Sanctions en matière de concurrence en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif aux contrôles et aux sanctions en matière de concurrence en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Discussion générale

Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - La CMP, réunie le 4 juillet dernier, est parvenue à un accord. L'ordonnance du 9 février 2017, prise par le Gouvernement sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution, donc sans habilitation du Parlement, doit être ratifiée dans les dix-huit mois, soit avant le 10 août prochain.

Cette ordonnance prévoit principalement les voies de recours contre les décisions de l'Autorité polynésienne de la concurrence et les prérogatives d'enquête de cette autorité pouvant affecter les libertés publiques, en matière de pratiques anticoncurrentielles. Ces deux matières relèvent de la compétence du législateur national. La détermination des prérogatives et des pouvoirs d'enquête ordinaires de l'autorité polynésienne de la concurrence relève de la compétence de l'assemblée de la Polynésie, qui a d'ailleurs modifié, le 14 mars dernier, par une nouvelle loi du pays, certains aspects du code de la concurrence et des missions de l'autorité.

La ratification de cette ordonnance clôt un processus qui aura été particulièrement long : quatre ans sont passés depuis l'adoption de la première loi du pays en juin 2014, l'Autorité polynésienne de la concurrence a été officiellement installée en février 2016, le projet d'ordonnance que la Polynésie française avait demandé en novembre 2014 lui a été présenté fin 2016, l'ordonnance a été prise en février 2017 et nous attendons toujours le décret. Comment admettre ces retards successifs ? Nos compatriotes d'outre-mer ne sont pas des citoyens de seconde zone, nous devons faire diligence !

M. Gérard Poadja.  - Très bien !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur.  - Nous pourrions améliorer les choses, Madame la Ministre, en instituant un rendez-vous annuel pour mettre à niveau régulièrement les législations applicables outre-mer, cela évitera de s'en remettre trop souvent à des ordonnances.

En première lecture, le Sénat a accepté de ratifier l'ordonnance en ajoutant trois dispositions. D'abord, par stricte analogie avec les règles prévues par la loi pour l'autorité de la concurrence nationale, la fixation des délais de recours contre les décisions de l'Autorité polynésienne de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles et l'attribution à la cour d'appel de Paris de la compétence pour connaître de ces décisions. Ensuite, la détermination d'une base légale pour la coopération entre l'Autorité polynésienne de la concurrence et l'autorité de la concurrence métropolitaine. Enfin, pour remédier à une malfaçon de la loi Sapin II, rétablir l'obligation, faite aux membres et secrétaires généraux des autorités de régulation créées par la Polynésie française mais aussi la Nouvelle-Calédonie, de transmettre une déclaration de patrimoine à la Haute autorité de la transparence de la vie publique (HATVP) - là encore, par stricte analogie avec les règles prévues pour les autorités administratives indépendantes (AAI) nationales.

L'Assemblée nationale, elle, a procédé à deux ajouts qui, à mon sens, posent difficulté. Premièrement, elle a inclus les rapporteurs généraux des AAI polynésiennes et néo-calédoniennes dans l'obligation déclarative auprès de la HATVP. Or une telle obligation n'existe pas au niveau national. La CMP s'est finalement ralliée à la position du Sénat : résoudre cette difficulté à l'occasion d'une prochaine révision de la loi relative à la transparence de la vie publique. Deuxièmement, les députés ont étendu à l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie certains pouvoirs d'enquête en matière de pratiques anticoncurrentielles. La rédaction retenue ne distingue pas clairement ce qui relève de la compétence du législateur national de ce qui relève du Congrès de Nouvelle-Calédonie ; de plus, elle omet la faculté de coopération avec l'Autorité de la concurrence nationale. Introduire des règles pour la Nouvelle-Calédonie dans un texte propre à la Polynésie française paraît un peu cavalier. Cela étant, compte tenu du risque de caducité, nous les avons acceptées.

Je vous propose de ratifier les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et LaREM)

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer .  - Faire vivre la concurrence sur tous les territoires de la République, tel est le sens profond de ce projet de loi. En outre-mer, l'insularité, l'isolement géographique mais aussi des structures économiques pas assez tournées vers les productions locales peuvent conduire à une déformation des prix au détriment du consommateur. La vie chère y est une préoccupation quotidienne.

La Polynésie française a pris des mesures fortes pour protéger le pouvoir d'achat. Elle a créé l'APC par une loi du pays entrée en vigueur le 1er février 2016. Pour qu'elle ait des pouvoirs coercitifs, il faut ratifier la présente ordonnance. Le décret, après bien des vicissitudes, sera pris dans les prochaines semaines ; oui, le temps a été trop long.

Le Sénat a enrichi le texte - comme d'habitude, allais-je dire. L'Assemblée nationale a travaillé dans le même esprit. Grâce à l'accord en CMP, l'ordonnance sera ratifiée en temps et en heure ; je m'en réjouis et remercie tous les parlementaires qui se sont investis.

Madame la Rapporteure, il faut que les délais législatifs et administratifs soient plus respectueux des outre-mer. Je dis oui au rendez-vous annuel, une proposition qui figure d'ailleurs dans le Livre bleu. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur.  - Très bien.

M. Jean-Louis Lagourgue .  - L'ordonnance répond aux besoins et aux attentes de l'APC, créée en 2015. Si la Polynésie française a pu, par les lois du pays, créer cette autorité et adopter des règles relatives à la concurrence et aux pratiques commerciales, elle a dû, conformément à son statut, solliciter l'intervention de l'État en ce qui concerne le droit pénal, la procédure pénale et les voies de recours.

L'ordonnance doit être ratifiée avant le 10 août. En avril, l'article unique du texte initial avait été adopté par le Sénat, qui lui avait adjoint deux articles. La CMP les a conservés, ce qui est heureux ; idem pour l'ajout de l'Assemblée nationale : l'extension à la Nouvelle-Calédonie des techniques d'enquête adaptées aux nouvelles technologies, qui existent depuis 2009.

Ce texte technique ne présente aucune difficulté particulière. Il était nécessaire de donner à l'APC tous les moyens d'agir pour le bien de la Polynésie française, à laquelle nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

M. Jean-Claude Requier .  - Le groupe RDSE votera ce projet de loi. Son article unique ayant été adopté conforme, ne restaient en discussion que les dispositions additionnelles.

L'objectif de ce texte est d'apporter aux autorités polynésiennes et néo-calédoniennes les moyens dont elles ont besoin. Le quotidien de ces territoires n'est pas toujours aussi paradisiaque que l'accumulation de clichés par lesquels on croit les connaître en Métropole : difficultés économiques structurelles, chômage, vie chère, sans parler des catastrophes naturelles.

Le cas de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie, ces lointains territoires du Pacifique sud, est encore plus spécifique. Relevant de l'article 74 de la Constitution, ces territoires autonomes ne bénéficient pas du bouclier qualité-prix contre la vie chère, institué par la loi de 2012. Toutefois, l'État peut les accompagner, et c'est d'ailleurs ce qu'il fait avec ce projet de loi.

La Polynésie connaît depuis plusieurs années une crise du tourisme, à laquelle s'ajoute l'accroissement du chômage, en particulier des jeunes. L'importation de la plupart des produits de consommation courante y est une faiblesse structurelle. Pourtant, l'archipel est riche de ses paysages, de sa faune et de sa flore uniques au monde ; de la production de vanille, de coprah et de perles et d'une zone économique exclusive aussi vaste que le continent européen.

Le nickel et la relative proximité de l'Australie font de la Nouvelle-Calédonie un territoire mieux doté. Pour autant, les prix y sont supérieurs de 33 % à ceux pratiqués en Métropole, avec un écart record pour les produits alimentaires. Nous connaissons les héritages que l'Histoire y a laissés et la complexité de sa situation politique. Le référendum de cet automne sera un rendez-vous crucial pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

La vie chère est un mal endémique en outre-mer, quoique nous connaissions aussi dans certains territoires métropolitains l'isolement géographique, l'enclavement même, et ses conséquences économiques et démographiques. Une autorité de la concurrence suffira-t-elle à résoudre ce problème ? Elle est de nature à y contribuer.

M. Georges Patient .  - Le groupe La République en Marche a accueilli avec joie ce texte. L'extension du droit de la concurrence est une nécessité. La Polynésie française est un marché insulaire de taille modeste ; par nature, il est peu enclin à endiguer la multiplication des positions monopolistiques abusives.

Hâtons-nous de réunir les conditions d'une concurrence saine en outre-mer. Sinon, c'est le consommateur qui en paiera les conséquences. La Polynésie française est dans une dynamique positive, on le voit à la loi du pays qu'elle a prise le 14 mars dernier.

Nos régions ultramarines présentent des structures de marché distinctes de celui de la France hexagonale. Si l'expérience d'autorités de la concurrence locale est concluante, peut-être faudra-t-il songer à la décliner dans les départements et territoires ultramarins.

Le groupe LaREM votera ce texte.

M. Pascal Savoldelli .  - Comme le rappelait mon collègue Fabien Gay en discussion générale le 10 avril dernier, le groupe CRCE considère que les AAI conduisent à un désengagement de l'État dans des secteurs-clés de notre économie : l'énergie avec la CRE, les télécoms avec l'Arcep, le rail avec l'Arafer. Leur rôle a été de contribuer à l'abaissement du service public en faisant place à la concurrence.

Cependant, le contexte économique et social de la Polynésie française, compte tenu de sa taille - 280 000 habitants - a tendance à créer des monopoles, voire des oligopoles, qui pénalisent les consommateurs.

Après l'accord en CMP, ce texte est respectueux de la volonté du législateur polynésien, nous le voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Vincent Delahaye.  - Très bien !

M. Gérard Poadja .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) L'APC, créée en 2015, est le résultat de dix années de construction de droit de la concurrence polynésien, dans un territoire complexe, sans doute unique, du fait de son isolement et de son éclatement territorial.

Ce projet de loi donne à l'APC tous les moyens nécessaires pour qu'elle puisse mener à bien sa mission. Il donne à l'APC une compétence juridictionnelle en matière d'indemnisation des préjudices subis du fait de pratiques anticoncurrentielles et à ses agents un pouvoir d'enquête dans les locaux professionnels. Ces dispositions sont essentielles dans la lutte que la Polynésie française a engagée contre la vie chère et les situations de concentration de marchés.

La Nouvelle-Calédonie s'est également dotée d'une autorité de la concurrence, projet porté depuis 2009 par le député Philippe Gomès qui a abouti le 2 novembre dernier. Dernière étape à franchir, l'extension des dispositifs d'enquête prévus pour l'instance métropolitaine. À l'Assemblée nationale, les députés de Nouvelle-Calédonie, Philippe Gomès et Philippe Dunoyer, ainsi que la rapporteure, avec le soutien de nos amis polynésiens, l'ont permis à l'article 4. Je remercie Philippe Bonnecarrère de l'avoir défendu en CMP.

Le groupe UC votera ce texte essentiel à la lutte contre la vie chère et à la construction d'une économie saine et dynamique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Robert Laufoaulu applaudit également.)

M. Victorin Lurel .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Je remplace notre collègue Sueur, dont je ne serai que le porte-voix. Je connais bien les sujets dont traite ce texte, il est bon. Le Sénat et l'Assemblée nationale l'ont significativement amélioré, la CMP s'est déroulée dans une bonne entente.

Cela étant, un mot des conditions détestables dans lesquelles nous travaillons : un ordre du jour de la session extraordinaire extrêmement chargé, des débats sur des textes essentiels - heureusement, nous avons pu fournir un travail de qualité grâce à la procédure de législation en commission. Nous devons ratifier cette ordonnance, sous peine de caducité dans quelques jours. Le décret, qu'Olivier Dussopt nous avait promis en mars, n'est toujours pas paru.

Plus délicat, et sans vouloir m'immiscer dans l'autonomie dont jouit et que pratique la Polynésie française, la loi du pays de mars 2018 diminue les pouvoirs de l'APC. Instituer un droit de clémence est heureux ; supprimer les injonctions structurelles l'est peut-être moins. Pointer du doigt des irrégularités qui ne constituent pas encore une infraction ou une pratique anticoncurrentielle peut être utile. Il a fallu mener un long combat auprès du Conseil constitutionnel pour les faire admettre. Cette loi supprime également l'interdiction d'exclusivité de distribution et d'importation, on sait combien les monopoles expliquent la vie chère. Y a-t-il une analyse préalable ? Il est important de comprendre s'il s'agit d'une opposition politique ou idéologique.

Enfin, cette loi n'a pas encore subi le contrôle du Conseil d'État, elle reste donc sujette à une censure partielle. Nous serons peut-être amenés à statuer de nouveau. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

La discussion générale est close.

Les conclusions de la CMP sont adoptées.

M. le président.  - À l'unanimité.