M. Dominique De Legge, rapporteur spécial

IV. UN REPORT DE CHARGES AGGRAVÉ QUI COMPROMET LA SOUTENABILITÉ DE LA PROGRAMMATION COMME LA SITUATION FINANCIÈRE DES FOURNISSEURS DE LA DÉFENSE

Le tableau ci-après présente, par programme et par année depuis 2008, l'évolution du montant des dépenses obligatoires hors titre 2 reportées d'une année sur l'autre, c'est-à-dire l'ensemble des dépenses ayant fait l'objet d'un service fait impayées à la fin de la gestion et les avances dues non réglées sur des contrats passés avant le 31 décembre de l'année considérée :

Dépenses obligatoires (hors titre 2)

(en millions d'euros)

2008

2009

2010

2011

2012

2013

P144

118

150

100

190

166

137

P146

1 693

949

813

1 669

2 066

2 375

P178

437

394

548

775

744

730

P212

84

31

70

100

184

209

Total

2 331

1524

1530

2734

3160

3452

Source : ministère de la défense

Le montant des charges à payer tend à s'accroître depuis 2010. Cette situation s'explique par l'ampleur des annulations de crédits opérées par des lois de finances rectificatives en cours ou en fin de gestion (en 2011, 357 millions d'euros, en 2012 719 millions d'euros et en 2013 680 millions d'euros).

La progression du report a été modérée par la position d'attente adoptée par le ministère à partir de 2012 par le ministère afin de tenir compte du caractère non soutenable de la programmation 2009-2014 et de ne pas préempter les décisions du Livre Blanc à venir et les travaux relatifs à la nouvelle loi de programmation militaire 2014-2019, alors en cours de finalisation. Ainsi, le niveau des dépenses obligatoires n'a pas évolué autant que les crédits annulés en 2012 et en 2013.

Malgré les mesures de régulation des engagements mises en oeuvre, le niveau des dépenses obligatoires reportées sur l'exercice 2014 a atteint un niveau très préoccupant, 3,4 milliards d'euros, soit un montant équivalent à près de 11 % des ressources de la mission « Défense » (REX comprises) et à 36 % des dépenses d'investissement prévues en loi de finances initiale pour 2014.

Avant que les mesures de fin de gestion 2014 n'aient été connues, le ministère de la défense avait indiqué à votre rapporteur spécial que, grâce à l'abondement du programme 402, le report de charges prévisionnel à fin 2014 devrait être légèrement amélioré par rapport à 2013 et s'établir à 3,3 milliards d'euros.

Il signalait cependant que le report sur 2015 pourrait être très sensiblement aggravé selon les conditions du « dégel » des crédits mis en réserve (1,2 milliards d'euros) et du financement interministériel du dépassement de la provision OPEX (environ 700 millions d'euros). Les dépenses obligatoires transférées sur l'exercice à venir atteindraient alors un niveau très difficilement soutenable et mettraient en péril aussi bien la poursuite des programmes d'armement que la solidité financière des fournisseurs de la défense sur la trésorerie desquels pèsent ces impayés.

Le 7 octobre 2014, devant la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale, le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées, a ainsi averti : « Le dégel des crédits doit intervenir suffisamment tôt, ne serait-ce que pour la santé, voire la survie financière des entreprises qui nous fournissent, en particulier les PME . »

L'exposé des motifs du projet de loi de finances rectificative adopté le 12 novembre dernier en Conseil des ministres annonce un décret d'avance portant 572 millions d'euros d'annulation de crédits sur la mission « Défense ». Ce montant comprend le gage de l'abondement du titre 2 du ministère de la défense, pour 160 millions d'euros, selon le principe de l'auto-assurance, et la participation du ministère de la défense au mécanisme de « solidarité interministérielle », pour le solde.

Il sera parallèlement procédé à l'ouverture de 605 millions d'euros de crédits, dont 150 millions d'euros de masse salariale, au titre du dépassement de la provision OPEX, somme correspondant à des dépenses imprévues et ne constituant donc pas à proprement parler une ressource supplémentaire pour la mission « Défense ».

L'ouverture dans la prochaine loi de finances rectificative d'une seconde tranche de 250 millions d'euros sur le programme 402 au titre du PIA vient, comme la première tranche ouverte cet été, en compensation partielle des annulations de crédits subies par le programme 146 « Équipement des forces » mission « Défense » en fin d'année 2013, soit 650 millions d'euros. En outre, selon le projet d'avenant à la convention passée entre l'État et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) pour régler l'utilisation de ces fonds, ces 250 millions d'euros supplémentaires ne seront effectivement utilisés que dans le courant du premier semestre 2015.

Au total, le ministère de la défense sera bien privé en 2014 de 572 millions d'euros par rapport à la prévision initiale pour tenir les objectifs fixés par la loi de programmation militaire, dont le respect s'en trouve gravement compromis.

Le report de charges sur l'exercice 2015 pourrait ainsi être porté à près de 3,8 milliards d'euros, ce qui représenterait la moitié des dépenses d'investissement de la mission « Défense » en 2015 et 21 % des crédits hors titre 2.

Autrement dit, 21 % des crédits hors titre 2 serviront à régler les impayés des exercices précédents, tandis que 21 % des dépenses prévues interviendront grâce à un crédit forcé sur les fournisseurs de la défense.

Ce processus répond assez précisément à la définition de la cavalerie.