique regroupant tous les partis ou groupements chiites.

Une interrogation subsiste sur l'attitude des partisans de Moqtada Al-Sadr. Ce dernier a subi en août dernier, à Nadjaf, une défaite militaire, mais il en est sorti avec une popularité renforcée. La liste unique préparée par ce que l'on pourrait appeler « l'establishment » chiite ne lui réserve que 10 % des places, ce qui est à l'évidence très inférieur à son audience réelle. Le mouvement de Moqtada Al-Sadr, qui reste très informel et n'est pas organisé comme un parti, semble divisé sur la conduite à tenir vis-à-vis des élections. Certains contestent tout processus électoral organisé sous occupation étrangère alors que d'autres, dont Moqtada Al-Sadr lui-même, paraissent enclins à jouer le jeu des élections. Aucune position officielle n'a été prise pour l'instant, afin de ne pas accentuer ces divergences, mais il est probable que Moqtada Al-Sadr ne participera pas aux élections s'il n'obtient pas une représentation supérieure à 10 % des places sur la liste unique chiite, ou bien qu'il présentera une liste indépendante.

M. Pierre-Jean Luizard a estimé que tout en étant conscients du risque de voir la crédibilité de ces élections affaiblie par une non-participation des Arabes sunnites, les responsables américains pouvaient difficilement accepter leur report sans encourir l'hostilité de la majorité chiite. Il a ajouté que la pression des chiites se faisait d'autant plus forte qu'ils espéraient s'assurer la domination du futur Parlement et pensaient pouvoir demander le retrait des troupes étrangères, de manière sans doute quelque peu illusoire compte tenu du risque d'une nouvelle dégradation des conditions de sécurité après les élections.

La question des élections illustre le divorce patent entre les communautés chiite et sunnite, placées en situation de confrontation directe en raison de la logique communautariste qui préside à la reconstruction. De façon évidente, une telle logique ne peut satisfaire à la fois l'ensemble des communautés. Les chiites, exclus du système politique mis en place dans les années 1920 par les Britanniques, sont désormais devenus les partenaires privilégiés des Etats-Unis pour l'édification d'un nouveau système dans lequel les Arabes sunnites sont marginalisés. Cette évolution, dont le caractère inéluctable est redevable à l'occupation elle-même, n'était toutefois pas visible dans les premières semaines qui ont suivi la chute du régime de Saddam Hussein : la communauté arabe sunnite témoigna un moment d'un certain degré de disponibilité pour participer à la reconstruction politique de l'Irak. Elle est ensuite passée de l'attentisme à l'hostilité quand il lui est apparu, à travers la désignation du premier conseil de gouvernement intérimaire en juillet 2003, que les Américains optaient pour une logique purement communautaire dont ils seraient les principales victimes. La dissolution de l'armée et le démantèlement de l'armature du précédent régime ont achevé de les convaincre que la politique américaine les condamnait à devenir une simple minorité, sans ressources et privée de pouvoir, dans le futur Irak.

M. Pierre-Jean Luizard a souligné que l'une des faiblesses de la communauté arabe sunnite en Irak, outre le traumatisme lié à la perte de ses privilèges multiséculaires, tenait à l'absence de leader depuis l'effondrement du régime de Saddam Hussein. Les différentes personnalités qui s'expriment en son nom ne possèdent qu'une représentativité très locale, limitées à des zones bien délimitées. Ce vide a favorisé l'influence politique croissante des combattants étrangers, accueillis favorablement par les populations arabes sunnites et envers lesquels la solidarité s'est accentuée depuis l'offensive des forces gouvernementales et américaines contre les bastions des insurgés.

La perspective d'une domination chiite inamovible sur le Parlement, inacceptable pour les Arabes sunnites, commence à susciter des craintes également chez les Kurdes, pourtant partenaires privilégiés des Américains. C'est le sens qu'il faut donner au récent appel lancé par 17 partis ou groupements, sous la direction d'Adnan Pachachi, en vue d'obtenir un report de six mois des élections. Pour les partisans du report, les conditions de sécurité dans les zones arabes sunnites ne permettent pas actuellement d'organiser les élections et le respect de l'échéance fixée par la Constitution provisoire ne doit pas prévaloir sur l'exigence de crédibilité et de légitimité du futur Parlement. Car la non-participation des Arabes sunnites aux élections renforceraient encore la domination chiite sur le Parlement. Mais l'immense majorité de la communauté arabe sunnite est par ailleurs opposée à la tenue d'élections sous occupation militaire étrangère. L'Association des oulémas musulmans (sunnites) s'est associée avec certains religieux chiites, les nationalistes arabes et les Turkmènes chiites dans un « Congrès constituant national irakien » qui met en avant la nécessité d'un retour à la souveraineté et à l'indépendance préalablement à toute consultation électorale

En conclusion, M. Pierre-Jean Luizard a estimé que l'un des faits politiques marquant de ces dernières semaines en Irak était l'antagonisme croissant entre les communautés chiite et sunnite. L'offensive contre les villes tenues par les insurgés en zone sunnite n'a provoqué aucun signe de solidarité de la part des chiites, notamment de Moqtada Al-Sadr qui avait pourtant reçu le soutien des habitants de Fallouja en août 2004 lors du siège de Nadjaf. L'escalade verbale est manifeste dans les médias de l'une et l'autre communauté, alors que se multiplient les actes de violence à l'encontre de religieux des deux communautés. Les vieilles haines confessionnelles ont ressurgi depuis quelques mois du fait d'un terrorisme aveugle qui frappe très durement les populations chiites et du fanatisme anti-chiite des combattants étrangers, engagés dans une lutte qui dépasse le cadre de l'Irak et qui ont pris en otage la communauté arabe sunnite de ce pays. Selon M. Pierre-Jean Luizard, le sentiment que l'unité des Irakiens reste malgré tout un facteur décisif pour l'avenir du pays reste fort, même si la population est prise au piège de la logique communautaire.

Pour M. Pierre-Jean Luizard, aucun des scénarios envisageables après les élections de janvier 2005 ne laisse entrevoir un retour à la stabilité de l'Irak.

M. Didier Boulaud a sollicité des précisions sur le groupe susceptible de détenir les otages français.

M. Pierre-Jean Luizard a indiqué que, depuis l'enlèvement de nos compatriotes, il s'était interdit tout commentaire pour éviter des interférences négatives et laisser aux personnes qui en ont la charge la gestion du dossier.

M. Jacques Peyrat a souhaité savoir si les Etats-Unis parviendraient à réduire les poches de résistance des régions sunnites avant l'échéance fixée pour les élections le 30 janvier 2005. Il s'est interrogé sur les raisons qui avaient conduit la coalition à différer ses actions contre les poches de résistance et, en particulier, contre les combattants étrangers. Il a enfin évoqué le risque de partition du territoire irakien.

M. Jean-Pierre Plancade s'est interrogé sur la durée de stationnement des troupes américaines en Irak, même après les élections.

M. André Dulait s'est inquiété de la situation des chrétiens d'Irak et s'est interrogé sur leur position quant à l'organisation des élections.

M. Serge Vinçon, président, a souhaité savoir si l'idée d'une fédération, évoquée pour la future Constitution irakienne, était envisageable. Il s'est par ailleurs demandé ce qu'aurait pu être l'alternative au communautarisme qui semble fonder la reconstruction politique actuelle du pays.

M. Bernard Barraux a sollicité des précisions sur l'origine et les motivations des combattants étrangers.

M. Pierre-Jean Luizard a considéré que la coalition avait effectivement tardé à s'attaquer aux zones échappant à son contrôle, notamment à Fallouja, Samarra et Ramadi, mais que, faute d'effectifs, les Américains n'avaient pas eu d'autres choix. Ils sont désormais contraints d'intervenir au coup par coup, mais sont dans l'incapacité de quadriller l'ensemble du pays, ce qui permet aux résistants de changer de ville, au fur et à mesure de l'avancée de la coalition. Il a souligné que les Américains éprouvaient des difficultés à disposer de nouvelles troupes, d'autant plus que les pays parties à la coalition sont de plus en plus réticents à envoyer des troupes supplémentaires. Dans ce contexte, ils sont confrontés à des adversaires qui sont engagés dans une lutte à mort qui a fait, à Fallouja, un nombre de victimes américaines très élevé.

La partition déguisée, sous prétexte d'une décentralisation poussée, semble être l'aboutissement logique d'une reconstruction politique sur une base communautaire, qui interdit l'émergence de tout espace public en Irak. Chacune des communautés négocie des avantages avec l'occupant et se situe dans une relation de concurrence et de confrontation à l'égard des autres communautés. On observe ainsi actuellement des appels à des déplacements de population. A Kirkouk, les Kurdes réclament le départ des familles arabes qui représentent plusieurs dizaines de milliers de personnes installées là depuis plus d'une génération. Mais le caractère impraticable d'une partition éventuelle est qu'elle suppose la définition de frontières. Quand on sait que le pétrole du nord de l'Irak est dans une zone de peuplement mixte, on imagine aisément les conséquences qu'aurait la définition de telles frontières. De plus, si les différentes communautés constituent des blocs compacts sur des territoires donnés, il existe aussi de très importantes zones de peuplement mixte (Bagdad en est le premier exemple) où coexistent Arabes, Kurdes et Turkmènes, chiites et sunnites. C'est le cas de Kirkouk où la population est mixte sur les plans ethnique et religieux et qu'aucune communauté ne peut légitimement revendiquer comme sa propriété exclusive. La dérive communautaire conduit également à ce que chacune des communautés revendique l'appropriation des ressources pétrolières du territoire où elle est implantée. On entend ainsi parler du pétrole kurde ou chiite et on entend dire que les Arabes sunnites n'ont pas de pétrole ! C'est bien une logique de partition qui est à l'oeuvre en Irak. Pourtant, si l'on met les Kurdes à part, la société irakienne constitue une seule société dont on ne peut raisonnablement pas envisager la séparation en plusieurs entités.

M. Pierre-Jean Luizard a souligné que les Américains ne pouvaient pas retirer leurs troupes d'Irak, dans la mesure où un tel retrait serait interprété comme une défaite. La situation irakienne est un piège aussi bien pour les Irakiens que pour les Américains.

Les chrétiens d'Irak sont confrontés au même processus de réislamisation que leurs coreligionnaires des pays arabes voisins. Traditionnellement protégés par l'Etat, depuis l'époque ottomane jusqu'au régime de Saddam Hussein, ils subissent aujourd'hui la disparition de l'Etat irakien. L'Islam imprègne tous les discours et les musulmans expriment un besoin de revanche sociale et politique. Dans ce contexte, les chrétiens se voient accusés de favoriser les entorses aux interdits religieux. A l'exception de quelques points d'ancrage, la disparition de cette communauté est programmée en Irak et une majorité de ses membres considère qu'ils n'ont pas d'avenir dans ce pays. Au demeurant, les plus importantes communautés assyro-chaldéennes sont aujourd'hui implantées à Chicago, à Sarcelles et à Marseille.

Evoquant les motivations des combattants étrangers, M. Pierre-Jean Luizard a considéré qu'ils n'étaient pas des mercenaires, mais le symbole de l'internationalisation du conflit, l'Irak étant devenu le champ de bataille privilégié de l'Islam jihadiste contre les Etats-Unis. Les combattants étrangers viennent en Irak par conviction religieuse. Leur nombre n'est pas très important, mais ils jouent un rôle politique significatif, qui s'appuie sur l'incapacité des Etats-Unis à restaurer la stabilité politique du pays, et leur nombre s'accroît au fur et à mesure des campagnes militaires contre les villes sunnites.

Il a souligné que la Constitution provisoire de mars 2004 avait remis à plus tard tous les sujets décisifs. Elle mentionne ainsi trois sources du droit, le droit positif, la charia et les coutumes tribales, sans établir de hiérarchie entre ces normes. Cela laisse ainsi en suspens des questions essentielles sur lesquelles il sera plus difficile encore de s'entendre après l'aggravation des tensions intercommunautaires. Cette Constitution provisoire est ainsi potentiellement une « bombe à retardement ». Il a considéré que les Etats-Unis, hostiles à voir la charia promue comme première source du droit, semblaient désormais résignés à l'instauration d'un Etat islamique, à condition qu'il noue des liens étroits avec eux.