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Avenir de la recherche

(Question orale avec débat)

     M. LE PRÉSIDENT. – L'ordre du jour appelle la discussion d'une question orale avec débat de M. Trégouët à M. le ministre délégué à la recherche sur l'avenir de la recherche.

     M. TRÉGOUËT. – La crise profonde dans laquelle la recherche publique française s'est trouvée plongée depuis le début de l'année a des origines budgétaires qui ne sont pas faciles à analyser. Les causes profondes de ces difficultés budgétaire sont structurelles et anciennes. D'abord, la part de l'État dans le financement de l'effort national de recherche par rapport à celle des entreprises est comparativement élevée en France par rapport aux autres pays de l'O.C.D.E. Les dépenses publiques pour la recherche sont ensuite très rigides puisque 90 % sont versés directement aux organismes et 10 % seulement financent des projets à partir de fonds incitatifs. À côté des organismes publics de recherche, les universités sont dévoreuses de crédits, bien qu'insuffisamment pourvues. Leurs moyens ne sont pas entièrement dévolus à de réelles investigations scientifiques, mais sont largement sollicités par les besoins d'encadrement du premier cycle de l'enseignement supérieur.

     La majorité précédente, alors que la croissance était forte, n'a pas significativement augmenté les dépenses publiques de recherche. M. Allègre voulait faire d'une réforme des structures de financement des activités concernées un préalable à une forte progression de leurs moyens. De fait on constate depuis 1993 une lente érosion de l'effort national de recherche. Mais la majorité actuelle, c'est là la cause immédiate de la présente crise, s'est trouvée confrontée d'emblée à une conjoncture budgétaire particulièrement difficile. Aussi a-t-elle jugé prioritaire de mobiliser, par des incitations fiscales, des ressources privées, mais aussi de faire appel dans l'immédiat aux réserves des organismes publics de recherche, souvent importantes du fait du développement méritoire des ressources propres des laboratoires. Or, ces organismes pensaient utiliser ces réserves à leur gré.

     Les problèmes financiers que ces mesures ont causé aux autorités de recherche ont constitué le détonateur de la crise qui s'est ensuite focalisée sur l'une des mesures de la dernière loi de finances, qui prévoyait le remplacement de 550 postes statutaires par autant de postes de contractuels, afin d'accélérer le recrutement de jeunes chercheurs et d'introduire davantage de souplesse dans la gestion des ressources humaines.

     Cette initiative, bien intentionnée, n'était sans doute pas très heureuse, le « profil » des emplois ne correspondant pas aux besoins et ni aux débouchés, déjà très limités, offerts aux jeunes docteurs.

     La fronde déclenchée par des mesures courageuses mais mal comprises a eu de grands mérites. Elle a suscité un débat national sur la recherche, permettant de souligner l'importance de cette dernière, comme facteur de compétitivité économique mais aussi dans sa dimension socioculturelle à laquelle nos concitoyens sont très sensibles. Leur soutien massif au mouvement des chercheurs l'a prouvé.

     L'insuffisance du financement global, la primauté des ressources humaines, le statut, la rémunération des chercheurs ont été abordés, ainsi que la fuite des cerveaux vers l'étranger.

     La crise a aussi donné l'occasion à de nombreux spécialistes de formuler des propositions de réforme audacieuses, de nature à inspirer réflexions et décisions.

     Mais le mouvement des chercheurs, par la façon dont il s'est déroulé, notamment, par sa médiatisation importante, pourrait avoir aussi des retombées négatives. Le geste d'apaisement du gouvernement, consistant à reconvertir en emplois statutaires les 550 créations de postes de contractuels prévues par la loi de finances, ne doit pas être interprété comme un renoncement aux réformes de fond nécessaires. Vous-même, monsieur le Ministre, avez déclaré : « On n'avancera pas dans la modernisation de la recherche sans une réforme de l'université ». M. Fillon a pour sa part proclamé que la recherche exigeait des moyens mais aussi une organisation efficace. Le collectif « sauvons la recherche » a, de son côté, estimé que le mouvement des chercheurs avait créé « une occasion exceptionnelle de refonder la place de la recherche dans le dispositif national ».

     Acceptons-en l'augure ! Et ne laissons pas croire qu'il n'y a d'autre perspective pour les thésards et les jeunes docteurs que le statut de chercheur à vie.

     La crise récente est révélatrice tout à la fois du malaise des chercheurs et de la nécessité d'une réforme. Malaise des chercheurs : le déroulement des carrières des plus anciens ne récompense pas assez leurs mérites, notamment en raison d'une évaluation insuffisamment objective ; mais une forte angoisse étreint aussi les plus jeunes. Comme dans tous les pays, le nombre de postes vacants de fonctionnaires est en effet inférieur à celui des docteurs formés chaque année. Les contrats ne sont pas assez attrayants et la préférence des entreprises pour les ingénieurs des grandes écoles restreint les débouchés dans le secteur privé.

     Une crise des vocations affecte la recherche fondamentale, physique, chimie et surtout sciences de la vie. Dans la recherche appliquée, le nombre d'étudiants, en informatique par exemple, ou en sciences pour l'ingénieur, est au contraire en augmentation.

     Le besoin de réformer notre recherche est incontestable. Tout d'abord, je ne cesse de le répéter dans mes rapports budgétaires, nous manquons d'outils d'analyse et d'aide à la décision. Les statistiques disponibles sont anciennes, les études insuffisamment rigoureuses et nombreuses. Il manque auprès de l'exécutif un comité d'orientation stratégique qui puisse éclairer les choix à effectuer. Il existe aussi des domaines, qu'il faut pouvoir identifier, où nous ne pouvons pas être absents, comme les sciences de la vie et les nanotechnologies.

     Une fois dotés de moyens de diagnostic, nous pourrons plus efficacement mener les réformes nécessaires. Les structures sont trop morcelées, avec des chevauchements de compétences, des cloisonnements entre organismes publics et universités, entre établissements publics et entreprises privées. Il en résulte une grande complexité, un dispositif de recherche opaque, des dysfonctionnements au sein, par exemple, d'unités mixtes soumises aux réglementations différentes applicables aux universités et aux autres institutions publiques de recherche, dont elles dépendent conjointement.

     L'éclatement des structures impose des instances de coordination qui compliquent le système encore davantage. En outre, les règles de fonctionnement propres à chaque entité sont souvent excessivement lourdes et contraignantes. Il conviendrait de répartir de façon plus équilibrée les différentes formes d'emploi en étoffant, compte tenu des rigidités de la formule statutaire, les effectifs des post-doctorants dont les contrats devraient être rendus beaucoup plus attractifs et offrir davantage de débouchés dans le privé. Ce sont en effet les thésards et les jeunes docteurs qui font tourner nos laboratoires et assurent l'indispensable réorientation de notre recherche vers les disciplines émergentes. Tous n'ont pas, pour autant, vocation à demeurer chercheur à vie.

     La multiplication des sources de financement de la recherche en complique la gestion. Une amélioration substantielle, et si possible homogène, de la comptabilité des organismes permettrait de connaître, en temps réel, la situation financière des laboratoires, toutes ressources confondues, et d'ajuster au plus près les dotations correspondant à leurs besoins. En contrepartie d'une évaluation plus rigoureuse de leurs projets et de leurs résultats, une plus grande autonomie de gestion serait consentie, les contrôles étant exercés a posteriori plutôt qu'a priori.

     Espérons que la nouvelle loi organique relative aux lois de finances provoquera une meilleure synergie entre les différentes dépenses, qu'elles émanent des universités et des organismes, ou qu'elles soient civiles ou militaires. Il est essentiel enfin de définir des indicateurs pertinents de l'efficacité des dépenses.

     Vous êtes conscient, monsieur le Ministre, de la nécessité de profondes réformes mais aussi de la difficulté de les mener à bien, étant donné l'hypersensibilité des personnes concernées. Aussi avez-vous déclaré, de façon très avisée, dans un entretien avec des journalistes du Figaro qu'« il faudrait passer au préalable par une phase de diagnostic, de dialogue et d'expérimentation ».

     Dans cet esprit, il conviendra d'abord de s'interroger sur l'articulation entre l'augmentation des moyens, prévue par la future loi d'orientation et de programmation, et les réformes de structures qui permettront d'améliorer l'efficacité des dépenses. L'architecture générale de notre système de recherche sera-t- elle revue ? Beaucoup de propositions audacieuses ont été avancées à ce sujet, prévoyant l'éclatement ou le regroupement des services de différents organismes – notamment dans le domaine des sciences de la vie –, la création d'agences d'objectifs et de moyens, l'autonomie des unités de base de notre recherche. Pour certains, ces éléments de base devraient être les universités, pour d'autres les campus ou des pôles d'innovation regroupant, sur un thème et dans des limites territoriales précises, les moyens des universités et ceux des entreprises, des organismes et des collectivités territoriales.

     Le problème de la dimension optimale des laboratoires a également été posé : doivent-ils rester « à dimension humaine » pour demeurer créatifs ou atteindre une certaine « dimension critique » ?

     Quelles doivent être les parts respectives des secteurs public et privé ? Il faut, à ce sujet, reconnaître à la fois le rôle prépondérant des fonds publics – y compris européens – dans le financement de la recherche fondamentale et des très grands équipements, et la complémentarité des deux secteurs. La valorisation des résultats de la recherche académique, profite bien entendu à l'industrie mais contribue aussi au financement de cette recherche qu'elle stimule par ses questionnements. Certaines recherches finalisées peuvent faire l'objet de partenariats entre les organismes publics et des entreprises, ces dernières acceptant de contribuer à long terme au financement en amont des travaux considérés et de collaborer, en aval, à leur développement, en échange d'une cession exclusive des droits d'exploitation des découvertes effectuées.

     D'autres idées ont été émises sur l'opportunité d'un rapprochement entre, d'une part, les grandes écoles et les universités, auxquelles une plus grande autonomie devrait être accordée, notamment en matière de recrutement et, d'autre part, le statut de leurs personnels et celui des organismes publics de recherche.

     Davantage de mobilité vers les universités et les entreprises permettrait aux chercheurs des organismes publics d'acquérir une plus grande ouverture sur la société et de mieux renouveler leurs savoirs par la confrontation avec les étudiants et l'industrie.

     Monsieur le Ministre, comptez-vous associer le Parlement à la préparation de la future loi d'orientation et de programmation ? S'il est naturel de consulter les chercheurs, il est aussi légitime, s'agissant de l'avenir de la France, d'associer également la représentation nationale. Quel rôle lui ferez-vous jouer dans cette « coproduction » pour reprendre votre terme ? Je vous remercie d'avance pour vos réponses. (Applaudissements à droite et au centre.)

     M. RENAR. – En annonçant, au lendemain des élections de mars, la requalification prochaine des 550 contrats à durée déterminée en postes contractuels ainsi que la création de 1 000 postes universitaires d'ici à 2005, le gouvernement a mis un terme au mouvement de révolte des chercheurs. Grâce à une mobilisation sans précédent – la pétition du collectif « sauvons la recherche » a, en trois mois, recueilli quelque 70 000 signatures de responsables de laboratoires et d'unités ainsi que d'étudiants du troisième cycle – les chercheurs, soutenus par l'opinion publique et par de nombreux scientifiques étrangers, ont réussi à obtenir satisfaction. La phase aiguë de la crise de la recherche française est ainsi achevée.

     Pour autant, il ne faut pas croire que le problème est définitivement résolu. Si les responsables de laboratoire ont renoncé à leur démission administrative, ils n'ignorent pas que la victoire obtenue ne leur assure qu'un répit momentané. Car les mesures annoncées ne font que préserver l'état actuel de notre recherche et n'en garantissent ni l'avenir ni la compétitivité. De plus, la requalification des 550 C.D.D. suffit juste au remplacement des départs à la retraite dans les organismes publics de recherche. De même, la création des postes d'enseignants – chercheurs ne répond qu'à l'augmentation du nombre d'heures enseignement exigée par la réforme L.M.D. Et de très nombreuses interrogations restent en suspens.

     On a simplement stoppé une hémorragie, on n'a pas soigné la maladie en profondeur. Quel avenir pour notre système de recherche ? Les chercheurs engagés dans la préparation des états généraux de la recherche et de l'enseignement supérieur réfléchissent à la place de la recherche et de la science dans la société à l'organisation de la recherche publique et aux liens à établir entre les grands organismes, tels que le C.N.R.S. ou l'INSERM, les E.P.S.T., et les universités. Ils examinent aussi le problème de l'emploi scientifique notamment le statut et le déroulement de carrière, ainsi que les conditions de rémunération et de travail des doctorants et post-doctorants. Loin d'être corporatistes, ces réflexions visent à enrayer au plus vite la fuite des cerveaux vers l'étranger, voire à encourager certains compatriotes expatriés à revenir en France.

     Les chercheurs, soucieux de parfaire le système national, s'interrogent aussi sur la pertinence des actuels modes d'évaluation des travaux scientifiques et ont entrepris de définir de nouvelles modalités d'appréciation des résultats.

     Donc, chercheurs et universitaires, loin de se satisfaire des mesures annoncées, demeurent mobilisés, considérant avec justesse que le mouvement historique de ces derniers mois constitue une formidable opportunité de « refonder la place de la recherche dans le dispositif national ». Car, n'en déplaise à leurs détracteurs, ces scientifiques sont conscients de la nécessité de réformer le système national de recherche.

     Sans anticiper sur les propositions qui émergeront, à l'automne, de ces états généraux, il paraît utile d'énoncer quelques remarques qui devraient être prises en compte par la loi d'orientation et de programmation. Le texte devra faire apparaître la nécessaire distinction entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée qui relève, le plus souvent du secteur privé ; « la recherche fondamentale est un but en soi, qui doit être sans rapport avec l'économie marchande », elle ne peut être soumise à la constante pression économique et à la course aux résultats à court terme. En effet, comme le dit Axel Kahn, « le capitalisme moderne refuse les recherches qui n'ont pas de rentabilité prévisible à court terme », rentabilité seule susceptible de convaincre les actionnaires. Aussi, la recherche fondamentale, génératrice de nouvelles connaissances, ne peut être abandonnée à la logique du marché et l'État doit prendre l'initiative de grands programmes ciblés.

     À cet égard, il est intéressant d'entendre le témoignage de M. Beffa, P.D.G. de Saint-Gobain, selon lequel placer la recherche « au premier rang de nos priorités » est « le seul moyen de maintenir une dynamique industrielle et économique ». Cela impose de relancer, en premier lieu, l'effort de recherche publique et non de multiplier les incitations en direction des entreprises. En effet, l'investissement privé s'aligne surtout sur le court terme, alors que le financement de la recherche et de la technologie n'est générateur de richesse qu'à moyen ou long terme. Une fois n'est pas coutume, le gouvernement serait bien inspiré d'observer ce qui s'est passé outre-Atlantique : aux États-Unis, l'investissement privé dans les technologies nouvelles a suivi, et non précédé, un soutien public massif aux infrastructures et à la recherche fondamentale.

     Dans l'Hexagone, la logique de la rentabilité et du profit à court terme, qui prévaut dans le secteur privé, amène les entreprises à réduire leurs investissements à long terme. Les dépenses de recherche et développement de nombreuses sociétés françaises stagnent, voire diminuent compte tenu du rythme de l'inflation, même si certaines ont pris conscience de l'importance d'investir dans ce domaine pour garantir la pérennité de leur activité. Je pense par exemple, à l'entreprise agroalimentaire Roquette dans le Pas-de- Calais qui, forte d'un pôle de recherche de 400 personnes, a compris l'intérêt de s'engager massivement dans la recherche développement.

     Face au désengagement des entreprises, les pouvoirs publics, et en premier lieu, l'État, doivent réagir dans les meilleurs délais, en respectant l'engagement de consacrer 3 % du P.I.B. à l'effort de recherche d'ici 2010 et en impulsant une politique de grands programmes.

     De surcroît, l'effort de recherche doit être mené dans la perspective d'un aménagement du territoire harmonieux. Il conviendrait de mieux répartir le potentiel de recherche. La région Nord-Pas-de-Calais offre un exemple intéressant du déséquilibre existant puisqu'elle ne compte que 573 personnels rétribués par le C.N.R.S., dont 142 emplois précaires – soit 2 % de l'effectif total, alors que ses habitants représentent près de 7 % de la population nationale.

     La loi d'orientation et de programmation devra prendre en compte le rôle joué par l'enseignement supérieur dans notre système de recherche, dont les universités sont le véritable pilier : 80 % de la recherche y sont réalisés, soit avec leurs équipes propres, soit en collaboration avec les organismes de recherche. Les trois quarts des chercheurs sont des enseignants- chercheurs. Il n'y aura plus de chercheurs, demain, si les étudiants n'ont pas été bien formés ; il n'y en aura pas, non plus, si on les sépare des enseignants-chercheurs. Recherche et université sont indissociables ; ce sont les deux versants d'une même réalité ; la mission d'un chercheur est, certes, de chercher, mais aussi de transmettre.

     Or, un récent rapport du conseil d'analyse économique a montré que le financement des universités françaises était dramatiquement inférieur à celui qui est accordé dans les grands pays comparables. Le dégel des crédits 2002 et la création d'un millier de postes d'enseignants-chercheurs, sont à cet égard encourageants, même si cela doit être impérativement et rapidement suivi de mesures plus audacieuses. En outre, de nombreux scientifiques préconisent de renforcer les liens entre l'enseignement supérieur et la recherche, sous l'égide d'un seul ministère. (M. Valade approuve.)

     Cela étant, l'investissement en faveur de la recherche doit être réalisé au niveau européen d'autant que l'écart se creuse entre les États-Unis et l'Europe dans des domaines comme les biotechnologies, la génétique, l'informatique ou l'industrie des logiciels, activités moteurs de l'innovation et de la croissance mondiales. La menace d'une dépendance technologique de l'Europe est réelle.

     À titre indicatif, notre pays compte six chercheurs pour 1 000 habitants contre neuf au Japon. Si nous voulions atteindre ce niveau, il faudrait accroître les recrutements de 50 % ! La France, comme l'Union européenne, est loin du compte ! Pour être vraiment compétitifs, il nous faudrait créer 100 000 chercheurs d'ici dix ans.

     Sans vouloir jouer les Cassandre, j'affirme que, sauf investissements massifs dans la recherche, les pays européens ne parviendront pas à enrayer le phénomène actuel de contraction d'emplois. Aujourd'hui, notre pays, tout comme la plupart de nos voisins, subit d'autant plus durement les délocalisations que nous ne créons pas d'emplois à haute valeur ajoutée : la destruction des emplois peu qualifiés n'est pas compensée, engendrant une hausse sensible du taux de chômage dont les incidences sont de plus en plus dramatiques, à l'heure où le gouvernement remet en cause l'ensemble du système de protection sociale.

     Aussi, le gouvernement, tout comme le secteur privé et, dans la mesure des moyens qui sont mis à leur disposition, les collectivités territoriales doivent-ils investir massivement en faveur de la recherche et de l'innovation. Ce n'est qu'au prix d'une politique ambitieuse, audacieuse, menée dans le cadre d'une coopération avec nos partenaires européens, que la France retrouvera le rang qui fut longtemps le sien dans le domaine scientifique et maintiendra son indépendance technologique.

     Vouloir réaliser des économies dans le secteur de la recherche ne peut que coûter excessivement cher dans un avenir proche. Comme le dit encore Axel Kahn : « chacun sait qu'un peuple ne peut compter dans l'avenir si le pays ne consent pas des efforts suffisants pour interroger et bâtir le futur ».

     La priorité du gouvernement devrait porter sur la création de conditions favorables à la poursuite de l'édification d'une société de la connaissance, d'une République du savoir, soucieuse de n'exclure aucun de ses membres. Outre attribuer des moyens financiers et humains aux laboratoires et universités, l'État doit favoriser l'initiation de nos jeunes concitoyens aux sciences, pour susciter des vocations scientifiques. Aussi est-il essentiel de diffuser la culture scientifique, par tous les biais possibles, alors même que les filières scientifiques attirent de moins en moins de lycéens et d'étudiants.

     Enfin, l'État devrait défendre l'idée d'un enseignement d'un savoir commun à tous les citoyens d'un « grand récit unitaire des sciences » tel que le définit Michel Serres : « sans la science, la philosophie ne peut saisir le monde contemporain et l'anticiper. Mais sans la philosophie, la science est myope ». Ainsi, en investissant dans la recherche, en encourageant l'échange et l'enseignement des connaissances, la France doit redevenir le pays des Lumières ! (M. Lagauche approuve.)

     Il faut résolument investir dans la matière grise ! C'est une des questions les plus importantes à laquelle nous sommes confrontés. La politique, au meilleur sens du terme, doit permettre d'assumer son destin, non de le subir.

     Tout est lié : la science, la politique, la philosophie. Mes Chers Collègues, que j'aimerais avoir 18 ans ! (Sourires sur tous les bancs et applaudissements à gauche. M. Valade applaudit aussi.)

     M. LAFFITTE. – Depuis près de vingt ans dans cette enceinte, en tant que rapporteur de la commission des Affaires culturelles, je bataille avec conviction mais hélas aussi parfois dans le désert, pour la recherche et l'innovation. Nombre de mes collègues estiment en effet que ces questions sont affaire de spécialistes. J'en suis marri, car les problèmes techniques ne doivent pas rester l'apanage de quelques-uns : il s'agit d'un problème de société dont on a pas assez pris la mesure.

     Il y a cinquante ans, nul en France, ni à gauche ni à droite, ne s'insurgeait contre le progrès, bien au contraire… On respectait les compétences, les sciences et l'enseignement, l'excellence, et de grands projets ont été lancés sous la IVe République puis sous de Gaulle dont, près d'un demi-siècle plus tard, nous pouvons être fiers ! Ainsi en est-il de l'énergie nucléaire dans laquelle nous sommes considérés parmi les meilleurs, des transports terrestres à grande vitesse, de l'aviation mais aussi de notre industrie parapétrolière, deuxième mondiale alors que nous n'avons pas de pétrole en France ! Toutes ces industries très puissantes sont nées de projets scientifiques et techniques à long terme.

     L'innovation est indissociable de la recherche. Il suffit de regarder ce qui se passe chez nos amis d'outre-atlantique pour se rendre compte à quel point une politique d'innovation dans le civil et dans le militaire permet de redresser de façon extraordinairement rapide l'économie. On ne peut s'en remettre, pour mener une telle politique, aux financiers qui privilégient le court sur le long terme.

     Dans leur immense majorité, les politiques font montre d'une sorte de désaffection pour le progrès, les sciences et l'innovation. Et pourtant, nos concitoyens, si prompts à réclamer des avantages corporatistes, utilisent sans vergogne des innovations sans toujours chercher à les comprendre : ils s'intéressent aux dernières générations de portables, mais sont indifférents à la répartition des bandes de fréquences électromagnétiques, car ils jugent ce sujet bien trop technique. Pendant ce temps, la culture scientifique et technique régresse alors que son utilisation envahit nos vies. Nous sommes bien loin de l'attitude des Encyclopédistes des Lumières !

     À plusieurs reprises, la commission des Affaires culturelles s'est attelée à ce problème. Une mission d'information a été constituée, M. Trégouët en étant le rapporteur et moi-même le président. Nous avons été à l'origine de la cinquième chaîne qui certes n'est pas devenue la chaîne du savoir que nous espérions, mais reste une des meilleures chaînes généralistes du moment.

     Plus récemment, avec pour rapporteur M. Renar et Mme Blandin, nous avons travaillé sous ma présidence à un rapport sur la « culture scientifique et technique, une priorité nationale ». J'espère que vous prendrez en compte, monsieur le Ministre, avec vos collègues de l'éducation nationale et de la culture, les éléments de réflexion que nous vous soumettrons.

     Heureusement, la grogne et la révolte des chercheurs – M. Trégouët l'a dit – a réveillé notre société et attiré l'attention des politiques sur des problèmes de moyens mais aussi de statut. Avec M. Fillon, vous avez eu la grande sagesse d'accorder des moyens supplémentaires, mais il faut maintenant s'occuper de l'adaptation des structures que demandent ces chercheurs.

     Dans sa sagesse, le Sénat autorise les trois rapporteurs travaillant sur la recherche à préparer l'examen de la fameuse loi sur la recherche que vous êtes en train de rédiger.

     Un point est extrêmement important et urgent : la réforme de la gouvernance des universités. C'est ce qu'a suggéré la Conférence des Présidents des universités, à l'instar de ce qui s'est produit en Allemagne il y a un an : les présidents des universités peuvent désormais mener des politiques autonomes, sous le contrôle, bien sûr, de leur conseil d'administration. S'ils ne sont pas bons, on les change ! Compte tenu de la complexité du fondement des universités, tel ne peut être le cas en France.

     Comme le souhaite un certain nombre de prix Nobel, une structure possible pourrait être une agence de moyens qui favoriserait une meilleure collaboration entre les établissements publics de recherche et les établissements d'enseignement supérieur. D'autres solutions pourraient aussi être trouvées au niveau européen.

     Les responsables scientifiques s'inquiètent de constater que nous formons à grand frais des chercheurs, et parfois d'excellents chercheurs, et que les meilleurs sont aspirés par les conditions de travail qu'ils peuvent trouver en Amérique du Nord ! Ce problème se pose avec encore plus d'acuité en Italie où les meilleurs éléments, dès leur début de thèse, sont recrutés outre-Atlantique. Nous avons en France, mais aussi en Europe, des capacités phénoménales !

     Il faut soutenir les fondations, – je sais que cela fait partie de vos préoccupations, monsieur le Ministre –, elles sont, pour la droite comme pour la gauche, un bon moyen de pallier les difficultés des organismes de recherche, car elles peuvent mobiliser des moyens qui font défaut à la recherche privée comme publique.

     L'Europe doit également être dotée des moyens suffisants à ses grands projets. Un grand emprunt auprès de la banque européenne d'investissement (B.E.I.), voilà un signal fort qui encouragerait les cinq cent mille chercheurs européens travaillant aux États-Unis, à retraverser l'Atlantique. On estime que, par leur biais, l'Europe apporte cinq cents milliards de dollars aux États-Unis ! Ce financement pourrait s'inverser et ce signal fort pourrait aussi attirer des chercheurs du monde entier, d'Inde, de Corée, du Japon, par exemple, à choisir l'Europe plutôt que les États-Unis et éviter qu'ils aillent encore renforcer la suprématie américaine ! Monsieur le Ministre, je serai très heureux que vous vous fassiez le défenseur, dans les instances européennes, de ce grand emprunt pour la recherche. Le remboursement s'effectuerait par un petit prélèvement sur le supplément du P.I.B. apporté par la recherche. Des études détaillées ont été effectuées.

     Ce projet existe, des commissaires européens le soutiennent, et la B.E.I. a fait savoir qu'il suffirait d'une demande des chefs d'État pour nous sortir du déclin : les États-Unis dépensent chaque année de 40 à 50 milliards de dollars de plus que l'Europe, pour la recherche.

     Les financements européens nous apporteraient d'utiles compléments. (Applaudissements au centre et à droite. M. Rouvière applaudit aussi.)

     M. LAGAUCHE. – Je remercie M. Trégouët pour ce débat sur l'avenir de la recherche. Le mouvement solidaire des chercheurs a arraché, de haute lutte, des emplois pour la recherche. Comment seront-ils financés ? Selon quel calendrier ? Avec quelle répartition sectorielle ? Les 550 nouveaux emplois statutaires, représentent à peine le tiers de ce qui était projeté par le plan de programmation scientifique pluriannuel du gouvernement Jospin ! La recherche a besoin de stabilité, plutôt que d'une gestion par à-coups budgétaires.

     Les chercheurs veulent le débat, ils l'ont montré : ils sont préoccupés par le rôle de la recherche dans la société, plutôt que par leurs intérêts corporatistes : ils sont prêts à la réforme des structures.

     Mais cette réforme n'implique pas qu'il faille saborder nos grands organismes de recherche, au motif qu'ils constituent une exception française. Ils ont une bonne visibilité notamment grâce au club des organismes de recherche associés à Bruxelles et des chercheurs européens nous les envient. Il faut renforcer leurs liens avec l'université et préciser leurs missions sur le plan national comme européen.

     N'opposons pas les statuts d'enseignant-chercheur et de chercheur non enseignant, encourageons plutôt la mobilité et la souplesse qui ne sont pas incompatibles avec un statut. Diversifions les critères d'évaluation pour tenir compte de la diversité des activités de recherche.

     Le statut de permanent sécurise la prise de risque, mais il est de moins en moins toléré par les instances d'évaluation, qui demandent de la rentabilité à court terme.

     Oui à la souplesse, mais dans les statuts existants. Ne cassons pas notre système, écoutons les chercheurs, au lieu de croire que le modèle américain est transposable : notre conception de la recherche est moins utilitariste qu'outre- Atlantique.

     S'il faut inciter finalement les entreprises à soutenir la recherche appliquée, c'est à l'État qu'il revient d'investir pour la recherche fondamentale. L'avenir de notre recherche passe forcément par les universités qui sont depuis longtemps les parents pauvres de l'éducation nationale : encourageons les rapprochements entre les grandes écoles, les organismes de recherche et les universités. Voyez le projet Minatec où le commissariat à l'énergie atomique (C.E.A.), les collectivités locales et trois entreprises de semi-conducteurs ont investi 285 millions d'euros dans un contrat de recherche et développement pour les techniques nanoélectroniques. C'est par la coopération que nous pourrons affronter la compétition internationale !

     La préparation de la loi d'orientation et de programmation donne l'occasion de nous interroger sur le dogme de la rentabilité de la recherche. La recherche est un moteur de la croissance, mais elle est bien plus que cela, sauf à confondre la connaissance et les techniques, la science et l'industrie. Le long terme n'est pas l'addition de courts termes. Ne nous limitons pas à une conception utilitariste de la recherche qui ne correspond ni à nos traditions, ni aux exigences de la compétition mondiale.

     Oui à la réforme, non à la casse. Le fonctionnement du comité national de la recherche scientifique peut être amélioré. Les sciences humaines et sociales procurent du sens à nos sociétés, plutôt qu'elles participent à l'économie de marché. Les idées ne sont pas brevetables, les voies de l'innovation ne sont pas connues à l'avance !

     Pour atteindre les niveaux de financement américain ou allemand dans les sciences de la vie, il faudrait doubler nos crédits au C.N.R.S. : on voit les échelles ! M. Busquin, le commissaire européen à la recherche, est bien inspiré dans son projet d'un véritable statut pour les chercheurs européens. Mais il faut aussi que le programme-cadre de recherche et développement technologique (P.C.R.D.T.) accorde une plus grande place à la recherche fondamentale : le 6e P.C.R.D.T. accorde une trop grande part au développement industriel, alors même que les entreprises industrielles se délocalisent. Cependant, l'élaboration et la durée mêmes du P.C.R.D.T., laissent peut de chances à des recherches à long terme.

     Certes, les réseaux d'excellence tentent d'y remédier et des laboratoires comme le centre européen pour la recherche nucléaire (C.E.R.N.), font de la recherche fondamentale.

     Mais, depuis vingt ans, aucun organisme de recherche important n'a été créé. Pour soutenir de nouveaux projets de recherche fondamentale, à l'échelle européenne, il n'y a que l'European science foundation (E.S.F.), mais ses moyens sont limités.

     L'Union européenne doit donc prendre des initiatives fortes, d'abord en donnant suite au projet, lancé en 2001, d'un conseil européen de la recherche pour financer la recherche à long terme, promouvoir mais aussi évaluer la recherche fondamentale. Monsieur le Ministre, quel rôle pour la France dans l'espace scientifique communautaire ? Il faut éviter les duplications nationales inutiles.

     Que pensez-vous, monsieur le Ministre, de l'idée d'un emprunt auprès de la B.E.I., dont l'initiative revient à M. Laffitte et qui a été largement approuvée lors du colloque consacré, en septembre au Sénat, à un plan de relance de la croissance par l'innovation et la recherche et développement ? (Applaudissements sur les bancs socialistes.)

     M. Christian GAUDIN. – Ce débat intervient à un moment clef.

     La recherche vient en effet de traverser une crise, sérieuse, qui a marqué les esprits.

     Malgré la renommée du prix Nobel, Pierre-Gille de Gennes et du professeur Luc Montagnier, pour le public, le chercheur est encore un peu le savant, Pasteur ou Marie Curie. On imagine l'homme ou la femme dans un laboratoire poursuivant la concrétisation de ce qui fut d'abord une intuition géniale.

     Or, toute une profession décide d'exprimer son exaspération face à la rigueur budgétaire. Après plusieurs semaines, la crise qui a atteint son paroxysme avec le collectif « sauvons la recherche » et la démission d'un grand nombre de directeurs de laboratoire.

     Cette forte mobilisation, dont le premier objectif était d'obtenir des moyens, a eu le mérite d'attirer l'attention du pays entier sur la recherche, ses structures, son avenir, son coût et son rôle économique.

     Vous allez, monsieur le Ministre, devoir engager des réformes essentielles pour l'avenir de la recherche. Votre expérience est un gage de réussite. Toutefois, je tiens à affirmer que Mme Haigneré n'a pas démérité : sans crédits, la volonté politique est vite limitée et le gel de 2003 fut d'autant plus regrettable qu'il intervenait après des années de baisse ou de stagnation.

     Le professeur Baulieu rappelait, il y a quelques semaines dans un quotidien, que dans les années 60, la hauteur de vue du général de Gaulle, qui ne s'intéressait pourtant ni à la science ni à la technologie, favorisait une politique de recherche à dimension interministérielle sous l'autorité du Premier ministre. Cette « ambition pour la France » avait dynamiser l'industrie et l'agriculture de notre pays.

     Même en période de rigueur budgétaire, réduire les dépenses de fonctionnement peut se révéler une fausse bonne solution, lorsque ces mesures mettent en jeu la connaissance, et l'innovation qui sont au cœur de la croissance.

     Le retard de la France, et celui de l'Europe, sont indéniables. En France, les dépenses publiques et privées en recherche et développement représentaient, en 1990, 2,4 % du P.I.B. ; elles ne sont plus que de 2,2 % en 2002 – contre 4,3 en Suède, 3,1 au Japon et 2,8 aux États-Unis. Même retard en terme de moyens humains, puisque nous avons sept chercheurs pour mille actifs en France, contre dix au Japon et neuf aux États-Unis, loin derrière la Suède et la Finlande. En 2000 au sommet de Lisbonne, que les États européens ont fait de la recherche un objectif prioritaire.

     Le gouvernement, déterminé à poursuivre ce même objectif, entend porter notre effort national de 2 % à 3 % du P.I.B. d'ici 2010, soit un effort de 15 milliards d'euros en 6 ans. Le Premier ministre a fixé un objectif intermédiaire à 2,6 du P.I.B. pour 2006.

     Toutefois, notre faiblesse vient moins de la dépense publique que des financements privés. Le malaise a mis en évidence que l'attente qui va au-delà des crédits et des postes. Les défaillances qui pénalisent la recherche sont autant structurelles que conjoncturelles.

     De nombreux chercheurs se sont exprimés, des réflexions se sont amorcées. La recherche française s'organise autour de deux pôles : organismes prestigieux, comme le C.N.R.S., l'I.N.R.A., l'INSERM et les universités. Cette bipolarité pourrait être positive, si elle allait de pair avec davantage d'échanges. Or dans les universités, une partie des enseignants-chercheurs, principalement en sciences humaines ont délaissé la recherche au profit de l'enseignement. Au C.N.R.S., à l'I.N.R.A., les chercheurs qui souhaitent enseigner ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour trouver un poste. Aucune structure n'est prévue pour faciliter une mobilité pourtant indispensable.

     Il importe donc de mettre fin à cet émiettement de structures qui s'ignorent.

     Les directeurs de laboratoire, qui savent combien les étudiants sont le sang neuf indispensable, passent un temps considérable à s'attacher les meilleurs éléments : il faut trouver des projets pour s'attacher de jeunes stagiaires, qui, après trois ans, rencontrent de grandes difficultés pour obtenir un poste. Si une grande partie de nos jeunes thésards et de nos post-doctorants expatriés reviennent, c'est souvent après 10, 15 ans. Trop tard ! Un autre pays bénéficie de la formation acquise en France.

     Le fonctionnariat donne du temps, de la lisibilité aux projets et aux carrières, compense la faiblesse des rémunérations, mais limite les débouchés des plus jeunes générations et entraîne l'inertie. Le statut de fonctionnaire devrait permettre la mobilité entre organismes de recherche et universités, tant dans l'Hexagone qu'en Europe. Les contrats à durée déterminée, objet de discorde, auraient pourtant permis de recruter des étudiants ou des chercheurs étrangers. Les postes déjà pourvus demeurent, mais les autres sont suspendus dans l'attente des discussions sur la réforme pénalisant laboratoires et candidats.

     Autre sujet d'inquiétude : l'insuffisance des moyens consacrés à l'université, un des plus faibles taux des pays industrialisés. Seuls quelques pôles d'excellence émergent. Pourtant, au côté des grands organismes, la recherche universitaire présente trois intérêts majeurs.

     L'intervention du chercheur-enseignant permet aux étudiants de connaître les métiers de la recherche, et à l'enseignant d'intégrer dans son cours l'évolution de ses travaux.

     La présence d'activités de recherche dans les universités de province maillent le territoire, au plus près des étudiants, des populations et de l'économie locale. La recherche universitaire, composante de l'aménagement du territoire, permet d'organiser un réseau de pôles d'excellence issus de particularismes locaux, équilibrant les grands organismes.

     Elle ouvre enfin la voie de la rencontre avec le monde de l'entreprise, permet l'expression de l'initiative privée, rapproche les financements.

     Le rayonnement de la recherche vers son environnement économique ne se conçoit souvent qu'à partir de la recherche académique ou fondamentale, qui ouvrirait la voie à la recherche appliquée, en particulier dans le domaine des sciences de l'ingénieur, et au transfert technologique.

     Mais on oublie que nos pôles d'excellence universitaires, qui nous hissent souvent à l'échelle européenne se sont créés à partir de savoir- faire industriels locaux, qui ont permis de structurer une recherche fondamentale reconnue internationalement, rejaillissent sur l'environnement économique local, dopent l'innovation dans nos entreprises. Deux exemples d'activité de recherche dans ma région, entre les universités de Nantes et d'Angers, l'une sur les cellules souches embryonnaires par la production de protéines recombinantes à partir de l'œuf de poule, en vue d'applications thérapeutiques sur certains cancers et le sida, l'autre sur la physiologie végétale par la transgénèse en culture in vitro d'un méristème produisant aujourd'hui les plants de palmiers-dattiers du Golfe, sont internationalement reconnues dans le domaine des biotechnologies.

     Elles sont nées d'une relation réussie entre des aviculteurs versés en génétique ou des horticulteurs multiplicateurs-obtenteurs et des laboratoires locaux issus de l'enseignement supérieur proches de ces activités économiques.

     De telles relations, qui tissent notre réseau territorial des performances et nous apportent une visibilité européenne, doivent être encouragées. Les nouvelles technologies rapprochent ces réseaux, même modestes, d'autres pôles français ou européens, et les font reconnaître à l'international.

     Les pays qui investissent le plus dans la recherche s'appuient plus que nous sur le secteur privé. En 2002, le secteur privé américain a consacré 100 milliards d'euros de plus que le secteur privé européen.

     Les fondations jouent un rôle majeur. Le secteur des télécommunications s'y intéresse.

     La loi programme ne sera pas arrêté avant la fin de l'année. Cette réforme tant attendue est nécessaire. De nombreux pays, même émergents, comme la Chine et l'Inde, ont fait de la recherche une priorité absolue. Atteindre le fameux seuil des 3 % du P.I.B. permettrait à l'Europe de créer deux millions d'emplois supplémentaires dès la première année, 400 000 les années suivantes. Nos investissements imputeront sur l'emploi et sur la croissance. Le groupe de l'Union centriste se réjouit que la recherche soit exigée en « priorité nationale ». (Applaudissements à droite et au centre.)

     M. VALADE, président de la commission des Affaires culturelles. – Le débat, dont je me réjouis, intervient à la demande de la commission des Affaires culturelles, à la suite de la question formulée par M. Trégouët, dans une période où les projecteurs de l'actualité se sont braqués sur la recherche. Il doit nous permettre de contribuer à la définition de notre politique nationale de recherche.

     Les mesures d'apaisement, conjoncturelles, que vous avez eu le mérite de mettre en place, ne doivent pas masquer la nécessité d'une réforme de fond. La France ne pourra tenir son rang qu'en fondant son développement sur une politique de recherche ambitieuse et adaptée à notre époque. Il en va de notre croissance économique, du progrès social et culturel, du niveau et de la qualité de vie des générations futures, de la pérennisation des emplois et de l'indépendance de notre pays et de l'Europe.

     La crise des derniers mois a été un révélateur : elle a permis de poser les termes d'un débat qui n'implique pas seulement les chercheurs mais concerne l'ensemble de la société. Je souhaite, monsieur le Ministre, que la concertation en cours permette de « lever les tabous » et de ne laisser aucun sujet dans l'ombre, qu'il s'agisse de l'organisation de notre recherche, de ses moyens budgétaires et humains, de leurs modes d'affectation et d'évaluation.

     Au-delà de la question des moyens, se pose aussi celle des structures. Cessons d'opposer recherche publique et recherche privée, recherche fondamentale et recherche appliquée, grands instituts et universités : ils sont complémentaires. Le développement des partenariats public-privé, la synergie entre recherche fondamentale et recherche appliquée et l'absolue nécessité des transferts des découvertes et des technologies sont autant de pistes d'avenir.

     Outre la prise de conscience collective des points forts, des faiblesses et des dysfonctionnements de notre système de recherche, plusieurs facteurs doivent faciliter la réforme. Ainsi, notre engagement européen de faire passer notre effort de recherche de 2,3 % à 3 % du P.I.B. en 2010 nous conduira nécessairement à engager davantage de moyens et à les inscrire dans la durée.

     L'ampleur des départs à la retraite des chercheurs et enseignants-chercheurs dans les dix ans à venir constitue un défi démographique redoutable, mais aussi une opportunité de carrière pour les jeunes.

     Je tiens à rappeler que les propositions de la récente mission d'information de notre commission des Affaires culturelles sur la diffusion de la culture scientifique tendent à favoriser l'enseignement des sciences et une plus grande ouverture sur la recherche.

     La place de l'enseignement supérieur dans l'effort de recherche est stratégique. Malgré des progrès sensibles, notre recherche publique souffre de son morcellement entre les laboratoires des universités, des grandes écoles et des grands organismes scientifiques et technologiques. Une coordination accrue en vue d'établir des pôles d'excellence est indispensable. Si des passerelles existent, elles sont insuffisantes.

     Par ailleurs, transmission des connaissances et recherche se nourrissent mutuellement. Or trop de chercheurs sont éloignés de l'enseignement de haut niveau, qui seul permet de transmettre aux étudiants des connaissances actualisées et de susciter de nouvelles vocations scientifiques. À l'inverse, les enseignants-chercheurs doivent être mieux intégrés aux actions de recherche.

     Une plus grande osmose doit être organisée entre enseignants- chercheurs et chercheurs, qui doivent participer à l'amélioration des enseignements. Une évolution des statuts doit permettre une flexibilité accrue entre fonctions éducatives et activités de recherche. Je souhaite qu'une solution soit apportée dans le projet de loi que le gouvernement nous soumettra à la fin de l'année.

     Le statut des chercheurs a joué un rôle majeur dans la récente crise. En 1984, les chercheurs, qui étaient contractuels de la fonction publique, sont devenus fonctionnaires titulaires. Ce statut, quasiment unique au monde, s'accompagne de salaires peu attractifs – en particulier pour les jeunes – et freine la mobilité. Nos partenaires et concurrents étrangers ne titularisent leurs chercheurs qu'après un long parcours probatoire et une rigoureuse évaluation.

     Il ne faut donc pas exclure le recours à des chercheurs contractuels, mieux rémunérés qu'aujourd'hui, si l'on veut contenir la fuite des cerveaux et encourager le retour en France des chercheurs expatriés.

     Parallèlement, il convient de réfléchir aux moyens d'améliorer la situation des jeunes thésards et des post- doctorants, ainsi qu'à l'attractivité des carrières scientifiques.

     Notre système souffre de rigidités. Nous devrons améliorer sa souplesse et son efficacité. La recherche, fondamentale en particulier, doit s'inscrire dans la durée, mais son organisation doit aussi permettre la réactivité. Il faut pouvoir mobiliser des moyens et constituer rapidement une équipe pour travailler quelques années sur un sujet d'importance pour la société. Il faut pouvoir aussi changer d'orientation lorsqu'une piste s'avère décevante. Or, le système français favorise le recrutement de chercheurs assurés de pouvoir persévérer dans des domaines sans issue.

     Lors des auditions récemment menées par la commission des Affaires culturelles, des chercheurs ont évoqué le manque de matériel, des directeurs de laboratoires publics nous ont indiqué qu'ils préféreraient disposer de moyens qu'ils affecteraient au personnel, à l'entretien des laboratoires ou à l'acquisition de matériel. Ce type d'arbitrage est impossible aujourd'hui. Or, la responsabilisation des chefs des laboratoires est souhaitable et souhaitée.

     Cette question est liée à l'évaluation, insuffisante dans notre pays, dans l'enseignement supérieur comme dans les organismes de recherche. Est-il normal que l'évaluation des travaux de recherche des équipes du C.N.R.S. soit largement liée à celle des personnes et repose sur des comités élus ? Il ne faut pas confondre défense légitime des intérêts professionnels et fixation des objectifs ou évaluation de la recherche. Celle-ci devrait être réalisée par leurs pairs, éventuellement étrangers, pas tous issus du même établissement. À cet égard, il faut se réjouir des perspectives d'évolution récemment tracées par la direction du C.N.R.S.

     Les équipes dont les travaux auront été évalués positivement pourraient être mieux soutenues financièrement.

     Le budget de l'État est nécessairement sollicité pour financer la recherche publique, fondamentale en particulier, mais aussi pour encourager la recherche privée. Il est normal que les Français soient assurés que ces ressources sont utilisées avec pertinence. De même, les citoyens doivent être sensibilisés et informés, d'autant plus qu'ils s'interrogent sur la place de la science dans un certain nombre de domaines comme la santé, la sécurité alimentaire ou l'environnement.

     La réforme que vous allez proposer doit affirmer la place stratégique de l'enseignement supérieur dans l'effort de recherche. L'inscription d'un programme « enseignement supérieur-recherche » dans la maquette de la loi organique relative aux lois de finances devrait garantir la cohérence de notre politique.

     Ces nouveaux modèles doivent s'accompagner d'une autonomie accrue des universités. Le futur projet de loi d'orientation et de programmation doit être l'occasion de moderniser dans ce sens, le fonctionnement des universités et d'encourager le développement de pôles régionaux d'excellence, visibles à l'échelle internationale.

     M. Fillon, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, a tenu la semaine dernière devant la conférence des présidents d'université des propos satisfaisants qui plaçait l'université au cœur des enjeux économiques et sociaux et soulignaient le défi à relever de l'excellence internationale. D'aucuns évoquent le concept de « campus de recherche » : il faut cependant trouver un moyen terme entre élitisme et dispersion.

     Cependant, le malaise des chercheurs ne se réduit pas aux moyens, même si les parlementaires que nous sommes constatent l'effort que le gouvernement vient de fournir avec le rétablissement de 550 postes statutaires, la création de 1 000 postes dans les universités et l'annonce de crédits supplémentaires. La situation, redevenue plus calme est donc propice à la réflexion.

     La sanctuarisation de votre budget cette année, devrait nous faire oublier la sévérité des gels de crédits en 2002 et 2003.

     Cependant, à côté des subventions budgétaires, le développement ces dernières années du fonds national de la science et du fonds de la recherche et de la technologie permet à la France de s'inscrire dans la logique de financement par projets, largement adoptée à l'étranger. Introduisant un élément de concurrence dans l'attribution des moyens, cette diversification des sources de financement peut soutenir le dynamisme des équipes.

     Si l'État doit renforcer son effort, il en va de même pour les entreprises. La réforme du crédit d'impôt-recherche introduite dans la loi de finances pour 2004 est une heureuse initiative.

     On peut citer de nombreux exemples de transferts réussis. L'Institut national de recherche en informatique et en automatique a signé 800 contrats de recherche avec l'industrie et permis la création d'une soixantaine de sociétés.

     M. LAFFITTE. – Très juste !

     M. VALADE, président de la commission. – À Bordeaux, Grenoble et Tours universités et entreprises, au sein de laboratoires et de centres mixtes, travaillent en symbiose sous l'égide de l'université ou du C.N.R.S.

     À Troyes, l'université de technologie a institutionnalisé le concept de transfert de la recherche aux entreprises.

     D'autres sources de financement peuvent être encouragées. Des collectivités territoriales contribuent à cet effort, car l'aide à la recherche peut s'avérer plus efficace que les aides directes à l'emploi.

     Enfin M. le Premier ministre a évoqué de nouvelles mesures (comme les contrats d'assurance-vie) « afin de mieux orienter l'épargne vers le financement de la recherche ». La création de fondations, ainsi que le mécénat d'entreprise, peuvent être également davantage encouragés. Le Sénat l'a récemment recommandé.

     Mais la réflexion sur le financement de la recherche ne peut ignorer les crédits de l'enseignement supérieur. Peut-on atteindre l'excellence, alors que la dépense intérieure d'enseignement de la France par étudiant est 1,4 fois plus faible que la moyenne de celles des pays de l'O.C.D.E. et 2,4 fois inférieure à celle des États-Unis ?

     Enfin, on peut s'interroger sur l'efficacité de ces moyens, vu la désaffection des étudiants envers les disciplines scientifiques et le taux élevé d'échec en premier cycle universitaire. Seulement 46,2 % des étudiants passent en deuxième année d'inscription à l'université, seuls 56,8 % réussissent leur premier cycle universitaire.

     Le malaise que j'évoquais tient aussi au découragement des chercheurs face aux lourdeurs administratives, au morcellement des financements et à l'absence de considération de la communauté nationale.

     C'est dire combien la concertation – après la crise que la recherche publique a connu – devient urgente. Elle doit associer tous les partenaires concernés : chercheurs, membres de l'enseignement supérieur, acteurs de l'économie, responsables publics nationaux et territoriaux. Les comités collectifs et groupes vont formuler des propositions qu'il faudra rendre cohérentes afin de traduire la volonté de la communauté nationale.

     Les travaux récents de notre commission, le rapport de M. Christian Blanc sur les pôles de compétitivité, du groupe de la réflexion mis en place par nos commissions et notre débat de ce jour, constituent des contributions essentielles et complémentaires.

     Le Sénat suivra, bien sûr, avec attention l'évolution de cette réflexion, à laquelle il souhaite participer. Nous attendons vos propositions avec intérêt et sympathie. (Applaudissements à droite et au centre.)

     M. REVOL. – Les activités de recherche sont au cœur de nos sociétés, car, principal facteur de progrès, la recherche est incontestablement une des activités les plus nobles.

     Pourtant – la démission des directeurs de laboratoire est venue nous le rappeler – la recherche française est en crise.

     Il s'agit tout d'abord, d'une crise d'identité : la place du chercheur dans la société française a toujours été éminente au cours des siècles passés, dans la lignée de Louis Pasteur ou de Marie Curie, mais aujourd'hui les chercheurs se sentent dévalorisés.

     À cela s'ajoute une crise de reconnaissance. Le nombre des publications, des brevets déposés, des distinctions honorifiques obtenues, nous rappelle régulièrement la chute de l'influence française en matière scientifique.

     Or, la crise financière alimente le mouvement de fuite des cerveaux, vers des pays où le nombre de postes offerts est largement supérieur, comme les moyens mis à disposition.

     Les chercheurs français en effet acceptent de moins en moins une certaine médiocrité de leurs conditions de travail. Ils estiment ne plus disposer des outils nécessaires pour participer à armes égales à la concurrence sur un marché international.

     Cependant, dans un certain sens, cette crise est salutaire. Elle a le mérite de replacer la recherche au centre du débat public. Elle est aussi une occasion unique d'analyser l'ensemble des faiblesses – et des forces – de notre système et de définir collectivement comment donner un nouvel élan à la recherche française.

     Les structures de recherche publique doivent aujourd'hui impérativement évoluer. Mettons à profit le projet de loi d'orientation de la recherche pour repenser leurs compétences, leur nombre et leur organisation territoriale.

     À mon sens, les structures de recherche – grands organismes comme laboratoires – sont trop dispersées. Elles se superposent, souvent sans coordination. Comment dès lors définir et mettre en œuvre une politique scientifique nationale ? Le rapprochement entre certaines équipes travaillant sur des sujets connexes et le regroupement, voire la fusion de certains départements de grands organismes de recherche, donneraient plus de dynamisme à notre recherche publique, favoriseraient certaines synergies.

     Dans une contribution rendue publique au cours du mois de mars, quatre grands chercheurs, membres de l'Académie des sciences, au nombre desquels M. Kourilsky, directeur de l'Institut Pasteur, faisaient des propositions visant à transformer profondément l'organisation du système de recherche publique.

     L'une des propositions les plus remarquables concernait la structuration même de la recherche sur le territoire français. Ainsi, les auteurs envisageraient qu'à terme, le système de recherche publique puisse se développer autour de campus de recherche, sur le modèle américain.

     Dotés d'une forte autonomie, ils disposeraient de moyens financiers et humains délégués par l'université, les organismes de recherche ou toute autre instance de recherche nationale ou régionale. Ils se constitueraient sur une base régionale, en prenant appui sur les universités et les laboratoires. Ce qui nous renvoie évidemment à la question de l'autonomie des universités.

     Ces campus, véritables pôles régionaux d'excellence thématique, pourraient de surcroît attirer des entreprises directement intéressées par une activité de valorisation des résultats de la recherche. Un tel système faciliterait au surplus le passage des chercheurs de la sphère publique vers la sphère privée.

     La deuxième proposition concerne les grands organismes de recherche, recomposés en agences de moyens allouant des ressources en fonction de projets élaborés par les campus.

     Bien entendu, une telle organisation n'aurait pas vocation à se mettre immédiatement en place. Des expériences pourraient ainsi être menées, autour de pôles d'excellence déjà reconnus. Si un tel schéma ne pourrait être étendu qu'après un bilan du fonctionnement de tels campus.

     La question du statut des chercheurs doit être également abordée lors de l'examen du projet de loi d'orientation. Nous devons en effet avoir une réflexion lucide sur les atouts et les inconvénients du statut de chercheur en France. Dans un rapport sur la fuite des cerveaux publié fin novembre, la Commission européenne dénonçait la France comme incapable d'attirer des profils de haut niveau et encombrée de lourdeurs administratives. Démotivés par le faible nombre de postes offerts et par certaines rigidités de fonctionnement, près de 4 150 chercheurs français se sont installés aux États-Unis en 2001.

     Créer des postes de chercheurs sans procéder aux réformes qui s'imposent en matière de rémunération et de structures, ce serait adopter une solution de court terme ; nous n'aurions aucune garantie de recruter ainsi les scientifiques les plus talentueux. La décision prise par le gouvernement était nécessaire pour sortir de l'impasse et l'on ne peut que s'en féliciter. Toutefois, ces problèmes se poseront à nouveau dans l'avenir, dans les mêmes termes, s'il n'est procédé à aucune transformation en profondeur.

     Comme le soulignent les auteurs du rapport que je citais précédemment, le système de l'emploi scientifique en France est devenu caduc. L'insuffisance des salaires, la lourdeur des procédures de recrutement, l'excessive rigidité des circuits administratifs bloquent la promotion rapide des meilleurs éléments.

     Faisons enfin prévaloir la reconnaissance de l'excellence ! Cette reconnaissance passe tout d'abord par une nette revalorisation des salaires, mais aussi donne a lieu à de longs débats – par l'augmentation de la part du salaire liée au mérite. Enfin, il est nécessaire d'introduire une part de rémunération variable liée à l'exercice de certaines fonctions, de responsabilité notamment.

     La réforme du statut des chercheurs ne signifie pas la transformation de tous les emplois scientifiques en contrats à durée déterminée. Selon moi, un emploi scientifique stable doit pouvoir être donné au chercheur qui a fait la preuve de ses mérites… mais il ne doit pas être offert trop tôt dans la carrière. Seule la richesse et la diversité des parcours permettra de renforcer notre recherche publique. De ce fait, l'instauration de contrats à durée déterminée, sans qu'ils aient vocation à se substituer aux contrats à durée indéterminée, pour des périodes allant de trois à cinq ans, me paraît le meilleur moyen d'instiller de la souplesse dans un système par trop rigide. Le passage par de tels contrats pourrait être un bon moyen de sélection, permettant de repérer les plus talentueux, qui ont vocation à obtenir un poste pérenne. Enfin, les conditions d'évaluation scientifique des travaux doivent être réexaminées. Une grande liberté dans les conditions de travail doit avoir comme contrepartie une évaluation rigoureuse.

     Sachons saisir l'occasion du projet de loi d'orientation pour donner une nouvelle impulsion à ce secteur fondamental pour notre économie.

     M. Trégouët, M. Laffitte et moi-même avons lancé un forum sur internet : cinq cents chercheurs de base s'y sont exprimés. J'espère que vous associerez la représentation nationale à l'élaboration du texte législatif.

     La France dispose d'un potentiel de recherche important. Il est urgent d'apporter des solutions aux questions qui nous sont posées. Il y va du prestige scientifique de la France, de sa compétitivité économique et de sa place dans l'Europe.

     M. ÉMORINE, au nom de la commission des Affaires économiques. – J'évoquerai ici, monsieur le Ministre, quelques pistes de réflexion qui tiennent particulièrement à cœur à la commission des Affaires économiques que j'ai l'honneur de représenter.

     La profondeur du malaise révélé à l'occasion de la démission des directeurs de laboratoires de recherche publique appelait des décisions fortes. Le gouvernement a pris pleinement la mesure de la situation et a déjà fait la preuve de sa volonté d'apporter des réponses.

     Je pense à la création de postes de chercheurs supplémentaires, à l'absence de « gel » pour les crédits budgétaires et, surtout, au lancement d'une concertation qui devrait aboutir à l'élaboration de la loi d'orientation et de programmation.

     Toutefois, la plupart des décisions et des réformes engageant la recherche française reste à venir.

     L'efficacité de la recherche nationale étant décisive pour l'avenir de notre économie, la commission des Affaires économiques souhaite jouer tout son rôle dans la préparation de ces réformes.

     La ministre qui vous a précédé dans ces fonctions a engagé la démarche et, à l'initiative de M. Gérard Larcher, un groupe de réflexion commun aux trois commissions du Sénat qui suivent le secteur de la recherche a été instauré. Piloté par MM. Revol, Laffitte et Trégouët, il devrait vous proposer, monsieur le Ministre, avant fin juin, une dizaine de pistes à explorer pour élaborer le projet de loi.

     La créativité économique, donc le dynamisme de l'emploi, dépendent directement de notre capacité d'innovation et de recherche.

     À trop considérer que cette vérité est un truisme, on a tendance à l'occulter. Mais voyez les premières conclusions du groupe de travail sur la délocalisation des industries de main- d'œuvre, animé par MM. Christian Gaudin et Grignon : face à la concurrence exercée par les pays à bas coût de main- d'œuvre, la capacité de notre économie à créer des emplois dépendra de plus en plus des secteurs à haute valeur ajoutée, dont le développement dépend de la recherche fondamentale.

     La perte, inéluctable, d'emplois industriels place l'efficacité de notre appareil de recherche au rang de priorité nationale.

     Il nous faut ainsi renouer avec la grande tradition de l'inventivité française, à la source de nos succès industriels dans les domaines de l'aéronautique et du nucléaire, mais aussi de la pharmacie et de la santé publique. Et c'est bien au métissage entre recherche et développement économique que la loi d'orientation devra s'attacher.

     Il convient, bien sûr, dans un premier temps de sécuriser les moyens financiers de la recherche. Nous avons, au cours de la dernière session extraordinaire, voté une loi de programmation relative à la rénovation urbaine qui a permis de mobiliser de considérables financements pour les quartiers en difficulté. Il est impératif de faire de même pour la recherche.

     En second lieu, il convient de se pencher sur la question des financements privés de la recherche. Selon les objectifs européens, les entreprises françaises devraient consacrer, d'ici 2020, environ 2 % du P.I.B. aux dépenses de recherche et développement. Cela suppose, bien entendu, des dispositions fiscales mais aussi une sensibilisation accrue des entrepreneurs français à l'intérêt d'investissements plus massifs dans la recherche. L'État doit favoriser cette prise de conscience.

     Parallèlement, la loi d'orientation pourrait se nourrir des exemples étrangers qui ont fait la preuve de leur efficacité. Elle constitue une occasion à ne pas manquer pour analyser l'organisation de notre système de recherche : je pense ici au statut des chercheurs et aux structures de recherche publique.

     Le statut des chercheurs doit faire l'objet d'une réflexion sans a priori ni arrière-pensée. Réformer ce statut ne revient pas à remettre en cause la garantie de l'emploi dont ils bénéficient, parce que la précarisation d'une profession n'a jamais, loin de là, renforcé la motivation et l'efficacité. Toutefois, il importe de se poser quelques questions et d'examiner de plus près la situation dans d'autres pays.

     La commission des Affaires économiques a lancé une réflexion sur le statut des chercheurs : il ressort des premières conclusions de ces travaux que le système français est unique en ce qu'il accorde, dès le départ, et sans avoir pu juger de la valeur des chercheurs recrutés, un emploi à vie. Or, dans les pays où la recherche est la plus dynamique, – aux États-Unis par exemple – la pérennité de l'emploi n'est acquise qu'après que les chercheurs ont fait la preuve de leur excellence. Ainsi seuls les professeurs les plus qualifiés bénéficient d'un contrat à durée indéterminée. La grande majorité des chercheurs dispose de contrats à durée déterminée, entre trois et cinq ans, ce qui permet, à l'issue de ces périodes, des mobilités, vers le secteur privé par exemple.

     Les exemples étrangers dont les systèmes de recherche sont bien plus souples et bien plus réactifs que le nôtre, ne peuvent que nous inciter à réfléchir sérieusement à l'organisation du C.N.R.S., à sa politique d'emploi notamment, et, surtout, sur les moyens de renforcer son dynamisme.

     Évidemment, une plus grande souplesse dans les statuts doit avoir comme contrepartie une rémunération bien supérieure à celle dont disposent les chercheurs publics français actuellement et dont l'insuffisance nourrit un exode massif de jeunes chercheurs talentueux vers d'autres pays, les États-Unis et le Canada par exemple, nous privant ainsi d'une de nos principales richesses, l'intelligence.

     Il est encore possible d'endiguer cette hémorragie, mais cela ne pourra se faire qu'en donnant des perspectives à nos jeunes chercheurs, en multipliant leurs perspectives de carrière, dans le public ou dans le privé, en leur donnant les moyens d'exercer leurs talents dans de bonnes conditions.

     Intimement liée au statut des chercheurs, la question de l'évaluation scientifique de leurs travaux doit être réexaminée. On ne peut que s'étonner de la faible incitation à la découverte qui existe dans le secteur public de la recherche. La rigidité dans la progression des carrières, l'inexistence de tout lien entre la performance des chercheurs et leur rémunération, constituent un frein à l'émulation. Cela ne peut que décourager les chercheurs qui ne peuvent penser leur carrière de manière dynamique. De nombreuses propositions existent à ce sujet et je reste persuadé qu'il conviendra de revoir en profondeur le système actuel.

     Les structures de recherche sont aujourd'hui trop dispersées. Comment rivaliser avec nos principaux concurrents, les États-Unis par exemple, quand ces derniers sont capables de mobiliser des moyens financiers sans commune mesure avec les nôtres ? Ainsi, l'Institut américain de recherche biomédicale dispose d'un budget cinquante fois supérieur à celui de l'INSERM ! Si nous ne prenons pas les mesures qui s'imposent, nous ne pourront que continuer à déplorer le fameux retard français dans le domaine des biotechnologies ! Notre recherche biomédicale s'articule aujourd'hui autour de quatre grands organismes. Je suis convaincu de l'intérêt qu'il y aurait à créer un grand Institut national de la santé qui regrouperait les équipes en place. Une telle entité, qui aurait vocation à se substituer et non à s'ajouter aux structures existantes, pourrait fédérer les moyens humains et financiers nécessaires et atteindre la taille critique.

     Voilà, monsieur le Ministre, les premières réflexions de la commission des Affaires économiques. Nous demeurons persuadés que la France dispose d'un potentiel unique, de par la tradition d'excellence de sa recherche publique. Il serait dommage de ne pas en tirer parti. Nous disposons des moyens d'être les leaders dans un grand nombre de secteurs économiques déterminants pour la croissance. C'est pourquoi le temps de l'action est maintenant venu. (Applaudissements à droite.)

     M. D'AUBERT, ministre délégué à la recherche. – C'est pour moi un grand honneur de participer à ce débat suscité par la question, passionnante, de M. Trégouët, dans des circonstances un peu particulières, celles d'un malaise qui traduit une certaine défiance à l'égard de l'action publique, et d'une formidable compétition internationale.

     Certes, la recherche a toujours été internationale, elle a toujours donné lieu à échanges intellectuels, mais elle est aujourd'hui, elle aussi, engagée dans une sorte de mondialisation qui exacerbe un climat de compétition, bien au-delà de la saine émulation. Le défi n'est pas facile à relever tant la situation est différente dans un laboratoire californien ou au C.N.R.S. Le malaise de nos chercheurs s'explique en partie par une comparaison permanente avec d'autres pays qui consacrent davantage de moyens à la recherche, et où les structures sont moins complexes. Nous avons de grandes institutions qui sont excellentes mais que les chercheurs eux- mêmes jugent excessivement lourdes. Nombre d'entre eux dénoncent un fonctionnement quotidien et des relations avec leur administration centrale difficiles. Combien de directeurs de laboratoire passent la moitié de leur temps en paperasserie, entre procédures administratives et appels d'offres interminables pour obtenir – ou non – 10 ou 15 000 euros ?

     Pour le monde de la recherche, le mot « réforme » n'est pas tabou. Les chercheurs comparent avec ce qui se fait ailleurs en Europe, aux États- Unis, au Japon. Nul ne croit en un modèle unique qu'il suffirait de transposer ici parce qu'il donne satisfaction à San Francisco. Nous devons élaborer un nouveau modèle national de recherche mais en liaison avec les Français. Car il existe un problème psychologique entre les chercheurs et les Français. Ceux-ci croient, certes, au progrès scientifique mais avec davantage de doutes qu'il y a vingt ans ; ils maintiennent une formidable espérance dans les domaines qui touchent le plus l'individu : la santé, l'environnement ou les technologies nouvelles.

     La France étant un grand pays, elle doit en avoir les attributs et à cet égard la recherche lui permet d'exister et de se maintenir dans le concert des grandes nations.

     Pour ce faire, nous devons mettre en place une sorte de contrat de confiance entre la communauté scientifique et nos concitoyens qui attendent beaucoup de la science. Un effort financier, mais aussi moral, est indispensable pour soutenir la recherche qui n'est pas un secteur comme les autres. Il faut commencer par changer de vocabulaire : je n'aime pas entendre parler de dépenses de recherche. Il faut parler d'investissements ! Il s'agit en effet de la pierre angulaire pour l'avenir de notre pays.

     Depuis quelques années, notre effort en matière de recherche tourne autour de 2 % du P.I.B. mais il faut bien voir les limites de ce type de calcul. Ainsi, en Finlande où le système de recherche est, par ailleurs, excellent, un tiers de la recherche est dû à l'État, un tiers à une grande entreprise de communication et le dernier tiers seulement relève des autres firmes.

     Nous disposons d'atouts indéniables : avec un socle d'une exceptionnelle qualité. Nos équipes de chercheurs institutionnels sont parmi les meilleures du monde, ce qui constitue une formidable chance pour l'avenir de notre pays. La recherche est en effet le moteur de l'emploi puisque selon Robert-M. Solow, elle est à l'origine de la moitié ou des trois- quarts de la croissance. La capacité de l'économie à créer des emplois dépend des secteurs à forte valeur ajoutée et l'on voit bien qu'avec la mondialisation, les entreprises à faible valeur ajoutée se délocalisent.

     Si nous voulons une France et une Europe solides, nous devons développer les productions intellectuelles, scientifiques et technologiques. Encore faut-il se donner les moyens de retenir l'existant et d'attirer ceux qui seraient tentés d'aller ailleurs ! Il ne faudrait pas qu'à l'avenir nos laboratoires s'installent ailleurs, d'autant que le mouvement est déjà amorcé ! Cette « délaboratoirisation » serait catastrophique ! (On le confirme au centre et à droite.) Les grands groupes industriels sont particulièrement mobiles, ils bougent, regardent les prix, y compris en Chine. La tendance est d'acheter sur étagère : telle molécule en Australie, telle capacité de criblage en Inde, telle recherche de laboratoire à Shanghaï ! C'est tout l'enjeu de la mondialisation ! Notre pays doit mener une politique dynamique en faveur de l'innovation. (M. Laffitte approuve.)

     Il est donc temps d'agir et la rapidité des évolutions en cours demande des réponses énergiques. Donc, dans ce domaine, je ne crains pas d'être taxé d'interventionniste ! Je laisse de côté les grands choix scientifiques, car la légitimité politique est modeste en ce domaine… Mais nous donnerons des signaux forts à la recherche et à l'innovation.

     D'ailleurs, c'est déjà le cas depuis quelques semaines. Le premier a été la rectification opérée par le retour des 200 emplois de chercheurs et des 350 emplois d'ingénieurs et de techniciens qui figureront dans la loi de finances rectificative pour 2004. On en reviendra donc, dans les établissements publics de recherche, à un niveau de recrutement comparable à celui des cinq années précédentes.

     Mais il faut bien être conscient aussi que, depuis le 1er janvier, un certain nombre de postes contractuels ont été créés : des chercheurs et des ingénieurs ont été embauchés sous contrats par nos grands organismes. Il convient donc de les ajouter aux 550 emplois statutaires inscrits sur les listes complémentaires des concours lancés pour 2004.`

     Pour autant, la politique des contrats a-t-elle été abandonnée ? Non, mais il faut lui donner un autre sens. Les contrats proposés avaient pour défaut un profil pas assez attrayant. C'est pourquoi la prochaine loi d'orientation et de programmation devra proposer aux chercheurs un « package » avec un salaire initial qui se compare à celui des meilleurs laboratoires étrangers. Il faut en effet avoir toujours en tête cette notion d'excellence – laquelle doit bien entendu faire l'objet d'évaluation : à côté des pairs, il y a les critères internationaux.

     Dans ce « package », il faut également proposer des perspectives de carrière intéressantes car, dans le système actuel, on avance lentement… N'oublions pas non plus de leur proposer régulièrement des passerelles pour qu'ils puissent, s'ils le souhaitent, se consacrer à l'enseignement ou à des tâches plus administratives.

     De plus, les laboratoires doivent être assurés d'une véritable sécurité budgétaire dans le temps. Bien sûr, l'évaluation régulière est indispensable, mais les gels intempestifs des budgets ne sont plus supportables. Lorsque 10 % des crédits sont supprimés, cela signifie que, les dépenses de personnel étant incompressibles, les montants de projets de recherche sont amputés de 20 à 30 % ! Nous devrons donc trouver un système qui sécurise la vie des laboratoires et leur permette de se consacrer vraiment à leur métier, la recherche.

     Mille postes sont ouverts pour janvier 2005 à l'université : 150 postes A.T.E.R., 150 postes A.T.O.S. et 700 postes de professeurs et de maîtres de conférence. C'est un signal d'autant plus fort que le budget de la recherche échappera aux rigueurs de Bercy. La cohérence doit être partout privilégiée, à l'exemple de la mobilisation dans le cadre du plan cancer.

     Ces décisions sur l'emploi ouvrent la voie à un débat plus large, qui ne doit comporter aucun tabou. Les très nombreuses propositions qui viennent de l'université comme du privé, témoignent de la mobilisation pour le changement. Je pense à celles du nouvel essor pour la recherche française, le N.E.R.F., en particulier à l'idée de campus de recherche : il faut l'expérimenter, avec pragmatisme et en respectant la spécificité des disciplines des organismes, car aucun uniforme ne saurait convenir à tous ! Quoi de commun entre l'INRIA et l'INSERM ?

     Le débat est lancé, il prépare les états généraux de la recherche, le comité national d'initiative et de proposition pour la recherche scientifique est constitué. Le Parlement aura plus que son mot à dire : ses initiatives sont bienvenues et je remercie vos trois commissions qui se sont déjà engagées dans ce travail, à travers leurs présidents, MM. Émorine, Valade et Arthuis.

     Le débat parlementaire est politique, bien sûr, mais il est aussi technique et il se nourrit de votre compétence, car vous êtes nombreux à bien connaître des expériences de terrain, que ce soit dans le Rhône, dans les Alpes- Maritimes ou dans le Maine-et-Loire… Quand le Parlement s'exprime, ce sont les expériences locales qu'on entend !

     M. LAFFITTE. – Absolument !

     M. D'AUBERT, ministre délégué. – Il faut aussi simplifier les procédures de financements, aujourd'hui trop fractionnés. Est-ce raisonnable que les laboratoires, dépendent des crédits de dizaines d'appel d'offre ? Ne faudrait-il pas dans le cadre d'enveloppes globales, leur permettre de décider des programmes ? Nous avons besoin d'un Conseil national pour redéfinir les priorités de la recherche, et les communiquer aux Français. Les nanotechnologies, par exemple, qui, au-delà des spécialistes, en connaît les enjeux pourtant essentiels ? J'ajoute que nous devons rattraper un certain retard sur les sciences de la vie.

     Quel doit être l'effort de la nation pour la recherche ? Nous y consacrons 2,2 % du P.I.B., l'ambition européenne est de passer à 3 %. C'est le bon sens, mais il faut veiller à la recherche fondamentale : nous y consacrons le quart du budget de la recherche, les États-Unis le cinquième, mais les statistiques ne sont pas suffisamment homogènes pour connaître la situation exacte en Allemagne et en Grande-Bretagne.

     La recherche fondamentale a vocation à être financée par des fonds publics. La participation du privé restera marginale : même dans la pharmacie, quelle entreprise serait intéressée par la recherche sur les maladies orphelines ?

     Pour attendre l'objectif de 3 %, il faut mobiliser le privé, les entreprises industrielles mais aussi les banques. M. Laffitte suggère, avec le soutien du Sénat tout entier, un emprunt de 150 milliards d'euros auprès de la B.E.I. Ce sera ardu, si l'on en croit la négociation actuelle sur un emprunt pour le spatial : la B.E.I. est une banque, elle demande des garanties qui ne sont pas gratuites !

     M. LAFFITTE. – Merci de l'intérêt que vous portez à cette proposition !

     M. D'AUBERT, ministre délégué. – Les fondations peuvent mobiliser des moyens, les Anglo-saxons y recourent abondamment. Par des incitations fiscales, nous pouvons désormais lancer un mouvement de grande ampleur, intéresser aux fondations les particuliers comme les entreprises. Aux États-Unis et en Grande- Bretagne, des grands magasins, par philanthropie en quelque sorte, participent à la recherche sur le cancer.

     Incitons les nouveaux secteurs de l'économie à investir dans la recherche. C'est un geste citoyen, de solidarité pour l'avenir. Aidons au maintien de l'effort de recherche dans les grands secteurs. Je regrette qu'il marque le pas dans les télécommunications, alors que sont apparus de nouveaux acteurs, comme les opérateurs de mobiles, qui profitent de ce que d'autres ont découvert il y près de quinze ans ? N'est-ce pas le moment de relancer les initiatives ?

     D'autres possibilités de financement ont été évoquées, et des propositions ont été faites ici même l'an dernier, pour tirer parti des ressources de l'assurance-vie. Sujet difficile…

     M. VALADE, président de la commission. – Capital !

     M. D'AUBERT ministre délégué. –… mais les compagnies devraient adhérer à ce raisonnement moral : l'assurance-vie bénéficie d'avantages fiscaux importants, elles fournissent en échange un effort citoyen.

     M. VALADE, président de la commission. – Absolument ! Très bonne idée !

     M. D'AUBERT, ministre délégué. – L'assurance-vie représente près de 720 milliards d'euros. On peut comprendre que cela donne parfois des idées…

     M. LAFFITTE. – Un pour cent, ce ne serait pas mal ! !

     M. D'AUBERT, ministre délégué. – Le Premier ministre a ainsi proposé qu'une partie des contrats D.S.K. finance l'innovation en se portant sur les placements à risques, dont le démarrage est pénalisé par le manque de confiance de nos financiers. (MM. Valade et Laffitte approuvent.) Je crois que M. Fréville hoche la tête mais il faut bien admettre que chez nous la culture du risque est bien limitée.

     Parler de la recherche, c'est aussi raisonner sur le continuum entre recherche fondamentale et recherche appliquée. (MM. Valade et Laffitte approuvent.) Hubert Curien évoquait « une recherche appliquée applicable », qui suppose de fixer des objectifs, sans que pour autant tous les choix soient dictés par l'aval. Dans les transports, l'avion du futur est un objectif à vingt ans il doit être assorti de la réduction de moitié des émissions de gaz carbonique. En matière de santé, on peut avoir à l'esprit le vaccin contre le sida. Loin de lui assigner des fins, de tels objectifs donnent à la recherche des directions, pour autant qu'ils s'accompagnent d'outils d'évaluation sérieux, assurant ainsi la continuité entre recherche fondamentale et innovation.

     Ayons, enfin, l'ambition de maintenir nos chercheurs dans la grande tradition qui est la nôtre, car c'est en gardant la mémoire de l'excellence qu'ils relèveront de nouveaux défis. À la veille des grands rendez-vous que marqueront pour la recherche la loi d'orientation et de programmation, la pleine application de la loi organique relative aux lois de finances, incitation forte à appréhender plus intelligemment nos politiques publiques, auxquelles elles donneront des indicateurs, et la loi de finances pour 2005, je remercie le Sénat pour ce débat, qui a permis de poser les termes du problème, de relayer et d'avancer des propositions. (Applaudissements à droite et au centre.)

     Le débat est clos.La séance est suspendue à midi 10.


*


     PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

     La séance est reprise à 15 heures.
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