MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE D'EXAMINER L'ENSEMBLE DES QUESTIONS LIEES A LA MAREE NOIRE PROVOQUEE PAR LE NAUFRAGE DU NAVIRE ERIKA

Table des matières


Mardi 27 juin 2000

- Présidence de Mme Anne Heinis, présidente -

Examen du rapport

La mission d'information a procédé à l'examen du rapport de M. Henri de Richemont, rapporteur.

M. Henri de Richemont, rapporteur
, a d'abord rappelé la séquence du naufrage de l'Erika, en insistant sur les quatre points suivants : le silence, gardé par le navire, sur l'existence de fissures, la réussite du sauvetage de tout l'équipage par la Marine nationale, l'exploit du remorqueur Abeille Flandre, sans qui l'épave se serait échouée sur Belle-Ile, Hoëdic ou le Croisic, enfin, la réussite partielle de l'opération de pompage, en mer, du pétrole. Le rapporteur a rendu un vibrant hommage à tous les personnels impliqués dans le traitement de l'Erika.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a ensuite commenté les thèmes de son rapport.

· Dans une première partie, le rapport aborde la gestion de la crise en traitant d'abord du naufrage et de la mise en oeuvre des plans POLMAR et analysant, ensuite, face à cette crise, les réactions de l'Etat, des collectivités locales et du groupe Total :

- concernant le plan POLMAR-MER, le rapport souligne la réussite du sauvetage par la Marine nationale et par l'équipage du remorqueur Abeille Flandre, et évoque la réussite partielle du pompage ;

- s'agissant des plans POLMAR-TERRE, l'impréparation et l'improvisation de ces dispositifs sont mises en évidence ;

- la réaction de l'Etat s'est manifestée de plusieurs manières : des mesures d'urgence, des aides particulières aux secteurs de la pêche et de la conchyliculture et des décisions du comité interministériel de la mer et du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire ;

- compte tenu des carences du plan POLMAR-TERRE, les maires, en prise sur l'événement, ont été initialement livrés à eux-mêmes, mais les départements et les régions ont apporté leur soutien ;

- le rapport déplore la communication déficiente du groupe Total, qui a néanmoins mis son expérience au profit de la lutte immédiate contre la marée noire. Des actions du groupe en faveur de l'environnement ont été engagées.

· Dans une deuxième partie, le rapport traite du régime international d'indemnisation :

- le système international de responsabilité et d'indemnisation spécifique à la pollution par les hydrocarbures est explicité. La mise en place d'un système à deux niveaux dans le cadre de l'OMI, en 1969 et 1971, la convention de 1992 sur la responsabilité civile, le FIPOL, le rôle spécifique des P and I clubs et des autres assureurs, ainsi que le régime de responsabilité dans l'Oil Pollution Act américain de 1990 sont détaillés ;

- l'indemnisation du sinistre de l'Erika est ensuite abordée. Cette procédure est ralentie par l'incertitude sur l'ampleur des dommages, malgré la mise en place du bureau d'indemnisation de Lorient. La constitution du fonds de limitation par le propriétaire, les décisions d'attente prises par le FIPOL et le faible montant d'indemnisation distribué sont évoqués. Le rapport note l'incertitude sur la prise en compte de certaines demandes, les difficultés d'articulation avec les financements attribués par l'Etat et les actions judiciaires ouvertes parallèlement ;

- le rapport estime la logique d'indemnisation efficace, mais pouvant être améliorée. Le système d'indemnisation équilibrant les différents intérêts en présence est exposé et des insuffisances sont mises en lumière par le sinistre de l'Erika.

· Dans une troisième partie, le rapport aborde le renforcement de la sécurité maritime :

- l'univers très concurrentiel du transport maritime est décrit par une présentation du trafic maritime mondial. Les risques du transport pétrolier sont analysés ;

- le rapport traite des facteurs déterminants de la sécurité maritime, en évoquant les multiples contrôles existants, en exposant les avantages et les inconvénients de la " double coque ", en insistant sur la prise en compte du facteur humain et en souhaitant la transparence, alliée à la sécurité.

· Dans une quatrième et dernière partie, le rapport traite des moyens budgétaires et techniques à mobiliser au service de la prévention et de la lutte contre la pollution :

- la grande misère de la sécurité maritime est évoquée. Il est souligné l'insuffisance des crédits budgétaires, le manque d'inspecteurs de la sécurité des navires et le manque de moyens des CROSS ;

- le rôle déterminant des remorqueurs de haute mer et le renforcement des moyens de lutte contre la pollution sont abordés. Le renforcement du rôle du secrétariat général de la mer est souhaité.

Enfin, le rapport souligne l'importance des équipements nécessaires pour la lutte contre la pollution et l'élimination des hydrocarbures récupérés.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a formulé six blocs de propositions relevant des domaines suivants :

· Soutenir le pavillon français

- Relancer le pavillon français afin d'accroître la voix de la France à l'OMI et assurer une véritable politique de sécurité. A cette fin, accorder les aides au pavillon français -amortissement accéléré, taxe au tonnage- analogues à celles de la plupart de nos partenaires européens, dans le cadre des dérogations accordées par la Commission européenne à l'interdiction des aides d'Etat.

· Renforcer la sécurité maritime

- Améliorer les contrôles :

. militer pour la création d'une agence européenne de sécurité maritime, dotée à terme de ses propres inspecteurs, dans le but d'obtenir une harmonisation des contrôles par l'Etat du port, pour éviter les détournements de trafic ;

. obtenir, comme le propose le gouvernement français, que devienne obligatoire une visite en cale sèche tous les 2,5 ans des navires de plus de quinze ans d'âge ;

. imposer un contrôle annuel en cale sèche des pétroliers de plus de quinze ans d'âge transportant régulièrement du fuel lourd n°2 ou des hydrocarbures chauffés ;

. cibler les contrôles sur les navires à risques, particulièrement sur les pétroliers de plus de quinze ans d'âge transportant régulièrement du fuel lourd n°2 ou des hydrocarbures chauffés ;

. soutenir les initiatives de la Commission européenne s'agissant du contrôle des sociétés de classification. Compléter le projet de directive en cours afin d'obliger les sociétés de classification à souscrire une assurance garantissant un montant minimal déterminé, avec possibilité d'action directe contre l'assureur ;

. modifier la législation afin de permettre au port, dans lequel un navire a été abandonné après avoir été retenu, de le faire vendre rapidement aux enchères.

- Sécuriser la structure des navires :

. supprimer les risques afférents au système de double coque américain, en obtenant de l'Union européenne de favoriser soit la construction du pétrolier E3 à pont intermédiaire développé par les Chantiers de l'Atlantique, soit le système de double coque " sèche " préconisé par la société Services et transport.

- Renforcer la transparence et la prévention :

. accroître la crédibilité du système EQUASIS en étendant son contenu aux recommandations des sociétés de classification, et aux informations recueillies par les sociétés pétrolières dans le cadre des vettings auxquels elles procèdent. A cette fin, obtenir que l'Union européenne n'autorise l'accès, à ses ports, qu'aux navires affrétés dont la charte-partie contient l'obligation pour l'armateur de communiquer les recommandations de la classe à EQUASIS ;

. obtenir une modification des conventions de l'OMI pour obliger, en cas d'accident, les autorités de l'Etat du pavillon à communiquer toutes les informations liées à la certification du navire aux autorités de l'Etat du port.

· Renforcer les moyens de lutte contre la pollution

- POLMAR-MER :

. élargir la composition de la mission d'évaluation mise en place par le préfet maritime pour assister un navire en difficulté à un pilote, un officier de port, un ancien officier de la marine marchande ayant commandé un navire du même type et à Météo France ;

. permettre au préfet maritime d'obliger un port à recevoir un navire en difficulté ;

. se doter des équipements nécessaires pour la lutte contre la pollution et disposer sur chaque littoral de navires polyvalents capables de pomper du pétrole et de répandre des produits dispersants, d'un navire spécialisé pour récupérer du pétrole à la mer, d'avions épandeurs susceptibles d'intervenir rapidement, même par mauvais temps ;

. remplacer les hélicoptères Super-Frelons par des hélicoptères NH 90 ;

. recourir à une délégation de service public pour les contrats d'affrètement des remorqueurs, afin d'allonger la durée de ces contrats et permettre que la sécurité de nos côtes soit assurée par des navires battant pavillon français dotés d'un équipage possédant l'expérience requise ;

. affréter un quatrième remorqueur de haute mer dans le Golfe de Gascogne.

- POLMAR-TERRE :

. mettre à jour les plans POLMAR-TERRE tous les ans et les revoir en profondeur tous les cinq ans, en collaboration avec le CEDRE ;

. réaliser des exercices préventifs, notamment en matière de pompage ;

. renforcer la coordination entre plan POLMAR-TERRE et POLMAR-MER ;

. désigner, dans chaque zone de défense, un interlocuteur unique responsable du plan POLMAR-TERRE, qui pourrait être le préfet de zone de défense ;

. identifier des sites de stockage temporaire pour les hydrocarbures récupérés, le long de la côte.

· Limiter les rejets sauvages en mer

- Limiter les rejets d'hydrocarbures à la mer en obligeant les ports français, quelle que soit leur taille, à s'équiper de stations de déballastage pour collecter les boues et les résidus de cale ;

- interdire aux navires de quitter les ports européens s'il ne peuvent produire un certificat de déballastage ;

- faire adopter sous présidence française la directive sur les installations portuaires de réception des déchets qui sera caduque si elle ne fait l'objet d'un accord avant la fin du mois de juillet prochain.

· Mobiliser davantage les moyens de l'état

- Rendre attractif le statut des inspecteurs de la sécurité des navires, et ouvrir ce corps à des navigants dotés d'une expérience professionnelle pour crédibiliser la volonté des autorités de doubler leur nombre ;

- renforcer le rôle du Secrétariat général de la mer en lui donnant les moyens juridiques et budgétaires d'assurer une véritable coordination des services des six ministères concernés. A défaut, créer une direction générale de la sécurité maritime au sein des services du ministère de l'Equipement.

· Améliorer le régime d'indemnisation

- Agir au sein des organisations internationales :

Une amélioration du régime d'indemnisation peut provenir soit d'une modification de la pratique du comité exécutif du FIPOL, dont la France est membre, soit d'une révision, dans le cadre de l'OMI, des conventions de 1992 sur la responsabilité du propriétaire du navire et sur le FIPOL.

1) Assurer une indemnisation plus complète

- Soutenir l'élévation des limites de responsabilité du propriétaire et du plafond d'indemnisation du FIPOL (au delà des 50% qui résulteront de la procédure de révision en cours) pour porter la limite maximale d'indemnisation à 1 milliard d'euros, telle que proposée par le Gouvernement français et la Commission européenne ;

- Envisager la création d'un troisième fonds européen si les négociations dans le cadre de l'OMI pour rehausser le montant du fonds ne peuvent aboutir ;

- Obtenir une modification des conventions de 1992 pour inclure, au minimum, une clause de réévaluation automatique et périodique des montants des plafonds de responsabilité et d'indemnisation applicables, afin de ne pas les laisser progressivement perdre leur valeur.

- Obtenir du comité exécutif du FIPOL :

. une plus large indemnisation du préjudice économique indirect ;

. une indemnisation des dépenses de restauration de l'environnement, effectivement réalisées.

2) Assurer une indemnisation plus rapide

Pour supprimer les blocages du processus d'indemnisation et accélérer les règlements, agir pour que soient modifiées les conventions de 1992 afin de :

- rendre obligatoire une médiation avant l'introduction de toute action en justice contre une décision du FIPOL sur une demande d'indemnisation. A cette fin, une liste de médiateurs serait établie dans chaque Etat-membre par le comité exécutif, sur proposition de l'administrateur et avec l'accord de l'Etat concerné. Le FIPOL serait lié par le résultat de la médiation, mais non les victimes qui conserveraient le droit de saisir les tribunaux ;

- obtenir la hiérarchisation des créances, pour donner la priorité aux créances " de subsistance " (revenus des professionnels de la mer, notamment) sur les autres créances (dépenses publiques, restauration de l'environnement) ;

- réduire à deux ans au lieu de trois ans après la survenance du dommage le délai de prescription pour le dépôt des demandes d'indemnisation après une marée noire ;

- prévoir l'attribution d'intérêts de retard dès que l'indemnisation effective intervient dans un délai supérieur à six mois à compter du dépôt d'une demande dûment justifiée. Ces intérêts seraient accordés en dehors de limites de responsabilité du propriétaire ou du plafond du FIPOL ;

- prévoir que chaque Etat prenne des dispositions pour regrouper l'ensemble des contentieux relatifs à un même sinistre devant une seule juridiction et instituer des règles d'attribution de compétence en cas de dommages transfrontaliers.

3) Moduler la responsabilité du propriétaire en fonction du danger que représente le navire et sa cargaison

- Soutenir la modification des conventions de 1992 pour relever les limites de responsabilité des propriétaires de navires de plus de quinze ans d'âge transportant du fuel lourd ou des hydrocarbures nécessitant d'être chauffés lors de leur transport. Ce montant de responsabilité additionnelle ne s'imputerait pas sur l'indemnisation versée par le FIPOL.

- Modifier la législation française :

1) Mieux indemniser les collectivités locales en modifiant le plan POLMAR pour que l'Etat prenne en charge non seulement les coûts exceptionnels supportés par les communes du fait de la pollution, mais aussi les coûts fixes (notamment le coût du personnel communal), à charge pour lui de se faire rembourser par le FIPOL.

2) Adapter la législation française au régime international en supprimant l'incompatibilité entre les dispositions de la loi française du 3 janvier 1967 et le régime international d'indemnisation et en prévoyant, dans la loi française, le tribunal compétent pour statuer sur les diverses contestations, qu'elles soient relatives aux droits du propriétaire à limiter sa responsabilité, ou qu'elles concernent la répartition du fonds de limitation de responsabilité du navire.

A l'issue de l'exposé de M. Henri de Richemont, rapporteur, les membres de la mission ont procédé à un large échange de vues.

M. Guy Lemaire a souhaité insister sur la détection des navires qui dégazent en mer et sur l'alourdissement des sanctions à leur appliquer. Il a également évoqué les moyens à mettre en oeuvre pour responsabiliser les affréteurs.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a regretté l'abandon de l'idée du pavillon européen.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a estimé, concernant le problème du dégazage, que la priorité résidait dans l'équipement des ports en station de déballastage. S'agissant de la responsabilité de l'affréteur, la convention de 1992 prévoit que cette responsabilité peut être mise en cause en cas de faute inexcusable.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué, concernant le pavillon européen, que cette idée n'était, pour l'instant, pas réaliste, mais que sa proposition d'agence de sécurité européenne pouvait être l'amorce d'une plus grande coopération européenne dans le domaine maritime.

M. Charles-Henri de Cossé-Brissac s'est inquiété de la diffusion du rapport de la mission.

M. Jean-Pierre Raffarin a souhaité que ce document important puisse être diffusé aux personnes exposées aux risques évoqués dans le rapport.

Mme Anne Heinis, président, a consulté la mission, qui a adopté le rapport à l'unanimité, et a décidé un tirage supplémentaire.