Renforcement du dialogue social (Procédure accélérée - Suite)

Mme la présidente.  - Nous reprenons la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

Discussion des articles (Suite)

ARTICLE PREMIER (Suite)

Mme la présidente.  - Amendement n°227, présenté par le Gouvernement.

Après l'alinéa 9

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...) Simplifiant les modalités permettant d'attester de l'engagement des négociations dans le cadre des négociations obligatoires ;

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Il faut envisager de simplifier les modalités de conclusion et, surtout, d'absence de conclusion des accords. Se mettre d'accord, alors que la négociation a échoué, sur un procès-verbal de désaccord est compliqué.

M. Alain Milon, rapporteur.  - Avis favorable.

Mme Annie David.  - Le groupe CRC votera contre cet amendement qui va jusqu'à alléger la procédure d'engagement des négociations. C'est toujours plus flou.

M. Jean-Louis Tourenne.  - Le procès-verbal de désaccord sert de fondement au recours juridique. En le supprimant, vous privez les plaignants de la possibilité de faire valoir que tels ou tels points ne leur sont pas imputables. Je voterai contre l'amendement.

L'amendement n°227 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°26 rectifié, présenté par M. Tourenne et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 12

Supprimer cet alinéa.

M. Jean-Louis Tourenne.  - L'alinéa 12 traduit parfaitement la philosophie de ce texte. En l'absence de délégué syndical, toutes les entreprises peuvent négocier des accords collectifs avec les délégués du personnel ou avec le personnel directement. C'est inacceptable : les rapports de subordination dans l'entreprise laissent place à toutes les pressions. Et même si des pressions ne sont pas exercées, le personnel peut craindre des représailles. Pour négocier, il faut être indépendant et protégé.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°95, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Mme Évelyne Rivollier.  - Quiconque a déjà été salarié sait qu'il y existe un rapport de domination dans l'entreprise. Les organisations syndicales, de par leurs modes d'expression et d'action collectifs, peuvent rétablir un équilibre dans les négociations. Les syndicalistes, de plus, sont formés au droit du travail ; ce n'est pas le cas de tous les salariés. L'alinéa 12, finalement, généralise le chantage à l'emploi. Il faut le supprimer.

L'amendement n°190 n'est pas défendu.

Mme la présidente.  - Amendement n°239, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 12

Remplacer les mots :

en permettant notamment aux employeurs, dans les entreprises employant moins de cinquante salariés dépourvues de délégué syndical, de conclure des accords collectifs directement avec les représentants élus du personnel ou, en leur absence, avec le personnel

par les mots :

notamment dans les entreprises dépourvues de délégué syndical sous un certain seuil d'effectif

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Seulement 4 % des entreprises de moins de 50 salariés comptent un délégué syndical, le taux atteint à grand-peine 27 % pour les entreprises de 50 à 99 salariés. Dans ces circonstances, faut-il priver les entreprises où il n'y a pas de délégué syndical de la possibilité d'un accord ?

D'un côté, nous voulons développer le syndicalisme ; de l'autre, nous devons tenir compte de la réalité. Cet amendement consiste en un ajustement rédactionnel pour les très petites entreprises tout en gardant les options ouvertes.

M. Alain Milon, rapporteur.  - L'amendement n°26 rectifié, ainsi que l'amendement identique n°95, remet en question les apports de notre commission. Rappelons quelques évidences : nul ne peut obliger un salarié à être délégué syndical ; le monopole syndical place, de fait, de nombreuses entreprises à l'écart des négociations collectives. Doit-on fermer les yeux sur cette réalité ? La réponse est évidemment non. Nous n'avons pas supprimé le mandatement, nous en avons fait une option.

L'amendement n°239 me semble moins précis que le texte de la commission : il faut clarifier le seuil d'effectifs. D'où un avis de sagesse. Mais puisque la ministre, répondant à Philippe Mouiller, a démontré sa volonté de développer le dialogue social, nous pouvons aller jusqu'à l'avis favorable.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Avis défavorable aux amendements nos26 rectifié et 95 pour les mêmes raisons que le rapporteur.

La réflexion n'est pas achevée sur la question des seuils. Il faudra s'assurer que le mouvement syndical est encouragé dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.

M. Jean-Louis Tourenne.  - Il est curieux de déplorer le manque de délégués syndicaux dans les entreprises... pour décider de faire sans eux. Le mandatement est une solution à la question posée.

Je ne vois pas comment les syndicats vont se développer si les entreprises n'ont plus besoin d'eux. Jusqu'à présent, les rapports entre employeur et salariés étaient, en l'absence d'accord collectif, régis par l'accord de branche. C'était un encouragement à l'implantation syndicale.

Mme Nicole Bricq.  - Le mandatement n'est pas supprimé. Au demeurant, il ne date pas d'hier. Le seul succès à son crédit a été obtenu dans le cadre de la loi Aubry, en 1998, parce qu'il conditionnait des aides financières de l'État.

L'amendement du Gouvernement, en ne précisant pas de seuil, offre une solution de compromis qui fonctionne partout. Le groupe La République en marche le votera ; j'espère que l'Assemblée nationale aussi... Sans lui, on n'y arrivera jamais - la ministre a rappelé les chiffres, et les petites entreprises seront laissées de côté.

M. Jean-Marc Gabouty.  - Il existe souvent des accords dans les petites entreprises mais la plupart sont informels, dépourvus de réalité juridique. Autant les formaliser, c'est dans l'intérêt des entreprises et des salariés. L'amendement du Gouvernement poursuit cet objectif. Le mandatement n'a fonctionné, dans le cadre de la réduction du temps de travail, que de manière faciale : c'était un mandatement à l'envers, l'accord était négocié puis on demandait à un salarié d'obtenir le mandatement.

Ne disqualifions pas les délégués du personnel. Ils sont souvent renouvelés, parfois affiliés à une organisation syndicale sans vouloir pour autant devenir délégué syndical ; formons-les.

M. Philippe Mouiller.  - L'amendement n°239 donne au Gouvernement une responsabilité : trouver une solution pour ne pas aboutir à un blocage. Le texte de la commission était meilleur pour les entreprises de moins de 50 salariés.

M. Yves Daudigny.  - J'ai cosigné l'amendement n°26 rectifié, que je continue de soutenir. Nous mesurons tous la difficulté d'assurer une présence syndicale dans les petites entreprises. Pour développer le dialogue social, il faut imaginer des solutions, quitte à ce qu'elles soient temporaires et expérimentales.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Nous voulons à la fois faciliter la syndicalisation des PME et donner aux employeurs et salariés la possibilité de formaliser leurs accords. Les négociations sont souvent un premier pas vers la culture de la négociation.

Bien entendu, le mandatement restera possible. Pour autant, et bien qu'il ait été créé en 1996, il reste très faible. Notre responsabilité, Gouvernement comme Parlement, n'est-ce pas de faire le droit mais un droit fonctionnel, un droit qui ne soit pas formel ?

Les délégués du personnel connaissent, eux, un développement dynamique dans les entreprises : 27 % des entreprises de moins de 50 salariés en comptent, 80 % des entreprises de 50 à 99 salariés. Nous cherchons la meilleure voie pour entretenir une culture de la négociation.

Les amendements nos26 rectifié et 95 ne sont pas adoptés.

L'amendement n°239 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°27 rectifié, présenté par M. Tourenne et les membres du groupe socialiste et républicain.

Alinéa 13

Supprimer cet alinéa.

M. Jean-Louis Tourenne.  - Cet amendement revient au seuil de 50 % des suffrages pour la validation d'un accord collectif. Un taux de 30 % est véritablement insuffisant pour garantir une majorité.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°96, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Mme Laurence Cohen.  - La « consultation des salariés pour valider un accord » peut sembler positive. Pour autant, sa dimension peut être particulière, pour ne pas dire partisane.

Le référendum à l'initiative de l'employeur, grande revendication du Medef, dessillera ceux qui se berçaient d'illusions sur les buts poursuivis par le Gouvernement. C'est l'existence même de la représentation syndicale qui est attaquée. On ne peut manquer de faire l'analogie avec les recours aux ordonnances. Dans les deux cas, on dit : circulez, il n'y a rien à voir ! Les représentants du peuple, des collectivités, des salariés sont contournés par des pouvoirs jupitériens sous prétexte de modernité démocratique. (M. Alain Néri et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.)

Mme la présidente.  - Amendement n°97, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Alinéa 13

Remplacer le mot :

Facilitant

par le mot :

Encadrant

M. Dominique Watrin.  - Toute consultation des salariés doit s'accompagner d'un encadrement minimal en matière d'information des salariés. Surtout, il faut définir le périmètre des salariés concernés pour éviter tout détournement. Parce que les mots ont un sens, nous proposons d'encadrer.

Mme la présidente.  - Amendement n°191, présenté par M. Guérini, Mmes Jouve, Laborde et Costes, MM. Arnell, Bertrand, Castelli et Collombat, Mme Malherbe et M. Collin.

Alinéa 13

Supprimer les mots :

, notamment à l'initiative de l'employeur,

M. Guillaume Arnell.  - Cet amendement maintient la présence syndicale au sein des petites entreprises. Le référendum à l?initiative de l'employeur peut servir à contourner les organisations syndicales majoritaires.

Mme la présidente.  - Amendement n°185 rectifié bis, présenté par MM. Assouline, Cabanel et Durain, Mmes Guillemot et Lepage, M. Roger, Mmes Monier et Blondin et M. M. Bourquin.

Alinéa 13

Compléter cet alinéa par les mots :

, dans le cadre des dispositions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail

M. David Assouline.  - Cet amendement garantit que l'initiative de la consultation des salariés restera bien confiée aux organisations syndicales ayant recueilli au moins 30 % des suffrages. Pourquoi ne pas attendre le rapport qui doit bientôt être remis avant de légiférer ? Le risque est que l'on court-circuite les organisations syndicales.

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

M. David Assouline.  - S'il existe des blocages, c'est parce que la solution proposée ne convient pas aux salariés. Vous voulez encourager la confiance ? Mais cet alinéa 13 représente un acte de défiance envers les organisations syndicales, il est une porte ouverte à l'arbitraire de l'employeur.

M. Alain Milon, rapporteur.  - L'employeur peut déjà organiser des référendums en matière d'intéressement et de participation ou encore de dérogations au repos dominical. Le Gouvernement a la volonté de développer le référendum, nous aussi en demandant un parallélisme des formes entre employeurs et syndicats. L'avis est défavorable aux amendements identiques nos27 rectifié et 96.

Ne soyons pas méfiants à l'excès vis-à-vis des outils de la démocratie directe, ils ne sont pas incompatibles avec le dialogue syndical. Avis défavorable à l'amendement n°97.

L'amendement n°191 revient sur les travaux de la commission des affaires sociales qui est opposée à la généralisation des accords majoritaires. C'est une question d'équité.

Même avis sur l'amendement n°185 rectifié bis : nous ne voulons pas faire référence à un article du code du travail qui consacre l'accord majoritaire alors que nous refusons d'accélérer leur généralisation.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Avis défavorable aux amendements nos27 rectifié et 96. Un accord majoritaire est un accord validé soit à 50 % par les syndicats, soit à 30 % en plus d'un référendum.

Nous sommes d'accord : le référendum n'a pas vocation à devenir un outil de gestion permanent, encore moins à contourner les syndicats. Mais il est utile, parfois, d'y recourir pour conforter un accord.

Avis défavorable à l'amendement n°97. Retrait de l'amendement n°191, rejet de l'amendement n°185 rectifié bis.

Les amendements identiques nos27 rectifié et 96 ne sont pas adoptés.

M. Dominique Watrin.  - Le rapporteur soutient, sans surprise, la logique d'ensemble du texte. Mais dire que nous ne faisons pas confiance au dialogue social est exagéré. Dans l'entreprise Smart, les cadres ont été associés au référendum. Le résultat a été positif de justesse alors que les ouvriers concernés par l'augmentation du temps de travail à la chaîne ont voté contre. Je regrette que l'on laisse trop de pouvoir à l'employeur pour faire passer, dans un contexte de chômage de masse, des reculs sociaux.

L'amendement n°97 n'est pas adopté.

L'amendement n°191 est retiré.

L'amendement n°185 rectifié bis n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°243, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 14

Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :

c) Modifiant les modalités d'appréciation du caractère majoritaire des accords ainsi que le calendrier et les modalités de généralisation de ce caractère majoritaire ;

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Il faut accélérer la généralisation de l'accord majoritaire ; cela renforcera le dialogue social en donnant plus de grain à moudre, à négocier.

Mme la présidente.  - Amendement n°201 rectifié, présenté par Mme Lamure, MM. G. Bailly, Bas, Bonhomme, Buffet, Calvet, Cambon, Cantegrit et César, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon, Chatillon, Cuypers, Dallier, Danesi, Darnaud, Dassault et Delattre, Mmes Deroche, Deromedi et Di Folco, M. Doligé, Mme Duchêne, MM. Dufaut et Duvernois, Mme Estrosi Sassone, MM. B. Fournier, J.P. Fournier et Frassa, Mme Garriaud-Maylam, MM. Genest, Grand, Gremillet, Grosdidier, Guené, Huré, Husson, Joyandet, Karoutchi, Kennel, Laménie, Laufoaulu, D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Leleux, P. Leroy, Longuet, Magras, Malhuret, Mandelli et Mayet, Mme Mélot, MM. Nègre, de Nicolaÿ, Nougein, Panunzi, Perrin, Pierre, Pillet, Pointereau, Poniatowski et Poyart, Mme Primas, MM. Raison, Rapin, Reichardt, Retailleau, Revet et Savin, Mmes de Rose et Troendlé et MM. Vaspart, Vasselle et Vogel.

Après l'alinéa 14

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...) Supprimant la généralisation des accords majoritaires pour rétablir la signature des accords par les organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel ;

Mme Élisabeth Lamure.  - En commission, le rapporteur a supprimé l'habilitation créée par le projet de loi visant à accélérer la généralisation des accords majoritaires.

Dans le même esprit, cet amendement supprime la généralisation elle-même des accords majoritaires.

M. Alain Milon, rapporteur.  - Le Sénat s'est opposé l'an dernier à la généralisation des accords majoritaires prévue pour 2019. En effet, personne n'en connaît la typologie. La commission des affaires sociales, par conséquent, a émis un avis défavorable à l'amendement n°243 du Gouvernement.

Sur l'amendement n°201 rectifié, qui tire les conséquences de notre position, sagesse.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Avis défavorable à l'amendement n°201 rectifié.

Mme Nicole Bricq.  - L'amendement du Gouvernement est particulièrement intéressant. (On ironise sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il rappelle quelques règles de base. Le rapporteur maintient la position exprimée lors de l'examen de la loi El Khomri mais il n'est pas interdit de changer d'avis. L'accord majoritaire est une revendication portée par les organisations syndicales réformistes. (Mme Laurence Cohen s'exclame.) Elle est légitime.

Vous dites, monsieur le président Milon, que nous n'avons pas toute l'information nécessaire. Mais si vous refusez la généralisation des accords majoritaires, il sera difficile au Gouvernement de trouver une voie de passage. Dans tous les cas, l'important est que l'accord soit majoritaire.

M. Bruno Retailleau.  - Le texte du Gouvernement modifiait les modalités d'appréciation et le calendrier de la généralisation de l'accord majoritaire. Notre groupe Les Républicains maintient la position qu'il a exprimée l'an dernier : la généralisation des accords majoritaires bloquera, dans certaines entreprises, le dialogue social. C'est l'esprit de l'amendement porté par Élisabeth Lamure.

L'amendement n°243 n'est pas adopté.

L'amendement n°201 rectifié est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°240, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 15

Remplacer le mot :

Facilitant

par les mots :

Fixant à vingt-quatre mois les délais mentionnés aux IV et V de l'article 25 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels relatifs à

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Dès lors que nous renforçons le pouvoir de négociation des branches, il convient d'accélérer leur restructuration. Beaucoup n'ont aucune activité conventionnelle. D'où un délai de 24 mois à compter de l'adoption de la loi du 8 août 2016, soit la date d'août 2018.

M. Alain Milon, rapporteur.  - C'est un compromis : sagesse positive.

L'amendement n°240 est adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°99, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Alinéa 16

Supprimer cet alinéa.

Mme Annie David.  - La suppression de la commission de refondation du code du travail montre bien qu'il s'agit pour vous, non de renforcer les droits des salariés et de simplifier les règles, mais de mettre à bas les protections collectives. Nous avions obtenu, lors du vote de la loi El Khomri, que les organisations syndicales soient consultées, et c'est l'une des seules dispositions de la loi de 2016 que nous soutenions. La praticienne que vous dites être, madame la ministre, s'est muée en experte qui se passe de l'avis des praticiens...

Mme la présidente.  - Amendement identique n°186 rectifié bis, présenté par MM. Assouline, Cabanel, Courteau et Durain, Mme Jourda, MM. Labazée et Roger, Mmes Guillemot et Blondin, MM. Leconte et M. Bourquin et Mme Lepage.

M. David Assouline.  - Tout le monde le dit, le code du travail est très volumineux et parfois illisible. Il faut faire en sorte que des salariés qui veulent défendre leurs droits n'aient pas besoin de consulter trois avocats... Pour cela, la loi El Khomri avait arrêté une méthode claire et rigoureuse, destinée à améliorer l'articulation des niveaux de négociation sans jamais remettre en cause les principes fondamentaux.

Vous avez souligné à l'Assemblée nationale que le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel seraient saisis, mais ce dernier ne vérifiera pas la compatibilité entre la loi d'habilitation et le texte d'ordonnance, et le premier, une fois l'habilitation votée, ne pourra pas juger des mesures de l'ordonnance, la loi faisant écran.

Il est regrettable de se priver des garanties apportées par cette commission, à propos d'un droit essentiel à la vie des salariés.

M. Alain Milon, rapporteur.  - Le Gouvernement assure que l'ordonnance clarifiant les rôles des différents niveaux de négociation pourra être prise rapidement, remplissant ainsi la feuille de route assignée à la commission de refondation. Je souhaite qu'il en aille ainsi, et je lui fais confiance. Le rapport Combrexelle, qui évoquait un chantier de quatre ans, m'a laissé sceptique... Avis défavorable aux deux amendements.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Même avis. Cette commission est rendue inutile puisque nous ferons son travail plus rapidement en donnant une place centrale à la négociation collective, après avis du Conseil d'État et de toutes les instances utiles.

M. Jean Desessard.  - Je donne, moi, un avis favorable ! (Sourires) Il est parfois désagréable d'avoir eu raison trop tôt... Il y a un an - dans le même hémicycle, avec les mêmes personnes - je revois Mme El Khomri me disant « Ayez confiance, nous avons tout prévu ! ». J'alertais alors sur les risques d'un changement de gouvernement : la dynamite placée dans le code du travail, restait aux nouveaux à allumer la mèche ! Et c'était un gouvernement que j'avais défendu...

Mme Nicole Bricq.  - Chers collègues communistes, vous avez voté contre l'article de la loi El Khomri qui créait cette commission de refondation ! Je m'étonne donc que vous la défendiez à présent. Reste à savoir pourquoi le gouvernement précédent ne l'a pas mise en place avant les élections...

Sa suppression est la conséquence logique de toute notre discussion. Et puisqu'il s'agit de rendre le droit plus lisible, la ministre a promis de réaliser un code du travail numérique, en langage simple, afin que tout le monde le comprenne - parlementaires compris...

Mme Annie David.  - Le seul mérite de cette commission était l'obligation qui lui était faite de consulter les organisations syndicales.

Mme Nicole Bricq.  - Nous ne faisons que ça !

Mme Annie David.  - Elles sont peut-être reçues au ministère, voire entendues, mais de là à ce que leur avis soit pris en considération...

Madame la ministre, je me référais aux propos que vous teniez naguère devant la mission d'information sur le mal-être au travail, présidée par Jean-Pierre Godefroy. Vous étiez alors directrice des ressources humaines de Danone, et vous vous présentiez comme une praticienne... Le défaut des experts, c'est que ce ne sont pas toujours des praticiens !

Mme Laurence Cohen.  - Madame Bricq, il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles ! Ce projet de loi serait destiné à traduire le code du travail en langage parlé ? Allons bon ! Il s'agit d'une refonte complète du code du travail, qui revient sur les protections acquises aux salariés ! Assez de balivernes, assumez vos choix dans la clarté !

M. Marc Laménie.  - On peut comprendre l'attachement de nos collègues aux droits des représentants des salariés. Tout le monde ici respecte et défend les salariés.

M. Alain Néri.  - Non !

M. Marc Laménie.  - Cela dit, il faut garder les pieds sur terre. Nous avons aussi besoin de pédagogie et de lisibilité. À un moment donné, il faut faire des choses simples. J'irai dans le sens de la commission. (M. Loïc Hervé applaudit.)

Les amendements nos99 et 186 rectifié bis ne sont pas adoptés.

Mme la présidente.  - Amendement n°67 rectifié bis, présenté par M. Gabouty, Mmes Billon, Férat, Gruny et Joissains et MM. Capo-Canellas, Chasseing, D. Dubois, Kern, Longeot, Vanlerenberghe et Mouiller.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

...° De supprimer l'instance de dialogue du réseau de franchise instituée par l'article 64 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 précitée.

M. Jean-Marc Gabouty.  - Cet amendement supprime l'instance de dialogue social prévue par la loi El Khomri dans les réseaux de franchise, disposition issue d'un amendement de l'Assemblée nationale contre lequel le Sénat avait voté. Le décret d'application n'est venu que fort tard, le 4 mai 2017... Les rapports entre franchisés et franchiseurs sont déjà régis par les règles du code du travail relatives à leur branche d'activité et en fonction de leur taille.

Il n'y a pas de lien de subordination entre franchiseurs et salariés des franchisés. Ces derniers ont leurs propres structures, très diverses. Il peut s'agir de magasins de mode, de supermarchés, de garages... Que pense l'Assemblée nationale de cette disposition depuis que son profil est devenu plus entreprenarial ?

M. Alain Milon, rapporteur.  - Cet amendement est contraire à l'article 38 de la Constitution, qui interdit aux parlementaires d'introduire une habilitation à légiférer par ordonnances, mais je l'approuve sur le fond. Avis défavorable ; la ministre peut-elle nous éclairer sur le bilan de cette instance ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Elle n'a toujours pas vu le jour, personne n'ayant encore sollicité sa création. Il est urgent d'attendre. Même avis que le rapporteur, nous pourrons y revenir le moment venu.

M. Jean-Marc Gabouty.  - Je maintiens l'amendement, puisque cette instance n'est réclamée par personne ! N'est-ce pas ici un texte de simplification ?

M. Alain Richard.  - La loi de ratification, dans quelques mois, sera un véhicule plus approprié.

Mme la présidente.  - Monsieur le président Milon, demandez-vous que le Sénat déclare l'amendement irrecevable ?

M. Alain Milon, rapporteur.  - Oui.

Mme la présidente.  - Je mets aux voix cette proposition.

L'amendement n°67 rectifié bis est déclaré irrecevable.

Mme la présidente.  - Amendement n°138 rectifié, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - L'article L. 3231-4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À compter du 1er janvier 2018, le montant du salaire minimum de croissance servant de référence pour le calcul de l'indexation prévue au présent article ne peut être inférieur à 1 800 euros bruts mensuels. »

M. Dominique Watrin.  - Malgré les annonces répétées de coup de pouce au Smic, celui-ci n'a augmenté que de 10 centimes par an en moyenne ces dix dernières années. Les rémunérations des responsables exécutifs des entreprises du CAC40, elles, ont bondi de 63 % en six ans. La stagnation des salaires limite la demande, donc la production. Elle nous entraîne dans une spirale déflationniste dangereuse pour l'emploi, les conditions de travail et l'environnement. D'où cette proposition de hausse du salaire minimum, sujet sur lequel nous aimerions connaître les intentions du Gouvernement.

M. Alain Milon, rapporteur.  - Cet amendement n'a pas de lien direct avec le texte. L'évolution du Smic appelle une analyse économique complexe, car sa hausse crée des trappes à pauvreté, certaines personnes restant au chômage parce que leur productivité n'est pas suffisante pour un salaire donné. Avis défavorable.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Des mécanismes de revalorisation sont prévus dans le code du travail et ce n'est pas le lieu d'en discuter. La suppression des cotisations chômage augmentera de 2,4 % le pouvoir d'achat des salariés, y compris au Smic. Avis défavorable.

M. Alain Néri.  - Je voterai l'amendement : il compensera la perte de 5 euros sur les APL ! (Mme Laurence Cohen applaudit.)

M. Martial Bourquin.  - Le Smic crée des trappes à pauvreté, dit-on. Voici un scoop : la France est championne d'Europe de la distribution de dividendes. Près de 35 milliards d'euros ont été distribués par les grandes entreprises au deuxième trimestre 2016, soit une hausse de 11 % sur un an. J'ai tout à l'heure cité de manière erronée une étude de la délégation aux entreprises ; d'après celle-ci, un tiers des dirigeants de PME identifient le risque financier et, notamment, l'accès au crédit comme leur principal problème. Dès qu'on parle de Smic, on nous dit : « Attention ! Trappe à pauvreté ! ». Alors qu'on ne parle jamais des 60 à 80 milliards d'euros qui quittent la France pour faire de l'optimisation fiscale. Si l'on s'attaque à ce mal de notre société, plus d'austérité, plus de ponction sur les APL ou sur les petites retraites ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Pendant des années, on nous a seriné que le Smic freinait les embauches. Or d'autres font le chemin inverse : l'Allemagne s'est dotée d'un salaire minimum parce qu'on constatait que la négociation en entreprise ouvrait la voie au dumping social. Tony Blair lui-même avait choisi d'en instaurer un progressivement. Partout en Europe, on se range à cette idée, parce qu'on a besoin de demande. L'offre, c'est bien joli, à condition qu'il y ait des gens pour consommer !

On entend parfois qu'il faudrait d'abord un Smic européen. Faux argument : l'industrie allemande est plus compétitive que la nôtre alors que les salaires y sont plus élevés. Il est temps de rééquilibrer les rapports entre le capital et le travail. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes socialiste et républicain et communiste républicain et citoyen)

L'amendement n°138 rectifié n'est pas adopté.

À la demande du groupe communiste républicain et citoyen, l'article premier, modifié, est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°129 :

Nombre de votants 335
Nombre de suffrages exprimés 334
Pour l'adoption 229
Contre 105

Le Sénat a adopté.

M. Alain Néri.  - Nous progressons !

ARTICLES ADDITIONNELS

Mme la présidente.  - Amendement n°100, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 3° de l'article L. 1233-3 du code du travail est abrogé.

Mme Annie David.  - Nous demandons cette fois la suppression d'une disposition de la loi El Khomri : l'extension du champ du licenciement économique aux cas où le salarié refuse une modification substantielle de son contrat de travail - le passage à temps partiel, par exemple, ou la perte d'une prime - au nom d'une « réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité ».

M. Alain Milon, rapporteur.  - Cette notion, introduite dans le code par la loi El Khomri, fut reconnue dès le 5 avril 1995 par la Cour de cassation dans l'arrêt Vidéocolor. Avis défavorable.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°100 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°180 rectifié, présenté par Mme Meunier, M. Tourenne, Mme Lienemann, M. Labazée, Mmes Jourda et Yonnet, MM. Mazuir, Duran, Montaugé, Assouline, Durain et Cabanel et Mme Monier.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le quatrième alinéa de l'article L. 2232-22 du code du travail est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« La validité des accords ou des avenants de révision conclus en application du présent article est soumise à l'approbation par la commission paritaire de branche. La commission paritaire de branche contrôle que l'accord collectif n'enfreint pas les dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles applicables.

« Si cette condition n'est pas remplie, l'accord est réputé non écrit. »

Mme Michelle Meunier.  - Les accords conclus par des élus non mandatés doivent continuer d'être soumis à la commission de validation des accords collectifs. Cela répond à une double préoccupation : d'une part, le renforcement du rôle régulateur de la branche ; d'autre part, la remontée effective des informations de terrain au niveau de la branche.

M. Alain Milon, rapporteur.  - La commission souhaite, elle, une refonte globale des règles de négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical. D'ailleurs, l'article L. 2232-22 en vigueur prévoit seulement que les accords soient transmis pour information à cette commission de validation, sans en faire un préalable à leur dépôt et à leur entrée en vigueur. Le Sénat plaide depuis 2015 en faveur d'un assouplissement, puisque toutes les branches n'ont pas mis en place une telle commission. Lorsqu'elle existe, elle tarde souvent à rendre ses avis, ou se prononce en opportunité...

Avis défavorable.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°180 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°116 rectifié, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 2242-20 du code du travail est abrogé.

Mme Laurence Cohen.  - La première loi Travail a permis de déroger aux règles de négociations dans l'entreprise prévues à l'article L. 2242-1 du code du travail, ce à quoi nous ne sommes pas tellement favorables, car de telles dérogations non encadrées fragilisent les droits des salariés. Surtout, nous ne pouvons admettre que la négociation annuelle se mue en négociation triennale sur n'importe quel sujet, y compris la rémunération, l'égalité professionnelle ou la qualité de vie au travail.

M. Alain Milon, rapporteur.  - La périodicité de la négociation ne peut être modifiée qu'avec l'accord des partenaires sociaux, si un accord sur l'égalité professionnelle a été signé ou, à défaut, un plan d'action engagé, et toute organisation signataire peut revenir sur sa décision. Dans ces conditions strictes, cette faculté peut permettre aux partenaires sociaux de ne négocier chaque année que sur les problématiques essentielles, celles qui sont secondaires ou plus consensuelles n'étant abordées que tous les trois ans. La commission est d'accord pour habiliter le Gouvernement à revoir la périodicité et le contenu des consultations et négociations obligatoires.

Avis défavorable.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Même avis.

M. Jean Desessard.  - Les communistes veulent maintenir une périodicité annuelle. C'est net ! J'ai moins bien compris la réponse de M. le rapporteur... Je croyais qu'il était contre les ordonnances !

Quant à Mme la ministre, comment peut-elle s'opposer à cet amendement alors qu'elle prétend renforcer le dialogue social dans l'entreprise ? Tout à l'heure, elle nous disait que trois ans, c'est trop long !

M. Alain Néri.  - Exactement !

Mme Annie David.  - C'est en effet contradictoire. Les négociations sur l'égalité salariale, les salaires, sont importantes. Chacun d'entre nous, mes chers collègues, est mobilisé aux côtés des salariés lorsqu'ils sont menacés. On ne peut vanter la proximité du terrain et s'opposer à une négociation annuelle. Je ne suis pas sûr que salariés et employeurs aient la même vision : les uns défendent le maintien de l'emploi de qualité sur un territoire, les autres l'emploi qui leur rapportera un peu plus, ici ou ailleurs...

M. Alain Milon, rapporteur.  - J'ai dit, cher collègue Desessard, que les ordonnances ne sont pas à mes yeux une procédure démocratique.

M. Alain Néri.  - Très bien !

M. Alain Milon, rapporteur.  - Mais c'est une procédure républicaine, que tous les gouvernements ont utilisée.

M. Alain Néri.  - Les ordonnances, c'est votre métier, docteur Milon !

M. Alain Milon, rapporteur.  - Avez-vous besoin d'une prescription pour laisser parler les autres ?

Dans le cadre d'un projet de loi d'habilitation, le Parlement n'est pas là pour écrire les ordonnances, mais pour en fixer le cadre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - La loi Rebsamen de 2015 a autorisé les partenaires sociaux à adapter par accord la périodicité des négociations, avec des garde-fous. Rien ne permet de dire que cela ait diminué les droits des salariés. Cela concerne surtout des entreprises qui pratiquent un dialogue social renforcé.

La position du Gouvernement est très cohérente : il fait confiance au dialogue social, y compris pour décider de rendre certaines négociations pluriannuelles plutôt qu'annuelles. Pourquoi pas ?

M. Olivier Cadic.  - On ne négocie pas mieux parce qu'on négocie beaucoup. En Europe du Nord, modèle de dialogue social, on ne négocie souvent que tous les trois ans et cela marche très bien. Salariés et employeurs y gagnent en visibilité.

L'amendement n°116 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°28 rectifié, présenté par M. Tourenne et les membres du groupe socialiste et républicain.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au quatrième alinéa du III de l'article L. 2254-2 du code du travail, les mots : « L'accord peut prévoir » sont remplacés par les mots : « L'accord prévoit ».

M. Jean-Louis Tourenne.  - M. Bourquin a évoqué tout à l'heure les profits et revenus scandaleux des plus riches. Certains n'hésitent pas à augmenter leur rémunération quand leur entreprise va mal, licencie et baisse les salaires.

Or l'article L. 2254-2 du code du travail issu de la Loi du 8 août 2016 dispose que lorsqu'un accord d'entreprise est conclu en vue de la préservation ou du développement de l'emploi, l'accord peut prévoir les conditions dans lesquelles les dirigeants salariés, les mandataires sociaux et les actionnaires fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux autres salariés. Faisons-en une obligation, ce sera bien le moins. Les Français ne supportent plus l'indécence de certains comportements.

M. Alain Milon, rapporteur.  - J'entends les propos de nos collègues communistes ; les socialistes en revanche ne sauraient nous reprocher de ne pas faire ce qu'ils auraient pu faire ces cinq dernières années. (Vifs applaudissements au centre et à droite)

M. Philippe Mouiller.  - Très bien !

M. Alain Néri.  - Vous étiez au pouvoir avant nous !

Mme la présidente.  - Un peu de sérénité, cher collègue.

M. Alain Milon, rapporteur.  - Conservons une certaine souplesse pour que les accords de préservation et de développement de l'emploi ne connaissent pas le même funeste sort que les accords de maintien dans l'emploi. Autrement dit, restons-en là. Retrait ou avis défavorable.

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - Je n'ai rien à ajouter sur le fond. Quant au processus, je souhaite que les différents accords soient harmonisés. L'amendement est donc prématuré.

M. Martial Bourquin.  - L'argumentaire du rapporteur me surprend. Vous dites qu'au pouvoir, nous n'avons rien fait...

M. Jean Desessard.  - M. Macron aussi était aux responsabilités !

M. Martial Bourquin.  - J'allais le dire ! Tout de même, nous opposer de tels arguments quand on a créé le bouclier fiscal, que l'on s'apprête à supprimer en partie l'ISF...

Mme Sophie Primas.  - M. le rapporteur n'y est pour rien !

M. Martial Bourquin.  - Ne trouvez-vous pas indécent de ponctionner l'APL et les retraités modestes, de mettre en place une politique antisociale, alors que les inégalités sont la cause de la croissance molle ?

Il faut prendre l'argent chez les pauvres, disait Alphonse Allais : ils n'en ont pas beaucoup, mais ils sont si nombreux !

Nous marquons un désaccord fondamental. Le Gouvernement ne veut pas s'attaquer à l'évasion fiscale et aux vrais privilèges ; il passe par des ordonnances pour éviter le débat devant le Parlement ; c'est indécent. (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche)

M. Jean-Louis Tourenne.  - M. Milon nous a habitués à plus de logique. Il est vrai qu'aucun remède n'a été apporté pendant cinq ans à une situation difficile à accepter. Mais est-on condamné à ne rien faire pour l'éternité ? (Exclamations à droite et au centre) Si nous avions tout réglé, quelle serait l'utilité du Parlement ?

Cette mesure serait dissuasive ? J'en doute un peu. Il serait au contraire encourageant pour les salariés de savoir que tous participent à l'effort. Je n'ai pas le souvenir que les actionnaires aient fait les mêmes sacrifices que les salariés de Smart ou de Peugeot. Changeons cette façon de voir sans craindre que les entreprises s'en aillent... Malgré les 35 heures, malgré les charges sociales, nous restons un pays attractif.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Bruno Retailleau.  - Ne changeons rien !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Les patrons seraient les vrais, les seuls défenseurs de l'intérêt de l'entreprise... Dans ce cas, qu'ils prennent leur part des efforts ! Il est légitime qu'un dirigeant d'entreprise, comme un actionnaire, participe aux efforts.

Mme Sophie Primas.  - Qu'est-ce que vous croyez ? C'est ce qu'ils font !

Mme Annie David.  - Inscrivons-le dans la loi s'ils le font déjà !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Il n'y aura pas de confiance si les propriétaires du capital ne prennent pas leur part des efforts demandés aux travailleurs.

M. Alain Néri.  - Cet amendement s'inscrit dans la pratique républicaine de notre pays, en particulier l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme selon lequel chacun contribue aux dépenses de la Nation en raison de ses facultés. De même, pour l'entreprise, je préconise un effort partagé, non pas proportionnel mais progressif, donc progressiste, dans l'esprit de l'impôt sur le revenu instauré par Joseph Caillaux. Et si vous êtes progressistes, votez cet amendement !

M. Jean Desessard.  - Remplacer « peut prévoir » par « prévoit » : quelle audace ! Non, c'est un peu timide. La majorité sénatoriale défend le patronat, on le sait. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) Mais le Gouvernement ?

Le président Macron a dit vouloir rassembler deux France, pour ne laisser personne sur le bord de la route...

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Et en même temps... (Sourires)

M. Jean Desessard.  - Et en même temps, nous attendons des gestes. Les 11 % d'augmentation pour les actionnaires, cela ne vous gêne pas. Or les inégalités n'enrichissent personne, au contraire.

On attendait que la ministre définisse les objectifs sociaux de ce Gouvernement. Les Français vous ont apporté leur confiance pour le changement. Pourquoi ne pas demander des efforts aux actionnaires quand l'entreprise va mal ?

L'amendement n°28 rectifié n'est pas adopté.

ARTICLE 2

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Cet article fusionne les instances représentatives du personnel, à marche forcée. Le Conseil d'État note qu'il ne sera pas possible de conserver plusieurs instances représentatives : on pourra négocier de tout, mais pas de ça !

Couplé au référendum d'initiative patronale et à la limitation de la capacité d'intervention des syndicats, c'est très dangereux. La présence syndicale dans l'entreprise n'est inscrite dans la loi que depuis 1981...

Sans instance exclusivement dédiée à l'hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail, ces thèmes sont négligés. (M. Roland Courteau renchérit.)

C'est dangereux pour le suivi des négociations sociales sur les conditions de travail, alors que les Français ne se sentent pas reconnus dans leur travail et jugent leurs conditions de travail pénibles. Tout cela est très négatif.

Mme Évelyne Yonnet .  - Cet article, durci par la commission, ne renforce pas le dialogue social. J'entends la volonté de simplification pour les TPE et PME qui n'ont sans doute pas l'immoralité des grands patrons, qui n'entendent qu'amasser des milliards au mépris des droits sociaux et de l'environnement, confer la Françafrique...

La compétence d'ester en justice reconnue à l'instance unique rassure un peu, mais je crains surtout que l'on atténue le rôle des syndicats dans les négociations. Quid de l'expertise des représentants des salariés en matière de santé, alors que les maladies professionnelles comme le burn out explosent, de conditions de travail, de formation ? Ce n'est pas en réduisant le poids des organisations syndicales dans le dialogue social que vous les rendrez plus attractives ! Oui à la flexibilité, mais oui à la sécurité.

Mme la présidente.  - Veuillez respecter les temps de parole.

M. Roland Courteau .  - La fusion des instances représentatives du personnel va relativiser les questions de santé au travail. Chacune a une histoire, une raison d'être. Les CHSCT ont un rôle irremplaçable ; la loi de 2013 en a fait des lanceurs d'alerte en matière d'environnement. Comme l'écrit le sociologue Louis-Marie Barnier, le CHSCT est la mauvaise conscience de l'employeur.

M. Jean Desessard.  - Très bien.

M. Roland Courteau.  - Malgré la loi Auroux de 1982 et la directive de 1989, certaines organisations patronales considèrent encore ses prérogatives comme exorbitantes. Comme l'écrit ce même sociologue, cachons ces conditions de travail que nous ne saurions voir... Fusionner ces instances, c'est leur ôter force et efficacité. Je m'opposerai à cet amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean Desessard.  - Bravo !

M. Olivier Cadic .  - La fusion est une excellente avancée qu'il ne faut pas dénaturer en prévoyant exceptions ou expérimentations. Si vous ne l'imposez pas, elle ne se fera pas. Inutile de multiplier les instances : simplifions pour avoir des interlocuteurs moins nombreux mais aux compétences renforcées.

Le chèque syndical et la valorisation des carrières des représentants du personnel sont des réformes bienvenues, mais bien modestes.

Il convient de revoir en profondeur le rôle et l'organisation des syndicats, à commencer par leur financement ; la cotisation patronale obligatoire est perçue par certains comme un vrai racket, (Protestations à gauche) et n'incite pas les syndicats à offrir de vrais services pour trouver de nouveaux adhérents.

M. Dominique Watrin .  - Madame la ministre, vous semblez regretter le faible taux de syndicalisation dans les TPE-PME. En réalité, être syndiqué en 2017 est toujours mal vu par certains patrons. Licenciements abusifs, sanctions injustifiées, chantage à l'emploi, harcèlement, humiliations : le risque de répression syndicale est réel. Le Conseil économique, social et environnemental a recensé dans son rapport du 13 juillet 2017 les atteintes à ce droit : 11 % des salariés du privé et agents du public estiment en avoir été victimes et 14 % témoins de discriminations syndicales. Ces actes ont valeur d'avertissement pour dissuader les salariés de s'engager... Ce n'est pas en autorisant les employeurs à passer outre les délégués syndicaux que l'on s'attaquera aux racines du mal. (Marques d'approbation à gauche)

Mme Annie David .  - Madame la ministre, vous aviez présenté naguère à notre commission un rapport sur le bien-être au travail que vous disiez être celui d'une praticienne et non d'une experte. Vous y cibliez les grandes causes de stress : peur du chômage, prégnance de la performance, numérisation... Vous concluiez au rôle fondamental du CHSCT. Or la fusion des instances l'affaiblit. Où est passée la praticienne de 2010 ? Je conçois l'amertume des employeurs pris en défaut par les tribunaux, mais ils ont le devoir de veiller à la santé et à la sécurité de leurs employés. Voyez les lettres des employés des installations classées Seveso en Isère, qui se battent pour faire reconnaître les dangers auxquels ils sont exposés.

Mme Laurence Cohen .  - Le dialogue social que vous prônez est totalement asymétrique. Comment vivifier la démocratie en court-circuitant les syndicats ?

La faible syndicalisation s'explique avant tout par la précarité, la peur du chômage et du déclassement, l'impunité des patrons qui multiplient poursuites judiciaires, brimades, intimidations. Tous les moyens sont bons pour certains employeurs.

Je citerai la SNCF, condamnée à quatorze reprises en 2015, Ford, qui a poursuivi pour dégradation en réunion des syndicalistes ayant lancé des confettis, ou encore Ikea. Ce ne sont pas des cas isolés ; 45 % des représentants du personnel syndiqués interrogés par le CESE ont confié que leur mandat était un frein pour leur carrière, et les études du Défenseur des droits le confirment. Faites donc appliquer la loi si vous voulez encourager la syndicalisation, plutôt que d'accepter les licenciements de salariés protégés !

Mme la présidente.  - Je vous propose de poursuivre nos travaux au-delà de minuit, pour en finir avec les prises de parole sur l'article.

Mme Dominique Gillot .  - Les personnes en situation de handicap ont deux fois plus de risque de connaître le chômage, ne sont que 35 % dans l'emploi, sont moins qualifiées et moins bien formées. Près d'1 million de personnes handicapées travaillent, à 80 % en milieu ordinaire, souvent à temps partiel ou en situation de sous-emploi. Le handicap est la deuxième cause de discrimination. Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) que je préside recommande d'assurer une sécurisation des parcours vers l'emploi pour tous. C'est pourquoi je demande au Gouvernement d'évaluer systématiquement l'impact des mesures prises sur l'emploi des personnes handicapées, avec pour objectif de porter à 6 % le taux de travailleurs handicapés dans les entreprises publiques et privées. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Yves Daudigny .  - La loi Rebsamen permet déjà de fusionner les instances représentatives du personnel dans les entreprises de moins de 300 salariés.

Les témoignages abondent sur les effets néfastes du cloisonnement des instances, chronophage, complexe et inefficace. Les pays où le dialogue social est fort ont moins d'instances.

Pour autant, leurs compétences et attributions doivent être transférées au nouveau comité. Je propose la création en son sein d'une commission spécialisée sur les métiers dangereux. Il ne faut surtout pas baisser la garde en matière de santé et de sécurité au travail.

La nouvelle instance doit par-dessus tout conserver la possibilité d'ester en justice. Si l'on limite le nombre de mandats de représentant du personnel, il faudra encadrer le retour à l'emploi des salariés protégés pour éviter toute chasse aux sorcières.

À ces conditions, la fusion peut être bénéfique pour tous.

Mme Catherine Génisson .  - J'insiste à mon tour sur la nécessité d'un statut particulier pour le CHSCT. MM. Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, dans leur rapport sur le mal-être au travail, ont souligné les besoins de formation en matière de santé, notamment psychologique, et appelé à clarifier les compétences du CHSCT en proposant, dans certains cas, un regroupement avec celles du comité d'entreprise, sous réserve d'accord des partenaires sociaux.

Madame la ministre, vous estimiez dans votre rapport de 2010 que l'articulation entre comité d'entreprise et CHSCT était insuffisante. Tout cela mérite une discussion approfondie, au-delà du principe de la fusion. Nous vous proposerons de conserver une commission ad hoc qui héritera des compétences du CHSCT.

M. Jean Desessard .  - Peut-on simplifier la santé ? Si oui, qu'on le dise aux médecins ! Les facteurs sont multiples, et le monde du travail y a sa part.

Si on veut que l'entreprise marche, alors mettons la santé sous gestion administrative. Mais si l'on veut que l'entreprise soit citoyenne, mettons l'accent sur la prévention et notamment sur les conditions de travail. Le CHSCT doit être le garant de la santé des travailleurs, de l'entreprise comme de la branche.

M. Martial Bourquin .  - Certains ici ont fait l'ENA ou été chef d'entreprise. Pour ma part, j'ai très longtemps été délégué syndical en production. Je sais ce dont je parle ! Le monde du travail, ce sont avant tout les conditions de travail. Un représentant syndical au CHSCT nécessite des mois de formation. Rappelez-vous les suicides à France Telecom, La Poste, les procès de l'amiante ! (On renchérit sur les bancs du groupe socialiste et républicain.)

Mme Catherine Génisson.  - Les mineurs...

M. Martial Bourquin.  - Et l'on voudrait empêcher les CHSCT de fonctionner ? Obliger les représentants à s'en aller à peine formés, au bout de deux mandats ?

Savez-vous que des délégués syndicaux injustement sanctionnés se sont tournés, avec succès, vers la justice pour faire condamner leurs employeurs ? Savez-vous qu'il y a dans l'entreprise un lien de subordination fondamental qui fait du dialogue, non une sympathique conversation, mais le combat du pot de terre contre le pot de fer ? (M. Alain Néri renchérit)

M. Cadic a été clair : imposez cette loi, sinon elle ne passera pas... C'est marche ou crève ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Roland Courteau.  - Voilà quelqu'un qui connaît l'entreprise !

M. Daniel Chasseing .  - Fusionner les instances n'est pas réduire la représentation syndicale. Il faut mieux associer le personnel aux décisions, pour favoriser la syndicalisation. Certains voient l'entreprise comme un lieu de subordination et d'affrontement. Ce n'est pas vrai. Monsieur Desessard, à croire que je n'ai vu que des entreprises citoyennes. Ne faites pas d'amalgames entre les patrons de TPE et les grands patrons aux salaires exorbitants. Leur problème, ce n'est pas le dialogue, ils le pratiquent quotidiennement...

M. Alain Néri.  - Il ne faut pas que ce soit un dialogue de sourds ! (On se récrie à droite.)

M. Daniel Chasseing.  - ... mais plutôt de trouver des gens formés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cadic applaudit également.)

M. Michel Canevet .  - La France est moins compétitive qu'il y a cinq ans, alerte Les Échos. Quand j'entends certains ici demander à alourdir les contraintes sur les entreprises, je le comprends ! Je me félicite que le Gouvernement ait pris le problème à bras-le-corps et s'attaque au code du travail. Il était temps de parler de simplification ! Trop de contraintes pèsent sur les entreprises. Voyez la réalité de la situation de l'emploi dans notre pays ! Il faut penser aux six millions d'inscrits à Pôle emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union centriste ; M. Philippe Mouiller applaudit également.)

M. Martial Bourquin.  - Ce n'est pas à nous qu'il faut dire ça !

Mme la présidente.  - Nous avons examiné 57 amendements, il en reste 165.