La politique de concurrence dans une économie mondialisée

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « la politique de concurrence dans une économie mondialisée », à la demande du groupe LaREM.

M. Richard Yung, pour le groupe LaREM .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) Depuis Adam Smith, en passant par Walras, Pareto ou Schumpeter...

M. Gérard Longuet.  - Ça démarre très fort ! (Sourires)

M. Richard Yung.  - ... les économistes ont mis en lumière les vertus de la concurrence, qui améliore la qualité des produits, fait baisser les prix et stimule l'innovation. Du moins en théorie, sinon en pratique.

Dans une économie mondialisée, la concurrence est rendue possible par le libre-échange qui supprime les obstacles tarifaires et non tarifaires, permet aux pays de se spécialiser et aux consommateurs d'accéder à un large éventail de biens et de services.

Le libre-échange a pourtant peiné pour s'imposer : les freins n'ont été levés qu'après la Seconde Guerre mondiale, si l'on excepte le Zollverein, union douanière qui a permis l'unification allemande. À la différence des Pays-Bas, par exemple, la France a toujours eu un problème avec la mondialisation. Celle-ci est désormais telle que des géants économiques ont émergé. Leur position dominante est un avantage dont ils abusent. Il revient aux autorités de concurrence de sanctionner ces pratiques. C'est ce qu'a fait notre Autorité nationale de la concurrence sur l'Internet mobile, ou la commissaire européenne à la concurrence en infligeant à Google une amende de 2,4 milliards d'euros.

Nous déplorons toutefois des pratiques hélas répandues : le dumping fiscal, par l'exploitation de failles juridiques, qui creuse le manque à gagner pour les États ; ou les subventions étatiques non déclarées, chinoises notamment ; le verrouillage de l'accès aux marchés publics américains ou chinois alors que les nôtres leur sont ouverts.

Tous les secteurs de l'économie nationale, y compris stratégiques, doivent-ils être ouverts sans discrimination à la concurrence étrangère ? L'Allemagne et la France demandent depuis trois ans à l'Union européenne de prendre des mesures, pour l'instant sans succès.

La France joue un rôle actif : volonté de modifier la directive sur les travailleurs détachés, appui de la taxe sur le chiffre d'affaires des géants du numérique, extension du décret Montebourg qui soumet les investissements étrangers dans des domaines stratégiques à l'autorisation de Bercy. Le Buy European Act, pensé sur le modèle du Buy American Act, figurait dans le programme d'Emmanuel Macron.

Vous le voyez : beaucoup a été fait en peu de temps pour refonder la politique de la concurrence, mais il reste des obstacles. Comment les surmonter, pour atteindre l'objectif d'une concurrence équitable et durable ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Les Indépendants ; M. Jean Bizet applaudit également.)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - La concurrence est une caractéristique intrinsèque de nos économies de marché : sans concurrence, pas de nouveaux entrants, pas de nouveaux produits, et une logique de rente. Bien utilisée, elle sert l'ordre public économique.

Ce débat a passionné les économistes, et est au coeur de la construction européenne.

Un mot d'actualité : le 8 mars dernier, le président Trump a annoncé des droits de douane sur l'acier et l'aluminium qui pénaliseront surtout des alliés des États-Unis : l'Union européenne, mais aussi le Canada, le Brésil, l'Argentine, le Mexique et la Corée.

L'Union européenne a immédiatement réagi : elle n'est pas à l'origine des surcapacités du secteur et ne menace pas la sécurité des États-Unis, dont elle est l'allié. L'administration Trump a accepté l'exemption temporaire de l'Union européenne ; nous demandons toujours une exemption permanente et inconditionnelle des mesures sur l'acier et l'aluminium et refuserons toute négociation commerciale sous la menace.

Saisine de l'organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), mesures de sauvegarde pour protéger l'industrie européenne de l'acier, mesures de compensation sur des produits américains ciblés, nous restons vigilants. La France reste attachée aux règles du commerce mondial, même si elles sont imparfaitement adaptées aux réalités commerciales - les subventions massives de certains États à leurs entreprises nationales, par exemple. Nos entreprises ne luttent pas toujours à armes égales.

Les surcapacités concernent potentiellement de nombreux secteurs, comme les batteries automobiles.

L'Union européenne doit contribuer au renforcement des disciplines multilatérales dans le cadre de l'OMC. Nous avançons : une nouvelle méthode antidumping nous donnera des outils efficaces ; l'arsenal de défense européen contre les pratiques anticoncurrentielles a été enrichi.

À signaler également : le règlement sur les investissements étrangers en Europe ; le règlement relatif à la réciprocité dans les marchés publics ; la mise en place d'un procureur commercial européen.

Notre politique de la concurrence ne doit pas seulement s'adapter à la mondialisation, elle doit répondre aux nouveaux défis que représentent les acteurs du numérique. L'économie des plateformes est dominée par des acteurs extra-européens : à nous de stimuler nos acteurs, de mieux appréhender les relations contractuelles entre PME et mastodontes. Booking, Expedia ont par exemple été sanctionnés pour pratiques déloyales envers les hôteliers français. Bruno Le Maire a également lancé des procédures contre Google, Amazon et Apple. Saluons l'initiative de la Commission européenne, qui prépare un règlement pour encadrer les plateformes numériques.

Les géants du numérique paient en outre peu ou pas d'impôt, ce qui pose un problème d'équité et mine le marché intérieur. Face à ces défis, nous réfléchissons, nous sommes actifs et résolus à ancrer notre politique de concurrence dans les réalités de la mondialisation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et UC)

Mme Colette Mélot .  - Depuis que l'Europe est l'Europe, la concurrence est inscrite dans son ADN. Prérogative communautaire depuis le Traité de Rome de 1957, elle garantit les meilleures conditions de fonctionnement des marchés.

L'économie numérique ne peut échapper à cette mise en concurrence. Quelques géants dominent le marché, bloquant l'entrée de nouveaux acteurs. Les pouvoirs publics ne sont pas démunis ; en 2015, quatre économistes du Conseil d'analyse économique faisaient des propositions pour ouvrir le secteur à la concurrence. Quelles solutions le Gouvernement envisage-t-il pour accompagner les autorités européennes dans ce domaine ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le numérique ne doit pas faire exception. Nous ne pouvons laisser perdurer des abus de position dominante ou des rentes de situation. J'ai parlé des condamnations de Booking et Expedia, des procédures contre Amazon, Google et Apple. La Commission européenne a également pris des initiatives audacieuses. Nous devons renforcer notre arsenal juridique, ce qui passe par le rétablissement d'une juste concurrence fiscale. Nous y travaillons avec Bruno Le Maire.

Le Gouvernement soutient le projet de règlement européen en faveur d'un encadrement renforcé des plateformes.

La lutte contre les concentrations est un autre enjeu - je songe au rachat de WhatsApp par Facebook. L'Allemagne et l'Autriche ont déjà fait évoluer leur réglementation, nous y réfléchissons.

Mme Colette Mélot.  - Ce sujet suscite une très forte attente. Les GAFA doivent être traités comme les autres entreprises. C'est une question d'équité.

M. Jean-Marc Gabouty .  - La politique de concurrence est sans cesse sous les feux de l'actualité, qu'elle serve les politiques publiques ou les décisions géostratégiques.

Difficile de trouver l'équilibre entre la lutte contre le protectionnisme, l'entente ou la concurrence déloyale et, d'autre part, l'intérêt des consommateurs et la liberté d'entreprendre.

L'Union européenne fait de la politique de la concurrence un pilier de sa construction. Mais il ne faut pas céder à la naïveté et freiner par trop de zèle l'émergence de champions européens ou accepter qu'un pays ami bride unilatéralement la liberté du commerce et des échanges avec certains États, tel l'Iran, par une attitude impérialiste et insupportable, au mépris des règles internationales ! (MM. Sébastien Meurant et Marc Laménie applaudissent.)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le sujet est brûlant. Bruno Le Maire et Jean-Yves Le Drian évaluent le risque pour nos entreprises et défendent leurs intérêts légitimes ; c'est à elles qu'appartiendra la décision de rester ou non en Iran.

Nous devons réfléchir, au sein de l'Union européenne, à l'impact de ces sanctions extraterritoriales et afficher notre souveraineté économique. Le règlement européen de blocage de 1996 est à réviser ; nous devons créer les moyens de notre autonomie financière, avec des instruments de financement ad hoc. Donnons-nous enfin les moyens de parler d'égal à égal avec l'OFAC (Office of Foreign Assets Control) américain en créant un équivalent européen.

Bref, nous voulons continuer à commercer de manière autonome, dans des conditions que nous estimons légitimes.

M. Jean-Marc Gabouty.  - Nous sommes donc assez désarmés, pour l'heure, pour répondre au diktat américain. Total, qui détenait 51 % dans un projet gazier iranien, laisse la place aux Chinois : plus qu'une affaire privée, c'est une affaire d'État.

M. Trump semble plus sensible à la menace qu'aux câlins.

M. Jean Bizet .  - Seule une concurrence libre et non faussée permet au marché libre de produire ses effets. C'est le principe de la politique de concurrence européenne. Or les échanges s'accélèrent, certains acteurs ont des comportements discutables. L'Union européenne doit donc adapter sa politique de concurrence, par exemple en termes de contrôle des concentrations. Nos entreprises sont parfois empêchées (M. Gérard Longuet confirme.) et contraintes de chercher des partenaires extra-européens. En cause, une approche datée de cette politique. Cessons d'être naïfs et de prôner une approche décalée de la concurrence, en empêchant finalement l'émergence de champions européens.

Comment le Gouvernement fera-t-il évoluer cette politique ? Quel rééquilibrage alors que des États soutiennent sans faiblir les entreprises, sans parler de l'extraterritorialité des lois américaines ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Il faut évidemment soutenir l'émergence de champions européens. Le Gouvernement a montré son implication à propos de rapprochements récents...

Le président de la République a souhaité construire une Europe qui protège. Cela passe par des instruments de défense commerciale plus transparents. Nous pousserons l'adoption de règlements sur les investissements étrangers, sur la réciprocité dans les marchés publics et le procureur européen.

Avec la loi Pacte, il y aura davantage de secteurs soumis à une procédure de contrôle et les sanctions seront plus efficaces.

M. Georges Patient .  - On ne peut nier les retombées positives de la concurrence libre et non faussée grâce à l'Union européenne, soixante ans après l'adoption de ce principe. Mais des territoires français, outre-mer, parce qu'ils sont isolés, sont coincés dans une relation exclusive avec la métropole. Ils attendent toujours leurs Trente Glorieuses.

Depuis les accords de Cotonou, 92 % des produits des pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) peuvent entrer sur le marché européen sans droits de douane, alors qu'ils ne sont pas produits selon les normes sociales et environnementales qui s'imposent dans l'outre-mer français. Les entreprises ultramarines sont victimes de cette concurrence déloyale et faussée, sous prétexte d'aide au développement. Les entreprises des pays ACP sont subventionnées sans respecter les mêmes normes sociales ni environnementales.

J'ai vu aussi disparaître la riziculture guyanaise, alors qu'elle prospérait au Suriname.

Les régions ultrapériphériques (RUP) seront-elle encore les laissées-pour-compte des futurs accords de Cotonou ? (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le mandat de négociation pour le renouvellement, en 2020, de l'accord de Cotonou est en cours de définition. La France, très attentive à la situation dans les Caraïbes, a proposé que les territoires d'outre-mer (TOM) et les RUP soient associés au suivi du futur accord.

M. Joël Bigot .  - Merci à LaREM pour l'organisation de ce débat - la concurrence mérite mieux que des mesures de dumping fiscal et que la fin de l'exit tax.

Le nouveau monde ne sera pas si vert, sinon de façade. Les futurs accords de libre-échange mettront en danger l'environnement. Où en est-on du projet de veto climatique, qui permettrait d'éviter que des multinationales utilisent des accords pour contourner les politiques environnementales des États ?

La guerre économique est là, François Mitterrand parlait de guerre sans mort, mais de guerre à mort. L'environnement ne mérite-t-il pas un garde-fou ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Les valeurs et les objectifs environnementaux de l'Union européenne doivent être présents dans sa politique commerciale. Nous y travaillons avec la Commission. Nous avons obtenu des résultats, par exemple dans les négociations avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. 

M. Fabien Gay .  - En optant pour une économie de marché et une libéralisation de l'ensemble des secteurs industriels, l'État, sous l'impulsion européenne, a laissé notamment libre court au dumping social. Au fil des restructurations, la valeur du travail est niée au profit de la valorisation de l'actionnariat privé. L'État, sous l'impulsion de l'Union européenne, a laissé faire le dumping fiscal, ouvrant la voie aux licenciements boursiers.

Il faut renoncer au dogme de la concurrence libre et non faussée. La régulation et la réglementation sont nécessaires.

Les échanges marchands ont gagné une telle ampleur qu'ils ne répondent plus aux besoins humains mais ne favorisent que des gains financiers déconnectés de l'économie réelle. La notion de service public à la Française - qui considère certains biens comme communs à l'humanité - doit être sauvegardée, le droit européen nous y autorise.

Les accords de libre-échange servent-ils les intérêts des citoyens ? La dépénalisation du droit des affaires et de la concurrence fragilise le rôle de l'État, qui doit aussi protéger les PME - à quand, Madame la Ministre, un Small Business Act à la française ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Il n'y a pas de dogme de la concurrence, il y a des règles du jeu pour organiser une concurrence non faussée. La France a largement réussi à faire prévaloir sa vision : le service d'intérêt général économique est ainsi consacré par les traités. Quant au contrôle, l'État régulateur est toujours à l'ordre du jour : la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a à coeur d'utiliser les nouveaux outils de sanction fournis ces dernières années, notamment dans la loi Sapin.

M. Pierre Louault .  - Les accords de libre-échange posent des problèmes d'harmonisation des normes. L'agriculture française ne peut lutter contre la concurrence internationale, voire européenne, car les normes que nous imposons à nos agriculteurs sont souvent bien plus contraignantes. La qualité a un prix, mais l'absence de normes conduit un tiers des agriculteurs français à la faillite.

Aujourd'hui, le prix des céréales est défini par le marché de Chicago. Ne peut-on pas imaginer un second marché pour les produits de qualité à côté des marchés mondiaux, qui obéirait aux normes européennes ou françaises ? (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le libre-échange apporte des opportunités, mais aussi des dangers pour les filières agricoles.

L'ouverture des marchés doit être équilibrée. Les accords de libre-échange doivent favoriser un alignement vers le haut sur le plan sanitaire et environnemental. Ils doivent nous permettre d'exporter notre modèle.

Pour la viande bovine, il y a certes des intérêts défensifs mais aussi offensifs - voyez l'ouverture des marchés chinois et sud-coréens.

M. Pierre Louault.  - Le défi, aujourd'hui, est de produire de la qualité aux cours mondiaux - ce n'est pas possible. Il faut faire reconnaître la qualité par des normes. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE, UC et Les Républicains)

M. Gérard Longuet .  - Libéral de conviction, je suis fier d'avoir pu signer les accords de Marrakech créant l'OMC - sans normes sociales ou environnementales, il est vrai.

Le volontarisme se heurte aux réalités du commerce mondial et des comportements. Depuis vingt ans, la France a réduit l'empreinte de ses productions, en se désindustrialisant, et en se conformant à la réglementation européenne ; cependant, c'est le paradoxe, notre empreinte carbone s'est dégradée, parce que faute de produire nous-mêmes, nous nous sommes tournés vers des pays où l'industrie est bien plus émettrice de CO2.

Pourra-t-on porter le tarif carbone à un niveau dissuasif ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains ; Mme Victoire Jasmin applaudit aussi.)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Vaste débat. La première étape, c'est de faire partager le souci de l'empreinte carbone : c'est de plus en plus le cas.

M. Gérard Longuet.  - Pas aux États-Unis !

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Je parle des États, mais aussi des municipalités, des entreprises... Cela grâce notamment à l'accord de Paris.

Ensuite, cet enjeu doit apparaître clairement dans les négociations commerciales, nous y travaillons.

M. Gérard Longuet.  - Je crains, Madame la Ministre, que votre patience aboutisse à une désindustrialisation encore accrue de la France.

Faisons en sorte que le prix du CO2 soit dissuasif ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

M. Jean-François Longeot .  - Les phénomènes de concentration touchent toute l'économie. Ils sont favorables aux promoteurs mais aussi aux consommateurs. Mais cela n'est pas sans danger lorsque se développent des monopoles, comme lorsque Facebook acquiert Instagram et WhatsApp, maîtrisant des données personnelles très larges et très nombreuses.

La politique commerciale doit prendre en compte ces enjeux nouveaux et éviter des concentrations non plus seulement de richesse, mais d'intelligence. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - La donnée est un sujet nouveau, pas encore suffisamment pris en compte dans la politique commerciale.

Les données que les acteurs publics possèdent sont un gisement de richesse, je pense en particulier au développement de l'intelligence artificielle.

Le Gouvernement encouragera toutes les initiatives de partage des données entre industriels. Les politiques d'ouverture sont inconcevables sans un cadre protecteur des données personnelles. C'est tout l'intérêt du Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui entre en vigueur le 25 mai. Il offre aux Européens un niveau de protection inégalée au monde. C'est un atout commercial. Les évolutions récentes comme le scandale Cambridge Analytica montrent que le choix européen est attractif à l'échelle internationale.

Mme Catherine Conconne .  - J'habite un pays situé à 8 000 kilomètres des centres d'approvisionnement : la Martinique. Des filières s'y battent pour survivre.

Or les outre-mer deviennent des zones de déversement de produits européens de basse qualité à bas prix, les producteurs locaux sont impuissants. Vue la cherté de la vie, le prix des produits est la priorité pour les consommateurs.

Monoprix délaisse la banane locale au profit d'une banane équatorienne labellisée Max Havelaar, dont le logo a désormais remplacé le drapeau bleu blanc rouge. Le régime social de l'Équateur serait plus équitable que le nôtre ?

Madame la Ministre, osez le protectionnisme car il est légitime sur certains produits. Cela permettra aux insulaires de vivre, tout simplement ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOCR, Les Républicains et UC)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - J'entends votre plaidoyer contre les marchés de dégagement outre-mer. La loi Égalité réelle outre-mer a donné la possibilité aux préfets d'intervenir en cas de situation critique liée à un afflux de produits.

Pour ce qui est de la banane, un accord commercial UE-Équateur est entré en vigueur le 1er janvier 2017. L'Équateur est le premier producteur mondial de bananes avec 27 % des exportations mondiales. Cet accord a fait passer les droits de douane de 167 euros la tonne à 75 euros la tonne pour l'Équateur. Annick Girardin suit ce dossier, nous porterons toute notre attention à ce qu'il soit porté plus d'attention à ce sujet dans l'accord renouvelé en 2020.

M. Marc Laménie .  - Rappelons le savoir-faire de nos entreprises nationales, grandes et petites.

L'activité économique reste une priorité et nos entreprises méritent d'être soutenues par l'État. Quelles mesures pour réduire les contraintes quotidiennes des chefs d'entreprise, qui ont des difficultés d'accès à l'Internet haut débit et à la téléphonie ? Comment, également, lutter contre la contrefaçon et contre la fraude ? (Applaudissements)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Dans le cadre européen, l'ambition de mettre à niveau le tissu économique en matière numérique est forte. En France, nous accélérons le déploiement du haut débit sur tout le territoire. En 2020, nous visons un débit de 8 mégabits par seconde, et en 2022 le très haut débit en tout point du territoire pour pouvoir être compétitifs.

À l'échelle européenne, une proposition de solution intermédiaire est sur la table pour la taxation des géants du numérique.

M. Marc Laménie.  - Le combat est permanent. Ne baissons pas les bras. Soutenons le monde économique et nos entreprises auxquelles nous sommes attachés.

M. Serge Babary .  - Dès son origine, l'Union européenne a fait le choix de l'économie de marché. Si ce modèle prévaut pour l'ouverture à la mondialisation, il exige une vigilance constante si l'on veut préserver l'intérêt général.

La politique de concurrence européenne qui consiste à repérer et sanctionner les pratiques concurrentielles atteint ses limites. Elle ne peut être réduite à une vision uniquement juridique, mais doit tenir compte des aspects économiques, écologiques, sociaux et sanitaires.

L'État doit assurer la protection des consommateurs et des producteurs nationaux. Dans de nombreux domaines, les entreprises françaises se soumettent à des normes très strictes qui entraînent des coûts de production conséquents, qu'il s'agisse des normes sanitaires, environnementales ou sociales. Or l'État négocie des accords commerciaux facilitant l'importation de produits qui ne respectent pas les normes européennes. Ces transactions doivent être empêchées ou à tout le moins taxées, les consommateurs doivent être informés très clairement sur les produits, c'est essentiel pour la pérennité de la qualité de nos produits industriels et agricoles. (Quelques applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Républicains)

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Nous sommes prêts à sanctionner le non-respect des normes sanitaires, dans un souci de défense du consommateur.

En revanche, les conditions de production peuvent s'éloigner des normes européennes. Là encore, l'Union européenne doit utiliser sa puissance commerciale et sa vision pour prendre en compte les effets de dissymétrie dans les négociations commerciales.

M. Serge Babary.  - Je donne acte à Mme la ministre de sa bonne volonté. Mais j'ai plutôt une impression de fatalisme. Pendant ce temps, notre tissu économique se défait. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Sébastien Meurant .  - Croyez-vous vraiment que l'Allemagne ait besoin de la souveraineté européenne pour asseoir sa puissance ? Nous sommes les dindons de la farce de l'hyper concurrence européenne. L'Italie, l'Espagne sont mieux armés que nous face à l'Allemagne. La France se désindustrialise depuis des années et souffre d'un grave handicap économique.

Une première raison est le niveau élevé des prélèvements obligatoires : 57 %, c'est autant de liberté en moins pour l'économie !

La deuxième est une haine de soi au nom de laquelle on admire l'étranger, on attend l'Europe, au lieu de soutenir la marque France.

Qu'attend le Gouvernement pour aider les petites entreprises françaises et défendre un patriotisme économique intelligent ?

Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État.  - Le constat n'est pas neuf. On pourrait détailler ce qui a été et pas fait par le passé. Le Gouvernement est dans l'action, pour redonner à la France toute sa place dans l'Union européenne.

Nous menons une réforme fiscale inédite, une réforme du travail inédite, une réforme de la formation inédite, nous « dé-surtransposons », nous simplifions les normes.

Nous ouvrons tous les chantiers pour que notre économie atteigne son plein potentiel.

M. Richard Yung .  - Monsieur Meurant, nous ne devons pas avoir honte de la marque France. Nous sommes un grand pays qui compte nombre de marques de luxe et d'Indications géographiques protégées (IGP), reconnues de haute qualité partout dans le monde, y compris dans le domaine agricole. Une des grandes demandes du débat est la prise en compte des normes environnementales dans les relations commerciales. Les traités environnementaux et économiques ne se recoupent pas. Il faudra les renégocier pour les harmoniser.

Le président des États-Unis remet en cause le multilatéralisme commercial. Nous devons faire face à des difficultés extérieures - Chine, Russie, États-Unis en particulier avec la sortie de l'accord nucléaire iranien. Total envisage de se retirer. PSA et Renault sont menacés. Les banques françaises, qui ont subi des pénalités s'étalant entre 2 et 9 milliards d'euros aux États-Unis, sont désormais très prudentes pour soutenir des investissements en Iran.

Un conflit s'annonce, nous devons adopter une position très ferme face aux menaces des États-Unis.

L'Union européenne peut développer des relations commerciales avec d'autres partenaires : Inde, Chine, Amérique Latine. (Applaudissements)

Prochaine séance, mardi 22 mai 2018, à 9 h 30.

La séance est levée à 17 h 40.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus