Délégations et Offices

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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 2 février 2000

- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.

Saisine de la délégation et nomination d'un rapporteur

Mme Dinah Derycke, président, a donné connaissance à la délégation de la lettre en date de 26 janvier 2000 par laquelle M. Jacques Larché, président de la commission des lois, avait au nom de la commission saisi la délégation du projet de loi n° 192 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi que du projet de loi organique n° 193 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée de la Polynésie française et de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna, en application des § III de l'article 6 septies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

La délégation a désigné Mme Danièle Pourtaud en qualité de rapporteur sur ces deux projets de loi.

Audition de Mme Régine Saint-Cricq, présidente de l'Association Parité

Puis la délégation a procédé à l'audition de Mme Régine Saint-Cricq, présidente de l'Association Parité.

Mme Régine Saint-Cricq
a tenu à rappeler, en introduction, le caractère déterminant des actions entreprises par les associations dans l'émergence de la priorité actuellement accordée à la parité entre hommes et femmes.

Elle a précisé que l'association qu'elle préside avait été créée au mois de mars 1992.

Rappelant que le débat théorique opposant les tenants de l'universalité des citoyens à ceux qui prônent une différence à opérer entre hommes et femmes pour favoriser l'accès de ces dernières à la vie publique avait été tranché lors des débats préalables à la révision constitutionnelle de 1999, elle a estimé qu'il convenait désormais d'en examiner les conditions d'application, telles qu'elles figurent dans le projet de loi actuellement en discussion au Parlement.

Mme Régine Saint-Cricq a présenté à la délégation les positions de son association sur ces textes.

S'agissant des scrutins de liste à un ou deux tours, utilisés pour les élections européennes, sénatoriales, régionales et municipales, l'association Parité prône une alternance stricte entre hommes et femmes ; or les débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi ont, certes, amélioré les dispositions initialement prévues par le Gouvernement, mais de façon insuffisante. En effet, il subsiste le risque que les têtes de liste soient systématiquement des hommes, et l'alternance par tranche de six candidats, adoptée pour les scrutins à deux tours, n'aboutit pas à une réelle parité.

En revanche, l'association se félicite de l'abaissement du seuil d'application du projet de loi aux communes de plus de 2 000 habitants.

La principale réserve formulée par l'association Parité touche aux élections cantonales, qui ne sont pas incluses dans le dispositif législatif en discussion, alors que les dernières élections de ce type ont vu élire 8 % de femmes, bien qu'il y eût 37 % de candidates. Cette distorsion démontre qu'en l'absence de règles contraignantes, les femmes sont défavorisées.

Evoquant ensuite les élections législatives, Mme Régine Saint-Cricq a estimé préférable une pénalisation à une incitation financière ; elle s'est ainsi référée à la loi sur l'égalité professionnelle, dont le dispositif incitatif n'a guère produit de résultats. Elle a cependant regretté que les sanctions financières éventuelles soient calculées à partir du nombre de candidates, et non pas d'élues, et a estimé que ce point méritait d'être approfondi. De même a-t-elle déploré que l'accès aux fonctions électives, pourtant mentionnées dans la réforme constitutionnelle, ne soit pas évoqué dans le projet de loi. Mme Régine Saint-Cricq a cependant reconnu, sur ce point, que les exécutifs des structures intercommunales, notamment, n'étant pas élus au suffrage universel direct, il était difficile d'instaurer un mécanisme contraignant les touchant.

Elle a conclu son exposé en rappelant la nécessité, pour une pleine application du principe de parité, de l'instauration d'un statut de l'élu, de l'aboutissement du projet de loi sur le cumul des mandats, et de l'organisation d'une campagne institutionnelle sur le rôle, désormais indispensable, des femmes dans la vie publique.

Selon Mme Régine Saint-Cricq, il est impératif de renouveler la vie publique et la démocratie ; les femmes, ainsi que les jeunes, n'étant guère représentés dans la classe politique, la parité offre un moyen de contribuer à ce nécessaire renouvellement.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Patrice Gélard a rappelé les critiques qu'il avait formulées à la suite de l'exposé fait, la semaine précédente, par Mme Génisson, au nom de l'observatoire de la parité, et dont les propos tenus par Mme Régine Saint-Cricq lui semblaient très proches.

Ces thèses, similaires, témoignent d'une profonde méconnaissance de la nature même des élections cantonales, dont les candidats ne font pas l'objet d'investiture des partis nationaux, auxquels d'ailleurs la plupart ne sont pas affiliés. Il a insisté sur la méprise manifestée par Mme Régine Saint-Cricq sur le sens de la révision constitutionnelle, qui visait " l'égal accès " des femmes et des hommes, et non la parité, contraire à l'idéal démocratique.

Soulignant que la carence à laquelle il convenait de remédier en priorité dans notre pays était le manque de préparation des femmes aux contraintes inhérentes à la vie publique, il a évoqué l'exemple des pays scandinaves, dans lesquels les hommes se détournent actuellement de la vie politique, car elle offre plus d'inconvénients que d'attraits à leurs yeux.

M. Patrice Gélard a conclu en rappelant combien l'imposition de la parité homme-femme dans chaque assemblée lui semblait une erreur, le dispositif plus souple présenté par le Gouvernement lui paraissant en revanche acceptable.

Mme Josette Durrieu s'est déclarée en plein accord avec les remarques formulées par M. Patrice Gélard, en particulier à propos des élections cantonales. Elle a rappelé la nécessité pour les femmes de prendre pleine conscience de leur valeur : seule cette conviction leur permettra de conquérir des places dans la vie publique. Elle a estimé que, s'il était certes plus facile de promouvoir des femmes par des scrutins de liste, les élections au scrutin uninominal ne leur étaient pas fermées pour peu qu'elles prennent confiance en elles, les difficultés spécifiques de la représentation politique des femmes en France tenant essentiellement à un terreau culturel et éducatif qui ne les y prépare pas.

Mme Danièle Pourtaud a rappelé que, dans les pays scandinaves, l'insertion des femmes dans la vie publique était passée prioritairement par la voie politique, alors qu'en France, elle s'est opérée par la voie professionnelle. Elle a précisé qu'une des raisons majeures de la féminisation de la vie publique dans les pays du nord de l'Europe résidait dans la faiblesse de la rémunération des mandats électifs.

Puis elle a interrogé Mme Régine Saint-Cricq sur l'opportunité de compléter les pénalisations financières, prévues à l'encontre des partis qui ne respecteront pas la parité de candidatures aux élections législatives, par des mesures incitatives de nature à favoriser l'élection de candidates.

M. Claude Domeizel a critiqué cette suggestion, qui pourrait aboutir à pénaliser des partis politiques qui auraient respecté la parité de candidatures, alors que le résultat d'une élection à l'Assemblée nationale dépend des électeurs et non des partis.

M. Gérard Cornu s'est déclaré plus favorable à une parité de candidatures dans les scrutins proportionnels qu'à l'organisation d'une alternance homme femme, stricte ou par groupe de six candidats. Il a exprimé son opposition à l'abaissement du champ d'application du scrutin proportionnel aux communes de 2 000 habitants, où il lui est apparu inopportun de modifier le mode de scrutin et irréaliste d'introduire la parité.

S'agissant des exécutifs locaux ignorés par le projet de loi, il a estimé que l'accès des femmes à ces fonctions serait favorisé par la limitation du cumul des mandats et l'amélioration du statut de l'élu. Il a notamment souligné les difficultés rencontrées par les élus pour retrouver un emploi à l'issue de leur mandat. Il a considéré que les structures intercommunales devraient être prises en compte dans la limitation du cumul des mandats.

Mme Dinah Derycke, présidente, a estimé que l'évolution des départements et la réforme des élections cantonales viendraient en débat dans les années à venir.

Mme Régine Saint-Cricq a regretté que la loi ne puisse comporter de dispositions, notamment financières, conduisant à une " obligation de résultat " en nombre de femmes élues aux élections législatives, même sous forme d'énoncé de principe.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a estimé que chaque parti ferait l'effort de présenter des femmes dans des circonscriptions " gagnables ".

Mme Danièle Pourtaud a suggéré, afin d'inciter les partis à présenter les femmes dans des circonscriptions " gagnables ", que les sommes résultant de la pénalisation pour non-respect de la parité de candidatures soient reversées aux partis, au titre de la première fraction de l'aide publique, en fonction du nombre de suffrages obtenus par leurs candidates.

M. Claude Domeizel a objecté que la détermination a priori des circonscriptions " gagnables " ou non était particulièrement aléatoire, un grand nombre de sièges étant soumis à l'alternance.

Mme Régine Saint-Cricq a redouté que la loi soit de peu d'effet sur l'augmentation du nombre de femmes élues à l'Assemblée nationale.

A propos de l'abaissement du seuil de la proportionnelle aux élections municipales, elle a estimé qu'il ne convenait pas de s'inquiéter d'un éventuel défaut de candidatures féminines en milieu rural. Le discours paritaire est maintenant repris dans toutes les couches de la société.

M. Gérard Cornu a jugé inopportun de remettre en cause le mode de scrutin dans les communes de 2 000 à 3 500 habitants, soulignant en particulier qu'il serait délicat de remplacer des candidats déjà sollicités et volontaires par des candidates difficiles à convaincre.

Mme Dinah Derycke, présidente, a déclaré ne pas partager les inquiétudes exprimées, estimant que les ruraux ne sont pas fermés à la parité. Elle a souligné que les communes de plus de 3 500 habitants représentent 100 000 conseillers municipaux, et trouvé regrettable que les 4 000 000 conseillers des communes de moins de 3 500 habitants restent tous à l'écart de la parité.

M. Patrice Gélard a observé qu'une commune de 2 000 habitants ne compte en fait qu'un millier d'électeurs, dont la moitié a l'âge de la retraite et le tiers travaille en ville, ce qui ne laisse qu'un petit noyau de personnes disponibles.

Mme Régine Saint-Cricq a estimé que l'instauration de la parité était un honneur pour la France, qui serait sans doute imitée. A propos des élections cantonales, elle a observé que les candidatures isolées étaient moins nombreuses en milieu urbain qu'en milieu rural.

En conclusion, elle a souligné que la nécessité de mettre en oeuvre une parité " obligée " résultait de la responsabilité des partis, faute d'efforts librement consentis pour faire de la place aux femmes dans les assemblées politiques.

M. Xavier Darcos a objecté que l'idée même d'une " obligation de résultat " lui paraissait irrecevable dans une démocratie.

Audition de Mme Mireille Lacombe, déléguée nationale aux femmes, représentant la Fédération nationale des élus socialistes et républicains

La délégation a ensuite procédé à l'audition de Mme Mireille Lacombe, déléguée nationale aux femmes, représentant la Fédération nationale des élus socialistes et républicains.

Mme Dinah Derycke, présidente
, a indiqué d'emblée à Mme Mireille Lacombe les principales questions qui préoccupaient la délégation : l'abaissement du seuil d'application du scrutin proportionnel aux communes de 2 000 habitants, voté par l'Assemblée nationale ; l'absence de dispositions concernant les élections cantonales ; le moyen d'obtenir aux élections législatives une " obligation de résultat " en nombre de femmes élues ; la place respective des hommes et des femmes sur les listes pour les élections au scrutin proportionnel.

Mme Mireille Lacombe, déléguée nationale aux femmes, représentant la Fédération nationale des élus socialistes républicains, a précisé qu'elle avait suivi au sein de la commission mixte des élus socialistes et républicains l'évolution du processus législatif vers la parité. Elle a souligné l'intérêt suscité au sein de cette commission par les débats sur le projet de loi, au-delà des clivages entre milieux urbain et rural et entre les différents niveaux de collectivités. Elle s'est félicitée de ce que les femmes soient en passe d'obtenir le droit de cogérer la vie de leur cité, de leur circonscription et de leur région pour mettre en oeuvre une démocratie paritaire, à condition que les partis rompent avec l'immobilisme. La loi, en effet, " favorise " mais " n'impose pas " et il faut rompre avec les habitudes selon lesquelles, en milieu rural, les hommes sont élus municipaux et les femmes s'occupent des associations à vocation sociale.

Rappelant que la loi concernerait les élections sénatoriales dans les départements où s'applique le scrutin proportionnel, Mme Mireille Lacombe a souhaité que des femmes siègent dans les conseils généraux en plus grand nombre et que les structures intercommunales ne soient pas laissées en dehors de la parité.

Pour favoriser la mixité sociale, elle a appelé de ses voeux des mesures de politique familiale permettant aux jeunes, hommes et femmes, de se sentir concernés par la vie publique. Le renouvellement de la classe politique passera par de nouvelles formes de régulation du marché du travail, par une modernisation de la protection sociale, favorisant de nouvelles structures familiales, et par la lutte contre les exclusions.

Mme Mireille Lacombe a insisté sur la nécessité de promouvoir l'indépendance des femmes, en sorte qu'elles puissent accéder aux mandats représentatifs et au travail sans devoir recourir à l'autorisation du chef de famille, comme c'est encore trop souvent le cas en milieu rural

Mme Mireille Lacombe a souhaité que l'abaissement du seuil d'application du scrutin proportionnel -et donc de la parité- aux communes de 2 000 habitants soit confirmé. En sa qualité de membre du Conseil économique et social, elle a souligné tout l'intérêt des mesures en cours d'élaboration susceptibles de favoriser la parité dans la vie professionnelle.

M. André Boyer a estimé que la limitation du cumul des mandats devait intégrer les structures intercommunales. Il a rappelé que le mode de scrutin aux élections cantonales favorisait, notamment dans les cantons ruraux, l'émergence de personnalités proches des électeurs et le plus souvent sans étiquette partisane. Le développement de l'intercommunalité, phénomène nouveau, devrait modifier profondément la physionomie politique du monde rural. Pour ne pas être marginalisé au conseil général, il faudra être élu municipal et participer aux conseils des structures intercommunales. Les présidents de communautés de communes auront la parole dans " les pays ". Dans ces conditions, a conclu M. André Boyer, il serait souhaitable, pour faire une place aux femmes dans les conseils généraux, de s'orienter vers le passage au scrutin proportionnel départemental.

Mme Mireille Lacombe a estimé que si un pourcentage de sièges était réservé aux femmes aux élections cantonales, les élues municipales désireuses d'accéder aux conseils généraux pourraient bénéficier du soutien des partis politiques. A propos du cumul des fonctions de maire, de président de groupement de communes et de conseiller général, elle a observé que les maires ruraux eux-mêmes, trop occupés, tendaient à se faire représenter dans les structures intercommunales.

M. André Boyer a considéré que cette nouvelle répartition des fonctions faciliterait l'accès des femmes aux conseils des structures intercommunales.

En réponse à Mme Dinah Derycke, présidente, Mme Mireille Lacombe a indiqué que les maires des petites communes avaient exprimé des réserves sur l'abaissement du seuil d'application du scrutin proportionnel aux communes de 2 000 habitants avant que l'Assemblée nationale ne vote cette disposition. Leur principale crainte était de ne pas trouver de candidates en assez grand nombre. Cependant, si ce vote était confirmé, les maires s'adapteraient. Mme Mireille Lacombe s'est déclarée optimiste.

M. André Boyer a souligné les difficultés rencontrées par les maires sortants pour faire de la place aux candidates sur leur liste.

Mme Mireille Lacombe a rappelé que beaucoup de maires avaient annoncé qu'ils ne se représenteraient pas.

Mme Dinah Derycke, présidente, a indiqué que 37 % des maires n'avaient pas sollicité un nouveau mandat aux élections municipales de 1995.

Mme Mireille Lacombe a appelé l'attention sur l'évolution du rôle respectif des hommes et des femmes dans la gestion quotidienne de la cité. Traditionnellement consignées dans des compétences réputées " féminines ", les nouvelles élues revendiquent les secteurs jusqu'alors réservés aux hommes. Les jeunes élus, hommes et femmes, sont favorables à ce nouveau partage, signe de l'évolution des mentalités.

Mme Dinah Derycke a observé que les femmes ne seront plus confinées aux affaires scolaires ou sociales dès lors qu'elles occuperont 42 % des sièges dans les conseils municipaux, si la parité sur les listes par groupe de six candidats est retenue par le Parlement.

M. André Boyer a souligné que beaucoup de petites communes n'auront plus que des compétences résiduelles en raison des transferts importants opérés au profit des communautés de communes ou d'agglomération.

Mme Maryse Bergé-Lavigne et Mme Danièle Pourtaud ont approuvé la nécessité de prendre en compte les évolutions résultant de la réforme de l'intercommunalité.

Mme Mireille Lacombe, en conclusion, a souligné combien les élus masculins, majoritaires au sein de la commission mixte des élus socialistes et républicains, avaient apporté au débat.