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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Éloge funèbre de Nicole Bricq

M. Gérard Larcher, président du Sénat

M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires

Ordonnances relatives à la santé (Procédure accélérée)

Discussion générale commune

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes

Mme Corinne Imbert, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Patricia Schillinger

M. Dominique Watrin

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

M. Yves Daudigny

M. Daniel Chasseing

M. Guillaume Arnell

Mme Catherine Deroche

M. Jean-Louis Tourenne

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État

Discussion des articles des projets de loi

« Mise en cohérence avec la loi de modernisation du système de santé »

ARTICLE UNIQUE

« Physicien médical et qualifications professionnelles »

ARTICLE 2

ARTICLES ADDITIONNELS

« Fonctionnement des ordres des professions de santé »

ARTICLE 2

ARTICLE 3

ARTICLE 3 BIS C

ARTICLE 4

ARTICLE ADDITIONNEL

Avenir de l'Union européenne

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

M. André Gattolin

M. Pierre Ouzoulias

M. Philippe Bonnecarrère

M. Didier Guillaume

Mme Colette Mélot

M. Jean-Claude Requier

M. André Reichardt

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

Ordre du jour du mardi 17 octobre 2017




SÉANCE

du mercredi 11 octobre 2017

5e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Catherine Deroche, M. Victorin Lurel

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Éloge funèbre de Nicole Bricq

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires se lèvent.) C'est avec stupeur et tristesse que nous avons appris, au coeur de l'été, la disparition si soudaine, que rien ne pouvait laisser présager, de notre collègue Nicole Bricq.

Nicole Bricq nous a quittés alors que, toujours déterminée et infatigable, elle avait siégé parmi nous quelques jours plus tôt, jusqu'au terme de la session extraordinaire.

C'était une femme de caractère au sens le plus élevé du terme, dont la compétence était unanimement reconnue sur tous les bancs de notre assemblée.

Elle voua sa vie entière à son engagement politique en faveur des valeurs auxquelles elle croyait, exerçant des responsabilités publiques de haut niveau, au sein du parti socialiste, comme élue locale, comme parlementaire et comme ministre.

Née à La Rochefoucauld, cette fille d'agriculteurs quitta sa Charente natale pour étudier à Bordeaux où elle obtint une maîtrise de droit privé.

Alors qu'elle n'avait que 21 ans, elle ressentit la nécessité d'un engagement politique. En 1972, elle adhère au parti socialiste pour défendre les idées qui lui tiennent à coeur.

Selon son frère, Lucien Vayssière, « Nicole a toujours aimé la politique. C'était une vocation ». Sa détermination sans faille était, à ses yeux, le fruit d'une éducation familiale où trois valeurs étaient au premier rang : le travail, la responsabilité, l'austérité.

Au sein du parti socialiste, Nicole Bricq gravit successivement tous les échelons ; elle fut première secrétaire fédérale à Paris, membre du Comité directeur, membre du Conseil national, secrétaire nationale chargée de la consommation, déléguée nationale chargée de la fiscalité locale et membre des équipes de campagne pour les candidatures aux élections présidentielles de Lionel Jospin et de François Hollande.

L'engagement militant de Nicole Bricq déboucha logiquement, en 1986 sur un premier mandat électif, celui de conseillère régionale d'Île-de-France, qui devait être suivi de beaucoup d'autres.

Son engagement politique la conduisit aussi à devenir, en 1988, conseillère technique chargée des relations avec le Parlement et les élus au cabinet de notre ancien collègue Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la défense, puis conseillère technique pour les relations avec le Parlement au cabinet de Ségolène Royal au ministère de l'environnement, en 1992.

C'est forte de cette première expérience du monde parlementaire, que Nicole Bricq fit son entrée à l'Assemblée nationale en 1997, comme députée de Seine-et-Marne. Elle siégea d'abord à la commission de la production et des échanges, puis à la commission des finances où elle fut membre de la mission d'évaluation et de contrôle sur la dépense publique.

Elle commença alors à se forger une solide compétence en matière de finances publiques et fut l'auteur, en 1998, d'un rapport d'information suggérant une réforme de la fiscalité au service de l'environnement et un renforcement de l'application du principe « pollueur-payeur ».

Après avoir rejoint le conseil municipal de Meaux en 2001, Nicole Bricq fut élue sénatrice de Seine-et-Marne en 2004. Réélue en 2011, elle siégea sans interruption dans notre assemblée jusqu'à sa nomination au Gouvernement en 2012.

Dans le cadre de son mandat sénatorial, elle s'affirma comme une spécialiste incontournable des questions budgétaires et l'une des personnalités les plus éminentes de notre commission des finances, dont elle fut vice-présidente de 2008 à 2011.

J'ai la conviction que c'est au Sénat, lorsqu'elle devint rapporteure générale du budget, un poste essentiel, que sa vie politique connut un tournant. C'est à ce moment précis que ses collègues, quel que soit leur groupe, prirent conscience de sa rigueur et de ses compétences qui lui permirent d'occuper de hautes fonctions ministérielles.

Dans un rapport préalable au débat sur les prélèvements obligatoires, elle dressa ainsi, à l'automne 2011, un bilan critique de la politique menée dans ce domaine depuis 2007, assorti de pistes et de propositions pour le quinquennat à venir, comme la suppression de nombreuses « niches fiscales » et une réforme des modalités de calcul des principaux impôts destinée à accroître leur rendement tout en favorisant - elle y tenait - la justice fiscale.

C'est le 16 mai 2012, à l'issue des élections présidentielles, que Nicole Bricq fut appelée à exercer des responsabilités gouvernementales.

D'abord ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie dans le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault, elle prit des positions conformes à ses convictions en faveur de la protection de l'environnement, souhaitant l'introduction d'une plus grande transparence dans l'attribution des gisements miniers et annonçant la suspension des permis de forages exploratoires d'hydrocarbures au large de la Guyane.

Nicole Bricq fut ensuite, de juin 2012 à mars 2014, ministre du commerce extérieur dans le second gouvernement Ayrault, fonctions qu'elle exerça avec la force de conviction qui la caractérisait.

Nicole Bricq revint au printemps 2014 au Sénat où, siégeant à nouveau à la commission des finances puis à la commission des affaires sociales, elle s'investit pleinement dans l'exercice de son mandat parlementaire, en particulier à l'occasion de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques présenté par le ministre d'alors, Emmanuel Macron.

Toujours libre et déterminée dans ses engagements, elle fut parmi les premiers parlementaires à le soutenir lors de la campagne présidentielle de 2017, et parmi les premiers sénateurs à rejoindre le nouveau groupe de « La République en marche » au sein de notre assemblée.

Le 2 août dernier, elle était présente dans cet hémicycle pour participer à nos débats sur les ordonnances relatives au dialogue social.

Elle décrivit alors, dans ce qui allait être son ultime intervention parmi nous, le rôle essentiel du parlementaire participant à une commission mixte paritaire, dans des termes que je voudrais rappeler et que nous pourrions, je crois, tous reprendre à notre compte : « S'il est un moment privilégié dans la vie d'un parlementaire, c'est bien quand il participe à une commission mixte paritaire (...). En effet, on dispose, pour une fois, d'une entière liberté, on est mis en face de sa responsabilité. Nous savons qu'il n'y a pas de mandat impératif pour un parlementaire. Il faut choisir la voie la meilleure pour arriver à un compromis positif. » Tout est dit, me semble-t-il, sur le bicamérisme.

Tout au long de ce riche parcours politique, Nicole Bricq s'était imposée, dans chacune de ses fonctions successives, par son travail acharné et ses compétences.

À l'occasion d'un entretien donné à La République de Seine-et-Marne en 2006, elle témoignait en ces termes des handicaps qu'elle avait dû, à ses yeux, surmonter : « J'étais une provinciale, sans réseaux, sans amitiés d'écoles et de pouvoir, je ne venais pas d'un milieu élevé ».

Et d'ajouter : « pour une femme, la politique est un dur combat, violent même et qui peut faire peur. Il faut avoir une cuirasse. Si je n'avais pas eu la politique chevillée au corps, l'opiniâtreté, je n'aurais pas réussi ». Oui, forte personnalité au caractère bien trempé, elle se plaisait à observer: « d'un homme on dit qu'il a du caractère, d'une femme qu'elle a mauvais caractère (Sourires). J'ai le mien. »

Elle fut une femme libre, passionnément engagée en politique, au service de l'État et de la chose publique.

Au nom du Sénat tout entier, je souhaite rendre aujourd'hui, dans notre hémicycle, par-delà les mots et la tradition, un hommage solennel à une parlementaire de premier plan dont l'intelligence, la compétence et la force de conviction et de caractère étaient unanimement respectées et faisaient honneur à notre assemblée.

À ses anciens collègues de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, à ses amis et camarades du groupe socialiste et républicain et du groupe « La République en marche », j'exprime notre sympathie.

À M. Jean-Paul Planchou, à son fils Renaud, à toute sa famille et à ses proches, ici rassemblés, à certains de nos anciens collègues eux aussi présents dans nos tribunes d'honneur, je tiens à dire, en ce moment de recueillement, l'émotion de chacun des membres du Sénat.

Nicole Bricq est en cet instant vraiment présente dans cet hémicycle, au-delà de nos mémoires.

M. Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires .  - C'est avec beaucoup d'émotion que je vous parle, et à travers moi le Gouvernement, d'une grande dame qui nous a quittés brutalement un samedi d'août, Nicole Bricq.

J'eus la chance de bien connaître Nicole Bricq pour avoir travaillé avec elle pendant plusieurs années ; d'abord à son cabinet, au commerce extérieur ; puis quand elle fit le choix de rejoindre les rangs d'En Marche, avec un certain nombre d'entre vous ici présents.

Cette grande dame, que je respectais tant, avait une voix et un visage singuliers.

Son visage était le symbole même de la franchise que vous lui connaissiez. Il exprimait toujours ce qu'elle pensait. Rien qu'en la regardant, il était assez facile de savoir si le dossier qu'elle avait à traiter lui convenait, si la journée était difficile ou si elle était parvenue à lever les obstacles. Son humeur n'était jamais voilée ou feinte.

Elle était directe. Elle allait droit au but. Elle pouvait raccrocher au téléphone avant même de dire au revoir à son interlocuteur, car l'essentiel avait été dit.

Son franc-parler rompait avec les habitudes et les pratiques convenues. C'était le cas ici, bien sûr, dans les rangs de cette assemblée, qu'elle aimait et respectait tant.

Mais elle ne réservait pas sa franchise au Sénat. Elle avait l'habitude de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, aussi bien dans les enceintes officielles, les comités plus restreints, les réunions avec les militants qu'à la première heure d'une réunion technique avec ses collaborateurs.

Il lui arrivait d'être dure, voire très dure, mais cette exigence, elle se l'imposait aussi à elle-même.

De quoi, pendant tout son parcours, n'a cessé de nous parler cette grande dame qu'était Nicole Bricq ? De quoi nous parle-t-elle encore ?

L'audace est le premier mot qui me vient à l'esprit. L'audace d'une carrière politique qui la voit, dès les années quatre-vingts, devenir première secrétaire de la fédération de Paris du parti socialiste.

L'audace, pour une femme de gauche, de faire campagne sur une terre de droite et de se faire élire députée en 1997, dans la sixième circonscription de Seine-et-Marne.

L'audace de porter le projet européen alors même que l'idée européenne devenait plus souvent synonyme de discorde et de défiance que d'élan et de confiance. Ce projet européen était profondément ancré en elle et elle nous le rappelait souvent.

L'audace, encore, de devenir la première femme rapporteure générale du budget au Sénat. C'était une énorme travailleuse. Aucun sujet ne la rebutait, même les plus techniques.

Si cela paraissait compliqué, difficile, ardu, elle se disait : « j'y vais ». Et elle y allait avec une énergie, une générosité, qui entraînait tout le monde derrière elle. Sa compétence économique était considérable, bien qu'elle fût autodidacte.

Elle ne se ménageait pas. Elle n'a pas compté les kilomètres parcourus au commerce extérieur.

L'audace, enfin, de rejoindre le mouvement En Marche dès sa création. À l'époque nous n'étions que quelques-uns à avoir ce désir fou : lutter contre ce sentiment que rien n'était possible, que tout avait été tenté, qu'il était presque déjà trop tard.

C'est aussi ce moment de notre histoire collective que nous raconte le parcours de Nicole Bricq.

Dans les années 1980-1990, le parti socialiste, où elle occupe ses premières responsabilités, s'adapte aux réalités de l'économie de marché. C'est une social-démocratie qui ne dit pas son nom, qui renvoie, par certains aspects, à d'autres évolutions du socialisme en Europe.

Nicole Bricq débute au Céres de Jean-Pierre Chevènement, à la gauche du parti socialiste. Elle se rapproche plus tard de Dominique Strauss-Khan à travers Socialisme et Démocratie, dans le but de renforcer le courant réformiste du PS.

Cette volonté réformiste l'amène à rejoindre l'aventure d'En Marche parce qu'elle voyait que ce mouvement proposait un juste équilibre entre la liberté et la protection. La protection sans liberté est stérile. La liberté sans protection est intenable. Nous en sommes arrivés à ce constat après des parcours bien différents.

Mais un point commun nous rassemblait au premier jour, comme il nous rassemble encore aujourd'hui. Une volonté qui ne nous a jamais lâchés, qui est toujours là, et que nous cherchons à mettre en oeuvre désormais aux responsabilités : faire bouger les choses en France et porter le projet européen.

Cette passion pour le monde qui vient, Nicole Bricq en était l'incarnation. Oui, elle était, avec passion, une femme d'avenir.

Très tôt, elle a été convaincue de la réalité du réchauffement climatique, de son impact, du combat qu'il faut engager pour préserver notre environnement et celui de nos enfants.

Ce en quoi elle croyait, elle y croyait parce qu'elle avait discuté, échangé, réfléchi.

À une époque où se manifeste si souvent le goût pour le raccourci ou la caricature, elle nous rappelle que l'écoute puis la délibération est un art si précieux qui fonde nos modes de vie et nos choix collectifs.

Cette force-là, elle l'a également manifestée lors de son passage au ministère de l'environnement, en 2012. Elle voulait protéger, au large de la Guyane, la faune marine et l'environnement. Elle a été jusqu'à dénoncer le code minier.

Ce beau souci de l'avenir n'allait pas sans une grande liberté, liberté d'esprit et d'engagement. Il y avait à la fois son engagement et la façon dont elle s'engageait : des convictions et un style.

Ce visage et cette voix doivent continuer à nous inspirer L'un des plus grands héritages que nous laisse cette grande dame est que le futur de la France est dans l'Europe et dans le monde ; que ne serons pas nous-mêmes si nous sommes enfermés, frileux, inquiets ; que nous serons infidèles à notre histoire si nous perdons de vue le désir de changer les choses.

Nicole Bricq était également une femme cultivée, éprise de musique classique et de poésie. Je pense à ce propos à un vers du grand poète Paul Éluard : « un coeur n'est juste que s'il bat au rythme des autres coeurs ».

C'était Nicole Bricq. Elle a su nous donner le rythme, nous bousculer, nous éclairer. C'est dire combien elle nous manquera.

M. le président. - Je vous prie d'observer ensemble un moment de mémoire, de recueillement, de partage autour de ce que nous avons connu ici, avec Nicole Bricq. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d'État, observent une minute de silence.)

La séance est suspendue à 14 h 55.

présidence de M. David Assouline, vice-président

La séance reprend à 15 h 15.

Ordonnances relatives à la santé (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de trois projets de loi en discussion commune :

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l'ordonnance n° 2017 - 31 du 12 janvier 2017 de mise en cohérence des textes au regard des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l'ordonnance n° 2017-48 du 19 janvier 2017 relative à la profession de physicien médical et l'ordonnance n° 2017-50 du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé ;

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l'ordonnance n° 2017-644 du 27 avril 2017 relative à l'adaptation des dispositions législatives relatives au fonctionnement des ordres des professions de santé.

Discussion générale commune

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes .  - Je présente au nom du Gouvernement et de Mme Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, trois projets de loi en application de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016.

La première ordonnance reconnaît, conformément au plan cancer 2014-2019, la profession de physicien médical qui concerne 600 radio-physiciens dans notre pays et en délimite les conditions d'exercice.

Fruit d'une vaste concertation, menée en juin 2016, cette reconnaissance contribuera à renforcer la qualité et à sécuriser l'utilisation des rayonnements ionisants. Cette profession figurera dans le code de santé publique aux côtés de celle de pharmacien.

Le physicien médical exerce son expertise au sein d'équipes pluriprofessionnelles. Il veille à la mise au point de la qualité d'image, à l'optimisation de l'exposition aux rayonnements ionisants (dosimétrie) et aux autres agents physiques. Il veille également à ce que les doses radioactives administrées au patient soient appropriées à l'état de santé de ce dernier et au traitement prescrit.

L'exercice de la profession est encadré par l'ordonnance, à laquelle la ministre en charge, en raison de son parcours professionnel, est particulièrement sensible.

L'ordonnance que le deuxième projet de loi vous propose de ratifier transpose en droit interne trois dispositifs nouveaux mis en place par une directive européenne de 2013 : la carte professionnelle européenne (CPE), l'accès partiel et le mécanisme d'alerte.

Elle introduit également une procédure législative de reconnaissance des qualifications professionnelles de praticiens européens pour les cinq métiers de l'appareillage et pour l'usage du titre de psychothérapeute.

Enfin, l'ordonnance supprime, pour répondre à la demande de la Commission européenne, la condition d'exercice de trois années imposée aux ressortissants de l'Union européenne pour l'accès en France à une formation de troisième cycle des études médicales ou pharmaceutiques.

Ce texte a pu susciter des inquiétudes légitimes des professionnels concernés, notamment quant à l'accès partiel.

La directive communautaire du 20 novembre 2013 relative à cette reconnaissance aurait dû être transposée au plus tard le 18 janvier 2016 ; de là un risque juridique fort, sur lequel le Conseil d'État a alerté, et une marge de manoeuvre réduite par le Gouvernement. La France est sous le coup de deux avis motivés pour défaut de transposition. Le Conseil d'État a considéré qu'exclure, comme l'a proposé un amendement de votre commission des affaires sociales du Sénat, certaines professions de l'accès partiel n'était pas envisageable.

D'aucuns craignent, à tort, une surtransposition de la directive. La ministre des solidarités et de la santé veillera tout particulièrement à ce que l'accès partiel à l'exercice d'une profession en France pour un praticien de l'Union européenne ne présente aucun risque pour la qualité et la sécurité de notre système de soins. Les conditions d'exercice sont très strictement encadrées dans le projet de texte actuellement examiné par le Conseil d'État au point de vue de la qualification et de la définition minutieuse des activités qui font l'objet de l'accès partiel, sur lesquelles les ordres et chaque commission compétente devront émettre un avis.

Le Gouvernement a renforcé le processus d'analyse des dossiers au cas par cas. Un décret en Conseil d'État guidera les parties prenantes dans leur traitement.

Qualité et sécurité des soins ; identification précise et strictement délimitée du champ d'exercice ; intégration effective des actes réalisés dans le processus de soin ; lisibilité des actes réalisés pour les professionnels et les usagers ; recommandation en vue de faciliter l'insertion du professionnel : tout cela est garanti par le texte.

La ministre a sollicité la Commission européenne pour obtenir une cartographie des professions existantes dans l'Union européenne, répondant ainsi à une préoccupation de la Commission. Elle sera très attentive au suivi et à l'évaluation qui seront réalisés de la mise en oeuvre de ces dispositifs.

La troisième ordonnance renforce l'indépendance et l'impartialité des juridictions ordinales des professions de santé. Elle intègre un certain nombre de recommandations issues du Conseil d'État , de la Cour des comptes et de l'Inspection générale des affaires sociales qui ont conduit depuis 2012 des missions d'inspection et de contrôle portant sur les ordres des médecins, des pharmaciens, des chirurgiens-dentistes et des masseurs kinésithérapeutes.

La ministre de la santé est consciente de l'impact qu'auront ces mesures sur leur fonctionnement habituel mais tient à exprimer la confiance du Gouvernement dans leurs capacités d'adaptation.

La ministre a confiance dans la capacité d'adaptation des ordres ; au demeurant, le texte ménage des phases de transition, pour les incompatibilités comme pour la soumission au code des marchés publics.

Si nous serons attentifs à ce que les dispositions transitoires prises par décret participent du même esprit, nous ne pourrons qu'être défavorables aux amendements de la commission qui remettent en cause les dispositions structurelles.

L'ordonnance conforte le contrôle des ordres à l'échelon national, renforce les notions d'impartialité et d'indépendance et précise les règles applicables aux magistrats qui siègent dans les formations disciplinaires - sur les incompatibilités par exemple.

L'ordonnance de mise en cohérence, voulue par le législateur, supprime des dispositions obsolètes ou redondantes pour améliorer la lisibilité et la sécurité juridique. Le délai d'habilitation court jusqu'à janvier 2018. Une seconde ordonnance de coordination sera publiée si nécessaire d'ici le 26 janvier 2018.

Le titre I modifie divers codes pour tirer les conséquences de la réintroduction par la loi du service public hospitalier. Celui-ci ne repose plus sur une liste de missions mais d'obligations de service public : égalité et permanence de l'accès aux soins, accessibilité financière.

Le titre II procède par ailleurs à diverses adaptations, sur le partage des informations au sein de l'équipe de soins, l'hébergement des données de santé, la concertation avec les associations d'usagers ou encore la détermination de zones sous-dotées.

(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe SOCR)

Mme Corinne Imbert, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Un grand nombre d'ordonnances - 33 à ce jour - ont été publiées au titre de la loi Santé du 26 janvier 2016. Nous examinons aujourd'hui les projets de loi de ratification de quatre d'entre elles. La commission des affaires sociales en a approuvé deux sans modification : sur la mise en cohérence avec la loi santé, et sur la profession de physicien médical, qui répond à une attente des acteurs et à une exigence de sécurité et de qualité de la prise en charge.

La commission a approuvé la ratification de l'ordonnance relative au fonctionnement des ordres des professions de santé, dont certaines mesures sont de nature à renforcer la confiance, mais s'interroge sur la pertinence de soumettre les ordres aux lourdes procédures de marchés publics ; elle a en outre estimé inopportune l'extension du remplacement des pharmaciens d'officine en cas de « circonstances exceptionnelles ».

Sur la forme, l'articulation entre cette ordonnance et celle publiée deux mois plus tôt est peu lisible, et l'on se demande pourquoi un seul de ces textes est proposé à la ratification. Madame la ministre, pourriez-vous nous éclairer sur le calendrier de rectification des ordonnances restantes ?

Sur le fond, deux points appellent clarification : la limite d'âge applicable aux candidats aux élections ordinales et les binômes d'élus visant à favoriser la parité.

J'en viens au sujet qui nous a principalement occupés : l'accès partiel des ressortissants européens aux professions médicales et paramédicales, qui découle de la transposition d'une directive de 2013. Notre commission a été frappée par le degré d'impréparation de cette mesure : aucune évaluation du nombre de professionnels concernés ou des secteurs visés n'a été réalisée. Comment garantir la sécurité de l'ensemble des situations sans la moindre visibilité ? C'est mettre la charrue avant les boeufs, avec le risque de désorganiser en profondeur notre système de santé. La reconnaissance d'un accès partiel aboutira à fractionner les professions.

Comment les services hospitaliers pourront-ils fonctionner dans de telles conditions ? Comment contrôler que les professionnels libéraux n'outrepasseront pas le champ de leurs compétences ?

Dans un contexte d'élévation de la qualification et de développement des coopérations interprofessionnelles, la création de sous-professions - soit dit sans jugement de valeur - complexifiera notre organisation des soins. Il est aussi à craindre que ces professionnels étrangers soient d'abord recrutés par des établissements ou des collectivités territoriales en pénurie de médecins, au risque d'accroître les inégalités de santé. Attention aussi à ne pas encourager les effets d'aubaine sur le marché de la formation et surtout à garantir la sécurité, alors que l'on constate déjà des problèmes de compétence linguistique chez les professionnels bénéficiant de la procédure de reconnaissance automatique.

Notre commission des affaires sociales a écouté le Conseil d'État et le Gouvernement et mesure le risque juridique lié à la non-transposition de ces dispositions, mais ne saurait le faire primer sur l'intérêt des patients. Nos préoccupations sont partagées par les professionnels de santé que nous avons auditionnés. D'ailleurs le Gouvernement n'invoque que les obligations communautaires de la France et non l'intérêt intrinsèque de cet accès partiel. L'Allemagne a fait un choix différent, preuve qu'une nouvelle négociation est possible ; le Gouvernement devrait s'y atteler. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe RTLI)

Mme Patricia Schillinger .  - Les trois projets de loi ratifient des ordonnances prises sur le fondement de la loi Santé de 2016. Le groupe LaREM votera sans réserve la ratification de l'ordonnance du 12 janvier 2017 de mise en cohérence.

Il faut, comme le prévoit l'ordonnance du 27 avril 2017, faire évoluer les compétences des ordres des professions de santé, consolider leurs règles de gestion interne, renforcer l'indépendance et l'impartialité des juridictions ordinales. Liberté d'accès, égalité de traitement, transparence des procédures : les objectifs ne sont pas discutables. Aussi nous ne suivrons pas la commission qui a supprimé les dispositions sur les marchés publics. Mieux vaut, comme l'a fait l'Assemblée nationale, étendre la période de transition jusqu'au 1er janvier 2020 pour laisser les ordres s'adapter. Le groupe LaREM s'abstiendra donc sur ce deuxième projet de loi.

Le dernier projet de loi ratifie deux ordonnances du 19 janvier 2017 ; la première, au terme d'un fructueux travail de concertation, reconnaît et encadre la profession de physicien médical. Cela répond à un objectif du plan Cancer 2014-2019 et fait suite à une recommandation du Comité national de suivi des mesures nationales pour la radiothérapie après l'accident d'Épinal de 2005. Le groupe LaREM votera cet article premier.

La transposition de la directive européenne de 2013 sur l'accès partiel et les qualifications professionnelles suscite l'inquiétude des professionnels de santé qui redoutent une fragmentation des professions, voire une mise en cause de la qualité et de la sécurité des soins. Le groupe LaREM soutient le Gouvernement dans sa démarche pour ne pas exposer la France à une procédure pour défaut de transposition. L'exercice partiel sera soumis à des garanties : identité de l'activité exercée avec celle du pays d'origine, ou, à défaut, mesures de compensation de formation, possibilité de séparer l'activité sollicitée.

Nous serons particulièrement attentifs aux mesures réglementaires qui suivront. Compte tenu de la position adoptée par la commission, qui expose la France à des poursuites, nous nous abstiendrons sur l'article 2. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. Dominique Watrin .  - Je veux pour commencer avoir une pensée pour Mme Cohen, touchée par un deuil familial.

Ces ordonnances ont été prises sur le fondement de la loi Santé, que mon groupe avait combattue. D'ailleurs, à quand un bilan des groupements hospitaliers de territoire ?

Au lendemain d'une grève dans la fonction publique qui a rassemblé plusieurs centaines de milliers de manifestants, je rends hommage à la fonction publique hospitalière, sous-rémunérée, surchargée et pour ainsi dire au bord de la crise de nerfs à la suite d'années de politiques d'austérité. Notre groupe s'est toujours opposé au primat de la finance sur l'humain. Nous sommes également toujours opposés à la pratique des ordonnances, qui dépouille le Parlement de ses prérogatives.

Par principe, nous sommes contre les ordres professionnels qui sont des organisations corporatistes défendant des intérêts catégoriels, à la différence des syndicats généralistes. Les évolutions proposées par l'ordonnance ne règlent pas les dysfonctionnements des ordres, dépourvus de système démocratique. Nous voterons contre.

L'ordonnance de mise en cohérence vise à mettre un terme à un imbroglio juridique en explicitant l'articulation entre le principe de l'interdiction des dépassements d'honoraires au sein du service public hospitalier et le maintien d'une dérogation possible pour les praticiens libéraux. Alors que les Français peinent à se soigner, nous prônons l'interdiction des dépassements d'honoraires pour les praticiens exerçant dans les établissements publics.

Sur la reconnaissance des qualifications, nous sommes satisfaits de la suppression par la Commission de l'accès partiel aux activités médicales ou paramédicales mais continuons à refuser la libéralisation des professions réglementées imposée par l'Union européenne et le nivellement par le bas. Nous proposerons notamment que les orthophonistes maîtrisent la langue française.

Enfin, la création de profession de physicien médical est bienvenue.

Nous nous abstiendrons sur ce dernier projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - Merci à Mme Imbert pour son excellent rapport.

L'ordonnance de mise en cohérence n'appelle pas de remarques particulières. Ce n'est pas le cas de l'ordonnance sur les qualifications professionnelles. Sur l'accès partiel, nous partageons les réticences de la rapporteure : l'uniformisation des règles de reconnaissance des qualifications participe au renforcement de l'Union européenne, mais elles doivent faire l'objet d'une attention particulière quand la sécurité des patients est en jeu.

La procédure de reconnaissance automatique existe déjà pour les médecins, les infirmiers, les dentistes, les sages-femmes et les pharmaciens. Ces professionnels étrangers sont précieux pour assurer l'accès aux soins et lutter contre les déserts médicaux. En revanche, la reconnaissance automatique n'est pas pertinente pour les autres professions médicales. Ne désorganisons pas notre système de santé. L'accès partiel n'est pas une solution à la pénurie : il nous faut des professionnels de santé pleinement formés. Le groupe UC suivra la commission sur ce point. D'ailleurs l'Allemagne a refusé de transposer la directive européenne dans son intégralité. Ne pourrait-on engager avec elle une procédure commune de modification de la directive ?

L'ordonnance sur les ordres professionnels reprend les recommandations du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de l'Inspection générale des affaires sociales. Le renforcement de la transparence et les garanties d'indépendance et d'impartialité sont bienvenus ; il est normal que ces instances soient soumises à des règles communes garantissant leur bon fonctionnement. Nous voterons le texte de la commission.

Le Gouvernement n'est pas responsable des textes qui nous sont présentés aujourd'hui : ses premières réformes en matière de santé viendront dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Le groupe UC fera preuve à cette occasion de la même analyse : maintenir la cohérence de notre système de santé, en corriger les imperfections sans l'alourdir de règles inutilement complexes ni l'alléger imprudemment.

Nous voterons les trois projets de loi tels qu'amendés par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains ainsi que sur le banc de la commission)

M. Yves Daudigny .  - Le groupe socialiste avait soutenu la loi Santé, votée à l'initiative de Marisol Touraine. Notre position sur ces ordonnances s'inscrit dans ce prolongement.

L'ordonnance de mise en cohérence répond à une exigence élémentaire de sécurité juridique. Elle tient compte de la réintroduction par la loi du service public hospitalier.

Les objectifs visés par l'ordonnance sur les ordres professionnels ne sont pas discutables, même si des ajustements peuvent être envisagés.

La reconnaissance du métier de physicien médical, après un important travail de concertation, sécurise les pratiques et consacre l'apport de ces professionnels à l'amélioration de la qualité des soins. C'était un objectif du plan Cancer 2014-2019.

L'ordonnance de reconnaissance des qualifications professionnelles fait davantage débat. Elle transpose trois mécanismes, dont les dispositions sur la carte professionnelle et le mécanisme d'alerte qui n'appellent pas de commentaires. L'accès partiel, quant à lui, soulève davantage d'interrogations et d'inquiétudes. Certes, l'Allemagne n'a pas transposé la directive à la lettre près. Mais l'accès partiel ne sera pas applicable aux médecins, infirmiers, dentistes, sages-femmes et pharmaciens qui relèvent déjà de mécanismes particuliers : on ne peut pas dire que notre système de santé sera profondément déstabilisé.

Il faudra revenir sur ce sujet, supprimé par la majorité de la commission et qui aurait dû être transposé au plus tard le 18 janvier 2016... (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

M. Daniel Chasseing .  - Je félicite Mme Imbert pour son rapport clair et documenté.

La première ordonnance de mise en cohérence n'appelle pas d'observation. Le rôle des physiciens médicaux dans la sécurité des traitements est essentiel : souvenons-nous des accidents graves survenus à Épinal et à Toulouse.

L'ordonnance consacre cette profession dans le code de la santé publique, c'est une bonne chose.

La reconnaissance automatique des qualifications existe déjà pour certaines professions dont la liste a été fixée par la directive de 2005. Pour les autres professionnels, la Cour européenne a estimé que l'État d'accueil devrait les autoriser à exercer en se limitant aux tâches pour lesquelles ils ont compétences. En effet, les professions ne se recoupent pas d'un État à un autre.

La France est en retard sur ses obligations communautaires et encourt une sanction. Certes l'accès partiel proposé est soumis à conditions : carte professionnelle, maîtrise de la langue, examen au cas par cas, avis d'une commission de spécialistes, identité entre l'activité demandée et celle exercée dans le pays d'origine.

Toutefois, la formation proposée aura un coût. Il manque une évaluation du nombre de professionnels concernés, des secteurs visés. Attention aussi au risque de fragmentation de notre système de santé. Quid des masseurs-balnéothérapeutes ou des infirmiers spécialistes ? Il convient donc de mieux cerner les professions concernées.

L'ordonnance sur les ordres professionnels les soumet aux règles des marchés publics, renforce la transparence, précise les incompatibilités, tout en reportant la date butoir à 2020... Nous n'avons pas d'objection.

Nous voterons ces trois projets de loi dans la rédaction de la commission.

M. Guillaume Arnell .  - À mon tour de féliciter Mme Imbert pour son rapport.

La première ordonnance de mise en cohérence ne suscite aucun commentaire particulier.

Les substances radioactives à usage médical sont à manier avec précaution - on se souvient des drames liés aux surexpositions. Il convenait donc de clarifier les compétences des 650 physiciens médicaux. Le groupe RDSE votera le second projet de loi de ratification.

J'entends les arguments opposés à l'accès partiel : l'impréparation, l'absence de données, l'absence de garanties sur les soins fournis, le risque de renforcer la fracture territoriale et de désorganiser notre système de santé. Cette réforme ne risque-t-elle pas de se faire aux dépens de notre système de soins ?

Reste que ce texte transpose une directive européenne que la France aurait déjà dû transposer depuis janvier 2016. La France ne peut prétendre jouer un rôle moteur dans l'Union européenne et contribuer à en fixer les règles de fonctionnement si elle ne se les applique pas. Ce retard n'est pas acceptable.

Nous avons besoin d'Europe, d'une Europe qui simplifie, protège et harmonise vers le haut, non qui nivelle par le bas. Certaines garanties ont été prévues, comme l'examen au cas par cas des dossiers, mais le groupe RDSE attendra des clarifications du Gouvernement pour déterminer son vote.

Le groupe RDSE ne souhaite pas supprimer les mesures de l'ordonnance sur les ordres, gages de transparence : nous souscrivons à la position de l'Assemblée nationale qui a étendu la période transitoire. La transparence est une exigence légitime de nos concitoyens, dans tous les domaines. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM)

Mme Catherine Deroche .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Notre groupe avait protesté contre le nombre inédit d'habilitations à légiférer par ordonnance dans la loi Santé : une centaine, dans des domaines très variés, loin d'être purement techniques. Nous en avions d'ailleurs supprimé une grande partie.

L'ordonnance de mise en cohérence supprime notamment la référence aux missions de service public instaurées par la loi HPST de 2009. Nous n'étions pas opposés à la mise en place du service public hospitalier mais l'avions complétée par la possibilité pour les établissements privés d'exercer des missions de service public à tarifs opposables. Leur exclusion est d'autant plus injustifiée que cette ordonnance rétablit, pour les établissements publics, la possibilité de pratiquer des dépassements d'honoraires ! Nous restons très attachés à la mixité de notre système de santé et à la complémentarité du privé et du public. Opposer les deux, c'est pénaliser les patients. Espérons que cette logique sera vite abandonnée.

Il est aussi surprenant de proposer une réforme des ordres par ordonnance sans concertation avec les professionnels. Ce n'est pas de votre fait, certes, madame la ministre, mais pourquoi avoir scindé les deux ordonnances, qui s'enchevêtrent, au détriment de la lisibilité ?

Nous suivrons la position de la commission des affaires sociales.

Nous voterons l'article premier du projet de loi définissant la profession de physicien médical ; cette réforme était attendue par les professionnels et préconisée par le plan Cancer 2014-2019.

La création d'une carte professionnelle européenne et la création d'un mécanisme d'alerte sont bienvenues ; en revanche, le mécanisme d'accès partiel n'est pas satisfaisant. Nous manquons de données sur les métiers concernés, les effectifs et les conséquences sur le système de soins. N'ouvrons pas la porte à une déqualification des professions de santé qui conduirait à un service de santé low cost.

La sécurité des patients doit être notre priorité ; nous ne pouvons nous contenter de l'argument juridique. Le Gouvernement doit se tourner vers Bruxelles pour renégocier le texte. Au demeurant, l'Allemagne a fait des choix différents. Nous voterons le texte tel que modifié par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

M. Jean-Louis Tourenne .  - Ainsi que l'a fait M. Daudigny, j'évoquerai principalement l'ordonnance relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles des étrangers communautaires dans le domaine de la santé.

Nous avons à ratifier - ou non - une ordonnance de transcription d'une directive. Son caractère comminatoire ne saurait nous priver d'en débattre. Y a-t-il des raisons de nous opposer à tout ou partie de son contenu ?

L'ordonnance déplaît, et souvent à bon droit, aux parlementaires. En l'espèce, ces dispositions auraient dû figurer dans notre droit depuis le 18 janvier 2016 ; nous n'avons que trop tardé.

Semer des obstacles à la libre circulation des biens et des personnes fait obstacle à une construction européenne qui nous est chère. Rien dans ce texte ne devrait susciter notre opposition. Mme Imbert le rappelle dans son excellent rapport, les personnes ayant obtenu, dans un État-membre de l'Union, la qualification d'infirmier, de sage-femme, de médecin, de dentiste et de pharmacien bénéficient d'une reconnaissance automatique de leur diplôme en France. Autrement dit, le vent ne se lève que pour l'accès partiel aux professions médicales et, surtout, aux professions paramédicales.

Les objections que l'on soulève à l'encontre de ce texte ont de quoi déconcerter. La formation de ces personnes laisserait à désirer ? L'autorisation a pour condition sine qua non le contrôle des qualifications. Les frontières entre les pratiques seraient difficiles à déterminer ? Ne sont visées que les activités objectivement séparables sans compter que l'examen au cas par cas permettra d'écarter ce qui porterait atteinte à l'intérêt général.

Le caractère peu contraignant de la directive laisse à chaque pays un large pouvoir d'appréciation. Faut-il la refuser au risque de sanctions ? Non, sauf à invoquer des arguments corporatistes - qui ne siéent guère à notre assemblée.

Durant la Guerre froide, les Américains dépensaient des sommes astronomiques pour savoir ce que préparaient les Soviétiques avant de s'apercevoir qu'il suffisait de les écouter. Eh bien, je vous ai largement entendus ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOCR)

M. Yves Daudigny.  - Belle démonstration !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État .  - Les projets de loi de ratification des deux ordonnances relatives aux ordres sont en effet disjoints car, au vu du calendrier parlementaire, le Secrétariat général du Gouvernement a privilégié une ratification rapide de l'ordonnance la plus susceptible de créer des contentieux.

S'agissant de l'interprétation de la règle de limite d'âge de 71 ans révolus pour candidater aux ordres, le Conseil d'État doit se prononcer : je vous donnerai en temps utile la réponse - écrite - que le sujet exige.

La garantie de la parité dans les ordres professionnels - longtemps limitée - a conduit le législateur à préférer le scrutin binominal associant un homme et une femme. Si cette avancée est une première, elle pourra souffrir des améliorations à la marge. Des effets contreproductifs ont été constatés dans l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

Pour la ministre de la santé et, bien évidemment pour moi-même, il est inenvisageable que la représentation des femmes au sein des ordres régresse.

Nous reviendrons sur la question de l'accès partiel à certaines professions de santé pour les praticiens d'un autre pays de l'Union européenne lors de l'examen du projet de loi de ratification de l'ordonnance concernée.

La discussion générale commune est close.

Discussion des articles des projets de loi

« Mise en cohérence avec la loi de modernisation du système de santé »

ARTICLE UNIQUE

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - Le 3° du II de l'article L. 6154-2 du code de la santé publique est complété par les mots : « et ne constituent pas des dépassements d'honoraires. »

M. Dominique Watrin.  - Alors qu'un quart des Français renoncent à des soins de santé, nous proposons d'interdire la possibilité pour les professionnels de santé exerçant dans les établissements publics de pratiquer des dépassements d'honoraires.

C'est une mesure de justice sociale pour les patients les plus précaires et de lisibilité pour les patients qui ont du mal à distinguer l'activité libérale de l'activité publique.

En revanche, nous défendons une politique ambitieuse de rémunération des médecins hospitaliers et de l'ensemble des personnels de l'hôpital public et la revalorisation du point d'indice.

Mme Corinne Imbert, rapporteur.  - La possibilité de dépassement d'honoraires n'est pas contradictoire avec la loi Santé pourvu qu'elle intervienne dans le cadre fixé par l'article L. 6154-2 du code de la santé publique. En revanche, on peut s'interroger sur la différence de traitement entre les établissements publics et les établissements privés sur ce point. L'avis est défavorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État.  - Cette ordonnance ne fait que clarifier la loi. Le service public hospitalier - notion réintroduite par la loi Santé - est défini désormais par les obligations de service public qui s'imposent aux établissements, indépendamment de leur statut. Les dépassements d'honoraires peuvent être pratiqués pour la seule activité libérale, laquelle, très encadrée, fait l'objet d'un contrat soumis au directeur de l'ARS. Cette activité très marginale puisqu'elle concerne 10 % des praticiens hospitaliers à temps plein en 2014, dont 4 % seulement en secteur 2, garantit le maintien d'une offre d'excellence au sein du service public hospitalier. Avis défavorable également.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

L'article unique est adopté.

Le projet de loi est définitivement adopté.

« Physicien médical et qualifications professionnelles »

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

...  -  À l'article L. 1132-6-1 du code de la santé publique, les références : « de l'article L. 4002-1 et des articles L. 4002-3 à L. 4002-7 » sont remplacés par les références : « des articles L. 4002-1 et L. 4002-7 ».

L'amendement de coordination n°5, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

ARTICLES ADDITIONNELS

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par MM. Perrin, Raison, Laufoaulu, Le Gleut et Chevrollier, Mme Di Folco, MM. Pierre, de Legge, Chaize, Mandelli, D. Laurent, Grosperrin, Ginesta et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam, MM. Mouiller et H. Leroy, Mme Micouleau, MM. de Nicolaÿ, Pellevat, Meurant, Paccaud, Daubresse, Bouchet, Gremillet, Lefèvre, Kennel et Mayet, Mme Chauvin, M. Rapin, Mmes Morhet-Richaud et Gruny, MM. Gilles, Genest, Darnaud, Houpert, Longuet et Piednoir et Mmes Deromedi et Canayer.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 4341-8 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Art. L. 4341-8.  -  Les connaissances linguistiques font partie des qualifications professionnelles de la profession d'orthophoniste et sont contrôlées au moment de l'examen de ces qualifications professionnelles par un outil d'évaluation des compétences linguistiques approprié aux professions de santé. L'orthophoniste doit posséder les connaissances linguistiques nécessaires à l'exercice de la profession. »

M. Philippe Mouiller.  - Aux termes de l'article L. 4341-8 du code de la santé publique, l'orthophoniste, lors de la délivrance de l'autorisation d'exercice ou de la déclaration de prestation de services, doit posséder les connaissances linguistiques nécessaires à l'exercice de la profession. Leur évaluation doit s'effectuer au moment de l'examen des qualifications.

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié, présenté par M. Botrel, Mmes S. Robert et Blondin et M. Fichet.

Après l'article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L.4341-8 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Art. L. 4341-8.  - Les connaissances linguistiques font partie des qualifications professionnelles de la profession d'orthophoniste et sont contrôlées au moment de l'examen de ces qualifications professionnelles. L'orthophoniste doit posséder les connaissances linguistiques nécessaires à l'exercice de la profession. »

M. Yannick Botrel.  - Cet amendement garantira que la profession d'orthophoniste est exercée en France par des professionnels maîtrisant la langue française.

M. le président.  - Amendement identique n°3, présenté par Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Dominique Watrin.  - L'objectif est de garantir aux patients des soins de qualité. Cela passe par un contrôle a priori des compétences. En commission, on m'a renvoyé au code la santé publique, il n'est pas clair. En revanche, l'ordonnance l'est : elle ne prévoit qu'un contrôle a posteriori...

M. le président.  - Amendement identique n°4, présenté par Mme Rossignol.

Mme Laurence Rossignol.  - Ces quatre amendements révèlent au mieux un malentendu, au pire une incohérence juridique. Les orthophonistes ont besoin d'une explication extrêmement sécurisée.

Mme Corinne Imbert, rapporteur.  - Cette question suscite des interrogations légitimes. Les contrôles varient, d'après la Cour des comptes, selon les commissions départementales. Ils interviennent, la loi est claire sur ce point, une fois la qualification professionnelle reconnue. Laquelle n'équivaut pas à la délivrance de l'autorisation d'exercer. Peut-être le Gouvernement devrait-il créer un outil d'évaluation de référence. Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État.  - La maîtrise du français est, en effet, un prérequis à l'exercice de la profession d'orthophoniste que vérifient les commissions professionnelles départementales, au besoin par des auditions. Ces amendements sont satisfaits : avis défavorable.

M. Philippe Mouiller.  - Merci pour ces précisions. Je retire l'amendement.

L'amendement n°1 rectifié bis est retiré.

Les amendements identiques nos2 rectifié, 3 et 4 ne sont pas adoptés.

Le projet de loi est adopté.

« Fonctionnement des ordres des professions de santé »

L'article premier est adopté.

ARTICLE 2

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission.

I.  -  Alinéa 1

Après le mot :

publique

insérer les mots :

, dans leur rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-644 du 27 avril 2017 relative à l'adaptation des dispositions législatives relatives au fonctionnement des ordres des professions de santé,

II.  -  Alinéa 2

Après le mot :

sociale

insérer les mots :

, dans leur rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-644 du 27 avril 2017 précitée,

L'amendement rédactionnel n°4, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

ARTICLE 3

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Au début

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

... - L'article L. 4142-4 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La chambre disciplinaire interrégionale de première instance de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse comporte, pour les quatre membres titulaires et quatre membres suppléants élus parmi les membres du conseil régional, trois membres titulaires et trois membres suppléants élus par les membres titulaires du conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur parmi ses membres, et un membre titulaire et un membre suppléant élus par les membres titulaires du conseil régional de Corse parmi ses membres. »

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État.  - Comme les médecins, les chirurgiens-dentistes souhaitent assurer une représentation des praticiens exerçant en Corse au sein de la chambre disciplinaire interrégionale de première instance de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse.

Mme Corinne Imbert, rapporteur.  - Cet amendement, déposé tardivement, n'a pu être expertisé par la commission des affaires sociales. La précision semble raisonnable mais l'on peut se demander pourquoi elle vaut pour cette seule chambre... L'exception corse, sans doute ? (Sourires) L'ordre national des chirurgiens-dentistes ne s'oppose pas à l'amendement. Sagesse.

L'amendement n°1 est adopté.

L'article 3, modifié, est adopté.

L'article 3 bis A est adopté, de même que l'article 3 bis B.

ARTICLE 3 BIS C

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission.

Après le mot :

publique

insérer les mots :

dans leur rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-644 du 27 avril 2017 relative à l'adaptation des dispositions législatives relatives au fonctionnement des ordres des professions de santé

L'amendement rédactionnel n°5, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 3 bis C, modifié, est adopté.

L'article 3 bis est adopté.

ARTICLE 4

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

...  -  Au II de l'article 14 de l'ordonnance n° 2017-644 du 27 avril 2017 relative à l'adaptation des dispositions législatives relatives au fonctionnement des ordres des professions de santé, après les mots : « ainsi que », sont insérés les mots : « le 2° , le 3° et le treizième alinéa de l'article L. 4231-4 et ».

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État.  - Avec l'ordonnance du 16 février 2017, deux représentants du ministère de la santé siègeront, avec voix consultative, au sein du Conseil national de l'ordre des pharmaciens à partir du prochain renouvellement. Prévoyons une entrée en vigueur immédiate de cette disposition ; l'ordre des pharmaciens est demandeur d'échanges, de consultations et d'informations.

Mme Corinne Imbert, rapporteur.  - Cela semble raisonnable. L'ordre des pharmaciens, mis au courant, n'a pas formulé d'observations. Sagesse.

L'amendement n°3 est adopté.

L'article 4, modifié, est adopté de même que les articles 4 bis, 4 ter et 5.

ARTICLE ADDITIONNEL

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Après l'article 5

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

À la deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 145-7-4 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2017-644 du 27 avril 2017 précitée, les mots : « praticiens-conseils membres de l'ordre » sont remplacés par les mots : « membres de ces ordres ».

Mme Corinne Imbert, rapporteur.  - Avis favorable.

L'amendement rédactionnel n°2, accepté par la commission, est adopté et devient un article additionnel.

Le projet de loi est adopté.

La séance est suspendue à 17 h 10.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 17 h 30.

Avenir de l'Union européenne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur l'avenir de l'Union européenne.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - L'Europe est le cadre naturel où nos valeurs et intérêts doivent être portés à l'heure de la mondialisation. Le président, comme il l'a affirmé à Athènes et à la Sorbonne, a fait d'une ambition européenne renouvelée une priorité pour la France avec deux convictions : dans un monde en crise, seule l'Europe nous permettra d'exercer pleinement notre souveraineté, de maîtriser notre destin ; et nous ne réussirons qu'en comblant le fossé entre les institutions européennes et les peuples.

M. Richard Yung.  - Absolument !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Le président a fixé un cap clair avec deux échéances : 2019, année des prochaines élections européennes et 2024, échéance du mandat de la commission issue de ces élections.

Pour préparer ces rendez-vous, nous avons besoin d'une conscience lucide de la situation dans laquelle l'Europe se trouve. Face à la défiance, rien de pire que le déni. L'Europe suscite une indifférence résignée ; pourtant, elle revient au centre de l'attention quand elle est pointée du doigt et laissée dans l'ombre là où elle réussit - et nous n'avons pas assez montré ce que l'Union européenne rend possible.

La décision souveraine du peuple britannique de quitter l'Union européenne, paroxysme de la crise, doit être respectée. Le commissaire chargé des négociations, Michel Barnier, agit selon les principes fixés par le Conseil européen : des garanties réciproques pour les citoyens concernés, le respect par le Royaume-Uni de ses obligations administratives, fiscales et juridiques contractées comme État membre, la prise en compte de la spécificité de la frontière irlandaise, ainsi que le caractère indivisible des quatre libertés de circulation - des capitaux, des biens, des services et des personnes. De plus, aucune négociation ne saurait être menée à titre bilatéral.

Face à la décision, britannique, l'Union européenne a fait montre de cohésion. Le Royaume-Uni reste un partenaire essentiel pour la France, notamment pour la défense dans le cadre de l'accord de Lancaster House.

Mais chacun a son intérêt ; le nôtre est de conduire la procédure au plus vite avant de fixer le nouveau cadre. Le compte n'y est pas pour le moment, en dépit des ouvertures opérées par Theresa May à Florence.

Le contexte - à commencer par la crise en Catalogne - nous commande de revoir nos priorités politiques et nos pratiques institutionnelles. Il réclame un sursaut, une refondation, comme l'a dit le président de la République. L'illusion d'une souveraineté de repli nous conduirait à l'isolement et à une exposition plus grande aux désordres du monde.

Chargé de conduire notre diplomatie, je puis dire que jamais, depuis la fin de la Guerre froide, les tensions n'ont été aussi vives. La multilatéralité s'affaiblit, la compétition s'organise, les inégalités s'accroissent.

La seule réponse qui vaille est indissolublement nationale et européenne. La souveraineté de la France passe par une Europe réformée et souveraine, qui intègre une culture du rapport de forces - ce qui lui a fait trop longtemps défaut.

Trois conditions à cela : unité de l'Europe, protection des intérêts de ses citoyens, capacité à peser et à défendre ses valeurs.

L'unité sera compromise si les peuples d'Europe ne sont pas des acteurs de la refondation ; c'est pourquoi la France propose des conventions démocratiques dans chaque État membre, au plus près du terrain, dès le premier semestre 2018, pour préparer la refondation. Ainsi les citoyens auront été consultés en amont. La ministre des affaires européennes, Nathalie Loiseau, est mobilisée sur ce sujet.

Le président de la République a aussi proposé une circonscription européenne unique, dans le cadre de laquelle seraient élues des listes transnationales au Parlement européen - ce serait une réponse au Brexit.

M. Bruno Sido.  - C'est le fédéralisme !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Le socle de l'unité européenne, ensuite, c'est la conscience des citoyens qu'ils sont européens. Fortifier cette conscience par l'enseignement, les échanges, en particulier scolaires et universitaires, c'est garantir l'avenir de l'idée européenne, de notre civilisation que chacun de nos pays exprime singulièrement. Notre jeunesse n'a jamais été aussi mobile, il convient donc d'assurer, au niveau européen, une égalité d'accès à l'horizon européen.

Les objectifs affichés par le président de la République sont ambitieux. Ceux qui, en Europe, veulent aller plus loin ne doivent pas en être empêchés.

Le président a proposé de former un groupe d'États volontaires pour une refondation européenne ; l'accueil qui lui a été réservé incite à l'optimisme.

L'Allemagne sera notre partenaire majeur pour avancer. Elle est engagée dans une négociation sur la future coalition gouvernementale qui sera dirigée par Angela Merkel. Celle-ci est un partenaire ancien et fiable ; ensemble, nous ferons progresser l'Europe. C'est d'autant plus important que le score très élevé de l'extrême droite aux élections allemandes a révélé que le scepticisme et le rejet de l'Europe sont un risque en Allemagne aussi. Le président a souhaité, dans cette perspective, un nouveau traité de l'Élysée.

L'unité se manifestera plus que jamais face à la crise migratoire, dans la solidarité. Le président a réuni le 28 août à Paris ses homologues allemand, espagnol, tchadien, nigérien notamment, ainsi que la haute représentante de l'Union européenne, Mme Mogherini, dans cette perspective - il a plaidé pour un office européen de l'asile et une police aux frontières européennes.

L'exigence de solidarité européenne repose sur un équilibre entre droits et obligations : la cohérence comme la légitimité du projet européen passent par là.

Jacques Delors disait à juste titre que l'unité de l'Europe reposait sur la concurrence qui stimule, la coopération qui rapproche, et la solidarité qui unit.

Il est fondamental que les États membres trouvent un équilibre pour une convergence économique et fiscale. Je songe au régime des travailleurs détachés, qui ne satisfait personne. Le président a engagé une réflexion sur le sujet, avec nos partenaires de l'Est. Un socle social européen sera étudié dans les prochains jours à Göteborg.

Les fonds sociaux tendent au même but : corriger les disparités. Les élus que vous êtes connaissent l'importance de ces fonds pour les territoires - la France bénéficie, au total, de 27 milliards d'euros pour 2014-2020.

La convergence demande également de renforcer l'Union économique et monétaire, vers une Union des marchés de capitaux pour stimuler l'investissement et l'innovation. Le président de la République souhaite aussi renforcer la zone euro à travers la création d'un budget et d'un ministre communs soumis à un contrôle parlementaire européen. Ainsi l'Europe s'affirmera-t-elle comme une puissance économique mondiale.

Le deuxième élément du projet est la protection - une dimension inhérente à la construction européenne, on le voit dès l'instauration de la PAC, qui n'a pas eu d'autres objectifs que de protéger le revenu des agriculteurs, la sécurité alimentaire et la protection des consommateurs - puis ont été ajoutés la protection de l'environnement et le développement rural. Nous devons assurer, dans le cadre d'une PAC rénovée, que ces objectifs seront mieux atteints et que notre agriculture assure un niveau de vie décent aux producteurs et que les consommateurs accèdent à des produits de qualité, au juste prix.

Ne cédons pas aux caricatures qui présentent l'Union européenne soumise aux seules forces du marché et oubliant ses citoyens les plus fragiles : le Fonds européen d'aide aux plus démunis accorde à notre pays, pour 2014-2020, 500 millions au titre de l'aide alimentaire aux plus démunis.

Protéger, c'est aussi en finir avec une certaine naïveté commerciale, en luttant contre le dumping et la concurrence déloyale. Je salue la décision du Conseil européen de se doter d'un nouveau mode de calcul des distorsions de concurrence dues à l'intervention de l'État dans les pays tiers, nous veillerons à ce que la Commission européenne en fasse le meilleur usage. Plus largement, il convient de refonder la politique commerciale européenne, en y imprimant nos valeurs, le respect des normes sanitaires et environnementales, la lutte contre les dérèglements climatiques. Les négociations commerciales elles-mêmes doivent être transparentes. Le CETA est un bon accord, grâce notamment à son mécanisme juridictionnel de règlement des différends sur les investissements, mais il faut que les accords de demain soient plus complets, en intégrant notamment la dimension climatique et sanitaire.

Notre exigence : la transparence. Le président souhaite la création d'un procureur commercial européen pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales.

Jean-Claude Juncker a manifesté son intention de mieux surveiller les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques au sein de l'Union ou venant d'investisseurs sensibles ; des États membres, comme la France, se sont dotés d'outils performants, d'autres non, il faut harmoniser.

Autre dimension essentielle de la protection, la sécurité. Les crises se multiplient à nos portes - au Sahel, en Ukraine, en Libye, en Syrie -, elles font vaciller l'architecture de la sécurité européenne. La France doit prendre l'initiative ; avec l'Allemagne, nous avons un partenaire conscient des menaces à l'Est et au Sud. Une doctrine stratégique européenne commune est la condition sine qua non de l'autonomie stratégique européenne.

Deux avancées récentes dans ce domaine. D'abord la Coopération structurée permanente (CSP) qui suscite l'intérêt de nombreux États membres ; c'est un partenariat reposant sur la mise à disposition d'unités de combat sur des critères fixés collectivement et vérifiés. Seconde avancée, la création d'un programme européen pour le développement des industries de défense. Son budget pourrait atteindre 500 millions d'euros par an.

Le président de la République a enfin exposé les principales clés d'une Europe souveraine : gestion de la crise migratoire, politique commune face au réchauffement climatique, transition énergétique efficace et équitable. C'est le point de départ de la troisième dimension du projet : la projection européenne dans le monde. La perception négative de l'avenir, qui nourrit le populisme, doit être combattue. Nos concitoyens ne veulent pas sortir de la mondialisation, ils veulent une mondialisation organisée selon des règles justes et équitables.

Dans ce cadre de pensée, l'Europe poursuit ses efforts en Afrique ; une taxe sur les transactions financières, telle que proposée par le président de la République, serait affectée à l'aide au développement.

Autre volet d'une action fiscale de progrès, la taxe carbone. La voix de la France, coordonnée avec nos partenaires, a porté sur ce thème.

L'unité, la protection sont les conditions de projection de l'Europe au niveau international, pour contribuer à la stabilité du monde. La construction européenne a fait taire les armes depuis soixante-dix ans. Mais n'oublions pas que le fracas de l'histoire et la folie des hommes ont déjà balayé les constructions humaines les plus sûres. La valeur de la construction européenne, cette création politique unique, mesurons-la en la rapportant à son origine, celle des drames du siècle passé et de la volonté qui permit de les dépasser.

Chaque génération de notre pays peut se référer à un événement marquant : dialogue renoué avec l'Allemagne après la guerre, chute du mur de Berlin, François Mitterrand donnant la main à Helmut Kohl devant l'ossuaire de Douaumont... Il nous incombe de créer celui qui marquera les prochaines générations ! L'horizon de notre souveraineté est européen. C'est en construisant avec l'ensemble des États membres de l'Union une Europe souveraine, que nous assumerons nos responsabilités à l'égard du peuple français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RTLI et sur quelques bancs des groupes Les Républicains et SOCR)

M. André Gattolin .  - Je dirai d'abord mon immense satisfaction de constater l'affluence à notre débat d'aujourd'hui : au lieu des débats que nous avons régulièrement avant chaque Conseil européen, qui mobilisent le secrétaire d'État et quelques-uns d'entre nous, voici que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères se présente devant un hémicycle bien rempli. Je vous suggère, monsieur le ministre, d'annualiser un tel rendez-vous - et je me réjouis du titre de votre ministère, le temps n'est plus à l'Europe discrète voire honteuse que dénotait l'appellation de tel ministère délégué aux affaires européennes...

Emmanuel Macron a su mettre l'Europe au coeur de sa campagne, comme un véritable atout pour notre pays. Son discours de la Sorbonne n'est pas la fulgurance d'un jour ; il s'inscrit dans une série d'interventions majeures sur la centralité de cet enjeu.

Son discours de Bruges, le 18 avril 2016, en témoigne : il y envisageait la fin de la règle de l'unanimité. Souvenez-vous aussi de son meeting de Nantes... (Quelques exclamations sceptiques à droite et à gauche)

À Athènes, il a annoncé son souhait de mettre en place des listes transnationales pour les élections européennes : le Parlement européen y avait échoué pour les élections de 2004 et les opposants à une telle idée ont pris l'habitude de la dénigrer ; mais c'est maintenant le président d'un des principaux États membres qui la reprend : on ne peut plus si facilement l'écarter d'un revers de main !

Nous avons besoin d'une représentation politique de classe européenne : envisageons un Erasmus de la représentation parlementaire en Europe ! Être parlementaire national devrait impliquer des détachements réguliers dans d'autres parlements ou au niveau européen.

Non à un enlèvement d'Europe, mais un élèvement de la France par l'Europe : c'est ce à quoi le président nous convie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM)

M. Pierre Ouzoulias .  - Le 7 septembre devant le Parthénon, sur la Pnyx - lieu du premier gouvernement du peuple par le peuple - le président de la République demandait : qu'avons-nous fait de la démocratie ? En effet, soixante ans après le Traité de Rome, le bilan est amer. Alors qu'en juin dernier, notre communauté nationale s'est retrouvée unie pour célébrer l'oeuvre accomplie et le message délivré par Simone Veil, grande figure européenne qui fait notre fierté, partout l'indépendance de la justice, la liberté de la presse, les droits des syndicats et des femmes sont entravés et bafoués - je songe au droit à l'IVG, à l'amour entre personnes de même sexe. Que dire du sort de nos frères et soeurs en humanité fuyant la guerre en Syrie ?

Dernièrement, on a versé du sang pour empêcher des citoyens de voter en Catalogne et l'Union européenne refuse d'intervenir au nom de la non-ingérence. On a pourtant contraint la Grèce à réduire les pensions de retraite des plus pauvres : la solvabilité de la dette passe avant la défense du droit de vote ! La queue aux soupes populaires s'allongent ; de plus en plus de nos concitoyens travaillent le jour et dorment la nuit... dans leur voiture.

En Allemagne, votre modèle, 22 % des salariés sont pauvres, 5 millions d'actifs vivent avec moins de 450 euros par mois. Cette misère sociale attise les braises de l'extrémisme et pousse les électeurs vers des partis antidémocratiques, racistes et xénophobes. Résultat : 94 députés nazis reviennent sous la coupole du Reichstag ! Entendez ce coup de tonnerre d'un orage à venir qui pourrait être bien plus terrible.

Vous y répondez par un ordolibéralisme à l'allemande ; vous voulez priver le Parlement de ses prérogatives budgétaires, au profit d'un gouvernement de techniciens - parce que vous estimez préférable de confier le pouvoir à ceux qui ne le tiennent pas du peuple...

Quel dogme vous aveugle pour ne pas voir que la précarité nous conduit à l'abîme ? Oui, il faut refonder l'Europe ; mais par pitié, sur d'autres principes : une République universelle, démocratique et sociale. Retrouvons l'esprit de la démocratie athénienne, où exercer son droit de citoyen, c'était d'abord vivre bien ensemble. Victor Hugo appelait, en 1860, dans son exil, luttant contre « Napoléon le petit », chacun à s'unir vers ce but solennel, cette vaste aurore, celle des nations affranchies, au cri de « Vive la liberté ! ». (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Philippe Bonnecarrère .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Débattre de l'avenir de l'Union européenne, c'est donner une vision et un espoir pour les générations à venir - quantifier, vous l'avez dit monsieur le ministre, la conscience de nos concitoyens d'être européens, retrouver l'esprit des pères fondateurs.

Depuis son élection, le président de la République ne s'est pas ménagé sur ce dossier. Il a posé, à la Sorbonne et à Athènes, les bases de son ambition. D'abord, une Europe plus démocratique, ensuite une Europe plus protectrice : voilà la direction à prendre.

Nous ne pouvons plus jouer avec l'opinion publique - je songe aux référendums du passé. C'est l'esprit de la proposition de conventions européennes démocratiques. La reconstruction doit partir des peuples. C'est le meilleur moyen de donner l'envie d'Europe. C'est aussi la bonne manière d'intégrer des idées nouvelles soutenues par les citoyens. Le Sénat participera pleinement à ce mouvement. Notre commission des affaires européennes a publié l'an dernier, avec la commission des affaires étrangères, un rapport intitulé « Relancer l'Europe » dont il conviendrait de s'inspirer.

Redonner du sens à la démocratie européenne, c'est aussi redonner une légitimité au Parlement européen. La proposition de listes transnationales est intéressante, elle conforte le sentiment d'appartenance à une communauté de citoyens européens, la possibilité de partager un projet. Il faut aussi rééquilibrer les pouvoirs entre les différentes institutions européennes. La question des moyens européens est elle aussi cruciale. Il est urgent de relancer ces débats.

Après la refondation démocratique de l'Union à laquelle travaille le président, il convient de lui redonner du sens. Une Europe qui protège, c'est une Europe qui tend vers une convergence des droits sociaux, des droits des salariés et de la fiscalité : l'initiative lancée par la France sur la révision de la directive dite « travailleurs détachés » est un marqueur fort.

La convergence fiscale doit être appuyée, pour mieux protéger mais aussi écarter les pratiques anticoncurrentielles des Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA).

Une Europe qui protège, c'est une Europe juste, une Europe qui fait aussi des choix clairs en matière de sécurité et de défense.

L'Europe pourrait également se doter d'une force d'intervention commune, d'un budget de défense commun. Le renseignement doit aussi être coordonné au niveau européen.

Nous soutenons l'action du président de la République. Pour la première fois depuis des années, la France retrouve son rôle moteur et de pivot en Europe, en partenariat avec l'Allemagne.

Point de catastrophisme ni de déclinisme : nous sommes fiers de siéger dans cet hémicycle, devant le drapeau tricolore et mais aussi devant celui de l'Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur plusieurs bancs des groupes LaREM, RDSE et SOCR)

M. Didier Guillaume .  - Il y a quelques années, un débat sur l'avenir de l'Union européenne aurait paru incongru tant nous nous accordions sur la réalité, la nécessité et même les modalités de cet avenir. Est-ce toujours le cas ? Cette confiance dans le projet européen nous a fait oublier la nécessité de l'expliquer, de le penser et de le repenser. Aujourd'hui, l'Europe vit une crise majeure. Elle n'offre que deux issues : la fin de l'idée européenne, ce qui serait un désastre, ou le redémarrage d'une Europe prospère et solidaire. Nous devons réinventer le rêve européen. Oui il faut un sursaut, un cap pour la refondation.

Alors que l'euroscepticisme gagne, que les peuples deviennent plus méfiants, ce type de débat est utile.

Monsieur le ministre, nous vous soutiendrons pour relancer l'Europe, approfondir le projet européen, créer une dynamique démocratique : vous aurez besoin de la force du Parlement. Mais nous serons exigeants et vigilants : il faut corriger les erreurs, ne pas baisser les bras. Faire table rase du passé serait une erreur. Quel reniement, quelle démission intellectuelle, quel déshonneur que de vouloir supprimer les symboles comme le drapeau européen ! Inacceptable !

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

M. Didier Guillaume.  - Nous approuvons la décision du président de la République de reconnaître solennellement le drapeau et l'hymne européens. La construction européenne est aussi affaire de symboles.

M. Simon Sutour.  - Très bien !

M. Didier Guillaume.  - Face au danger de l'éclatement, la mobilisation doit être totale. Le phénomène britannique n'est pas isolé. Aux dernières élections présidentielles, les eurosceptiques à l'extrême droite et à l'extrême gauche ont récolté 40 % des voix, en Allemagne l'extrême droite est entrée au Bundestag. En Hongrie et en Pologne, les eurosceptiques sont au pouvoir ! La menace n'est pas que virtuelle, avec en lame de fond, le refus de payer pour les autres.

La France a été en pointe pour régler la crise grecque. Elle doit continuer à faire prévaloir l'exigence de solidarité, trop longtemps occultée derrière l'économique. Certes, il faut une union monétaire renforcée, une harmonisation fiscale, un budget efficace, mais aussi une convergence sociale avec la construction d'un socle européen des droits sociaux.

La solidarité, c'est aussi le partage de l'effort de défense. La France ne peut assumer seule la protection de tout un continent. Une plus grande unité militaire en Europe s'impose. Les propositions du président de la République en la matière sont fortes, espérons qu'elles aboutiront.

Le deuxième écueil est celui d'une déconnexion du projet européen. De la directive Bolkestein à celle sur les travailleurs détachés, de la PAC à Schengen, l'éloignement de la technostructure attise l'exaspération. N'éloignons pas l'Europe des citoyens. Cessons d'empiler les institutions : tout nouveau projet doit avoir une légitimité démocratique. Le Parlement européen doit avoir plus de pouvoirs ! Démocratie et solidarité, voilà les deux principes que nous voulons porter.

Oui l'Europe a besoin d'une boussole. L'ancrage des symboles européens participe à la progression du sentiment européen. Vous nous trouverez à vos côtés, monsieur le ministre, face au populisme. La France a toujours été du côté des bâtisseurs. La France restera un moteur solide de l'Europe avec l'Allemagne - sans doute, un nouveau traité de l'Élysée sera-t-il nécessaire. Il faut faire de l'Europe une puissance souveraine. Les obstacles seront nombreux, c'est vrai, mais nous demeurerons infatigables pour rebâtir l'idée européenne, afin que demain, tous ensemble, nous puissions continuer à dire « Vive l'Europe ! ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, LaREM et RDSE)

Mme Colette Mélot .  - Le 25 mars 2017, nous fêtions les soixante ans du Traité de Rome. Si le projet européen a connu une progression indéniable, marquée par les élargissements successifs, de nombreux périls le menacent : Brexit, hausse des populismes, crise migratoire... Mais l'Union européenne est une force pour la France. Sortons des clichés : le rôle des États membres dans la prise de décision est déterminant. Certains dénoncent l'échec de Schengen alors qu'ils ont refusé de lui donner les moyens de fonctionner !

Les souverainistes se trompent de combat. L'Union européenne n'est pas un adversaire mais un levier de reconquête d'une souveraineté menacée par la dette ou la dépendance à certaines matières premières. Nous avons besoin d'une Europe-puissance qui maîtrise ses frontières, qui protège son marché intérieur face à la concurrence déloyale, qui fasse confiance aux territoires en respectant le principe de subsidiarité.

Le discours volontariste du président de la République va dans le bon sens ; le Gouvernement semble vouloir prendre le sujet européen à bras-le-corps, tant mieux. Il faut donner à l'Union européenne les outils pour garantir sa sécurité, prendre en compte la question migratoire, faire de l'Union un leader en matière de développement durable. Les mots devront être suivis d'actes.

Oui aux conventions démocratiques de refondation de l'Union européenne, pour que les citoyens se réapproprient l'Europe. Il est indispensable de communiquer, pour que le projet européen retrouve du souffle. Trop souvent, les dirigeants ont construit l'Europe sans les citoyens. Résultat, la défiance s'est accrue. Pourtant les succès européens sont nombreux, à l'image du programme Erasmus qui fête ses trente ans et dont trois millions de jeunes ont bénéficié depuis sa création. Il concerne 270 000 jeunes chaque année et intègre désormais un volet professionnel, encore trop peu utilisé.

L'Europe est une nécessité, plus que jamais. Il faut associer plus largement encore les Français. Les Européens doivent se retrouver, reprendre leur destin en main pour que l'Europe ne devienne pas « un continent sous influence ou sous-traitant », selon la formule de Michel Barnier.

Au Sénat, le groupe RTLI s'investira sur cette question qui est au coeur de son ADN. L'Europe est une chance pour la France, nous n'avons pas le droit de la gâcher. (Applaudissements sur les bancs du groupe RTLI)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien.

présidence de M. David Assouline, vice-président

M. Jean-Claude Requier .  - Quelle Europe pour demain ? L'actualité montre que le réveil identitaire qui travaille de plus en plus de pays est un obstacle de plus... L'entrée de l'AFD au Bundestag illustre le poids croissant des eurosceptiques. La France n'y échappe pas. Aux défis politiques s'ajoutent la crise de la dette, la crise migratoire, le terrorisme... L'Europe est sur tous les fronts !

Que serait chaque état isolé, face à la Chine, à la puissance américaine ou aux grands ensembles régionaux qui se créent en Asie ou en Amérique latine ? L'union est une condition de survie. Quelle serait la situation à nos frontières sans Frontex, sans l'accord avec Ankara ?

N'attendons pas d'être au pied du mur. Trop souvent, on a agi dans l'urgence, sous le coup de l'émotion... L'Union européenne demeure notre indéfectible horizon. Certes l'Europe n'est pas parfaite, mais elle reste notre meilleur instrument pour relever les défis communs, comme le rappelle la déclaration de Bratislava.

Le président de la République a rappelé le 26 septembre à la Sorbonne que l'Europe avait toujours été portée par des pionniers, des optimistes, des visionnaires. Les pères fondateurs l'ont inventée, nous devons la réinventer. La vision du président de la République est fondée sur le concept de souveraineté européenne, déclinée dans bien des domaines : je ne peux que me réjouir de cet élan. Rien ne m'effraie dans ses propositions, au contraire ; certaines sont d'ailleurs déjà à l'étude à Bruxelles.

Mais pour que l'élan aboutisse, il faut des valeurs communes. Au premier rang : la solidarité, mise à rude épreuve avec le Brexit. Or sans solidarité, point de convergence fiscale, sociale ou environnementale. La réforme des institutions ne doit pas être taboue. Il est temps de les rendre plus démocratiques et transparentes.

Maurice Faure, mon mentor en politique, m'avait confié avoir négocié le Traité de Rome contre le Quai d'Orsay et imposé sa vision politique, mais cette Europe n'était pas celle des normes et des directives qui, elle, ne fait guère rêver...

Monsieur le ministre, le groupe RDSE sera à vos côtés pour rendre à l'Europe une nouvelle ambition, plus de sens et plus de souffle ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC, LaREM et SOCR, ainsi que sur certains bancs du groupe Les Républicains)

M. André Reichardt .  - Évoquer l'avenir de l'Union européenne serait-il la marque d'un optimisme forcené, quand l'Europe a traversé, ces derniers temps, un annus horribilis après l'autre, chacun charriant son lot de crises nouvelles ? Le feu couve toujours sous la cendre, même si le tumulte des années noires semble derrière nous.

Après un quinquennat marqué par l'effacement de la France sur la scène européenne, les discours du président de la République à Athènes et à la Sorbonne ont replacé notre pays au centre du jeu et ses propositions alimentent le débat sur la refondation de l'Europe.

Pourtant, le cadre qu'il propose ne fait pas consensus. Oui, trop longtemps la construction européenne s'est faite sans les peuples.

Oui, les élargissements ont rendu inévitable une plus grande différenciation dans notre coopération. Toutefois, la dimension fédéraliste de son projet nous laisse perplexes - car c'est bien d'un mouvement vers une Europe fédérale qu'il s'agit, d'une avant-garde dont la France aurait vocation à prendre la tête...

M. Simon Sutour.  - Mais c'est très bien !

M. André Reichardt.  - Parler de souveraineté européenne réelle relègue la souveraineté nationale au rang de fiction. Les électeurs ont rejeté le 7 mai le démantèlement de l'Union, ils n'ont pas pour autant plébiscité l'Europe fédérale. Chercher à forcer le destin, c'est perdre de vue la diversité des peuples. La multiplication des instances supranationales n'est pas la clé de l'efficacité ou de l'acceptation ; il faut plutôt une articulation intelligente des principes de responsabilité et de solidarité au service d'un objectif commun. Nous avons besoin d'un projet politique de civilisation face aux mutations et aux convulsions du monde contemporain. Ancrons l'Europe sur un territoire qui reflète son histoire et son identité, dans des frontières stables. L'indétermination géographique est le symbole d'une indéfinition politique. Fixons nos frontières, clarifions nos relations avec nos voisins. M. Juncker lui-même reconnaît que la Turquie s'éloigne de l'Europe...

Articulons mieux la construction européenne et l'expression de la démocratie nationale. Des conventions démocratiques, pourquoi pas, mais il faut surtout renforcer le rôle des parlements nationaux. Difficile de soutenir l'élection du Parlement européen sur la base de listes transnationales sauf à éloigner encore plus les députés des électeurs. Au contraire, il faut accorder un pouvoir d'initiative aux parlements nationaux, voire un droit de véto.

Le champ des compétences partagées doit être revu et l'Europe se concentrer sur le socle commun : le marché unique, la défense, les frontières extérieures, la recherche, l'énergie, les grandes infrastructures, l'économie, la lutte contre l'évasion fiscale et le dumping. Au lieu de cela, nous avons laissé se développer une Europe de l'accessoire.

Les transferts de souveraineté dans une Europe à 27 sont une impasse. Mieux vaut des coopérations entre pays capables et responsables. Pas d'hypothétique noyau dur, pas davantage d'une Europe à la carte, à 27 vitesses, mais il faut assouplir les coopérations renforcées, trop difficiles à mettre en oeuvre.

L'Europe doit assurer la protection des citoyens. Premier chantier : les frontières. Le corps européen de garde-côtes et de garde-frontières est indispensable mais son action doit rester conditionnée à l'accord des États membres. Nous ne souscrivons pas à la création d'une police des frontières indépendante sur les territoires nationaux. Accélérons le développement des hot-spots, éloignons réellement les déboutés du droit d'asile, ce qui suppose de conditionner les aides financières aux pays tiers au respect des accords de réadmission.

Deuxième chantier : la défense. Dans un monde instable et dangereux, il faut recouvrer notre autonomie stratégique, sans renoncer à l'alliance avec les États-Unis, mais renforcer nos niveaux d'engagements financiers, capacitaires et industriels, développer des programmes communs d'armement, appliquer la préférence communautaire aux marchés de défense.

Troisième action, le renforcement de la zone euro. Celle-ci s'est certes dotée de règles plus robustes mais la crise a miné la confiance entre États membres. Nous ne sommes pas pour l'émission commune de dette publique ou la création d'une assurance chômage européenne ; c'est au sein de chaque pays qu'il faut agir.

Pour réduire les risques, il faut renforcer la gouvernance de la zone euro mais surtout progresser sur la voie de la convergence fiscale et sociale et lutter contre le dumping fiscal. Pourquoi pas un serpent social et fiscal ? En 2012, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avaient ouvert la voie avec le Livre vert franco-allemand.

Enfin, l'Europe doit assurer la défense de ses intérêts dans la mondialisation. Nos partenaires sont aussi nos concurrents ! Les accords commerciaux doivent être soumis au principe de réciprocité. Une taxe anti-dumping et des sanctions contre les contrefaçons s'imposent.

Voilà quelques pistes d'évolution pour redonner du sens à notre coopération et emporter l'adhésion de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RTLI et LaREM, ainsi que sur le banc des commissions)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes .  - À la demande du président Larcher, nos commissions des affaires étrangères et des affaires européennes ont créé un groupe de suivi du Brexit. Son rapport s'intitule : « Retrouver l'esprit de Rome ». La décision britannique, non-sens géostratégique, a été un choc. Je salue le travail de Michel Barnier qui conduit les négociations avec fermeté et rationalité face à l'incohérence britannique. Pas question de passer à la phase 2 sans avoir préalablement traité de la situation des citoyens européens au Royaume-Uni, du règlement financier de la sortie et de la question irlandaise.

L'Europe, devenue un bouc émissaire pour les responsables politiques nationaux, paye son impuissance face à la crise financière, au terrorisme et au choc migratoire. Vision et leadership font défaut. La dérive technocratique doublée du déficit démocratique a alimenté la défiance et les populismes. Un sursaut s'impose : l'Europe-puissance doit succéder à l'Europe-espace. Au-delà du marché commun, un projet politique est nécessaire.

L'Union européenne doit se faire respecter dans les négociations économiques et commerciales. Elle doit définir des priorités économiques, comme Airbus et Ariane jadis ; développer de nouvelles actions sur le numérique et l'énergie. La politique de la concurrence doit être mise au service de la reconquête industrielle et de l'emploi et non entraver l'émergence de champions européens. Il faut aussi renforcer la convergence sociale et fiscale entre États ; moderniser la politique de cohésion en s'assurant que les pays d'Europe centrale et orientale qui en bénéficient respectent les valeurs de l'Union.

La réforme de la PAC est un enjeu crucial : dans sa résolution, le Sénat l'a souhaitée forte, simple et lisible.

Une Europe recentrée doit respecter la subsidiarité. L'exigence de transparence doit nous guider. Le couple franco-allemand doit être le moteur de ces changements. L'Allemagne cherche un partenaire fort et fiable - à nous d'être à la hauteur, en faisant enfin les réformes tant de fois annoncées. Une feuille de route franco-allemande tournée vers les enjeux du XXIe siècle donnera une impulsion nouvelle.

Les coopérations renforcées sont trop peu utilisées. Pourtant, celles mises en oeuvre sont un succès - je pense au brevet communautaire. Enfin, il faut mobiliser les citoyens, en premier lieu les jeunes. Erasmus est un succès. Pourquoi pas un Erasmus des apprentis ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE et sur plusieurs bancs des groupes LaREM et SOCR)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères .  - « On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri, en disant : l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !, mais ça n'aboutit à rien : il faut prendre les choses comme elles sont. » La célèbre saillie du général de Gaulle nous rappelle à la réalité, même si la vision du président de la République dessine un bel idéal...

Sécurité et défense sont un bel exemple. L'opinion attend des initiatives fortes, la Commission européenne a pris des positions inédites, la nouvelle administration des États-Unis dit souhaiter un renforcement du pilier européen de l'OTAN. Pourtant ce n'est pas demain, ni même après-demain, que l'Europe pourra assumer seule sa défense !

La France, première armée du continent, est la plus à même de porter la vision politique d'une Europe de la défense. La coopération structurée permanente progresse et le conseil de défense franco-allemand du 13 juillet laisse espérer des résultats opérationnels prochains.

Le Fonds européen de défense se met en place avec un volet de recherche et la création d'un programme de développement pour l'industrie de défense, doté de 500 millions d'euros par an les deux premières années et jusqu'à 1 milliard ensuite.

Mais les obstacles demeurent : il faudra trouver une majorité qualifiée après les élections européennes de 2019, avancer malgré un budget en contraction...

L'Europe de la défense doit reposer sur des projets concrets d'équipement. Pour être crédibles, il faut soutenir notre industrie de défense, et surtout acheter européen... L'épisode des hélicoptères achetés par la Pologne est un contre-exemple !

M. André Reichardt.  - Très bien.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Des initiatives ont été prises : programme eurodrone, hélicoptère Tigre, etc. L'accord de principe avec l'Italie sur les projets spatiaux et de missiles vont dans le bon sens mais il reste à progresser en matière navale, après l'affaire STX.

L'Union européenne est encore loin d'être dotée du budget de défense commun, des forces d'intervention communes ou de la doctrine commune que le président de la République appelle de ses voeux. La sortie du Royaume-Uni laisse la France isolée, même si Theresa May promet que le partenariat de Lancaster House se poursuivra sans conditions... ce qui est assez paradoxal !

La diffraction de l'Europe est un non-sens géostratégique. Le Brexit aura des conséquences lourdes. C'est pourquoi il est urgent de relancer le projet européen : la priorité est l'avenir de l'Union à 27. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RTLI)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances .  - En septembre, le président de la République et le président de la Commission européenne ont chacun lancé des appels en faveur d'une Union plus forte, une véritable puissance économique et financière. Le Brexit nous pousse à faire de l'Europe continentale un centre financier majeur s'appuyant sur une union des marchés de capitaux. Pour tirer notre épingle du jeu, il faut poursuivre le renforcement de la compétitivité de la place de Paris, initié par le précédent gouvernement. Il est heureux que le présent gouvernement reprenne des propositions de notre commission des finances.

Le débat est intense, les propositions institutionnelles nombreuses : ministre des finances commun, Trésor ou Parlement de la zone euro... Mais la question fondamentale demeure : la zone euro serait-elle capable de faire face à une nouvelle crise ?

L'architecture et le fonctionnement de la zone euro demeurent vulnérables. Si la Banque centrale européenne est efficace, les gouvernements ne pourront pas se reposer indéfiniment sur son action. Le Brexit ne doit pas nous conduire à remettre à plus tard la réforme de la zone euro ; bien au contraire.

Avec l'Union bancaire et la prise en charge des risques rencontrés par les systèmes bancaires nationaux, nous vivons un test grandeur nature de la capacité des États à gérer ensemble les risques en partageant leur souveraineté. Le test n'est pas encore concluant puisque les discussions sur le mécanisme européen de garantie des dépôts bancaires et le Fonds de résolution unique sont bloquées. Peut-être la nouvelle feuille de route présentée par la Commission européenne fera-t-elle avancer les choses.

Le mécanisme européen de stabilité, qui doit être renforcé, ne pourra pas devenir un véritable Fonds monétaire européen sans une réflexion préalable sur son contrôle démocratique par les parlements nationaux.

Un mécanisme de stabilisation budgétaire en cas de choc macroéconomique affectant la zone euro nous manque aujourd'hui. Qu'il prenne la forme d'un budget d'investissement de la zone euro ou d'une ligne budgétaire dédiée à la zone euro au sein du budget de l'Union, sa mise en oeuvre aura des conséquences sur nos systèmes fiscaux. Là encore nous touchons à l'essence de la souveraineté des États.

À ce propos, quel État membre acceptera de renoncer à son droit de veto pour passer au vote à la majorité qualifiée en matière de fiscalité, comme le propose le président de la Commission européenne, quand la concurrence fiscale s'attise ?

Enfin, la définition d'une politique économique européenne et un pilotage cohérent au niveau de la zone euro supposent une plus grande convergence des économies des États membres. Une clarification des règles de surveillance budgétaire et de leurs objectifs sera un minimum. Les procédures restent hors sol, pour l'heure.

S'agissant des réformes structurelles, les recommandations adressées chaque année aux États membres ne deviennent pas des éléments des débats publics nationaux. La procédure est « hors sol » : elle manque probablement d'ancrages démocratiques dans les institutions nationales.

Pour reprendre les mots de Jean Monnet, « il n'y a pas d'idées prématurées ; il y a des moments opportuns, qu'il faut savoir attendre. » Le moment est venu d'agir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et LaREM ainsi que sur quelques bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Je vous remercie pour ce débat, presque toujours marqué par la sagesse qui caractérise vos travaux, et j'apprécie, comme le fera sans doute Jean-Yves Le Drian, la demande de M. Gattolin d'en faire un rendez-vous annuel.

Je m'efforcerai de répondre à toutes vos questions et resterai à votre entière disposition, comme je le suis depuis ma prise de fonctions.

Certains ont formulé des encouragements, d'autres des critiques. Que tous soient remerciés. Oui, l'Europe est trop bureaucratique, trop peu démocratique. Le Gouvernement porte une ambition forte pour l'Europe car c'est en refondant l'Europe que nous retrouverons, en la partageant, une pleine souveraineté et pourrons relever les défis des migrations, des mutations technologiques, du dérèglement climatique, du terrorisme, de la protection de nos industries et de nos emplois.

C'est par une convergence par le haut, notamment dans la zone euro mais pas seulement, que nous tirerons pleinement profit du marché unique. Les négociations sont en cours pour empêcher les fraudes et le dumping social par la révision de la directive sur les travailleurs détachés. Nous travaillons à rassembler une majorité qualifiée en vue d'un accord le 23 octobre.

L'appel lancé à la Sorbonne le 26 septembre par le président de la République a eu un écho très important dans les opinions publiques et au sein du Conseil européen. Rien ne serait pire que de nous contenter d'un simple catalogue de mesures. À Tallinn, les chefs d'État et de gouvernement se sont accordés sur la nécessité de refonder l'Europe. Le président du Conseil européen Donald Tusk a été mandaté pour présenter dans les prochains jours une feuille de route. Démonstration est faite qu'il s'agit, non d'une préoccupation française, mais d'une cause européenne.

La méthode Macron est fondée sur la volonté et parfois sur l'audace mais aussi sur le dialogue, à commencer par le dialogue avec l'Allemagne. Oui, nos objectifs sont ambitieux et sans doute ne pourront-ils pas être atteints tout de suite à 27. Ceux qui veulent aller plus loin, plus vite, doivent pouvoir le faire sans en être empêchés. Pour autant, nos travaux seront ouverts à tous avec pour seule exigence un niveau d'ambition partagée. Le groupe de la refondation européenne, d'ici l'été 2018, déterminera, pour chaque politique et sans tabou, s'il est possible d'avancer à 27, si un changement de traité est nécessaire, si, à traité constant, des coopérations renforcées sont possibles ou s'il faut envisager des coopérations intergouvernementales dans un premier temps. Ces instruments existent et ont été utilisés pour Schengen et le traité de stabilité de coordination et de gouvernance. Réduire cela à une marche vers l'Europe fédérale ne fait pas justice à la qualité de notre projet.

En parallèle, nous devons préserver ce que nous avons en commun, le marché unique mais aussi l'État de droit. L'Union doit être autant démocratique qu'économique et budgétaire. Les conventions démocratiques jouent un rôle essentiel dans la refondation de l'Europe. Nos objectifs ne peuvent aboutir s'ils suscitent l'indifférence des Français et des Européens. Nous voulons leur donner la parole, les écouter ; nous ne pouvons pas nous contenter d'une procédure simpliste qui consisterait à les consulter une fois les discussions terminées en leur demandant de se prononcer par oui ou par non.

Jean-Yves Le Drian a présenté les grandes lignes du dispositif de conventions démocratiques : des débats sur l'Europe, en ligne mais aussi physiques, au cours desquels pourront s'exprimer aussi bien les amoureux transis de l'Europe que ses adversaires déterminés. Nous voulons savoir là où l'Europe contente, là où elle déçoit ; là où elle devrait intervenir, là où elle devrait se faire plus discrète. Nous voulons entendre tous nos concitoyens, et pas seulement les Parisiens et les habitants des grandes villes. Nous voulons faire cela au cours du premier semestre 2018 avec tous les États membres qui le voudront.

Je salue le travail de votre groupe de suivi du Brexit. Jean-Yves Le Drian est déterminé à poursuivre notre coopération de défense avec la Grande-Bretagne dans le cadre du traité de Lancaster House pourvu que soient respectés les principes, en particulier celui de l'unicité du canal de négociation. Je salue d'ailleurs le travail de Michel Barnier. Avant d'envisager les relations futures qui nous lieront à la Grande-Bretagne, il faudra progresser sur trois sujets prioritaires : droits des citoyens, frontières et règlement financier. Le discours de Theresa May à Florence laisse entrevoir des avancées - reste à les traduire par des progrès dans les négociations.

Erasmus est effectivement un succès européen, un des plus marquants. Il faudra le généraliser pour les apprentis. En 2024, nous souhaitons que la moitié d'une classe d'âge passe six mois dans un autre pays que le sien avant l'âge de 25 ans. Cela passe par un « processus de la Sorbonne » pour que les jeunes puissent passer d'un système d'enseignement secondaire à un autre.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci de m'avoir fait l'honneur de m'inviter à m'exprimer ici, devant le drapeau tricolore et le drapeau européen.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.  - Très bien !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - Je veux vous dire ma fierté que la France soit à nouveau au coeur du débat sur l'avenir de l'Europe. Sa place n'est nulle part ailleurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

Prochaine séance, mardi 17 octobre 2017, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 50.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Ordre du jour du mardi 17 octobre 2017

Séance publique

À 14 h 30

1. Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (n° 578, 2016-2017).

Rapport de M. François PILLET, fait au nom de la commission des lois (n° 22, 2017-2018).

Texte de la commission (n° 23, 2017-2018).

À 16 h 45

2. Questions d'actualité au Gouvernement.

À 17 h 45

3. Suite éventuelle de l'ordre du jour de l'après-midi.