Mardi 15 décembre 2009

- Présidence de M. Claude Birraux, député, président -

Audition de M. Alex Türk, président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)

M. Claude Birraux, député, président, a rappelé l'importance cruciale des technologies de l'information et de la communication pour les sociétés actuelles, tout en soulignant les questions juridiques et éthiques que leur développement soulève. Il a donc souligné à ce titre l'importance de la mission de la commission nationale de l'informatique et des libertés.

M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, a abordé plusieurs questions d'actualité. Il a d'abord fait le point sur l'initiative prise par les différentes commissions de l'informatique et des libertés nationales, il y a deux ans, et visant à élaborer des normes internationales en matière de protection des données. Il s'est réjoui que la réunion organisée en novembre 2009 à Madrid ait permis l'élaboration d'un corpus de principes acceptés par tous. En revanche, il s'est montré moins optimiste sur la capacité des représentants desdites commissions à donner une valeur juridique contraignante à ces principes en raison de conceptions nationales très différentes relatives aux données personnelles. A titre d'exemple, les Etats-Unis d'Amérique les associent à des données marchandes alors que la France les juge indissociables des libertés individuelles. En outre, il a ajouté qu'un éventuel accord devrait être formalisé à travers une convention sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies, ce qui entraînerait des délais très longs, alors qu'il y a urgence à légiférer.

M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, a également évoqué la nécessité, dans le cadre du grand emprunt décidé par l'Etat, de financer la recherche dans le domaine de la sécurité des systèmes.

Par ailleurs, il a rappelé la mission de labellisation des procédés informatiques confiée à la commission nationale de l'informatique et des libertés par la loi de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures votée en mai 2009.

Puis, M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, a évoqué le développement généralisé de la biométrie dans les entreprises, mais également dans les administrations. Il a insisté sur le travail de réflexion de la commission nationale de l'informatique et des libertés dans ce domaine qui l'a conduite à privilégier la voie dite veineuse plutôt que l'empreinte digitale, cette dernière solution apparaissant moins protectrice des libertés individuelle.

M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, s'est ensuite interrogé sur le développement des nanotechnologies. Après avoir expliqué que la commission nationale du débat public avait été chargée d'organiser la consultation de la population dans vingt villes françaises pour aborder cette question, il s'est déclaré consterné qu'une minorité organisée empêche quasi-systématiquement les débats d'avoir lieu. Il s'est montré d'autant plus inquiet que, dans les cinq années à venir, les progrès technologiques permettront la multiplication de systèmes d'information « invisibles » capables de voir, d'entendre et de communiquer à distance, ce qui pose de graves interrogations éthiques, avec, à terme, la suppression irréversible du droit à l'intimité.

Face à cette menace, M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, a estimé que le Parlement devait s'interroger sur l'interdiction de l'utilisation de ces systèmes. Toutefois, il a ajouté qu'une telle décision ne serait efficace que si elle était prise au niveau international, la technologie ignorant les frontières étatiques.

Par ailleurs, M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, a insisté sur le « droit à l'oubli » afin de garantir la liberté d'expression ainsi que la liberté d'aller et venir dans la société numérique actuelle. Il a précisé que les citoyens étaient aujourd'hui soumis à un double traçage : un traçage physique à travers la vidéosurveillance ou encore la géolocalisation ; un traçage temporel à travers les réseaux sociaux et les moteurs de recherche. Faisant référence au film « La vie des autres », il a estimé que, paradoxalement, la situation était moins désespérée dans l'ancienne RDA dans la mesure où ses habitants connaissaient leur « big brother », à savoir la Staatssicherheit (STASI), et qu'ils disposaient du « droit à l'insurrection », alors que nous sommes aujourd'hui non seulement confrontés à une multitude de « petits brothers » impossibles à localiser, mais que, en outre, nous ignorons délibérément la menace que ces derniers font peser sur les libertés individuelles.

En conclusion, M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, a plaidé pour un engagement plus grand du Parlement sur les questions visant à concilier le développement de l'informatique et la défense des libertés individuelles. Il s'est félicité de ce que la place de l'initiative parlementaire ait été accrue par la révision constitutionnelle de juillet 2008. Toutefois, il a estimé que le Parlement, confronté à ce qu'il a qualifié de « déferlement technologique », avait élaboré plusieurs propositions dont les contenus se chevauchaient. Il a donc proposé de mettre les compétences de la commission nationale informatique et des libertés à la disposition des parlementaires.

Un large débat s'est alors ouvert.

M M. Ivan Renar et Paul Blanc, sénateurs, ont souhaité savoir qui perturbait les débats organisés par la commission nationale du débat public.

M. Claude Birraux, député, président, a rappelé que le rapport du sénateur Claude Saunier sur le secteur de la microélectronique publié en 2008 s'interrogeait sur les conséquences éthiques du développement des nanotechnologies. Il a ensuite affirmé qu'il incombait au Parlement de suivre ces questions et s'est interrogé sur les initiatives les plus pertinentes que devrait prendre l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques dans ce domaine. Puis, constatant que les mesures de protection des libertés individuelles ne pourraient être efficaces que si elles sont prises au niveau international, il s'est demandé s'il ne faudrait pas sensibiliser davantage les parlementaires français membres du Conseil de l'Europe afin d'obtenir déjà un consensus dans cette instance. Il a également souhaité connaître la position de la commission nationale de l'informatique et des libertés sur la réflexion de l'institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) visant à créer un comité d'éthique à l'intention des chercheurs dans le secteur concerné, afin de les éclairer sur les enjeux de leurs recherches.

M. Daniel Raoul, sénateur, a fait part de son inquiétude face à la multiplication des technologies capables de rassembler et de stocker des données sur les personnes et leur environnement. Il a également soulevé le problème des implants qui, certes, ont des applications thérapeutiques, mais qui peuvent également aboutir à « télécommander » les personnes et à inhiber leurs réactions. Il a plaidé pour une réflexion en amont du développement de ces techniques pour circonscrire leur utilisation.

Tout en regrettant la perturbation des débats sur les nanotechnologies, M. Xavier Pintat, sénateur, s'est interrogé sur l'efficacité des consultations organisées par la commission nationale du débat public et a plaidé pour des méthodes plus opérationnelles. Par ailleurs, devant le développement des réseaux intelligents, il s'est demandé quel était le niveau d'action le plus approprié pour garantir les libertés individuelles et s'il était envisageable, à l'échelle européenne, d'instaurer un système qui préserve le droit à l'intimité.

M. Paul Blanc, sénateur, s'est interrogé sur les motifs qui conduisaient certains opposants aux nanotechnologies à refuser le débat. Il s'est ainsi demandé si c'était la menace potentielle qu'elles font peser sur les libertés individuelles qui les poussait à agir ou la volonté d'appliquer le principe de précaution dans un domaine mal connu et donc de facto jugé menaçant.

En réponse, M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, a rappelé que, en raison des positions divergentes des Etats-Unis et de l'Europe sur les données personnelles, l'accord en cours de négociation au niveau international risquait de conduire à un niveau de protection desdites données plus bas que celui qui existe actuellement en Europe, ce qui serait un grave revers pour la défense des libertés individuelles. Par ailleurs, il a regretté l'incapacité des Etats européens à défendre leurs positions face aux pressions américaines et a plaidé pour un « Copenhague des données personnelles ».

En outre, M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, a souligné la nécessité pour le Parlement de se saisir très en amont des questions éthiques que soulève le développement des nouvelles technologies afin de pouvoir en contrôler les applications et a insisté sur l'impossibilité pour la commission nationale de l'informatique et des libertés d'élaborer seule les normes. Il a ajouté qu'un grand débat au Parlement permettrait également de sensibiliser l'exécutif et de l'inciter à défendre cette cause auprès des autres Etats membres de l'Union européenne.

Par ailleurs, il a reconnu que, même au niveau européen, les responsables des commissions de l'informatique et des libertés étaient partagés sur la réalité des menaces engendrées par le développement des nanotechnologies. Il a regretté que la France soit relativement isolée et il s'est félicité que le Parlement européen soit mobilisé sur cette question.

Enfin, M. Alex Türk, président de la commission nationale de l'informatique et des libertés, a estimé que les opposants au dialogue sur les nanotechnologies agissent, certes, par crainte pour les libertés individuelles, mais, surtout, parce qu'ils s'inquiètent de la capacité des pouvoirs publics à maîtriser leur développement et souhaitent donc que soit appliqué le principe de précaution.