Efficacité de la justice pénale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la justice pénale.

Discussion générale

M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Il y a deux ans, le Gouvernement s'est proposé de bâtir une justice pour le XXIe siècle. La précédente garde des sceaux, par ses décisions d'un dogmatisme à toute épreuve, n'a pas su répondre aux besoins pressants d'une institution judiciaire qui traverse une crise grave. Il fallait, nous expliquait-on, sortir du « tout-carcéral ». Effet d'annonce... Le nombre de détenus n'a cessé d'augmenter. Pire, la justice, mise en difficulté, inspire de la défiance à nos concitoyens.

Depuis plusieurs années, les contentieux civils, pénaux et administratifs se multiplient ; l'encombrement de la justice est avéré. Faute de disposer des moyens d'accomplir sa mission, la justice n'est plus crédible. Il est urgent de sortir de cette situation : les Français jugent à 64 % notre justice peu ou pas satisfaisante.

Notre justice n'entrera pas dans le XXIe siècle si nous maintenons les décisions prises. La contrainte pénale, espèce de Canada Dry de l'alternative à la prison, est l'exemple le plus emblématique : les magistrats n'y ont presque pas recours parce qu'ils doutent de son efficacité. C'est pourquoi nous souhaitons la supprimer.

Il faut rendre à la justice son efficacité, sa simplicité, sa lisibilité.

Notre justice doit être indépendante et efficace, afin qu'elle protège davantage nos concitoyens, leurs droits et leurs libertés.

Parce que la loi pénale a une vocation sociale dissuasive, nous proposons de restaurer les peines planchers pour les délits et les crimes punis de plus de cinq ans d'emprisonnement. Ne criez pas au loup trop rapidement : nous les avons modernisées. Si elles étaient contraires au principe de l'individualisation des peines, le Conseil constitutionnel les aurait supprimées dès 2007.

L'automaticité de la réduction des peines rompt l'effectivité des décisions de justice. Cette rupture est aussi tragique pour les victimes que fatale pour les délinquants. Comment un délinquant peut-il, dans ces circonstances, mesurer la gravité de son acte ? La réduction des peines doit être considérée, non comme un acquis, mais comme une faveur donnée au détenu qui a donné des gages de sa volonté de réinsertion. Un tribunal d'application des peines en décidera collégialement. N'oublions pas que derrière chaque dossier se trouve une personne gangrénée par une délinquance toujours plus subversive. Toujours pour lutter contre la récidive, nous pourrions bâtir des centres de rétention pénitentiaire à sécurité adaptée.

Cette proposition de loi ne constitue pas une législation de plus alors que concitoyens et magistrats étouffent sous les normes. Avec elle, le magistrat ne sera plus jamais mis à l'écart des décisions et la justice rendue plus efficace. Merci au rapporteur Pillet et au président Bas pour leur travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC)

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois .  - Cette proposition de loi qui, comme son titre l'indique, vise à renforcer l'efficacité de la justice pénale, prend sa source dans un constat qu'il serait irresponsable de négliger : la crédibilité de la justice pénale ne cesse de s'éroder. Or on ne peut pas vouloir conforter l'autorité judiciaire sans préserver l'adhésion à ses décisions.

La justice, dont l'indépendance doit être garantie, est rendue au nom du peuple français. Nos concitoyens exigent légitimement d'être écoutés. Le législateur, pourvu qu'il fasse preuve de pédagogie, peut les satisfaire sans bouleverser ou affaiblir les règles fondamentales de notre droit.

De l'avis de la majorité de la commission des lois, les auteurs de la proposition de loi ont opportunément suscité une réflexion. Les auditions, constructives, ainsi que les contributions citoyennes sur l'espace participatif attestent de sa pertinence. L'effet de la peine tient davantage à la certitude qu'elle sera appliquée qu'à sa sévérité, raison pour laquelle la proposition de loi encadre mieux l'alternative aux poursuites, renforce les prérogatives du parquet dans la conduite des enquêtes et pour les placements en détention provisoire et assure des garanties dans la phase de jugement. Elle aménage également la législation contre le terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et renforce la protection des mineurs victimes d'infractions.

La commission des lois a examiné la constitutionnalité et la conventionnalité des mesures proposées en veillant à la cohérence de leur intégration dans notre droit. Résultat fondamental, elle a préservé l'absolu pouvoir du juge. Il pourra déroger à une peine plancher pourvu qu'il motive sa décision ; c'est cela renforcer l'efficacité de la justice rendue au nom du peuple français.

Notre tâche est de dire les faits et de faire oeuvre de pédagogie. Dire les faits, c'est rappeler que le taux de réponse pénale atteint 90 %, que le nombre de peines d'emprisonnement ferme a augmenté de 10 % entre 2011 et 2015 et que la population carcérale a crû de 3,3 % en 2016, une hausse plus rapide que celle de la population française. C'est aussi entendre les magistrats qui rejettent la contrainte pénale et lui préfèrent le sursis avec mise à l'épreuve. Être pédagogue, c'est rappeler que la peine est nécessaire sans être suffisante.

Les auteurs de la proposition de loi ont l'immense mérite d'ouvrir deux débats sans les clore : la suppression des mesures automatiques de remise de peine, l'élargissement de la pratique du mandat de dépôt lors du jugement. Il faudra bien trouver une solution pour qu'une peine de vingt ans de détention ne se réduise à sept ans et trouver un autre épilogue au procès que celui consistant à laisser la personne condamnée quitter librement le tribunal. Quelles que soient nos convictions, il serait irresponsable de traiter ces sujets avec complaisance ou condescendance.

Mais pourquoi le nier ? L'efficacité de la justice dépend des moyens qu'on lui accorde. Nous espérons une ambitieuse loi de programmation et de courageuses lois de finances. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Sartre fait dire à un personnage des Mains Sales que tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces. L'efficacité, est-ce l'utilité, la rapidité, la simplicité ou la cohérence ? L'exercice de définition n'a rien d'oiseux...

Rétablir les peines minimales, renforcer les règles de révocation des sursis, supprimer la contrainte pénale, les mesures que vous proposez ont toutes un point commun : elles durciraient la répression. Sont-elles un gage d'efficacité ? Je ne le crois pas. Elles rigidifieraient, voire alourdiraient le travail de la justice. Je me réjouis que la commission des lois ait supprimé ou intégralement réécrit les dispositions, telles que celles des articles premier et 4, qui auraient soulevé des difficultés constitutionnelles. Vous avez eu raison de revenir sur l'article 25 : criminaliser l'infraction d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste aboutirait au blocage de la cour d'assises spéciale.

Cette proposition de loi n'apporte pas d'efficacité à la justice, bien au contraire. C'est pourquoi le Gouvernement ne peut la soutenir. Efficacitas, en latin, renvoie à la force, à la vertu. Nous ne cessons d'en apporter à la justice. Il faut des moyens financiers et humains pour que les droits votés ne restent pas des droits de papier. Nous nous y employons : le dégel de 107 millions d'euros en 2016 a été assorti de l'ouverture de 40 millions d'euros par décret d'avance en 2016. Et l'on mesure les effets de cette politique : les arriérés de paiement de la cour d'appel de Rennes sont passés de 5 millions à 800 000 euros en un an. C'est à cela que l'on mesure l'efficacité de la justice. Le budget de la justice pour 2017 est de 7 milliards d'euros, en hausse. Les crédits de fonctionnement augmentent de 10 %, les crédits immobiliers de 28 %. Un poste de magistrat a été créé par jour, soit 1 354. Depuis 2012, 5 512 nouveaux greffiers, plus de 5 400 surveillants et 911 éducateurs de la PJJ ont été formés. Voilà comment l'on renforcera l'efficacité de la justice tout en recentrant les magistrats sur leur coeur de métier, en améliorant la gestion des contentieux de masse et en simplifiant la procédure. Autant de buts qui sous-tendaient le projet de loi sur la justice du XXIe siècle mais aussi la loi du 3 juin 2016, l'adaptation réglementaire du 7 septembre 2016 et les deux circulaires datées du 23 décembre 2015. Forfaitisation de certains délits routiers, transmission de procès-verbaux par voie électronique, extension de l'usage de la visio-conférence, nous avançons. Simplification aussi, que l'aménagement du principe « un acte, un procès-verbal » pour autoriser le regroupement de plusieurs actes de procédure en un procès-verbal. Et ce, en préservant les garanties des droits de chacun. Oui, nous avons donné à la justice plus de force et de vertu. Oui nous avons été efficaces. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jacques Mézard applaudit également)

Question préalable

M. le président.  - Nous passons maintenant à l'examen de la motion tendant à opposer la question préalable.

M. Jacques Bigot .  - Cette proposition de loi nous interpelle sur la cohérence du travail de la commission des lois. Nous réussissons à trouver un consensus et à voter des textes bien construits dès lors qu'il s'agit de droit pénal et de terrorisme -  pour preuve, le dernier texte sur la sécurité civile. M. le président de la commission des lois crée une mission sur le redressement de la justice à laquelle, nous, démocrates, participons activement car nous croyons tous, avec le garde des sceaux, que nous devons avoir une vision commune des besoins à donner à la justice et des réformes à mener. Et voici qu'une proposition de loi accrédite l'idée que la justice pénale n'est pas bonne.

Je sais gré au rapporteur d'avoir souligné, dans son rapport, que statistiquement, la justice pénale n'a jamais été autant répressive : un taux de réponse pénale supérieur à 90 % et plus de 69 000 personnes détenues en juillet 2016, soit le maximum jamais atteint. M. Pillet a raison : une réforme d'ampleur de la justice ne pourra se faire à moyens constants. Effectivement, laisser une marge d'appréciation au juge à tous les stades de la chaine pénale est un impératif.

Mais tous ces sujets sont ceux que nous explorons au sein de notre mission d'information, reportons ce débat au moment où paraîtra son rapport, à la fin du trimestre.

La proposition de loi, si elle a été édulcorée par le rapporteur, représente un texte de plus qui compliquera la vie des magistrats. La contrainte pénale, c'est vrai, n'est pas mise en oeuvre partout faute de moyens mais l'est dans certains territoires.

C'est parce que la mission d'information peut aboutir qu'il faut renoncer à l'examen de la proposition de loi. Toutefois, parce qu'il est de tradition de ne pas empêcher l'examen d'une proposition de loi portée par un groupe,...

M. Hubert Falco.  - C'est logique.

M. Jacques Bigot.  - ...je ne soumettrai pas ma motion à vos suffrages.

M. Hubert Falco.  - Très bien.

La motion n°1 est retirée.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Merci à M. Bigot d'être revenu à plus de raison et de sa participation très active à la mission d'information.

En revanche, je ne suis pas d'accord avec lui : ce texte ne fait pas obstacle aux travaux de la mission d'information. En supprimant la contrainte pénale, introduite sans aucune étude d'impact et peu utilisée, en rétablissant les peines planchers et en mettant fin aux remises de peine automatiques, ce texte allège les charges qui pèsent sur la justice. Il va dans le sens de nos travaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe UDI-UC)

Discussion générale (Suite)

Mme Esther Benbassa .  - Selon les auteurs de la proposition de loi, la crédibilité de la justice pénale est fortement érodée dans l'esprit de nos concitoyens. Son laxisme supposé est décrié. L'heure n'est plus au débat mais à l'aggiornamento, ajoutent-ils.

Cette proposition de loi revient sur la loi de 2014, défendue par Christiane Taubira que la droite sénatoriale avait combattue.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - À juste titre.

Mme Esther Benbassa.  - Ce texte donne une idée précise des orientations de François Fillon et rappelle les fondamentaux de la droite. Tout répressif, tout carcéral, accusations de laxisme et d'irresponsabilité vis-à-vis des socialistes.

Les peines planchers étaient censées décourager la récidive ; or elle est passée de 6,4 % en 2002 à 14,7 % en 2011. Le quantum ferme moyen de la peine, qui avait baissé de 1,2 mois entre 2004 et 2012, a augmenté à nouveau de 1,5 mois entre 2012 et 2015 pour s'établir à 8,4 mois aujourd'hui.

Il est regrettable, même si cela n'est pas surprenant, de constater la multiplication des outrances démagogiques à l'approche des élections. Le groupe écologiste ne votera pas cette proposition de loi inique.

Les lois peuvent être toujours plus répressives, elles resteront des voeux pieux si l'on ne renforce pas les moyens de la justice. Mais, en période électorale, il faut visiblement davantage montrer ses muscles que réformer. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et écologiste)

présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président

M. Alain Anziani .  - J'ai entendu dire que ce texte était préparé dans la perspective de l'alternance. Si tel est le cas, cela est inquiétant : au lieu de préparer l'avenir, vous vous tournez vers le passé.

Ce texte de réaction, de restauration, est appuyé sur un mauvais procès fait à la gauche taxée de laxisme.

Le rapporteur a l'honnêteté de reconnaître que la justice n'a jamais été aussi répressive. Il y a le nombre record de détenus de 69 000. Je n'en suis pas fier mais c'est un fait : quand la gauche est au pouvoir, l'emprisonnement augmente.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Ce n'est pas vous qui prononcez les peines !

M. Alain Anziani.  - Votre programme est un long pensum de redites. L'obstacle identifié, Nicolas Sarkozy l'avait dénoncé le premier, est le juge. Il faut donc l'écarter en plaçant au-dessus de lui des peines automatiques, en-dessous des amendes forfaitaires.

Heureusement, François Pillet est arrivé. Il a rappelé quelques principes fondamentaux...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Tout va bien.

M. Alain Anziani.  - ...et souligné que des moyens sont nécessaires. Procureur sévère, il a refusé tout sursis à des propositions irréalistes. Cette proposition de loi figurera au musée des textes anticonstitutionnels. Il est vraiment remarquable d'avoir bafoué tant de principes fondamentaux : principes d'opportunité des poursuites, d'individualisation des peines.

Le rapporteur a rendu au juge sa possibilité d'appréciation - principe selon lequel il n'y a peu de détention sans titre conformément à l'article 66 de la Constitution et à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La proposition de loi avait même créé une interdiction de mentir, pour laquelle la Cour européenne des droits de l'homme avait déjà condamné la France.

Le Conseil constitutionnel a rappelé plus récemment que chacun a le droit de ne pas s'incriminer.

Le texte fait également fi du principe de légalité des peines, qui doivent être claires et intelligibles, lorsqu'il propose de réprimer la « manifestation » d'une adhésion à des organisations soupçonnées de porter atteinte aux intérêts de la Nation. Comment la définir ?

Même confusion sur la pose du bracelet électronique, dont vous avez imaginé qu'elle pourrait ne pas s'imputer sur la durée de détention - alors que l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme précise bien que le bracelet est une peine de privation de liberté.

Votre proposition de loi s'en remet au règne de l'opinion, qui veut plus d'incarcération. La contrainte pénale est ainsi supprimée au motif que les magistrats ne s'en servent pas. Mais que dire alors des peines planchers ? En 2010, elles étaient écartées dans 62 % des cas par les juridictions ; en 2014, l'Union syndicale des magistrats reconnaissait qu'elles n'avaient fait baisser ni la récidive ni la délinquance. Preuve que les peines planchers n'ont d'effet ni curatif, ni préventif...

Souvenez-vous de la loi pénitentiaire de 2009, que nous avions largement modifiée avec Jean-René Lecerf, mais dont la discussion a eu le mérite de poser des questions incontournables : quel est le sens de la peine, quelle est l'efficacité de la détention, comment éviter la récidive ? La présente proposition de la loi, elle, évite soigneusement de poser de telles questions. Oubliées aussi les règles pénitentiaires européennes qui précisent que la privation de liberté doit être le dernier recours.

Bref, un texte de circonstance, électoral.

L'article 4 permet au procureur de la République de prendre des mesures coercitives, comme de solliciter à l'issue d'une garde à vue le placement en détention provisoire. Comment peut-on imaginer de détenir des personnes qui ne sont ni poursuivies ni mises en examen, au mépris des droits de la défense ?

Cela mérite un plus vaste débat sur l'équilibre de nos institutions judicaires. Le président Sarkozy envisageait naguère de supprimer le juge d'instruction... Qui ici peut accepter la confusion entre l'autorité qui poursuit, celle qui enquête et celle qui place en détention provisoire ? Comment tolérer les entorses faites aux droits de la défense ?

On peut renforcer le pouvoir du Parquet, mais à condition de garantir son indépendance. Le Sénat avait accepté que le Conseil supérieur de la magistrature puisse opposer son véto à une nomination - mais à l'Assemblée nationale, l'un des vôtres, Guillaume Larrivé, s'y est opposé, mettant en garde contre l'autonomie d'un contre-pouvoir judiciaire... Explicitez donc votre position ! Renforcer les pouvoirs du Parquet suppose de renforcer son indépendance.

Bref, en matière pénale, Les Républicains n'ont d'autre réponse que le retour au passé et le souci de plaire, au mépris des droits fondamentaux et d'une justice forte et indépendante. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, écologiste et RDSE)

Mme Cécile Cukierman .  - À quelques semaines des élections, il est regrettable de débattre d'un tel texte - que l'Assemblée nationale n'aura pas le temps d'examiner d'ici la fin février. La droite sénatoriale veut prendre un peu d'avance dans l'éventualité d'une alternance...

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Exactement !

Mme Cécile Cukierman.  - Qui plus est, les conclusions de la mission de la commission des lois sur le redressement de la justice n'ont pas encore été rendues. À quoi sert-elle, dès lors que ses conclusions sont tirées avant l'heure par une partie du groupe Les Républicains ?

Ce texte est celui d'une droite dure. Il revient sur les principales mesures de la loi Taubira du 15 août 2014. Contrainte pénale et libération sous contrainte sont effacées ; la liberté du juge d'application des peines est encadrée ; le quantum de peine aménageable est réduit ; le recours aux procédures automatiques est développé. Et surtout, le juge est évincé, ses décisions contraintes, à rebours du principe d'individualisation des peines. L'USM a dénoncé un texte démagogique à visée incarcératrice.

Pourquoi la proposition de loi n'a-t-elle pas été soumise au Conseil d'État, comme le permet l'article 39, alinéa 5 de la Constitution ? Nous avons d'ailleurs demandé hier au président du Sénat d'y remédier, comme la Constitution l'y autorise.

Plusieurs dispositions du texte initial avaient un caractère inconstitutionnel ; elles ont été supprimées ou modifiées par le rapporteur, mais l'esprit demeure : des dispositions sécuritaires visant à incarcérer toujours plus, dit le Syndicat de la magistrature. Ainsi, on aggrave la sanction pénale pour la petite délinquance ; la grande délinquance financière, elle, ne passe que rarement par la case prison... Certains, on l'a vu récemment, conservent un casier vierge alors qu'ils encouraient 15 000 euros d'amende et un an d'emprisonnement ; là, personne pour dénoncer le laxisme de la justice...

Il y a pourtant d'autres solutions à la surpopulation que de créer de nouveaux centres pénitentiaires... D'abord, faire de la détention provisoire l'exception et non la règle, donner la priorité aux mesures de prévention et à la réinsertion. Notre attitude n'est pas laxiste, elle vise l'efficacité, non la démagogie. À quand une vaste réflexion sur la peine ? Prenons exemple sur les pays scandinaves au droit pénal plus avancé, comme la Norvège. Celle-ci consacre, il est vrai, cinq fois plus de moyens à la justice que la France, rapportés au nombre d'habitants.

La justice pénale ne sera efficace et humaine qu'avec plus de moyens, plus de magistrats - loin des suppressions de fonctionnaires annoncées par le candidat Les Républicains ! Nous ne voterons pas ce texte, contraire à notre conception de la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et socialiste et républicain)

M. Jacques Mézard .  - Il est opportun de considérer ce texte comme inopportun. Oserais-je dire que mes collègues Pillet et Buffet, pour lesquels j'ai le plus grand respect, sont en service commandé, dans une magnifique répartition des tâches : à l'un, l'accélérateur, à l'autre le frein...

C'est d'autant plus regrettable que notre commission mène une mission fort utile sur le redressement de la justice. Pourquoi alors cette proposition de loi ? Seule explication : la recherche de l'effet médiatique.

Responsables politiques et médias font un procès injuste à notre justice, en particulier à la Cour de cassation. Mais si la justice n'est pas appréciée, est-ce la faute des magistrats, ou des responsables politiques, de toute tendance ? Le problème, pour nos concitoyens, ce sont d'abord les délais. Mais alors pourquoi ajouter toujours de nouveaux délais, en particulier en allongeant les délais de prescription ?

Deuxième problème : les moyens au quotidien. La situation des greffes est catastrophique, comme l'accès à la justice pénale des plus défavorisés. Ce n'est pas la faute des magistrats, c'est notre faute à tous.

Troisième problème, l'avalanche de textes nouveaux, au gré des gouvernements successifs. Sous le quinquennat Sarkozy, on a fait fort : je me souviens d'un texte sur les morsures de chiens... Sous l'actuel quinquennat, ce n'a pas été brillant non plus. Cela rend le travail des magistrats toujours plus difficile. Arrêtons d'agir au gré des poussées médiatiques, faisons confiance aux magistrats même si certains syndicats devraient se faire plus silencieux...

Le procès en laxisme est injuste, quand nos prisons sont pleines, indignes d'une démocratie ! Il faudrait rationaliser l'échelle des peines, simplifier les procédures...

Quant à l'exécution des peines, elle est certes insatisfaisante - il faut cesser de prononcer trois ans fermes pour espérer voir le condamné faire quelques mois.

M. François Pillet, rapporteur - Et oui...

M. Jacques Mézard.  - La déjudiciarisation n'est pas une réponse. À quand la sanction par ordinateur, sans aucune individualisation des peines ? La justice mérite une loi de programmation élaborée dans un large consensus politique et en concertation avec ceux qui la rendent, les magistrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Yves Détraigne .  - Nous sommes en début d'année et voilà déjà une nouvelle réforme de la justice... qui en annonce d'autres après les élections. J'ai recensé vingt textes consacrés à la justice en une douzaine d'années ! Pour bien fonctionner, la justice a besoin de stabilité et de moyens ; elle n'a ni l'un, ni l'autre. Pas un chef de cour qui ne s'en plaigne : les magistrats n'ont pas les moyens d'exercer leurs missions. Notre justice est insuffisamment dotée. Nous sommes en matière de moyens, les bons derniers des pays occidentaux.

Quelques mesures de la loi Justice du XXIe siècle devraient désengorger le système, comme l'amende forfaitaire pour les infractions routières ou le divorce sans juge, mais d'autres réformes aggravent les choses, comme la loi du 7 mai 2016 qui transfère la contestation du placement en centre de rétention du juge administratif au juge judiciaire.

La question des moyens doit rester une préoccupation permanente.

Ce texte, ambitieux, aborde presque tous les aspects de la politique pénale. Il reprend certaines de nos préoccupations, notamment sur la contrainte pénale, inutile et trop similaire au sursis avec mise à l'épreuve.

Les magistrats ne se sont pas approprié ce nouvel outil. Depuis 2014, 2 009 contraintes pénales ont ainsi été prononcées pour 80 000 sursis avec mise à l'épreuve ; y renoncer est de bon sens.

Là où la proposition de loi améliore l'exécution des peines, essentielle à la crédibilité de la réponse pénale, nous la soutenons ; tout comme les mesures de simplification procédurale - je pense à la lecture publique du renvoi devant une cour d'assises, ou à la possibilité pour les enquêteurs de recourir à des supports papier. Je salue le travail du rapporteur Pillet, précis, vigilant et constructif. Il a proposé de supprimer les deux premiers articles, inopportuns voire contre-productifs, sur l'automatisation de l'engagement des poursuites. Il a évité les a priori et caricatures : non, ce texte n'exprime nulle défiance vis-à-vis du juge, puisque le dernier mot lui reviendra toujours.

Gardons à l'esprit la nécessité absolue de renforcer les moyens de notre justice ; en attendant, malgré les réserves évoquées en introduction, nous voterons ce texte tel qu'il a été amendé par la commission. Il faudra être attentif à son évolution au cours de la navette et à son corollaire budgétaire, qui sera de la responsabilité de la prochaine majorité. (Applaudissements au centre et sur plusieurs bancs à droite)

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La violence est omniprésente ; le sentiment d'impunité se répand. La plupart des peines de prison de moins de deux ans ne sont pas exécutées. Alors que les violences contre les personnes augmentent, ainsi que les cambriolages, je me félicite de l'initiative de nos collègues...

La justice va mal. Les tribunaux sont engorgés, les procédures longues, compliquées, reportées, les peines trop rarement exécutées. Or l'accès au droit est un pilier de la démocratie : la justice doit être indépendante, efficace et accessible à tous. L'accumulation des textes, l'instabilité législative, la surtransposition des directives réduisent la lisibilité, augmentant les coûts et nourrissent la défiance des citoyens.

Ce texte va dans le bon sens : il renforce l'efficacité des poursuites, des alternatives aux poursuites et le contenu de la réponse pénale. Les mesures de protection des mineurs et de lutte contre le terrorisme sécurisent la population, en particulier les plus fragiles. La nouvelle rédaction concernant la contrainte morale et les infractions sexuelles était attendue depuis longtemps.

Il est essentiel de redonner valeur d'exemplarité aux peines, dont 80 à 100 000 sont en attente d'exécution et dont la durée effective ne cesse de baisser, en raison des réductions et aménagements.

Combien de récidivistes parmi les 68 432 détenus que compte notre pays au 1er janvier 2017 ? Ce texte s'attaque au sentiment d'impunité, avec notamment le rétablissement des peines planchers et la suppression de l'automaticité des remises de peine. La création des centres de détention pénitentiaires pour les détenus peu dangereux est une réponse à la surpopulation carcérale : 19 498 personnes incarcérées n'ont pas encore été jugées, et le taux d'occupation de certaines maisons d'arrêt atteint 137 %. Le programme de construction annoncé par le ministère ne suffira pas à lui seul à résoudre ce problème. La détention doit être digne et humaine.

Restaurons la lisibilité et la crédibilité de notre justice pénale : ce texte, opportunément amendé par le rapporteur, va dans le bon sens. L'intelligence avec une puissance étrangère, le délit d'entreprise individuelle terroriste sont mieux réprimés par cette proposition de loi. Pour toutes ces raisons, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. François Bonhomme .  - La justice est malade ; le malade est sous respiration artificielle.

Cette proposition de loi appréhende le fonctionnement de la justice dans sa globalité et fait des propositions à chaque échelon de la procédure pénale. Pour que les décisions de justice soient mieux admises, mieux comprises et mieux appliquées, elle renforce l'efficacité des alternatives aux poursuites, des poursuites pénales, le contenu de la réponse pénale, l'exécution de la peine prononcée, la lutte contre le terrorisme, la protection des mineurs.

La contrainte pénale est opportunément supprimée, après avoir été créée par Christine Taubira - avec quelle assurance ! - en 2014. Le bilan est sombre : alors qu'elle en escomptait 8 000 à 10 000 par an, seules 2 287 contraintes pénales ont été prononcées en deux ans, dont la moitié par 24 tribunaux de grande instance. Cela représente 0,35 % des peines, loin de la martingale théâtralement annoncée. Pourquoi cet échec ? Manque de crédibilité, similarité trop grande avec le sursis avec mise à l'épreuve mis en place en 1958 et mieux conçu, absence d'augmentation du nombre de postes qui aurait été nécessaire dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation pour sa mise en oeuvre. Un conseiller d'insertion et de probation gère 110 dossiers en moyenne ! Bref, cette usine à gaz mérite d'être supprimée, d'autant qu'elle fait concurrence aux autres peines en milieu ouvert. Idem pour la libération sous contrainte.

Le code de procédure pénale fait de l'aménagement de peine le principe et non l'exception : il faut inverser cette logique, et la réserver aux peines de moins de six mois.

Je salue l'article 22, qui réintroduit les délégués bénévoles.

L'exécution des peines est bien le maillon faible de la chaîne pénale. C'est tout l'enjeu de la bonne justice qu'attendent nos concitoyens, sans trop d'illusions... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe UDI-UC)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

L'article premier demeure supprimé, de même que l'article 2.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°44 rectifié, présenté par MM. Mézard, Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.

Supprimer cet article.

Mme Françoise Laborde.  - L'exécution d'une mesure alternative aux poursuites n'entrainant pas l'extinction de l'action publique, nous supprimons l'article permettant son inscription au bulletin n°1 du casier judiciaire.

M. François Pillet, rapporteur.  - L'amendement ne vise manifestement pas le bon texte. Cet article ne vise pas à inscrire les mesures alternatives aux poursuites au bulletin n°1 du casier judiciaire, mais au sein de l'application informatique Cassiopée. Avis défavorable.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - J'étais défavorable au texte initial, et la réécriture de la commission ne me convainc pas. Avis favorable.

L'amendement n°44 rectifié n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté, de même que l'article 4.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Dufaut, Bonhomme, Doligé, Masclet, Danesi, Kennel, Commeinhes, Laufoaulu, Perrin, Raison, Laménie, Lefèvre et Cuypers, Mme Lamure et MM. del Picchia, Chaize et Huré.

Après l'article 4

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article 18 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Ils peuvent toutefois accomplir, sur l'ensemble du territoire national, les actes rendus nécessaires par les enquêtes dont ils ont la charge. » ;

2° Les troisième et quatrième alinéas sont supprimés.

M. Guy-Dominique Kennel.  - Défendu.

M. François Pillet, rapporteur.  - Cet amendement élargit à l'excès la compétence territoriale des enquêteurs, ce qui bouleverserait notre code de procédure pénale et soulèverait de nombreuses difficultés. Retrait ou avis défavorable.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Aux termes de l'article 18 alinéa 4 du code de procédure pénale, l'extension est déjà possible sur décision du procureur ou du juge d'instruction. Retrait ou avis défavorable.

L'amendement n°2 rectifié est retiré.

ARTICLE 5

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Supprimer cet article.

M. Jean-Pierre Bosino.  - Le référé-détention, demandé par le procureur, suspend temporairement une décision de remise en liberté contraire à ses réquisitions.

Le texte initial prévoyait qu'il puisse être introduit ab initio : la personne retenue aurait alors été retenue pendant quatre heures puis deux jours, sans titre. Le rapporteur y a remédié : le référé-détention est inapplicable en l'absence de titre initial. Il doit rester une faculté, et non devenir automatique. N'étendons pas son champ d'application.

M. le président.  - Amendement identique n°29, présenté par Mmes Benbassa, Archimbaud, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Desessard, Gattolin, Labbé et Poher.

Mme Esther Benbassa.  - Cet article étend à l'excès la procédure de référé-détention. C'est une disposition lourde de conséquences en termes de privation de liberté, conforme au tout-carcéral voulu par la majorité sénatoriale. Le groupe écologiste s'y oppose fermement.

M. François Pillet, rapporteur.  - La commission n'a pas permis le référé en l'absence de titre, mais laissé au procureur la possibilité de ne pas libérer alors qu'il y a déjà un titre. On est loin du tout-carcéral ! C'est un magistrat qui décidera, il s'agit d'une faculté qui n'a rien d'automatique. Avis défavorable aux amendements nos5 et 29.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Avis favorable. La modification apportée par la commission est inutile puisque cela figure déjà dans le droit positif.

Les amendements identiques nos5 et 29 ne sont pas adoptés.

L'article 5 est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Bonhomme, Doligé, Masclet, Danesi, Kennel, Commeinhes, Laufoaulu, Perrin, Raison, Laménie, Lefèvre et Cuypers, Mme Lamure, MM. del Picchia et Chaize, Mme Deromedi et M. Huré.

Après l'article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l'article 385 est complété par les mots : « et trois jours au moins avant la date de l'audience » ;

2° L'article 390-2 est ainsi rédigé :

« Art. 390-2.  -  Lorsque le prévenu ou son avocat n'a pu consulter la procédure ou en obtenir copie en temps utile pour permettre l'exercice effectif des droits de la défense, il est procédé, à leur demande, au renvoi de l'affaire. »

M. Guy-Dominique Kennel.  - Défendu.

M. François Pillet, rapporteur.  - Les demandes de nullité devraient être présentées trois jours avant l'audience. Cela fait peser un formalisme excessif sur les greffes : acte d'huissier, lettre recommandée, etc. En toute hypothèse, les nullités sont jugées au début de l'audience. Retrait ou avis défavorable.

M. Jean-Jacques Urvoas, ministre.  - Même avis. Cela rigidifierait la procédure.

L'amendement n°3 rectifié est retiré.

La séance est suspendue à 16 h 30.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 h 45.