MISSION COMMUNE D'INFORMATION  "LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE A LA CANICULE


Table des matières




Mardi 6 janvier 2004

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président.

Audition de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

La mission a procédé à l'audition de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

Après avoir rappelé que l'objectif de la mission d'information commune du Sénat consistait, non pas à conduire une « chasse aux sorcières », mais à comprendre ce qui s'était passé lors de la canicule, M. Jacques Pelletier, président, a invité M. Jean-François Mattei à présenter son récit de la crise et à exposer les enseignements qui devraient, à ses yeux, en être tirés.

M. Jean-François Mattei a tout d'abord souligné que, derrière les analyses et les chiffres, il n'oubliait pas la tristesse et le désarroi des familles, qui imposaient d'agir pour qu'une telle catastrophe ne se reproduise pas. Il a ensuite indiqué qu'il ne souhaitait pas s'appesantir sur la chronologie des événements, très largement connue, mais préférait faire part de ses observations.

Il a relevé que les différents rapports remis depuis la crise de la canicule permettaient d'avoir aujourd'hui une meilleure appréciation des faits. En premier lieu, il a observé que la canicule constituait une catastrophe naturelle, ainsi que l'avaient indiqué les experts du Center for disease control (CDC) d'Atlanta, doublée d'une crise structurelle. Il a souligné que cette crise n'était pas une crise sanitaire, mais une « tornade », et qu'un tel phénomène n'avait jamais eu lieu auparavant en France.

Il a rappelé que, d'après le rapport de MM. Hémon et Jougla, 428 décès en surnombre étaient intervenus dès le 4 août et que 3.907 décès en surnombre étaient recensés le 8 août, alors même qu'il y avait toujours des hésitations sur la nature du phénomène. Il a relevé que 6.541 décès en surnombre étaient survenus à la date du 10 août, quand le Dr Pelloux évoquait 50 morts, et que 8.000 décès étaient enregistrés à la date du 11 août, ce qui rendait vain le fait de savoir si un mail était arrivé à son cabinet avant qu'il n'intervienne à la télévision.

Il a fait valoir que la France était le seul pays en Europe à avoir réagi en effectuant un inventaire immédiat de la mortalité et que c'était l'avenir de la santé publique et de la sécurité sanitaire qui était en jeu. Il a indiqué que les chiffres des décès liés à la canicule, dans les autres pays européens, rapportés à leur population et compte tenu de la situation climatique, étaient proches de ceux de la France : 6.232 pour l'Espagne, 7.659 en Italie du nord, 1.400 au Portugal, 1.400 aux Pays-Bas, et de 3.000 à 7.000 en Allemagne.

M. Jean-François Mattei a ensuite observé que la crise de la canicule avait mis en évidence une crise structurelle sous-jacente concernant l'alerte dans notre système de veille sanitaire, la permanence des soins et les services d'urgence, ainsi que la prise en charge des personnes âgées.

Il a ainsi relevé qu'il y avait eu un manque d'anticipation qui avait été reconnu par M. Gilles Brücker, directeur général de l'Institut national de veille sanitaire. Il a noté que le professeur Abenhaïm l'avait également reconnu, mais qu'il en avait tiré d'autres conclusions, ce qu'il regrettait. Il a indiqué que l'ampleur des défaillances signifiait que les systèmes étaient en cause, et non les individus. Il a ainsi rappelé que la France était un pays tempéré et a relevé que la sécheresse de 1976 avait entraîné 6.000 décès en surnombre qui étaient passés totalement inaperçus. Il a de même observé qu'aucune conclusion n'avait été tirée au plan national de la canicule de 1983 intervenue à Marseille et que la chaleur n'avait pas constitué un thème de réflexion au moment de la discussion de la loi relative à la veille sanitaire en 1998. Il a souligné que le contrat d'objectifs et de moyens de l'Institut national de veille sanitaire ne comportait rien sur la température et que, lorsqu'en 2003, la direction générale de la santé avait, dans le cadre de la préparation du projet de loi relatif à la politique de santé publique, sollicité 140 experts pour définir cent objectifs de santé publique, aucun d'eux ne s'était inquiété de la canicule.

Après avoir noté que le CDC d'Atlanta avait fait valoir que les personnes étaient toujours prises au dépourvu la première fois qu'un événement de ce type se produisait, M. Jean-François Mattei a observé que notre système administratif cloisonné était resté inopérant, aucune information ne venant ni du haut, ni du bas. Il a remarqué que les cas isolés de décès par hyperthermie n'avaient jamais été perçus comme tels et s'est interrogé sur les acteurs qui auraient pu donner l'alerte. Il a relevé que, à l'exception du Centre hospitalier intercommunal (CHIC) de Créteil, aucun hôpital n'avait déclenché le plan « blanc » et que les agences régionales de l'hospitalisation n'avaient pas signalé de problèmes majeurs, pas plus que les directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales (DRASS et DDASS).

Il a ajouté que les directeurs d'institutions de retraite ne contactaient pas les DDASS quand le nombre de décès au cours d'une semaine passait de deux à trois ou de trois à cinq, alors qu'une telle augmentation avait un effet important sur l'ensemble du nombre de décès. De même, il a noté qu'aucun maire et qu'aucun président de conseil général n'avaient alerté qui que ce soit.

M. Jean-François Mattei a ensuite relevé que les médecins libéraux avaient été présents de la même manière que l'année précédente, mais avaient été moins sollicités par les personnes de plus de 75 ans et qu'ils n'avaient pas donné l'alerte, pas plus que SOS Médecins, les services de la sécurité civile ou le SAMU. Il a précisé que la longueur du traitement des certificats de décès n'avait pas non plus permis d'avoir rapidement une vue précise de la situation.

Il a indiqué que M. William Dab, alors conseiller technique en charge des questions de santé publique au sein de son cabinet, avait envisagé le 6 août les effets possibles de la chaleur mais qu'il l'avait fait sur la base de connaissances théoriques et bibliographiques, sans percevoir la réalité de la situation. Il a relevé qu'il en était de même pour M. Yves Coquin, chef de service à la direction générale de la santé, qui se fondait sur des schémas classiques lorsqu'il évoquait quelques centaines de morts. Il a reconnu que la communication avait été « décalée » et que des erreurs avaient été commises, mais que dans les circonstances d'alors il ne voyait pas ce qui aurait pu changer, 8.000 personnes étant déjà décédées le 11 août, alors que personne ne le savait. Il a précisé qu'il était intervenu le 11 août à la télévision sur la base des éléments dont on l'avait informé une demi-heure auparavant. Se référant à son rapport d'information relatif à la crise de la vache folle en 1996, il a rappelé qu'il avait suggéré de créer un Institut des hautes études de gestion de crise sur le modèle de l'Institut des hautes études de la défense nationale.

Il a ensuite indiqué que les leçons de la crise avaient été tirées et qu'il était dorénavant tourné vers l'action. Il a souligné qu'il avait, dès son arrivée au ministère de la santé, souhaité déposer un projet de loi relatif à la santé publique et mettre en place une cellule de réflexion sur les urgences, qui s'est traduite par la publication d'une circulaire en avril et l'annonce d'un plan « urgences » au mois de septembre.

Il a également fait part de la nécessité de revoir le dispositif d'alerte. Après avoir indiqué que l'Institut national de veille sanitaire avait fourni un travail remarquable à l'occasion de l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et d'autres problèmes comme la méningite ou la légionellose, il a relevé que diverses mesures avaient été prises. Il a ainsi indiqué que l'Institut fournissait dorénavant au ministère un bulletin quotidien des alertes, ce qui avait permis une réaction dans les vingt-quatre heures, lorsqu'étaient apparus des cas de bronchiolite. Il a souligné que l'Institut devrait disposer de capteurs pertinents auprès des urgences, de SOS médecins, de la sécurité civile et des pompiers. Il a ajouté que ses missions devraient inclure une approche populationnelle, et non pas s'en tenir à une approche par pathologie.

Il a ensuite souligné l'importance de l'informatisation des certificats de décès, qui permettrait de surveiller l'évolution de la mortalité en temps réel, et fait valoir que la direction générale de la santé travaillait à l'élaboration d'un plan d'alerte et de gestion des crises qui devrait prendre en compte l'aspect géographique.

Puis il a indiqué que le plan « urgences » répondait à certains problèmes apparus au cours de la crise. Il a mis l'accent sur la situation des hôpitaux disposant de services d'urgences et souligné la nécessité de généraliser les équipes mobiles de gériatrie et de créer 15.000 lits de suite en cinq ans. Enfin, il a indiqué que le plan « dépendance et solidarité » apportait également des réponses aux problèmes rencontrés au cours de la crise de la canicule.

Un large débat s'est alors instauré.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a souhaité connaître l'organisation du cabinet du ministre et les personnes présentes au cours du mois d'août. Elle a souhaité savoir si la transmission des dossiers s'était opérée de manière satisfaisante entre les personnes prenant leurs congés et celles revenant de vacances.

Elle a ensuite relevé que la communication entre la direction générale de la santé et la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins avait été assez faible au cours de cette crise et s'est interrogée sur les cloisonnements administratifs et les mesures envisagées pour pallier ces problèmes.

Puis elle a observé que, lors de son audition devant la mission d'information, le Dr Pelloux avait relevé que la crise de la canicule avait mis en évidence le caractère « inadapté et dépassé » des structures du ministère de la santé et s'était montré critique envers la direction générale de la santé. Elle a ainsi souhaité savoir si des réformes de structures étaient envisagées.

Elle a enfin désiré connaître l'impact de « l'effet retard » et savoir si le nombre de décès résultant de complications ultérieures à la période circonscrite de la canicule était aujourd'hui évalué.

M. Jean-François Mattei a indiqué qu'il avait choisi tous ses collaborateurs pour leurs qualités et que ceux-ci avaient toute sa confiance. Il s'est interrogé sur le rôle des cabinets ministériels en se demandant si un cabinet devait être la reproduction des administrations centrales. Il a précisé que son cabinet avait été structuré pour couvrir l'ensemble des champs de compétences du ministère, en notant que le pôle santé publique était au moment de la canicule dirigé par M. William Dab. Il a ajouté que celui-ci était parti en vacances le 8 août au soir et qu'il lui avait indiqué que son souci numéro un était à ce moment l'épidémie de légionellose à Montpellier. Il a précisé que la permanence au cabinet avait été assurée les 9 et 10 août par M. Cédric Grouchka, médecin de santé publique, qui avait qualifié le dimanche de « journée blanche ».

Il a ajouté que Mme Crémieux, conseillère technique au pôle santé publique et sécurité sanitaire au sein de son cabinet, s'était entretenue avec les équipes de la direction générale de la santé le 11 août et qu'elle s'était sentie suffisamment rassurée pour s'en aller et revenir le mercredi.

Il a ensuite relevé que Mme Anne Bolot-Gittler, directrice adjointe de son cabinet, était rentrée de vacances le lundi 11 août et qu'elle s'était immédiatement saisie de cette question parce que lui-même l'avait appelée pour avoir des informations et qu'elle avait été contactée par M. Patrick Pelloux. Il a noté que le mail de la direction générale de la santé, envoyé le matin, indiquait que la situation était maîtrisée.

Il a souligné que le rôle d'un cabinet était d'être l'interface entre l'administration et le ministre et que son cabinet avait joué son rôle.

Après avoir indiqué qu'il s'était rendu à Bordeaux et à Paris le 13 août, il a reconnu que les relations entre la direction générale de la santé et la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins n'étaient pas « au beau fixe », mais que la situation était rentrée dans l'ordre avec le changement de directeur général de la santé. Il s'est toutefois demandé si une meilleure communication entre les deux directions auraient changé quelque chose et a relevé que les hôpitaux avaient fait face à la situation.

Il a estimé que M. Patrick Pelloux, qui s'exprimait souvent mais n'avait pas toujours raison, n'adoptait pas la méthode de communication la plus efficace.

Il a ensuite indiqué que l'hypothèse d'une sous-mortalité du printemps, avec des décès qui seraient intervenus plus tard, ou d'une anticipation des décès due à la chaleur, avait été évoquée dès le mois d'août. Il a précisé que les données chiffrées relatives à « l'effet retard » lié à la canicule n'étaient pas encore totalement disponibles et qu'il faudrait attendre deux ou trois mois pour disposer des données définitives. Il a toutefois indiqué que le mois de septembre avait été marqué par un retour à la normale, sans sous-mortalité évidente.

Puis il a fait part de la difficulté qu'il avait rencontrée à réagir au moment de la crise dans la mesure où le chiffre de 3.000 morts, qui avait été évoqué sur la base des estimations des pompes funèbres, n'avait fait l'objet d'aucune validation et qu'aucun chiffre officiel n'avait été publié à ce moment, ce qui avait conduit le Premier ministre à demander la mise en place de la mission menée par MM. Hémon et Jougla.

M. Jacques Pelletier, président, a indiqué qu'il partageait l'avis du ministre sur les cabinets ministériels, qui ne devaient être ni des doublons, ni des écrans.

M. François Fortassin a indiqué que si la mission ne recherchait pas de bouc émissaires, certaines responsabilités ne devaient pas être éludées. Il s'est interrogé sur l'efficacité de notre système de santé et a indiqué que la population pouvait avoir eu le sentiment d'une volonté de ne pas dévoiler certains éléments afin d'éviter un affolement. Il a relevé que, dès les premiers jours d'août, certains médias avaient alerté sur les risques liés à la canicule et que les problèmes avaient été accentués au cours de la crise en raison de l'organisation des vacances. Il a enfin indiqué qu'il ne pouvait que croire le ministre lorsque celui-ci dit ne pas avoir été alerté.

M. Jean-François Mattei a fait observer que la France disposait d'un des meilleurs systèmes de santé du monde pour les soins, mais pas pour la prévention, la sécurité sanitaire et la santé publique, domaines dans lesquels elle reste en retard.

Il a ensuite rappelé que le premier chiffre sur le nombre de morts avait été communiqué le 13 août à partir des données des pompes funèbres et s'élevait à 3.000 décès. Il a précisé qu'il s'était montré particulièrement transparent puisque France 2 avait été conviée à la réunion qui s'est tenue le 13 août à son cabinet. Il a ensuite indiqué qu'il avait parlé le 14 août au matin de véritable épidémie, mais s'était montré prudent sur les chiffres, de même que M. Lucien Abenhaïm dans l'interview publiée dans Le Monde du 15 août. Il a ajouté que l'Institut national de veille sanitaire n'avait fourni aucun chiffre jusqu'au 17 août et que, dans ces conditions, il ne pouvait annoncer de chiffre officiel.

Il a ensuite fait part des difficultés de communiquer et de faire passer certaines préconisations simples pour se protéger de la chaleur, celles-ci ne suscitant pas nécessairement l'intérêt des médias.

Il a ensuite réaffirmé qu'aucune information n'était remontée du terrain et relevé que le plan blanc n'avait été déclenché qu'en Ile-de-France. Revenant à la situation des médecins libéraux, il a noté que ceux-ci n'étaient pas plus partis en vacances cette année que les années précédentes mais qu'ils avaient été très peu sollicités, ainsi que le montrait une étude de la caisse nationale d'assurance maladie, confirmée par le rapport de la mission de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) relatif à la permanence des soins libéraux durant l'été 2003. Il a relevé que les établissements accueillant des personnes âgées n'avaient pas non plus transmis d'informations au ministère et a rappelé les propos tenus par M. Pascal Champvert devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, celui-ci ayant indiqué que si les directeurs d'établissement devaient contacter le ministère dès qu'un problème se posait, le standard en serait rapidement saturé. Enfin, il a estimé que la rotation des personnels au cours des vacances d'été ne semblait pas constituer un problème.

M. Gilbert Chabroux a estimé que la situation était complexe et qu'il n'était pas dans ses intentions de rechercher des responsabilités individuelles. Il s'est ensuite demandé s'il n'y avait pas eu une tendance de certains milieux, voire une volonté délibérée, de minimiser l'étendue de la crise. Puis il a souhaité savoir quelles solutions seraient apportées d'ici l'été prochain et si la climatisation des hôpitaux et des maisons de retraite constituait la solution pertinente à la canicule.

M. Jean-François Mattei a tout d'abord affirmé que le gouvernement et lui-même n'avaient jamais cherché à minimiser la situation. Il a ensuite indiqué que différentes mesures avaient été, ou seraient prises, pour l'été prochain. Il a ainsi relevé que l'Institut national de veille sanitaire mettait en place un système d'alerte fondé sur des indicateurs météorologiques, dans le cadre d'une coopération avec Météo-France, et fait part des observations des spécialistes du CDC d'Atlanta, qui avaient indiqué qu'il n'était pas possible de donner une alerte générale pour l'ensemble du territoire, mais qu'il fallait tenir compte des facteurs géographiques.

Il a ensuite estimé que la climatisation constituait la meilleure des préventions, mais qu'il n'était pas nécessaire de placer les personnes âgées dans une pièce climatisée en permanence, dans la mesure où deux à quatre heures par jour étaient suffisantes pour leur permettre de récupérer de la chaleur. Il a ainsi indiqué qu'il envisageait de rendre obligatoire l'existence d'une salle commune climatisée dans chaque maison de retraite. Il s'est toutefois montré plus réservé dans le cas des hôpitaux et indiqué qu'il attendait l'avis d'experts, la climatisation pouvant présenter des risques d'infections.

Puis il a indiqué qu'il avait chargé la direction générale de la santé d'établir un plan d'alerte et de gestion de crise en liaison avec le terrain, et en particulier avec les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, afin de disposer de listes de personnes âgées. Il a ensuite affirmé qu'il ne fallait pas cultiver la déresponsabilisation et s'est dit stupéfait par le nombre de décès intervenus dans les maisons de retraite, dans lesquelles les personnes âgées sont prises en charge par des personnes qualifiées.

M. Jacques Pelletier, président, a fait part des déplacements de la mission d'information et a observé que les maisons de retraite, dans lesquelles les directeurs et le personnel avaient pris les mesures adaptées, n'avaient pas connu, ou peu, de décès supplémentaires.

Mme Monique Papon a relevé la qualité du système de soins en France mais s'est interrogée sur la permanence des soins des médecins libéraux et les services d'urgence. Elle a souhaité obtenir des précisions sur le plan « urgences », ainsi que sur les moyens d'informer la population à propos des gardes assurées par les médecins généralistes afin d'éviter un engorgement des urgences. Elle a enfin désiré savoir si la mise en cause des médecins libéraux apparue après la crise était justifiée et s'est interrogée sur les moyens de rétablir le dialogue avec ces médecins, observant que certains d'entre eux trouvaient insuffisant le forfait attribué pour les permanences.

M. Adrien Gouteyron s'est félicité que les propos du ministre confirment les informations qu'il avait recueillies il y a quelques mois, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances, au cours de son contrôle sur pièces et sur place mené à l'Institut national de veille sanitaire, la direction générale de la santé, la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins et la direction générale de l'action sociale.

Il a attiré l'attention du ministre sur la nécessité de ne pas sous-estimer l'importance de la coordination entre les différentes directions du ministère, entre les ministères et entre les agences de sécurité sanitaire et le ministère de la santé, coordination qui avait été défaillante au cours de cette crise. Il a ainsi souhaité savoir quelle action serait menée pour améliorer la circulation de l'information entre les différents acteurs et leur coordination.

Il a ensuite estimé que le système de garde en vigueur à l'Institut national de veille sanitaire était sommaire et a désiré obtenir des précisions sur le nombre de décès au cours des mois qui ont suivi la période de canicule, afin de pouvoir prendre la mesure exacte du phénomène.

M. Paul Girod a rappelé qu'un grand nombre de décès intervenaient chaque mois en France, ce qui avait pu masquer l'importance du phénomène et devait être pris en considération.

M. Jean-François Mattei a précisé que, en moyenne, 48.000 décès survenaient chaque mois.

M. Paul Girod a regretté que la prévention n'occupe pas une place plus importante en France, observant qu'il s'agissait d'un problème général, d'une culture consistant à ne pas prendre suffisamment en considération les dangers potentiels. Il a ensuite souhaité obtenir des précisions sur le nombre de décès de personnes isolées, lesquelles se trouvaient essentiellement en Ile-de-France, estimant qu'il s'agissait d'un problème de société.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a estimé que la crise de l'année 2003 resterait dans les mémoires pour le nombre de morts et la dilution des responsabilités.

Il a souhaité savoir comment était organisée la répartition des compétences entre le ministère de la santé, le secrétariat d'Etat aux personnes âgées et le ministère des affaires sociales. Il a ensuite relevé que les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) avaient fait l'objet d'observations devant la mission d'information et désiré avoir des précisions sur l'articulation entre les ARH et les préfets. Il a ainsi souhaité connaître les évolutions possibles du rôle des ARH.

Enfin, il a remarqué que la population s'adressait de plus en plus directement aux urgences et s'est interrogé sur les conclusions qu'il fallait en tirer.

Mme Valérie Létard, rapporteur, s'est associée à M. Hilaire Flandre à propos de l'évolution des ARH et relevé que M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, avait insisté sur ce point devant la mission d'information. Après avoir remarqué que certains messages de prévention étaient difficilement lisibles, elle a souhaité connaître les orientations du ministre en matière de communication et relevé la difficulté à ne pas banaliser les alertes. Enfin, elle a noté que les maisons de retraite étaient souvent, du fait de leur architecture, structurellement inadaptées à la chaleur et a estimé que des consignes devraient être données à l'avenir.

Mme Gisèle Gautier a remercié le ministre pour son intervention et regretté que sa responsabilité ait été mise en cause, alors qu'elle n'aurait pas dû l'être. Elle a estimé nécessaire de mener des réformes structurelles et souligné l'importance de la communication et de la formation du personnel, observant que la crise de la canicule avait fait apparaître un manque de réactivité. Elle a enfin estimé qu'il conviendrait d'accroître la coordination des différentes administrations compétentes en matière de santé aux différents échelons départementaux, régionaux et nationaux, l'organisation administrative s'apparentant à un jeu de « poupées russes ».

M. Jacques Pelletier, président, a remarqué que certaines régions connaissaient une pénurie de médecins et a estimé qu'il faudrait relever le numerus clausus. Il s'est demandé pourquoi les médecins libéraux n'avaient pas été davantage sollicités au cours de la crise.

Répondant à Mme Monique Papon, M. Jean-François Mattei a observé que les services d'urgence avaient changé de nature au cours des quinze dernières années et qu'ils étaient de plus en plus sollicités, notamment du fait d'une certaine pénurie médicale et de la modification des modes de vie, qui rendaient les médecins moins disponibles. Il a estimé que les urgences étaient victimes de leur succès.

Il a affirmé que les urgences, qui étaient le reflet de notre société, constituaient une activité médicale à part entière, et aussi noble que les autres, et a indiqué qu'elles devaient contracter avec les services et établissements d'aval, susceptibles d'accueillir les patients.

Il a indiqué que le plan « urgences » comportait des mesures concernant toute la chaîne des urgences, depuis l'amont jusqu'à l'aval. Concernant l'aval, il a indiqué qu'un grand nombre de lits de suite seraient nécessaires. Il a déclaré qu'il n'était pas convaincu de la nécessité de fermer des hôpitaux mais qu'il fallait les adapter. Il a ensuite mis l'accent sur l'accueil à l'hôpital et estimé nécessaire de trouver les moyens pour que le personnel travaillant dans les services d'urgence soit mieux considéré. Il a ainsi fait part de son souhait de créer une spécialité « urgences » et une spécialité « gériatrie », observant que le travail auprès des personnes très âgées n'était pas forcément la spécialité qui attirait le plus.

En amont des services d'urgence, il a rappelé que les médecins libéraux, en conflit avec les caisses de sécurité sociale, avaient fait sept mois de grève et qu'ils recherchaient une meilleure qualité de vie. Il a indiqué que les médecins libéraux avaient accepté d'assurer les permanences sur la base du volontariat, en précisant que trois systèmes pouvaient être envisagés :

- un système de permanences avec astreinte : il a rappelé que deux décrets et une circulaire avaient été pris à cet effet et indiqué que les médecins demandaient 50 euros d'indemnisation de base ainsi que le paiement des actes ;

- une corégulation dans les centres 15 entre les urgentistes et les médecins libéraux : il a indiqué que les discussions financières étaient difficiles, les médecins libéraux souhaitant un forfait de 60 euros par heure ;

- la création de maisons médicales de garde à l'entrée de l'hôpital : une quarantaine d'entre elles fonctionnent déjà et une centaine sont en projet.

Affirmant que le système de permanence des soins serait remis sur pied, il a précisé que le plan « urgences » représentait une dépense de 480 millions d'euros sur 5 ans.

Répondant ensuite à M. Adrien Gouteyron, il a indiqué qu'il s'efforçait d'accroître la coordination entre les différentes directions de son ministère et entre les agences et les directions. Il a à cet égard rappelé que l'Institut national de veille sanitaire était placé sous la tutelle de la direction générale de la santé, que la coordination entre les ministères avait également été accrue et qu'il recevait dorénavant tous les jours le relevé d'intervention des sapeurs-pompiers. Il a toutefois indiqué que le système de tri d'informations n'était pas encore totalement réglé.

Il a reconnu que le système de garde en vigueur à l'Institut national de veille sanitaire était faible et qu'il conviendrait de le renforcer et a, par ailleurs, indiqué que les résultats relatifs à la mortalité globale de l'année 2003 ne seraient connus que dans deux à trois mois.

Puis il a rejoint les propos de M. Paul Girod sur l'appréhension du nombre de décès au regard des chiffres quotidiens de la mortalité, en indiquant que la canicule avait essentiellement touché les personnes isolées en région parisienne et qu'il fallait également prendre en considération l'urbanisation et la pollution. Il a également reconnu que des erreurs architecturales avaient été commises.

Puis il a fait part de la difficulté de communiquer en matière de prévention et de la nécessité de hiérarchiser les alertes.

Il a ensuite précisé que les personnes âgées en institution étaient du ressort du ministère des affaires sociales et du secrétariat d'Etat aux personnes âgées, tandis que les personnes âgées à l'hôpital étaient du ressort du ministère de la santé. Concernant les relations avec le ministère de l'intérieur, il a observé que les échanges n'avaient pas été institutionnalisés au moment de la crise et que le ministère de l'intérieur avait lui-même tardivement réagi.

Il a ensuite rappelé le contexte de création des ARH en 1996 et a exclu qu'un préfet puisse avoir autorité sur l'ARH. Il a précisé qu'en cas de crise sanitaire, le préfet était responsable du déclenchement du « plan blanc », dès lors que deux hôpitaux étaient concernés.

Répondant à Mme Gisèle Gautier, il a indiqué qu'il y avait un besoin de formation des personnels, mais également un besoin de rétablir le lien social et que les personnes isolées avaient été plus souvent atteintes par la canicule.

Enfin, il a indiqué que le numerus clausus était passé de 4.700 à 5.600 au cours des deux dernières années et qu'il serait porté à 6.000 l'an prochain, mais il a observé que la formation des personnels de santé était nécessairement longue. Il a ajouté que des zones sous-médicalisées seraient délimitées et que des aides incitatives de l'Etat, des collectivités territoriales et de l'assurance-maladie seraient envisagées afin d'essayer de répondre à la pénurie de médecins.

M. Jacques Pelletier, président, a remercié le ministre pour son intervention très complète et très directe, en soulignant son importance pour le rapport que la mission commune d'information sera prochainement amenée à présenter.

Mercredi 7 janvier 2004

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président

Audition de Mme Rose-Marie Van Lerbergue, directrice générale de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)

La mission a d'abord procédé à l'audition de Mme Rose-Marie Van Lerbergue, directrice générale de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Après avoir rappelé que l'objectif de la mission d'information commune du Sénat consistait, non pas à conduire une « chasse aux sorcières », mais à comprendre ce qui s'était passé lors de la canicule et à en dégager des conclusions pour l'avenir, M. Jacques Pelletier, président, a invité Mme Rose-Marie Van Lerbergue à présenter son récit de la crise et à exposer les enseignements qui devraient, à ses yeux, en être tirés.

Au préalable, Mme Rose-Marie Van Lerbergue a tenu à souligner que le drame humain de l'été dernier, survenu avec une brutalité inouïe, l'avait profondément marquée et qu'elle avait été bouleversée par ce qu'elle avait alors découvert à l'occasion de ses déplacements dans les différents établissements de l'AP-HP.

Revenant sur la chronologie des événements, elle a rappelé que la perspective d'une crise sanitaire liée au phénomène d'hyperthermie n'avait jamais été préalablement envisagée en France, comme l'atteste d'ailleurs l'exemple des nombreux patients hospitalisés au début du mois d'août, sur la base de prescriptions médicales destinées à lutter contre des infections et une forte fièvre, ou bien encore le fait qu'aucune crainte relative aux fortes chaleurs n'avait été mentionnée lors de la réunion de la cellule de veille de l'AP-HP du 5 août 2003. Elle a considéré, d'une façon générale, qu'il avait été très difficile pour les décideurs publics de se rendre compte de ce qui se passait, que cette mauvaise appréciation de la réalité des choses avait malheureusement été générale et que celle-ci expliquait le retard initial pris dans la gestion de la crise.

Elle a également rendu hommage à l'action de M. Pierre Carli, directeur du SAMU de Paris qui, devant l'accumulation de signes laissant craindre l'apparition d'une crise, a immédiatement effectué des recherches au cours de la nuit du jeudi 7 août dans la littérature scientifique disponible sur la canicule survenue à Chicago en 1995. Elle a précisé que, grâce à cette initiative, ses services avaient pu préparer, dès le vendredi 8 août au matin, un protocole de soins destiné à prévenir et faire face à l'hyperthermie, et que ce document avait été adressé aux hôpitaux de l'AP-HP comme aux maisons de retraite, tandis que le secrétaire général préconisait, pour sa part, des mesures du même type que celles du plan blanc.

Mme Rose-Marie Van Lerbergue a indiqué qu'elle s'était rendue en compagnie de M. Pierre Carli, le soir du dimanche 10 août, dans les services d'urgence de trois hôpitaux parisiens, pour se rendre compte concrètement de la situation, et qu'elle avait alors ressenti un choc en découvrant un grand nombre de personnes âgées dénudées sur des brancards dans les couloirs, et perçu à quel point le personnel soignant devait surmonter son émotion pour faire face à une situation dramatique.

Elle a salué le dévouement de l'ensemble des personnels de l'AP-HP qui avaient mobilisé tous leurs efforts pour venir en aide aux patients affluant aux urgences. Elle a également remercié ses services pour avoir pris des initiatives, comme par exemple les personnels administratifs qui ont, de leur propre chef, recherché tous les ventilateurs de leurs bureaux pour les installer aux urgences. Elle a également insisté sur les nombreux cas de personnes rentrées spontanément de congés.

Mme Rose-Marie Van Lerbergue a ensuite exposé les quatre enseignements principaux qui peuvent être tirés de la crise de la canicule : réorganiser le système d'alerte, prendre en compte le risque d'hyperthermie dans la conception même des bâtiments, améliorer la mise en oeuvre de la fermeture des lits pendant la période estivale et réfléchir à l'effort à fournir pour faire face au vieillissement de la population.

Elle a insisté, au préalable, sur la nécessité de ne pas limiter le champ de l'analyse à la seule canicule, afin d'envisager plus largement les capacités de riposte de l'hôpital face aux situations exceptionnelles de crise. Elle a ainsi indiqué, qu'au début de l'année 2003, ses services avaient particulièrement étudié le risque d'inondation, mais que l'AP-HP pourrait aussi bien se trouver confrontée à une épidémie de bronchiolite ou simplement aux conséquences de la grippe pour la disponibilité du personnel. Rappelant qu'elle avait réuni, dès le 2 septembre, les responsables des établissements pour engager une réflexion sur les enseignements à tirer de la canicule, elle a précisé que l'AP-HP avait constitué quatre groupes de travail, afin de savoir, à l'avenir, mieux faire face à l'imprévu.

S'agissant des améliorations à prévoir au niveau de l'alerte, elle a observé que les relations avec la préfecture de police de Paris avaient été déjà renforcées et que l'AP-HP disposait aujourd'hui d'une liaison efficace. Elle a mentionné l'exemple de la gestion de l'épidémie de bronchiolite de la fin de l'année 2003 pour illustrer le rôle des cellules de veille et l'importance de savoir, en permanence, adapter les moyens disponibles à l'évolution de la situation. Elle a précisé que ses services disposaient en fait d'une grande variété de possibilités d'intervention, qui allaient de la simple mise en commun des moyens jusqu' à la déprogrammation des actes médicaux destinées à libérer des lits en urgence.

Elle a considéré, en second lieu, qu'il conviendra aussi, à l'avenir, de prendre en compte les enseignements de la canicule dans la construction des futurs hôpitaux et des maisons de retraite, en évitant en particulier les grandes surfaces vitrées. Elle a jugé que le développement systématique de la climatisation ne constituait pas, pour autant, la solution permettant de résoudre toutes les difficultés rencontrées, dans la mesure où la généralisation de ces installations serait de nature à poser d'autres problèmes, à commencer par le risque de légionellose. Elle a plutôt préconisé la mise en place, au minimum, d'une salle climatisée.

Mme Rose-Marie Van Lerbergue a estimé, en troisième lieu, qu'il convenait de repenser la planification des fermetures de lits l'été dans les établissements hospitaliers, tout en reconnaissant la grande complexité de cette tâche. Elle a tout d'abord considéré que le personnel, en raison de son dévouement et de sa disponibilité, méritait pleinement ses vacances, et que la question posée conduisait plutôt à se demander quels étaient les secteurs prioritaires, dans la mesure où des fermetures étaient de toute façon inévitables. Elle a observé qu'il convenait ainsi de donner la priorité absolue, pendant la période estivale, aux urgences, à la réanimation et aux soins d'aval, tout en convenant que l'absence de polyvalence du personnel à l'intérieur de l'hôpital rendait les transferts entre services difficilement réalisables en pratique.

Elle a enfin insisté sur la nécessité de tirer toutes les conséquences du vieillissement de la population française qui appelle un effort de grande ampleur. Elle a ainsi rappelé qu'une personne âgée de plus de 75 ans sur deux sera bientôt hospitalisée chaque année. Elle a également noté que les établissements de l'AP-HP qui n'ont enregistré aucun décès lors de la crise de la canicule, ont obtenu ce résultat grâce à des moyens humains supérieurs à ceux des maisons de retraite et en raison d'une mobilisation exceptionnelle : il a fallu pour cela prendre quatre fois par jour la température des patients et placer systématiquement sous perfusion ceux atteignant 38 degrés. Elle a indiqué, par ailleurs, que l'organisation de l'hôpital en diverses spécialités s'avérait inadaptée pour les nombreuses personnes âgées souffrant de plusieurs pathologies et qu'il convenait de prévoir une unité de soins gériatriques par établissement.

Un large débat s'est alors instauré.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a remercié Mme Rose-Marie Van Lerbergue pour la richesse de son intervention et a déclaré partager ses préoccupations, tant en matière d'organisation des lits d'aval, que de planification des fermetures estivales de lits et de révision d'ensemble de la filière gériatrique. Elle a demandé à Mme Rose-Marie Van Lerbergue son sentiment sur les déclarations de M. Patrick Pelloux soulignant l'insuffisance des moyens des services d'urgence. Elle a également estimé que la nécessité de promouvoir la gériatrie concernait autant le personnel médical que les infirmières. Elle s'est également interrogée, d'une part, sur la polémique portant sur le nombre des médecins libéraux partis en congés lors de la crise et, d'autre part, sur la forte concentration des départs en vacances du personnel hospitalier pendant les deux premières semaines du mois d'août.

Mme Rose-Marie Van Lerbergue a tout d'abord estimé que les médecins libéraux n'avaient probablement pas été contactés par les patients, qui se seraient plutôt spontanément adressés aux services d'urgences des hôpitaux. Au-delà de la crise de la canicule, elle a jugé que le développement du recours aux urgences, en lieu et place de la médecine de proximité, y compris en cas d'affection bénigne, représentait une tendance de fond et qu'il serait impossible de lutter contre ce nouveau type de comportement de la population. Evoquant l'expérience conduite actuellement à l'hôpital Robert Debré, elle a indiqué qu'une solution pourrait consister, à l'intérieur même de l'enceinte hospitalière, à associer aux urgences une structure regroupant des médecins généralistes pour prendre en charge les consultations les moins graves.

Elle a également regretté le caractère réducteur des critiques émises par la presse, soulignant la longueur des délais d'attente aux urgences, qui pourraient aller jusqu'à 8 heures pour une affection bénigne. Elle a jugé qu'il ne s'agissait pas d'un dysfonctionnement et que la véritable question consistait à se demander dans quels délais les urgences vitales étaient traitées. D'une façon générale, elle a considéré que la crise de la canicule n'avait pas mis en évidence la nécessité d'accroître les moyens des urgences, mais plutôt ceux des structures de lits d'aval.

Rappelant que l'hôpital était soumis à des variations très fortes de son activité, elle a insisté sur les déficiences de la gestion des ressources humaines et sur le peu de souplesse de son organisation, qui ne lui permettaient pas de s'adapter. Elle a également déploré les conditions de mise en oeuvre des 35 heures et plus particulièrement l'absence de possibilité de modulation de celles-ci entre les périodes d'hiver et d'été.

Mme Monique Papon a estimé que Mme Rose-Marie Van Lerbergue avait fort justement mis en avant le dévouement des personnels hospitaliers pendant la crise ainsi que la nécessité de prendre en compte les enseignements de la canicule dans le domaine de la conception architecturale des bâtiments. Elle a également noté, qu'outre les difficultés déjà évoquées, la filière gériatrique n'était pas perçue comme « suffisamment noble » et souffrait d'un véritable problème de reconnaissance.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a considéré que les structures hospitalières souffraient non seulement de problèmes architecturaux, mais également de leur localisation en milieu urbain qui les rendait particulièrement vulnérables aux effets de la pollution atmosphérique et de la chaleur. Il a par ailleurs jugé que la longueur des vacances scolaires d'été, devrait normalement permettre de concilier le besoin de repos du personnel avec les impératifs de la bonne organisation du service public.

Après avoir salué la qualité de l' intervention de Mme Rose-Marie Van Lerbergue, dont il a apprécié à la fois la franchise et le dynamisme, M. Alain Gournac a affirmé qu'il partageait son souci de promouvoir et de rénover la gériatrie en France.

Mme Rose-Marie Van Lerbergue a précisé qu'elle attendait beaucoup, pour revaloriser les métiers de la filière gériatrique, des nouvelles possibilités de validation des acquis de l'expérience. S'agissant de la localisation des hôpitaux évoquée par M. Hilaire Flandre, elle a considéré que pour n'être souvent pas idéale, elle permettait néanmoins de faciliter l'accueil et le contact avec les familles des patients. En ce qui concerne le problème de l'encombrement des urgences, elle a affirmé que l'expérimentation des centres d'accueil, telle qu'elle est mise en oeuvre aujourd'hui à l'hôpital Robert Debré, lui apparaissait comme une solution prometteuse.

M. Jacques Pelletier, président, a remercié à son tour Mme Rose-Marie Van Lerbergue pour la qualité de son intervention et a souligné l'importance, pour préparer l'avenir, de tirer tous les enseignements de la crise de la canicule.

Audition de M. William Dab, directeur général de la santé, et de M. Yves Coquin, chef de service à la direction générale de la santé

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. William Dab, directeur général de la santé (DGS), et de M. Yves Coquin, chef de service.

M. William Dab
a d'abord souligné combien la canicule avait constitué un événement douloureux pour notre pays, porteur d'un lourd traumatisme, tant social que sanitaire, et suscitant de graves interrogations sur la capacité d'un pays développé à réagir à une telle crise.

Précisant qu'il témoignait en tant que conseiller technique en charge des problèmes de santé publique auprès du ministre de la santé, poste qu'il occupait durant la première semaine d'août, il a ensuite retracé la chronologie de la crise telle qu'il l'avait vécue :

- le 5 août, il a indiqué avoir pris conscience des risques sanitaires liés à la canicule, tout en reconnaissant que le sujet n'avait pas été abordé lors d'une réunion des services de la direction, celle-ci ayant été consacrée à l'épidémie de légionellose qui s'était déclarée à Montpellier ainsi qu'à des cas de méningite relevés à Saint-Jean-de-Monts, sur la côte vendéenne ;

- le 6 août, il a déclaré avoir fait le point avec le sous-directeur en charge des questions de santé environnementale sur l'épidémie de légionellose, ajoutant lui avoir donné son accord pour informer la population de la pollution à l'ozone tout en lui recommandant de préciser les effets de la chaleur sur la santé. Soulignant qu'il avait été sensibilisé à la relation entre phénomènes climatiques et risques de surmortalité lors de ses travaux en tant qu'épidémiologiste à l'Observatoire régional de santé à Paris concernant la vague de froid de 1985, qui avait provoqué 9 000 surdécès, il a indiqué avoir adressé à la direction générale de la santé un courrier lui recommandant de communiquer sur les effets sanitaires de la canicule, tout en convenant avoir agi sur la base de connaissances théoriques et non pas au vu d'une réalité dont il n'avait pas alors conscience ;

- le 8 août, il a rappelé que la direction générale de la santé avait publié un communiqué de presse, sans encore se rendre compte de l'étendue de la catastrophe, regrettant qu'il n'ait pas été davantage repris par les médias alors qu'il évoquait une vague de chaleur susceptible d'avoir des « répercussions graves sur la santé des personnes » ;

- le 9 août, il a indiqué être parti en vacances l'esprit tranquille, en ignorant l'existence de 3 800 surdécès, observant que la canicule n'avait jamais été abordée dans les différents contacts qu'il avait eus avec le ministre de la santé tout au long de cette semaine. Il a ajouté avoir informé le responsable du cabinet du ministre de la santé lors de son départ en vacances des problèmes liés à l'épidémie de légionellose et lui avoir mentionné la publication du communiqué du 8 août ;

- le 11 août, il a noté que M. Patrick Pelloux, président de l'association des médecins urgentistes hospitaliers de France, avait évoqué une cinquantaine de surdécès alors qu'en existaient déjà environ 5 000. Déplorant à cet égard qu'une épidémie de cette ampleur ait pu se développer sans que les autorités sanitaires ne s'en soient rendues compte, il a reconnu que les modèles de représentation mis en oeuvre étaient inadaptés, tout en se demandant dans quelle mesure il aurait été possible d'anticiper les pics de surmortalité des 11, 12 et 13 août alors que ceux-ci résultaient d'une vague de chaleur inédite et par conséquent très difficilement prévisible ;

- le 17 août, il a indiqué avoir été joint sur son lieu de vacances par le ministre de la santé qui lui a demandé de se préparer à revenir à son poste, ce qu'il a déclaré avoir fait le 19 août.

Précisant qu'il témoignait en tant que responsable de la direction générale de la santé en l'absence de son titulaire habituel début août, M. Yves Coquin, chef de service à la direction générale de la santé, a insisté sur le caractère à la fois imprévisible et silencieux de la canicule, empêchant toute anticipation.

Indiquant avoir reçu des informations sur la pollution à l'ozone le 4 août, puis un courriel de M. William Dab le 6 août attirant son attention sur la nécessité de communiquer sur les effets sanitaires de la canicule, il a précisé avoir perçu les premiers signaux épidémiologiques de la canicule suite à deux appels des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) du Morbihan et de Paris les 6 et 7 août faisant état respectivement de trois et un cas de décès résultant d'hyperthermie. Ajoutant qu'il avait transmis ces données à l'Institut national de veille sanitaire (In VS), il a jugé qu'il était extrêmement difficile d'interpréter ces signaux dans la mesure où la France enregistrait environ 1 500 décès par jour en moyenne et du fait que la vague de chaleur avait débuté dès le mois de juin.

Notant que deux médecins de la DDASS des Hauts-de-Seine et de l'hôpital de la Pitié-Salpétrière lui avaient fait part le 8 août d'un nombre anormalement élevé de décès en institution, il a déclaré avoir pris contact avec le SAMU de Paris, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et l'assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) afin de recueillir des informations, ainsi qu'avec l'InVS pour lui demander de procéder à des relevés et pour mettre au point un communiqué. Soulignant que ce dernier, dont il a noté qu'il avait été élaboré sans connaissance du communiqué de Météo France du 7 août, avait été très largement diffusé, tant auprès des DDASS, des préfets, des administrations et de la presse, il a regretté qu'il n'ait pas été davantage repris par cette dernière, indiquant qu'il avait largement insisté sur l'importance de la situation et les centaines de morts potentiels lors d'une conversation avec un journaliste du Parisien le 9 août. Affirmant n'avoir obtenu aucune information particulière de la part de la personne de garde à la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) qu'il avait alors jointe, il a noté avoir répondu à un journaliste de l'AFP lui signalant l'interview télévisée de Patrick Pelloux ne pas avoir d'informations particulières à lui transmettre concernant la canicule.

Rappelant que le courriel qu'il avait transmis le 11 août à la directrice adjointe du cabinet du ministre de la santé pour l'informer de la situation et de son évolution chronologique avait fait l'objet de nombreux commentaires, il a indiqué que le compte rendu d'une réunion ce même jour à l'AP-HP en présence de la DHOS et la DRASS Ile-de-France, à laquelle il n'avait pas participé, n'était pas alarmant, la direction générale de l'AP-HP ayant estimé qu'elle était en mesure de faire face à l'afflux de personnes âgées aux urgences. Il a considéré que la très forte fréquentation des urgences avait occulté le fait que de nombreuses personnes décédaient avant d'y parvenir, soit à domicile, soit en institution. Il a précisé que la journée du 11 août avait permis de mettre en place un numéro vert canicule, d'effectuer des recommandations au SAMU, d'être informé par les chambres funéraires de leur saturation et de tenir une conférence de presse avec la ministre de l'écologie et du développement durable.

Il a indiqué que la journée du 12 août avait été marquée par la mise en service du numéro vert et la formation des personnels y afférents, la tenue d'une réunion avec EDF pour mettre au point un système de dérogation sur les rejets d'eau chaude des centrales nucléaires et une procédure d'alerte sur les risques de délestage pour les patients à risques, l'élaboration d'un communiqué de presse avec le ministère de l'intérieur sur les chambres mortuaires et la participation à l'émission « Le téléphone sonne », ajoutant avoir rendu compte de ces diverses mesures au directeur général de la santé.

Il a précisé que s'étaient tenues le 13 août une nouvelle réunion d'EDF sur la procédure d'alerte concernant les patients à haut risque en cas de délestage ainsi qu'une réunion de la DHOS et de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSPS) afin d'éviter toute rupture dans la fourniture par les pharmacies des produits et instruments permettant d'assurer la perfusion des personnes les plus fragiles. Reconnaissant avoir alors éprouvé un sentiment d'impuissance à connaître la réalité de la situation, il a indiqué avoir effectué des démarches auprès de la DHOS, de l'AP-HP et des pompes funèbres pour obtenir des estimations chiffrées et s'être alors rendu compte que le bilan dépasserait largement un millier de décès. Faisant état de la réunion de la cellule de crise qui avait eu lieu le soir, associant la DHOS, la DGS, la direction générale des affaires sociales (DGAS) et la direction générale de l'AP-HP, à laquelle avait assisté la presse, il a indiqué que l'InVS avait à cette occasion avancé le chiffre de 3 000 morts, réévalué depuis à 15 000. Il a noté pour conclure n'avoir pas reçu d'autres informations ou signaux provenant d'autres sources.

Un large débat s'est alors engagé.

Mme Valérie Létard, rapporteur, a interrogé les intervenants sur les conclusions du rapport Lalande, soulignant que la DGS s'était « épuisée » à collecter des informations sans réelle efficacité ; sur les propos tenus devant la mission par M. Lucien Abenhaïm, directeur général de la santé durant l'épisode de canicule, faisant état d'un manque de coordination entre la DGS et l'InVS, mais aussi avec la DHOS et les directions d'autres ministères ; sur les propos de M. William Dab lui-même, selon lequel la DGS souffrirait d'une insuffisance numérique et qualitative en termes de moyens et éprouverait des difficultés à recruter des personnels compétents ; ainsi que sur les propos tenus par M. Patrick Pelloux, estimant que les responsables de la santé publique étaient excessivement éloignés du terrain.

M. Hilaire Flandre, rapporteur, a demandé aux intervenants comment il serait possible d'améliorer les capacités de communication de la DGS, quelle était l'utilité du réseau d'information d'urgence des médecins de la DGS et quelle avait été l'utilisation du numéro vert mis en place par celle-ci.

M. Alain Gournac s'est interrogé sur la réaction des intervenants face à l'absence de relais médiatique du communiqué de presse de la DGS, sur les instruments de collecte d'informations qu'ils utilisent lorsque celles-ci ne sont pas spontanément transmises par leurs détenteurs et sur l'existence éventuelle, avant que ne survienne la canicule, de plans d'urgence permettant de faire face à des risques exceptionnels.

M. Jacques Pelletier, président, a fait part de sa perplexité face à l'absence d'émission ou de prise en compte des signaux d'alerte, M. Alain Gournac ajoutant que la vague de chaleur avait commencé bien avant le mois d'août.

Répondant aux divers intervenants, M. William Dab a d'abord souligné à quel point il était difficile de déterminer qui pouvait être tenu responsable dans ce type de crise sanitaire où les responsabilités étaient diluées entre médecins, établissements de santé, collectivités, associations, services de l'Etat, agences... Il s'est félicité à cet égard du fait que le projet de loi sur la santé publique posait la responsabilité de l'Etat dès lors que la santé de la population était en cause.

Il a estimé que la répartition des compétences entre la DGS et l'InVS était claire, le second étant chargé des investigations épidémiologiques et de l'évaluation des risques sur le terrain. Reconnaissant que l'InVS ne disposait pas d'outils pour détecter la crise sanitaire liée à la canicule, il a considéré qu'elle pourrait les avoir et a indiqué que la DGS lui avait demandé d'établir un bulletin d'alerte quotidien, qu'elle publiait désormais depuis le 1er octobre. Rappelant qu'il avait travaillé il y a une quinzaine d'années à mettre en place des réseaux d'épidémiologie contre la grippe, il a jugé qu'il était possible, au vu de cette expérience, de faire de l'épidémiologie de qualité avec des données provenant des médecins. Convenant que l'InVS ne disposait pas de telles données lors de la canicule, il a constaté qu'elle commençait peu à peu à s'en saisir depuis le mois de novembre. Il s'est félicité de ce que le projet de loi de santé publique permettrait la certification des décès et l'obtention des chiffres quotidiens de mortalité, ajoutant que l'InVS et l'INSERM bâtissaient un réseau informatisé permettant de surveiller l'évolution des décès. Il a également approuvé le fait que le projet prévoie la régionalisation des missions de santé publique, observant que l'InVS ne pouvait traiter efficacement au niveau national l'ensemble des signaux d'alerte du fait qu'elle ne possédait pas les données permettant une interprétation locale des faits.

Concernant la coordination externe de la DGS, il a reconnu que le système de décision souffrait de cloisonnements, notamment entre le secteur des soins et celui de la santé publique, malgré les tentatives de rapprochement, objet notamment de la future loi de santé publique. Il a également déploré le cloisonnement existant entre la médecine de ville et l'hôpital, estimant que le problème des urgences ne résidait pas en un manque de moyens mais plutôt en une carence de l'amont. S'agissant de la coordination entre ministères, il a indiqué avoir obtenu qu'un représentant de la direction de la sécurité civile soit présent à la réunion hebdomadaire des responsables des agences sanitaires et de la DHOS et avoir participé activement à la création du Conseil national de la sécurité civile.

Il a par ailleurs concédé que n'existait jusqu'alors aucun plan d'urgence sanitaire portant sur la canicule. Expliquant que les plans d'urgence (Biotox variole et SRAS) avaient commencé à être développés en interministériel et en lien avec les services déconcentrés, les collectivités locales et les services de Météo France après les attentats du 11 septembre 2001, il a indiqué que 25 de ces plans étaient aujourd'hui prévus, dont 10 à court terme, concernant des risques tels que les grands froids, les inondations ou les conséquences des délestages, et qu'un comité national regroupant la DGAS, la DGS et la DHOS avait élaboré un tableau renseignant les divers types de situations exceptionnelles, les populations à risque, les services devant intervenir et les tâches dont ils devraient se charger.

S'agissant enfin des moyens de la DGS, il a considéré qu'il ne pouvait pas se prononcer sur leur éventuelle insuffisance, reconnaissant toutefois qu'une quarantaine de personnes, soit l'effectif d'une sous-direction, seraient nécessaires pour se consacrer aux crises sanitaires en actualisant et appliquant les plans d'urgence, indiquant qu'une demande en ce sens serait adressée prochainement au ministre de la santé. Il a par ailleurs déclaré que le bureau de l'alerte serait extrait de la sous-direction à laquelle il appartenait afin d'améliorer sa réactivité.

Notant que le communiqué de presse du 8 août n'était pas alarmiste et avait pour objet de donner des conseils pratiques, M. Yves Coquin a indiqué n'avoir cessé durant l'épisode de canicule de répondre aux questions des journalistes, relevant que l'alerte avait été reprise dans de nombreux journaux. S'agissant des plans d'urgence, et précisant qu'une organisation destinée à les gérer avait été créée en 2000 et modifiée suite aux attentats du 11 septembre 2001, il a expliqué l'absence de plan canicule par le fait que la trentaine de plans développés depuis 1997 visaient des pathologies ou des phénomènes climatiques (cancers, grands froids, inondations, pollutions...) déjà éprouvés, ce qui n'était pas le cas de la canicule de cet été, la sécheresse de 1976 ne pouvant lui être comparée.

Audition de M. Claude Huriet, ancien sénateur

La mission a enfin procédé à l'audition de M. Claude Huriet, ancien sénateur.

Après avoir souhaité la bienvenue à M. Claude Huriet,M. Jacques Pelletier, président, a rappelé que celui-ci avait été à la pointe du combat mené par le Sénat pour la sécurité sanitaire, et à l'origine de la création des diverses agences concernées.

Il lui a ainsi demandé, en sa qualité de rapporteur de la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme, son analyse sur la mise en oeuvre de cette loi, à la lumière de la crise sanitaire liée à la canicule de l'été dernier. Il l'a également interrogé sur la pertinence de la coexistence des six organismes aujourd'hui chargés d'intervenir dans le domaine de la veille et de la sécurité sanitaires, cette multiplicité étant facteur de cloisonnements administratifs : l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE), l'Etablissement français des greffes (EFG), l'Institut national de veille sanitaire (InVS) et l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES).

M. Claude Huriet a tout d'abord regretté que le Sénat n'ait pas, à l'occasion de cette crise, rappelé son rôle majeur et ses prémonitions dans le domaine de la sécurité sanitaire, dans la mesure où il a été à l'origine de la loi de 1998.

Il a estimé qu'on ne pouvait imputer à cette dernière les dysfonctionnements constatés, mais qu'il convenait de rappeler la responsabilité des autorités de tutelle des organismes institués par ladite loi.

Il a précisé que ce texte résultait d'une proposition de loi initiée par le Sénat, sur la base des recommandations formulées par la mission d'information -présidée par M. Charles Descours et dont il avait été le rapporteur- créée par la commission des affaires sociales après une succession de drames et de crises sanitaires, dont la plus grave avait concerné le sang contaminé. Cette mission avait dénoncé la fragilité du système sanitaire français, ainsi que le caractère illisible et le manque de cohérence de ce système, le gaspillage des moyens et le cloisonnement qu'entraînait la multiplicité des organismes (plus de 50) relevant de divers ministères en charge de ce type de problèmes, avec des statuts juridiques et des compétences variées.

M. Claude Huriet a ensuite rappelé que la loi du 1er juillet 1998 reposait sur trois piliers :

- deux agences compétentes respectivement pour les produits de santé et les aliments : il s'agit d'outils d'intervention ne dépossédant pas l'Etat de ses responsabilités ;

- un organisme de veille, l'Institut national de veille sanitaire, qui n'a pas été constitué sous forme d'agence, car il n'a pas vocation à mener des investigations ou à évaluer les risques.

M. Claude Huriet a insisté pour que soit rappelée cette volonté du législateur de créer ainsi une tête de réseau dans le domaine de la veille sanitaire.

Evoquant ensuite le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat sur la loi de 1998, il a précisé que cette loi confiait pour mission à l'Institut national de veille sanitaire « la détection et la surveillance de tous les événements, quelle qu'en soit l'origine, qui sont susceptibles d'affecter la santé de l'homme ». Il a ainsi souligné le caractère général des compétences de l'InVS, qui lui permet, grâce à l'« effet réseau », de centraliser les signaux en cas d'apparition de faits anormaux isolés et de les interpréter.

Il a insisté sur le caractère prémonitoire de ce rapport, qui indiquait qu'« il doit être du devoir de toute personne physique ou morale de signaler un événement susceptible d'affecter la santé de la population ».

S'agissant de la canicule, M. Claude Huriet a regretté, en conséquence, que les sapeurs-pompiers de Paris aient pu être conduits à s'interroger sur les autorités qu'il convenait d'informer du caractère anormal de la surmortalité constatée. Il a estimé que leurs autorités de tutelle auraient dû, en application de la loi de 1998, organiser la remontée automatique de telles informations vers l'InVS et la direction générale de la santé, en regrettant qu'il ait fallu le drame de cet été pour que les administrations se conforment enfin à la volonté du législateur.

Il a ensuite rappelé que l'article 7 de la proposition de loi du Sénat prévoyait la création d'un conseil national de sécurité sanitaire ; cette structure interministérielle ne devait pas « dépouiller l'Etat de ses responsabilités en la matière », mais avait vocation à coordonner les différentes autorités chargées de la veille et de la police sanitaires, non seulement pour gérer les crises, mais aussi et surtout pour les prévenir. Il a précisé qu'au terme du processus législatif, et à la demande de l'Assemblée nationale, le Parlement avait décidé la création d'un comité -et non d'un conseil-, dont la composition et les attributions étaient différentes de celles initialement prévues par le Sénat. Ce comité national est présidé par le ministre chargé de la santé et permet de rassembler régulièrement les directeurs des différentes agences et les directions des ministères concernés.

M. Claude Huriet a estimé que le dispositif interministériel prévu par le Sénat aurait permis de réagir plus rapidement à la canicule.

Il a ensuite attiré l'attention de la mission sur les « risques de débordement » de l'AFSSE, dont la création avait résulté d'un difficile compromis politique et qui, selon les termes mêmes de sa directrice, est aujourd'hui une « coquille vide », l'Assemblée nationale n'ayant pas retenu le champ de compétences proposé par le Sénat pour cet organisme (qui comprenait notamment celles de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)). Il a cité par ailleurs un article récent du Quotidien du Médecin qui préconise pour l'AFSSE la rationalisation, autour de six priorités, du système d'information et d'alerte dans le domaine de la santé environnementale, ce qui, selon lui, conduirait à fragiliser l'InVS.

Un débat s'est alors instauré.

Après avoir souligné l'intérêt de cette intervention, M. Hilaire Flandre, rapporteur, a demandé si l'on pouvait envisager un rapprochement des différentes agences intervenant dans le domaine de la sécurité sanitaire, afin de réduire les cloisonnements administratifs. Il a, par ailleurs, sollicité l'avis de M. Claude Huriet sur le contenu du rapport Lalande concernant le manque d'anticipation de l'InVS, qui ne lui aurait pas pleinement permis de jouer son rôle.

M. Alain Gournac s'est interrogé sur la pertinence et la lisibilité de la répartition des compétences entre les différents organismes concernés et a souhaité que l'esprit qui avait animé le Sénat à l'occasion de l'examen du texte qui allait donner naissance à la loi du 1er juillet 1998 soit rappelé et mieux respecté.

Répondant à ces interventions, M. Claude Huriet a relevé le paradoxe qui consiste à reprocher à l'InVS son manque d'anticipation, alors que cet organisme n'a pas pu jouer son rôle de « tête de réseau » en raison de l'absence de coordination de ce réseau et de remontée d'informations. Il a rappelé qu'en application de la loi de 1998, tant les institutions que les citoyens ont pour obligation de communiquer à l'InVS les informations en leur possession concernant la sécurité sanitaire.

S'agissant du regroupement éventuel des agences, il a indiqué qu'en 1998, plusieurs députés -dont l'actuel ministre de la santé- avaient défendu la création d'une seule agence regroupant les compétences de l'AFSSAPS et de l'AFSSA, mais que plusieurs éléments avaient conduit à y renoncer et ne la rendaient d'ailleurs pas davantage souhaitable aujourd'hui :

- l'exemple américain de la « Food and Drug Administration » (FDA) ne s'avère pas pleinement satisfaisant, en raison notamment de ses délais de réponse ;

- notre culture administrative est très différente selon qu'il s'agit du contrôle des produits de santé ou des aliments et les filières concernées ne sont pas identiques ;

- les compétences des deux agences sont différentes : l'AFSSA a des pouvoirs de police et de gestion tandis que l'AFSSAPS n'a qu'une fonction d'évaluation, le ministère de tutelle conservant un pouvoir de gestion.

M. Claude Huriet a ainsi jugé prématuré un éventuel regroupement de ces deux agences et a par ailleurs relevé que l'InVS et l'ANAES s'étaient vu confier des missions spécifiques. Il s'est également déclaré défavorable au regroupement de l'ensemble des agences et des autres organismes chargés d'intervenir dans le domaine de la sécurité sanitaire, qui regroupent au total 3.000 personnes de statut très différent. Il a estimé qu'il convenait de ne pas avoir un « esprit de système » en la matière et que la fusion d'organismes aux vocations différentes reviendrait à reconstituer une administration, avec sa lourdeur et ses cloisonnements.

M. Jacques Pelletier, président, a souhaité que le rapport de la mission rappelle l'esprit de la loi de 1998 et a remercié l'intervenant pour l'intérêt et le bons sens de ses réflexions.