Détachement des travailleurs (Proposition de résolution européenne)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne sur les normes européennes en matière de détachement des travailleurs, présentée, en application de l'article 73 quater du Règlement, par M. Éric Bocquet.

Discussion générale

M. Éric Bocquet, auteur de la proposition de résolution et rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes .  - Je me félicite de ce débat en séance publique, après la discussion devant la commission des affaires européennes puis des affaires sociales. L'intégration de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce où le coût du travail était peu élevé, avait conduit la Commission européenne à élaborer une directive sur le détachement des travailleurs, qui consacrait le principe d'application du droit du pays d'accueil en 1996. La directive contient un noyau dur qui s'impose à toutes les entreprises détachant des travailleurs sur le territoire de l'Union européenne : des périodes maximales de travail, des durées minimales de congés payés, des taux de salaire minimum. Elle aborde la question des contrôles, de façon limitée, se bornant à appeler à une coopération administrative. Surtout, elle ne définit ni le détachement ni la nature des entreprises pouvant détacher des travailleurs. Un règlement européen de 2004 prévoit le maintien de la législation sociale du pays d'origine. Ce qui se traduit par des écarts salariaux importants entre les États membres : 30 % entre la France et la Pologne. Le nombre de détachés a été multiplié par quatre depuis 2004 pour atteindre 145 000 personnes en 2011. Les grands chantiers ne sont pas seuls en cause. Dans ma commune, une boulangerie a été rénovée par une entreprise roumaine. La fraude au détachement est d'ampleur : cascade de sous-traitants, sociétés boîtes aux lettres, faux statut d'indépendant, emploi permanent de salariés détachés dans les pays sans salaire minimum, sont les dérives les plus courantes, pour organiser l'optimisation sociale, en parallèle avec l'optimisation fiscale.

La Commission européenne a proposé une directive d'exécution en mars 2012 ; hier le conseil des ministres de l'emploi n'a pu trouver un accord. Une prochaine réunion est prévue le 9 décembre prochain.

L'article 9 et l'article 12 posent problème. Le premier dresse une liste précise des mesures applicables aux entreprises étrangères. Le second institue un mécanisme de responsabilité solidaire limité aux sous-traitants directs.

La France et d'autres États membres tiennent une liste ouverte de moyens de contrôle s'appliquant à toute la chaîne de sous-traitance et à tous les secteurs d'activité. Les Peco et le Royaume-Uni entendent maintenir le statu quo. La proposition de résolution soutient la position du gouvernement français sur les articles 9 et 12, tout en demandant d'aller plus loin. Il est indispensable de limiter la chaîne de sous-traitance à trois échelons, à l'instar de la situation prévalant en Allemagne ou en Espagne.

Le délai de quinze jours préconisé par la Commission pour la transmission de documents est trop court. Il devrait être porté à un mois.

Nous souhaitons une révision du règlement sur l'affiliation au régime de sécurité sociale afin de limiter les pratiques « d'optimisation sociale ». La proposition de directive est un modeste pas en avant, face à un problème grave et pressant. Ne pas agir, ce serait favoriser la fraude. (Mme Cécile Cukierman approuve)

Il faut un acte politique fort, de nature à réconcilier les peuples avec un projet européen apte à faire reculer les réactions sectaires, identitaires et nationalistes qui se manifestent partout en Europe dans ces temps difficiles. (« Très bien » et bravos à gauche)

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales .  - Je remercie chaleureusement Éric Bocquet qui avec le soutien de la commission des affaires européennes a su, une nouvelle fois, braquer les projecteurs sur un problème brûlant. La proposition de directive présentée par la Commission européenne n'est pas à la hauteur des enjeux. Je me réjouis que la présidente du groupe CRC ait demandé que cette proposition de résolution soit examinée par le Sénat et que la Conférence des présidents lui ait fait droit.

Plus de 144 000 salariés détachés en 2011, et un grand nombre de travailleurs en situation illégale, « soldés » - terme que je préfère à l'anglais low cost. Nous constatons dans nos départements l'explosion de cette main-d'oeuvre.

Nous ne voulons pas mettre fin au détachement qui permet à 300 000 Français de travailler à l'étranger et à des travailleurs européens de travailler légalement en France. Nous voulons faire cesser les abus. Il en va de l'égalité de traitement entre tous les salariés. Le code du travail doit s'imposer à tous les salariés sur le sol français. Nous ne pouvons accepter les conditions indignes faites à certains travailleurs détachés ni la concurrence déloyale pour nos petites entreprises.

Mieux protéger ces salariés, c'est refuser d'alimenter la xénophobie favorisée par le laisser-faire ambiant.

La sous-traitance en cascade rend opaque les liens de subordination. Il existe une véritable « prime à l'obstacle » pour échafauder des montages complexes. Il faudrait limiter la chaîne de sous-traitance à trois échelons maximum, à l'image des législations allemande et espagnole.

Les parlementaires, soucieux de défendre les droits des salariés, sauront se mobiliser. La législation française protège les droits des salariés. Malheureusement, elle est trop rarement appliquée. La limitation de la responsabilité solidaire actuellement proposée à l'article 12 de la directive n'est pas acceptable en l'état. Les salariés en situation illégale doivent être en mesure de faire valoir leurs droits, une fois l'infraction relevée.

Le renforcement de la lutte contre le travail illégal passe par une meilleure coordination des corps de contrôle. Or les effectifs de l'inspection du travail sont insuffisants. Sa réforme ne doit pas se borner à un redéploiement entre contrôleurs et inspecteurs mais aboutir à un véritable accroissement des effectifs des agents de contrôle.

On ne peut qu'apprécier la proposition de la commission des affaires européennes de s'opposer à la logique de l'article 9. Le principe en vigueur à Bruxelles demeure la libre concurrence. Nos collègues de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale ont également adopté une résolution très proche de celle soumise à notre examen aujourd'hui.

Les abus constatés révèlent les défauts d'origine d'une construction européenne bancale, inégalitaire, reposant sur le seul dogme de la libre concurrence. Ajoutons-y un second pilier social, il est indispensable. (Applaudissements à gauche)

M. Thierry Repentin, ministre chargé des affaires européennes .  - Je suis heureux d'échanger avec vous sur la proposition de directive européenne sur le détachement des travailleurs, sujet qui me tient à coeur, depuis que je fus ministre en charge de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Je me suis rendu à Vilnius au mois de juin pour demander que la révision de cette directive soit placée en tête de l'agenda de la présidence lituanienne. En effet, les valeurs fondamentales de l'Europe sont en cause. La croissance et l'emploi sont la priorité du Gouvernement et nos efforts commencent à donner des fruits. Mais la croissance n'est bonne que si elle profite à tous, ce qui implique de lutter contre le dumping social. L'Europe solidaire peut et doit faire plus.

Sans croissance solidaire, nous ne réaliserons pas le rêve européen. Ne laissons pas les salariés européens se déchirer entre eux, protégeons-les.

L'Europe solidaire reste en grande partie à construire. Nous luttons contre le chômage des jeunes - qui atteint 53 % en Espagne, 55 % en Grèce ! Nous ne pouvons pas laisser sacrifier toute une génération, écrasée par le poids d'une dette dont elle n'est pas responsable. D'où les 6 milliards d'euros mobilisés pour la jeunesse européenne, dont 600 millions d'euros pour la France. L'extension d'Erasmus aux apprentis et aux jeunes en alternance va dans le même sens.

La prochaine réunion des chefs d'État et de gouvernement sur le sujet se tiendra à Paris le 12 novembre. Pour construire l'Europe solidaire, la France milite pour l'inclusion de critères sociaux au sein de l'Union économique et monétaire (UEM). Le débat aura lieu les 24 et 25 octobre. Le travail doit faire partie de ces critères. Le dialogue social doit être aussi mieux pris en compte pour les instances européennes.

Il reste du chemin à parcourir pour vaincre le dumping social. Cela dit, madame David, nous avons avancé dans le cadre de la directive « marchés publics » avec l'inscription de la responsabilité solidaire du donneur d'ordre.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.  - Très bien !

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Les offres qui ignorent les normes sociales ou environnementales pourront être refusées. La pratique du détachement des travailleurs est en train de devenir un problème majeur, car source d'abus. La soumission au régime social du pays d'origine nivelle par le bas. Depuis que le nombre de travailleurs détachés en France a été multiplié par quatre depuis 2006, la directive d'application est une nécessité. La France souhaite un texte ambitieux, afin de lutter contre l'abus du statut de travailleur détaché pour se soustraire à la législation du travail. Un socle harmonieux de documents doit être exigé au niveau de l'Union européenne. Un mécanisme de solidarité obligatoire doit être mis en oeuvre, dans l'idéal, dans tous les pays et tous les secteurs. Si cet idéal n'est pas unanimement partagé, que l'on autorise les pays volontaristes à en prouver les bienfaits sur leur propre territoire. La mise en place d'un salaire minimum dans chaque État membre de l'Union européenne est également souhaitable.

Le plan national de lutte contre le travail illégal met l'accent sur les fraudes complexes. La réforme de l'inspection du travail vise à en accroître l'efficacité. Plus la législation est complexe, moins son coût est élevé et plus il est difficile de mettre en oeuvre le droit du travail du pays d'accueil.

Une grande entreprise française de BTP, honorablement connue, a utilisé les lacunes du dispositif, grâce à une entreprise installée à Chypre, recrutant des travailleurs polonais... (Mme Nathalie Goulet s'exclame)

En Bretagne, de nombreux salariés sont mis à disposition par une agence d'intérim d'un pays de l'Union européenne. Une procédure pour marchandage et prêt de main-d'oeuvre illicite a été lancée à son encontre.

J'appelle les acteurs économiques à la vigilance et à la responsabilité. Lorsque des entrepreneurs français font appel à des sous-traitants, ils ne peuvent se dédouaner de leurs responsabilités. (« Très bien ! » sur les bancs socialistes)

Un plan d'action devra être présenté lors du conseil des ministres du travail sous présidence grecque en 2014. Le conseil d'hier n'ayant pu déboucher sur un accord, nous continuons à négocier pour aboutir avant la fin 2013.

Nous soutenons votre démarche. Peut-être le résultat ne sera-t-il pas exactement identique aux termes de votre proposition de résolution.

C'est pourquoi le Gouvernement s'en remet à votre sagesse. À titre personnel, j'espère que cette sagesse sera la plus unanimement partagée. Il est urgent d'entendre nos concitoyens et de répondre à leur demande pressante de lutte contre le nivellement par le bas. C'est aussi l'enjeu des prochaines élections européennes. (Applaudissements à gauche)

M. Gilbert Barbier .  - Par un hasard de calendrier, nous examinons cette proposition de résolution, alors que manifestent devant l'Assemblée nationale les Français travaillant en Suisse obligés d'abandonner leur droit d'option pour l'assurance. Pour eux, cela représentera une dépense supplémentaire de 200 à 300 euros par mois, qui pourrait les décider à cesser d'aller travailler en Suisse. Nous y reviendrons lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Près de 300 000 travailleurs low cost...

M. Jean Desessard et Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.  - « Soldés » !

M. Gilbert Barbier.  - ... sont victimes d'un nouvel esclavage moderne, comme l'ont dit les députés.

M. Jacky Le Menn.  - Ils ont bien raison.

M. Gilbert Barbier.  - Monsieur le ministre, vous avez évoqué l'éventualité d'un Smic européen. Il faut aller dans ce sens, même si nous en sommes encore loin. Beaucoup d'entreprises détournent la législation du travail.

Le détachement des travailleurs est utilisé pour employer des salariés à moindre coût dans les pays, comme le nôtre, où les charges sont élevées. Le phénomène s'est aggravé avec l'élargissement. Voyez cette publicité roumaine vantant une main-d'oeuvre bon marché ! Les règles communautaires sont détournées. La France propose de renforcer l'application du texte européen de 1996. Tout le monde n'est pas d'accord, d'où la pertinence de la présente proposition de résolution.

La Grande-Bretagne et la Pologne, entre autres, refusent le renforcement des contrôles nationaux et s'en remettent à un hypothétique contrôle européen.

L'affiliation au régime de sécurité sociale de l'État d'emploi limitera l'optimisation sociale. Parce qu'il s'agit de lutter contre la concurrence déloyale, les sénateurs RDSE soutiendront unanimement cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard .  - M. le rapporteur a tout dit, Mme la présidente de la commission des affaires sociales l'a complété, ainsi que le ministre. Cette proposition de résolution réaffirme la position de la France en faveur d'un contrôle accru des détachements afin de lutter contre les fraudes. Ce texte propose des mesures de bon sens pour responsabiliser les entreprises qui recourent à la main-d'oeuvre étrangère.

Élargissons le débat au monde du travail européen. La directive de 1996, celle de mai 2012 et la proposition de résolution se concentrent uniquement sur le contrôle des États. On veut pallier les conséquences négatives sans s'attaquer aux causes. Ce qui pousse les employeurs à détacher des travailleurs, c'est la dérégulation forcenée du droit du travail, en particulier dans les pays les plus fragiles. Nous subissons en France les effets dévastateurs de ce dumping social. Le secteur du bâtiment est particulièrement touché. Selon l'Insee, en 2011 10 % des salariés du BTP étaient des étrangers, 30 à 40 % selon la CGT. Ils seraient ainsi de 200 000 à 600 000, selon les estimations. Les employeurs, avides de profits, jouent des écarts flagrants de coût de la protection sociale au sein de l'Europe. À leurs yeux, certains pays apparaissent comme de véritables paradis sociaux.

Les écologistes appellent à une harmonisation par le haut de la protection sociale en Europe afin de maintenir le progrès social. (« Très bien ! » sur les bancs CRC) Nous appelons de nos voeux une organisation européenne du travail qui garantisse la protection des travailleurs de tous les pays. Cela devra faire, au-delà de cette proposition de résolution, l'objet d'une réforme européenne ambitieuse, pour une Europe sociale. En ce qui concerne la résolution soyez assuré, monsieur le ministre, de mon soutien et de celui du groupe écologiste tout entier. (Applaudissements sur les bancs CRC et socialistes)

M. Jean-Michel Baylet.  - Le groupe écologiste est uni, quel événement ! (Sourires)

M. André Reichardt .  - Ce n'est pas un scoop. La crise de l'agroalimentaire breton rappelle les difficultés rencontrées par nos entreprises, victimes de la concurrence déloyale favorisée par le détachement des travailleurs. Permettez à un Alsacien de déplorer que les zones frontalières y soient particulièrement soumises. L'économie de coûts salariaux peut aller jusqu'à 30 %. Les salaires sont plus bas en Allemagne, où n'existe pas de Smic. La Cour européenne a estimé impossible d'exiger des entreprises de détachement l'adhésion à des conventions collectives qui ne sont pas d'application générale.

Le bâtiment, gros oeuvre et second oeuvre surtout est particulièrement touché. Les entreprises allemandes y règnent avec une suprématie absolue. Toutes les maisons d'une même rue dans les communes de la bande rhénane peuvent ainsi être crépies par une seule entreprise allemande, qui démarche systématiquement les propriétaires voisins dès qu'elle a conclu un marché. Imaginez les conséquences pour les artisans locaux.

L'agriculture, les producteurs de légumes en particulier, sont eux aussi concernés. On va récolter les mêmes asperges de part et d'autre du Rhin à des tarifs qui n'ont rien à voir. Les exploitations emploient une main-d'oeuvre saisonnière importante, non soumise au salaire minimum. Ce n'est pas acceptable. Il est urgent de faire cesser ce dumping social, source de pertes d'emplois.

Les transports ne sont pas en reste. La concurrence des pays de l'Est est déloyale à l'encontre de nos PME, au profit de grands groupes, y compris nationaux. Ceux-ci recrutent des conducteurs à l'étranger, à des coûts très inférieurs, et les font ensuite travailler chez nous par cycles, en les obligeant à vivre dans la cabine de leur camion, au mépris de toute qualification et de la sécurité. Les fraudes qui se sont multipliées depuis l'entrée de l'Espagne et du Portugal et accrues après l'élargissement, provoquent des pertes d'emplois. Les distorsions de concurrence ne permettent plus aux transporteurs français d'être compétitifs. Ils nous demandent : « Que faites-vous pour nous ».

M. Jacky Le Menn.  - Ils ont raison.

M. André Reichardt.  - La directive européenne est contournée, donc inefficace.

Elle avait initialement pour objectif de répondre aux besoins de travailleurs spécialisés qui font défaut dans le pays d'accueil. Ces conditions n'ont jamais été respectées et nous aurions 150 000 à 200 000 travailleurs détachés en France et 300 000 travailleurs low cost. Cette explosion est devenue une menace pour l'emploi, pour ne pas dire une plaie, d'autant qu'au détournement de cette législation européenne, s'est ajoutée la fraude avec des montages de sous-traitance en cascade. Les fausses déclarations sont légion.

Pour mettre fin à ces abus, la Commission européenne a proposé, le 21 mars 2012, une directive d'exécution. Celle-ci impose enfin que l'entreprise détachant des travailleurs exerce une activité substantielle dans le pays d'accueil, elle renforce la coopération administrative entre les États membres et instaure une responsabilité solidaire du donneur d'ordre. Toutes ces dispositions vont dans le bon sens.

Vu la sensibilité du sujet, il faut pourtant aller plus loin. M. Bocquet propose avec bonheur des ajouts indispensables dont la limitation de la chaîne de la sous-traitance à trois échelons. Monsieur le ministre, nous ne ferons effectivement pas l'économie de contrôles plus rigoureux sur les chantiers, y compris le week-end, si nous voulons en terminer avec le dumping social. Pour notre part, nous aurions aimé que la proposition de résolution réaffirme clairement le principe de l'affiliation du travailleur au régime social du pays d'accueil, sauf, bien sûr, si celui du pays d'origine est plus favorable. Mais bien entendu nous la voterons.

Que la France poursuive et accentue ses efforts ! Ce ne sera pas facile car la Grande-Bretagne veut conserver le statu quo et, hier encore, les ministres du travail européens n'ont pu se mettre d?accord. Ce sujet est éminemment important, pour l'Union européenne et pour notre pays. (Applaudissements)

M. Jean Arthuis .  - À mon tour de remercier M. Bocquet de l'occasion qu'il nous donne ainsi de réfléchir aux normes européennes sur le détachement des travailleurs. Dans mon département de la Mayenne, les propriétaires de gîtes ruraux se disent très heureux de voir leur biens loués, non pas à la semaine, mais à l'année, par des entreprises étrangères qui y installent leurs salariés.

Avons-nous vraiment conscience de l'ampleur du phénomène ? Hier, nous étions aussi heureux de consommer moins cher que satisfaits de notre haut niveau de protection sociale. Nous pensions alors que les emplois du BTP, du transport, de l'agro-alimentaire n'étaient pas délocalisables. La réalité a prouvé le contraire. Demandons-nous comment il se fait que de plus en plus de sociétés de transports s'installent en Pologne. Nos standards sociaux nationaux ne sont-ils pas trop élevés ? Sont-ils soutenables ?

M. Jean Bizet.  - La réponse est claire...

M. Jean Arthuis.  - Le groupe UDI-UC votera cette proposition. Bien sûr, il faut aller vers l'harmonisation par le haut. Après que nous aurons dit cela, quelles en seront les conséquences concrètes ? Ne nous serons-nous pas livrés à une incantation supplémentaire, une gesticulation ? Ce qui est au coeur des préoccupations de nos concitoyens, c'est le décalage entre nos textes magnifiques et leur sort, celui par exemple des salariés de l'agro-alimentaire breton. Évitons tout déni de réalité.

Nous devons, tôt ou tard, nous attaquer à nos archaïsmes. Au vrai, monsieur le ministre, vous aurez besoin de beaucoup de talent pour vendre notre modèle social français.

M. Jean Bizet.  - Ce n'est pas gagné ! (Applaudissements à droite)

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - En manquerais-je ?

M. Jacky Le Menn.  - Ce n'est pas gentil !

M. Jean Arthuis.  - Vous devrez parler de notre déficit, de notre dette... J'encourage le Gouvernement à lever tous les tabous. Vous avez reconnu qu'il y avait un vrai problème de charges sociales. M. Desessard a rappelé les taux de cotisation en Pologne. Avec le Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), vous avez fait un premier pas en abaissant le coût du travail, en contrepartie d'une hausse de la TVA, laquelle n'est plus considérée comme une impasse. (Murmures réprobateurs sur les bancs CRC) D'aucuns vous reprochent néanmoins d'avoir créé une nouvelle niche fiscale à rebours des engagements du candidat François Hollande (Mêmes mouvements sur les bancs socialistes) N'en restez pas là car aucun emploi est assuré de n'être pas délocalisable. Sur le chantier de la nouvelle ligne à grande vitesse qui traverse mon département, on ne parle pas beaucoup français

Allez-y franchement et cessez de caresser les chimères. Il faut déjà arrêter avec ces élargissements à répétition qui ouvrent sans cesse de nouvelles brèches. Un peu de courage, si vous voulez inverser la courbe du chômage et rétablir les finances publiques ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Yannick Vaugrenard .  - À écouter M. Arthuis, j'avais le sentiment que nous étions au pouvoir depuis vingt ans...

M. Jean Arthuis.  - Assez de ce discours, je vous prie ! Nous nous sommes tous trompés.

M. Yannick Vaugrenard.  - Le débat porte sur la directive de 1996, qui encadre le détachement des travailleurs sur le territoire de l'Union, une nécessité, vu l'importance du phénomène. À rebours de son ambition, et parce qu'elle n'impose pas l'affiliation au régime social du pays d'exercice, elle encourage le dumping social, alors que l'article 56 du traité de l'Union européenne consacre le principe de libre prestation de services à l'intérieur de la Communauté. Surtout nous avons adopté ce texte pour nous donner bonne conscience, mais sans les moyens de l'appliquer : les services chargés des contrôles, monsieur Arthuis, ont été frappés de plein fouet par votre RGPP. Dès 2012, les socialistes interpellaient le Gouvernement. Une fois n'est pas coutume, la Commission européenne a pris conscience des difficultés et proposé une directive d'exécution dont M. Richard Yung a salué certaines des avancées dans une proposition datée du 19 juillet 2012.

Pour en assurer l'efficacité et la cohérence, nous devons, comme il est écrit dans la proposition de M. Bocquet, étendre le principe de la responsabilité du donneur d'ordre à toute la chaîne et à tous les secteurs.

Je le soutiens d'autant plus que mon département de Loire-Atlantique, qui concentre le plus de travailleurs détachés, a connu de nombreux drames depuis 2008 : je pense au décès de Nikos Aslamazidis, salarié grec, dix-neuf jours après son retour dans ce pays, après une grève de la faim due au conflit salarial l'opposant à son employeur, sous-traitant de deuxième rang des chantiers navals de Saint-Nazaire. J'avais attiré l'attention sur son sort et sur les conséquences de son geste lorsque j'étais député européen.

Grâce à cette proposition de résolution, nous combattrons le vent nationaliste actuel. Au bout du compte, l'Europe sera sociale ou elle ne sera pas ! (Vifs applaudissements à gauche)

M. Dominique Watrin .  - Le détachement des travailleurs permet d'économiser entre 650 et 1 500 euros par mois pour 200 heures de travail mensuelles, le calcul est vite fait pour les entreprises, celles du bâtiment en particulier. Certaines ne manquent pas d'imagination pour contourner nos règles : l'entreprise boîte aux lettres, la sous-traitance en cascade ou le recours au faux statut d'indépendant.

Prenons l'exemple de la compagnie aérienne Hermès, filiale de la compagnie Air Méditerranée, qui fait l'objet d'une procédure pour dumping social. Après avoir licencié la moitié de son personnel français en 2011, elle a transféré la moitié de sa flotte en Grèce, dans sa filiale, avec des pilotes prétendument basés à Athènes alors que tous ses pilotes travaillent uniquement au départ de France. Je pourrais aussi évoquer Ryan Air. Si ces pratiques se repèrent facilement chez les grandes entreprises, elles le sont moins dans les petites structures. Au vrai, la solution passe par une harmonisation sociale vers le haut car, en définitive, la victime est toujours le travailleur. Ne nous payons pas de mots, cessons de suivre le Medef pas à pas, et construisons l'Europe sociale ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Yves Leconte .  - Que les règles du détachement des travailleurs soient détournées, que l'ampleur du phénomène soit mal connue, que les conséquences sociales et humaines soient catastrophiques ne fait aucun doute. Voyez la situation dans nos abattoirs, créée par l'application sauvage de cette directive, couplée à l'absence de salaire minimal en Allemagne. Ne laissons pas les abattoirs allemands abattre l'Union européenne !

Pour avoir longtemps vécu en Europe centrale, j'ai observé combien les petites entreprises connaissent mal la réglementation : expliquons-la et simplifions-la. Puisqu'on parle de détachement, ne faut-il pas fixer une durée maximale ?

La révision de la directive de 1996 est essentielle. Ne la transformons pas en une querelle entre les anciens et les nouveaux États membres et souvenons-nous que l'Europe s'est également bâtie sur les accords de Gdansk en 1982, qui reconnaissaient des droits aux travailleurs. Je crois que nous saurons construire ensemble l'Europe sociale. Cette proposition de résolution constitue un premier pas. (Applaudissements à gauche)

M. Thierry Repentin, ministre délégué .  - Merci pour la qualité de vos analyses, pour votre belle et étonnante unanimité.

Monsieur Barbier, un salaire minimal dans tous les pays ? Dans certains pays, l'État n'impose pas ; le dialogue social fonctionne branche par branche. Pour autant, je suis optimiste car, le 30 mai dernier, François Hollande et Angela Merkel ont demandé à débattre du salaire minimum européen. Ce qui était tabou il y a dix-huit mois ne l'est plus. Les Bretons peuvent s'en réjouir, c'est ainsi que nous règlerons le douloureux problème des abattoirs.

MM. Jacky Le Menn et Jacques Chiron.  - Très bien !

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - Monsieur Reichardt, vous regrettez la concurrence déloyale dans les activités agricoles saisonnières. Avec l'article 3 du projet de directive, nous pouvons mieux combattre les abus et reclasser ces travailleurs en saisonniers, sous un statut plus protecteur que celui des détachés.

M. Arthuis a lui-même reconnu que les archaïsmes, par définition, se formaient par sédimentation...

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - ... en réponse à l'interprétation de M. Vaugrenard...

M. Jean Desessard.  - Nous n'avons pas trop gouverné. (Exclamations sur divers bancs)

M. Jean Bizet.  - Il ne vaudrait mieux pas. (Sourires)

M. Thierry Repentin, ministre délégué.  - M. Arthuis a évoqué le CICE, il aurait pu citer l'accord national interprofessionnel obtenu par M. Sapin.

Le toilettage des textes, nous nous y attelons. Cela ne suffira pas : nous devons inciter les autres États membres à en faire de même pour réussir l'harmonisation par le haut. C'est ainsi que, les 24 et 25 octobre prochains, nous discuterons de l'intégration des indicateurs sociaux dans les politiques européennes.

Voter cette proposition n'est pas un geste pour se donner bonne conscience. Ce texte apportera à M. Moscovici et à moi-même des arguments, du carburant, il donnera du poids à nos propos dans les instances européennes ! (Applaudissements à gauche)

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes .  - Cette semaine de contrôle est placée sous le signe de l'Europe. Nous avons discuté de l'excellente proposition de résolution de M. Bocquet, nous débattrons demain de la protection des données personnelles et du texte de Mme Reding. À cette occasion, je veux rappeler que nous avons des moyens d'action : avec le traité de Lisbonne, nous pouvons émettre un carton jaune au regard de la subsidiarité et obliger la Commission européenne à revoir sa copie. Nous avons utilisé cette procédure avec succès sur le projet « Monti II ». Le pessimisme de M. Arthuis n'est donc pas de mise. L'Europe sociale, nous en reparlerons beaucoup dans les prochains mois.

La discussion générale est close.

Vote sur l'ensemble

M. Jean Bizet .  - Je salue cette proposition de résolution et la directive d'exécution de mars 2012. La directive de 1996 était une bonne idée au départ, elle a fait l'objet de vilaines réalisations car elle a été détournée. Ces applications ont alimenté un discours xénophobe dont nous en savons que trop qu'il est l'antichambre de graves troubles sociaux.

Avec humour, je souligne que Mme David a souligné la pertinence de certains aspects de la politique allemande. De fait, nos voisins ont moins de difficultés que nous.

Monsieur le ministre, vous avez bien fait de distinguer travailleur détaché et saisonnier. Je ne doute pas de votre compétence mais il vous faudra plus que du talent pour convaincre nos partenaires européens de notre capacité à financier le modèle français. Ah, le déni de réalité ! Notre politique sociale est certes louable mais elle n'est plus tenable.

Je soutiendrai cette proposition de résolution qui va dans le bon sens. Quoique, vous savez, l'harmonisation par le haut... Pour un Normand, in medio stat virtus. (Sourires)

M. Éric Bocquet, rapporteur pour avis .  - Après l'unanimité des commissions des affaires européennes et des affaires sociales, il semble que nous nous orientions vers un vote unanime. M. Arthuis ayant dit que nous nous sommes tous trompés, je me félicite que la réflexion avance, même si je me sais moins proche de son appel à démanteler nos normes sociales que du plaidoyer de Jean Desessard pour l'Europe sociale. (Applaudissements)

Le texte de la proposition de résolution est adopté à l'unanimité.

M. le président. - Cette résolution proposition sera transmise au Gouvernement ainsi qu'à l'Assemblée nationale.