SÉANCE

du mercredi 11 octobre 2017

5e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Catherine Deroche, M. Victorin Lurel

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Éloge funèbre de Nicole Bricq

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires se lèvent.) C'est avec stupeur et tristesse que nous avons appris, au coeur de l'été, la disparition si soudaine, que rien ne pouvait laisser présager, de notre collègue Nicole Bricq.

Nicole Bricq nous a quittés alors que, toujours déterminée et infatigable, elle avait siégé parmi nous quelques jours plus tôt, jusqu'au terme de la session extraordinaire.

C'était une femme de caractère au sens le plus élevé du terme, dont la compétence était unanimement reconnue sur tous les bancs de notre assemblée.

Elle voua sa vie entière à son engagement politique en faveur des valeurs auxquelles elle croyait, exerçant des responsabilités publiques de haut niveau, au sein du parti socialiste, comme élue locale, comme parlementaire et comme ministre.

Née à La Rochefoucauld, cette fille d'agriculteurs quitta sa Charente natale pour étudier à Bordeaux où elle obtint une maîtrise de droit privé.

Alors qu'elle n'avait que 21 ans, elle ressentit la nécessité d'un engagement politique. En 1972, elle adhère au parti socialiste pour défendre les idées qui lui tiennent à coeur.

Selon son frère, Lucien Vayssière, « Nicole a toujours aimé la politique. C'était une vocation ». Sa détermination sans faille était, à ses yeux, le fruit d'une éducation familiale où trois valeurs étaient au premier rang : le travail, la responsabilité, l'austérité.

Au sein du parti socialiste, Nicole Bricq gravit successivement tous les échelons ; elle fut première secrétaire fédérale à Paris, membre du Comité directeur, membre du Conseil national, secrétaire nationale chargée de la consommation, déléguée nationale chargée de la fiscalité locale et membre des équipes de campagne pour les candidatures aux élections présidentielles de Lionel Jospin et de François Hollande.

L'engagement militant de Nicole Bricq déboucha logiquement, en 1986 sur un premier mandat électif, celui de conseillère régionale d'Île-de-France, qui devait être suivi de beaucoup d'autres.

Son engagement politique la conduisit aussi à devenir, en 1988, conseillère technique chargée des relations avec le Parlement et les élus au cabinet de notre ancien collègue Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la défense, puis conseillère technique pour les relations avec le Parlement au cabinet de Ségolène Royal au ministère de l'environnement, en 1992.

C'est forte de cette première expérience du monde parlementaire, que Nicole Bricq fit son entrée à l'Assemblée nationale en 1997, comme députée de Seine-et-Marne. Elle siégea d'abord à la commission de la production et des échanges, puis à la commission des finances où elle fut membre de la mission d'évaluation et de contrôle sur la dépense publique.

Elle commença alors à se forger une solide compétence en matière de finances publiques et fut l'auteur, en 1998, d'un rapport d'information suggérant une réforme de la fiscalité au service de l'environnement et un renforcement de l'application du principe « pollueur-payeur ».

Après avoir rejoint le conseil municipal de Meaux en 2001, Nicole Bricq fut élue sénatrice de Seine-et-Marne en 2004. Réélue en 2011, elle siégea sans interruption dans notre assemblée jusqu'à sa nomination au Gouvernement en 2012.

Dans le cadre de son mandat sénatorial, elle s'affirma comme une spécialiste incontournable des questions budgétaires et l'une des personnalités les plus éminentes de notre commission des finances, dont elle fut vice-présidente de 2008 à 2011.

J'ai la conviction que c'est au Sénat, lorsqu'elle devint rapporteure générale du budget, un poste essentiel, que sa vie politique connut un tournant. C'est à ce moment précis que ses collègues, quel que soit leur groupe, prirent conscience de sa rigueur et de ses compétences qui lui permirent d'occuper de hautes fonctions ministérielles.

Dans un rapport préalable au débat sur les prélèvements obligatoires, elle dressa ainsi, à l'automne 2011, un bilan critique de la politique menée dans ce domaine depuis 2007, assorti de pistes et de propositions pour le quinquennat à venir, comme la suppression de nombreuses « niches fiscales » et une réforme des modalités de calcul des principaux impôts destinée à accroître leur rendement tout en favorisant - elle y tenait - la justice fiscale.

C'est le 16 mai 2012, à l'issue des élections présidentielles, que Nicole Bricq fut appelée à exercer des responsabilités gouvernementales.

D'abord ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie dans le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault, elle prit des positions conformes à ses convictions en faveur de la protection de l'environnement, souhaitant l'introduction d'une plus grande transparence dans l'attribution des gisements miniers et annonçant la suspension des permis de forages exploratoires d'hydrocarbures au large de la Guyane.

Nicole Bricq fut ensuite, de juin 2012 à mars 2014, ministre du commerce extérieur dans le second gouvernement Ayrault, fonctions qu'elle exerça avec la force de conviction qui la caractérisait.

Nicole Bricq revint au printemps 2014 au Sénat où, siégeant à nouveau à la commission des finances puis à la commission des affaires sociales, elle s'investit pleinement dans l'exercice de son mandat parlementaire, en particulier à l'occasion de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques présenté par le ministre d'alors, Emmanuel Macron.

Toujours libre et déterminée dans ses engagements, elle fut parmi les premiers parlementaires à le soutenir lors de la campagne présidentielle de 2017, et parmi les premiers sénateurs à rejoindre le nouveau groupe de « La République en marche » au sein de notre assemblée.

Le 2 août dernier, elle était présente dans cet hémicycle pour participer à nos débats sur les ordonnances relatives au dialogue social.

Elle décrivit alors, dans ce qui allait être son ultime intervention parmi nous, le rôle essentiel du parlementaire participant à une commission mixte paritaire, dans des termes que je voudrais rappeler et que nous pourrions, je crois, tous reprendre à notre compte : « S'il est un moment privilégié dans la vie d'un parlementaire, c'est bien quand il participe à une commission mixte paritaire (...). En effet, on dispose, pour une fois, d'une entière liberté, on est mis en face de sa responsabilité. Nous savons qu'il n'y a pas de mandat impératif pour un parlementaire. Il faut choisir la voie la meilleure pour arriver à un compromis positif. » Tout est dit, me semble-t-il, sur le bicamérisme.

Tout au long de ce riche parcours politique, Nicole Bricq s'était imposée, dans chacune de ses fonctions successives, par son travail acharné et ses compétences.

À l'occasion d'un entretien donné à La République de Seine-et-Marne en 2006, elle témoignait en ces termes des handicaps qu'elle avait dû, à ses yeux, surmonter : « J'étais une provinciale, sans réseaux, sans amitiés d'écoles et de pouvoir, je ne venais pas d'un milieu élevé ».

Et d'ajouter : « pour une femme, la politique est un dur combat, violent même et qui peut faire peur. Il faut avoir une cuirasse. Si je n'avais pas eu la politique chevillée au corps, l'opiniâtreté, je n'aurais pas réussi ». Oui, forte personnalité au caractère bien trempé, elle se plaisait à observer: « d'un homme on dit qu'il a du caractère, d'une femme qu'elle a mauvais caractère (Sourires). J'ai le mien. »

Elle fut une femme libre, passionnément engagée en politique, au service de l'État et de la chose publique.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite rendre aujourd'hui, dans notre hémicycle, par-delà les mots et la tradition, un hommage solennel à une parlementaire de premier plan dont l'intelligence, la compétence et la force de conviction et de caractère étaient unanimement respectées et faisaient honneur à notre assemblée.

À ses anciens collègues de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, à ses amis et camarades du groupe socialiste et républicain et du groupe « La République en marche », j'exprime notre sympathie.

À M. Jean-Paul Planchou, à son fils Renaud, à toute sa famille et à ses proches, ici rassemblés, à certains de nos anciens collègues eux aussi présents dans nos tribunes d'honneur, je tiens à dire, en ce moment de recueillement, l'émotion de chacun des membres du Sénat.

Nicole Bricq est en cet instant vraiment présente dans cet hémicycle, au-delà de nos mémoires.

M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires .  - C'est avec beaucoup d'émotion que je vous parle, et à travers moi le Gouvernement, d'une grande dame qui nous a quittés brutalement un samedi d'août, Nicole Bricq.

J'eus la chance de bien connaître Nicole Bricq pour avoir travaillé avec elle pendant plusieurs années ; d'abord à son cabinet, au commerce extérieur ; puis quand elle fit le choix de rejoindre les rangs d'En Marche, avec un certain nombre d'entre vous ici présents.

Cette grande dame, que je respectais tant, avait une voix et un visage singuliers.

Son visage était le symbole même de la franchise que vous lui connaissiez. Il exprimait toujours ce qu'elle pensait. Rien qu'en la regardant, il était assez facile de savoir si le dossier qu'elle avait à traiter lui convenait, si la journée était difficile ou si elle était parvenue à lever les obstacles. Son humeur n'était jamais voilée ou feinte.

Elle était directe. Elle allait droit au but. Elle pouvait raccrocher au téléphone avant même de dire au revoir à son interlocuteur, car l'essentiel avait été dit.

Son franc-parler rompait avec les habitudes et les pratiques convenues. C'était le cas ici, bien sûr, dans les rangs de cette assemblée, qu'elle aimait et respectait tant.

Mais elle ne réservait pas sa franchise au Sénat. Elle avait l'habitude de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, aussi bien dans les enceintes officielles, les comités plus restreints, les réunions avec les militants qu'à la première heure d'une réunion technique avec ses collaborateurs.

Il lui arrivait d'être dure, voire très dure, mais cette exigence, elle se l'imposait aussi à elle-même.

De quoi, pendant tout son parcours, n'a cessé de nous parler cette grande dame qu'était Nicole Bricq ? De quoi nous parle-t-elle encore ?

L'audace est le premier mot qui me vient à l'esprit. L'audace d'une carrière politique qui la voit, dès les années quatre-vingts, devenir première secrétaire de la fédération de Paris du parti socialiste.

L'audace, pour une femme de gauche, de faire campagne sur une terre de droite et de se faire élire députée en 1997, dans la sixième circonscription de Seine-et-Marne.

L'audace de porter le projet européen alors même que l'idée européenne devenait plus souvent synonyme de discorde et de défiance que d'élan et de confiance. Ce projet européen était profondément ancré en elle et elle nous le rappelait souvent.

L'audace, encore, de devenir la première femme rapporteure générale du budget au Sénat. C'était une énorme travailleuse. Aucun sujet ne la rebutait, même les plus techniques.

Si cela paraissait compliqué, difficile, ardu, elle se disait : « j'y vais ». Et elle y allait avec une énergie, une générosité, qui entraînait tout le monde derrière elle. Sa compétence économique était considérable, bien qu'elle fût autodidacte.

Elle ne se ménageait pas. Elle n'a pas compté les kilomètres parcourus au commerce extérieur.

L'audace, enfin, de rejoindre le mouvement En Marche dès sa création. À l'époque nous n'étions que quelques-uns à avoir ce désir fou : lutter contre ce sentiment que rien n'était possible, que tout avait été tenté, qu'il était presque déjà trop tard.

C'est aussi ce moment de notre histoire collective que nous raconte le parcours de Nicole Bricq.

Dans les années 1980-1990, le parti socialiste, où elle occupe ses premières responsabilités, s'adapte aux réalités de l'économie de marché. C'est une social-démocratie qui ne dit pas son nom, qui renvoie, par certains aspects, à d'autres évolutions du socialisme en Europe.

Nicole Bricq débute au Céres de Jean-Pierre Chevènement, à la gauche du parti socialiste. Elle se rapproche plus tard de Dominique Strauss-Khan à travers Socialisme et Démocratie, dans le but de renforcer le courant réformiste du PS.

Cette volonté réformiste l'amène à rejoindre l'aventure d'En Marche parce qu'elle voyait que ce mouvement proposait un juste équilibre entre la liberté et la protection. La protection sans liberté est stérile. La liberté sans protection est intenable. Nous en sommes arrivés à ce constat après des parcours bien différents.

Mais un point commun nous rassemblait au premier jour, comme il nous rassemble encore aujourd'hui. Une volonté qui ne nous a jamais lâchés, qui est toujours là, et que nous cherchons à mettre en oeuvre désormais aux responsabilités : faire bouger les choses en France et porter le projet européen.

Cette passion pour le monde qui vient, Nicole Bricq en était l'incarnation. Oui, elle était, avec passion, une femme d'avenir.

Très tôt, elle a été convaincue de la réalité du réchauffement climatique, de son impact, du combat qu'il faut engager pour préserver notre environnement et celui de nos enfants.

Ce en quoi elle croyait, elle y croyait parce qu'elle avait discuté, échangé, réfléchi.

À une époque où se manifeste si souvent le goût pour le raccourci ou la caricature, elle nous rappelle que l'écoute puis la délibération est un art si précieux qui fonde nos modes de vie et nos choix collectifs.

Cette force-là, elle l'a également manifestée lors de son passage au ministère de l'environnement, en 2012. Elle voulait protéger, au large de la Guyane, la faune marine et l'environnement. Elle a été jusqu'à dénoncer le code minier.

Ce beau souci de l'avenir n'allait pas sans une grande liberté, liberté d'esprit et d'engagement. Il y avait à la fois son engagement et la façon dont elle s'engageait : des convictions et un style.

Ce visage et cette voix doivent continuer à nous inspirer L'un des plus grands héritages que nous laisse cette grande dame est que le futur de la France est dans l'Europe et dans le monde ; que ne serons pas nous-mêmes si nous sommes enfermés, frileux, inquiets ; que nous serons infidèles à notre histoire si nous perdons de vue le désir de changer les choses.

Nicole Bricq était également une femme cultivée, éprise de musique classique et de poésie. Je pense à ce propos à un vers du grand poète Paul Éluard : « un coeur n'est juste que s'il bat au rythme des autres coeurs ».

C'était Nicole Bricq. Elle a su nous donner le rythme, nous bousculer, nous éclairer. C'est dire combien elle nous manquera.

M. le président. - Je vous prie d'observer ensemble un moment de mémoire, de recueillement, de partage autour de ce que nous avons connu ici, avec Nicole Bricq. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d'État, observent une minute de silence.)

La séance est suspendue à 14 h 55.

présidence de M. David Assouline, vice-président

La séance reprend à 15 h 15.