Délai d'intervention du juge des libertés et de la détention

à Mayotte (Procédure accélérée - Suite)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au délai d'intervention du juge des libertés et de la détention en rétention administrative à Mayotte

Discussion générale (Suite)

M. Guillaume Arnell .  - La proposition de loi rétablit à cinq jours le délai de saisine du JLD à Mayotte, dérogation supprimée par erreur dans la loi Asile et immigration de septembre 2018.

Il y a urgence à son adoption, faute de quoi le délai de deux jours s'appliquera dès le 1er mars ; mais il faut aussi en évaluer la pertinence. Le délai de cinq jours a été introduit par deux amendements identiques des deux députés de Mayotte, MM. Boinali Saïd et Ibrahim Aboubacar dans le projet de loi pour l'égalité réelle dans les outre-mer du 28 février 2017. (M. le rapporteur le confirme.)

Il ressort du rapport de M. Thani Mohamed Soilihi que la pression migratoire à Mayotte est affolante : 48 % de la population est étrangère, soit 120 000 personnes sur les 256 000 habitants du département.

Le nombre d'étrangers en situation irrégulière est estimé entre 60 000 et 75 000 - chiffre probablement sous-estimé. Le nombre de dossiers à traiter est énorme, et la réduction à deux jours aura des conséquences insurmontables sur l'avenir même de la préfecture. Ce constat est partagé par tous, et le groupe RDSE votera la proposition de loi.

En juin 2018, j'ai regretté que certains points ne soient pas traités par la loi Asile et immigration : lutte contre la traite des êtres humains, réflexion sur le co-développement, rôle accru des élus locaux dans les régularisations administratives.

J'avais aussi suggéré la création d'un office des migrations à Saint-Martin. J'espère que ces points seront abordés par le Gouvernement.

En attendant, Mayotte mérite, au regard de la pression qu'elle subit, une législation différenciée. Il faudra cependant traiter le problème de fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE M. Thani Mohammed Soilihi, rapporteur, et M. Abdallah Hassani applaudissent également.)

M. Alain Richard .  - Cette proposition de loi est opportune, tout comme sa concentration sur le territoire de Mayotte, son seul objet, puisque certains collègues ont été tentés d'élargir le débat.

Nous appliquons déjà des dispositifs spécifiques à l'accueil et au contrôle des étrangers dans ce département d'outre-mer. Le Conseil constitutionnel a confirmé la parfaite conformité au principe d'égalité de l'application de règles spécifiques dans certains territoires d'outre-mer quand la situation le justifie.

La tentation - le « y a qu'à » est facile dans un tel débat  - serait de demander simplement l'augmentation des moyens. Refuge facile ! La gestion publique, c'est aussi l'adaptation pragmatique. Nous avons, dans cette assemblée, la capacité de le comprendre et de l'approuver. C'est pourquoi notre groupe votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Je souhaite revenir sur quelques propos inexacts, désobligeants voire outranciers, que j'ai entendus.

Madame Benbassa, le droit du sol n'est pas supprimé à Mayotte !

Mme Esther Benbassa.  - Il y a des dérogations.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Que vous persistiez dans votre désaccord avec des dispositions qui ont été confirmées, comme Alain Richard vient de le rappeler, par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel, c'est votre droit le plus strict, il est néanmoins faux de prétendre qu'il a été supprimé.

Monsieur Leconte, vous nous accusez d'hypocrisie. Écoutez donc : « cet amendement ne revient en aucun cas sur les avancées récentes. Il organise les audiences, prenant en compte la situation très particulière de Mayotte, en conservant une égalité sur la durée totale de rétention qui reste de 45 jours au maximum. L'article revient au droit existant avant l'entrée en vigueur de la loi du 7 mars. C'est justifié par les contraintes pratiques que subit le juge des libertés et de la détention et par le nombre très élevé de contentieux » Ainsi en jugeait Ericka Bareigts, avant de rendre un avis favorable à l'amendement déposé par deux députés socialistes... Où est l'hypocrisie ?

Quant à ajouter qu'à cause d'un amendement que j'ai présenté, on va me maudire ! Vous rendez-vous bien compte de vos propos ? En ce jour de Saint-Valentin, essayons de débattre dans le calme et le respect mutuel ! (Sourires et applaudissements sur divers bancs)

Mme Esther Benbassa.  - Nous faisons de la politique, nous ne sommes pas amoureux !

Discussion des articles

ARTICLES ADDITIONNELS avant l'article premier

L'amendement n°8 n'est pas défendu.

Mme la présidente.  - Amendement n°21, présenté par M. Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le III bis de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers est ainsi rédigé :

« III bis. - L'étranger mineur ne peut être placé en rétention en application des I et II du présent article. »

M. Xavier Iacovelli.  - Cet amendement interdit en toute hypothèse le placement en rétention d'un mineur, qu'il soit accompagné ou isolé, l'intérêt supérieur de l'enfant ne devant souffrir d'aucune exception.

Cette interdiction est d'autant plus urgente qu'à Mayotte, plus de 4 000 mineurs sont retenus en centre de rétention administrative chaque année. En vertu de cette proposition de loi, ces enfants pourraient désormais être retenus sans pouvoir saisir le juge des libertés et de la détention avant le sixième jour, et faire l'objet d'un éloignement sans que le JLD n'ait pu statuer sur la légalité et la régularité de leur rétention.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Le sujet est trop sérieux pour être abordé dans ce cadre. Un amendement identique a été rejeté par la commission des lois puis la Sénat lors de l'examen de la loi Asile et immigration. Par cohérence, avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. L'amendement n'a pas de lien avec ce texte. Le placement des mineurs en rétention est très encadré, notamment par nos obligations européennes et internationales ; la durée est aussi brève que possible. La durée moyenne des placements des familles est à peine supérieure à un jour.

Mme Esther Benbassa.  - Je soutiens cet amendement. Monsieur Mohamed Soilihi, il y a bien une dérogation  au droit du sol.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Mais pas de suppression !

M. Jean-Yves Leconte.  - Sans illusion sur le sort de cet amendement, je souhaiterais croire vos assurances sur la manière dont les placements sont effectués à Mayotte. J'ai souvenir de déclaration de représentants de la préfecture en audition, qui disait traiter des mineurs comme accompagnés, dès lors qu'ils étaient avec quelqu'un qui leur ressemblait ! Bref, les mineurs dits accompagnés ne le sont pas en réalité...Ne jouons pas avec ça !

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Je ne sais ce qui a été dit en audition, mais je vous assure que nous veillons à la stricte application de la règle. Nous appliquons le droit, tout le droit et rien que le droit.

L'amendement n°21 n'est pas adopté.

ARTICLE PREMIER

M. Abdallah Hassani .  - Cette proposition de loi répare un défaut de coordination. Je ne reviendrai pas sur le fond, le président Thani Mohamed Soilihi l'a parfaitement expliqué.

Mais gare aux surenchères démagogiques ! Mayotte, c'est 374 km2 soit une densité de population de 900 habitants au km2, sans compter les étrangers en situation irrégulière. Les étrangers qui représentent la moitié de la population proviennent en grande majorité de l'État voisin, qui revendique ouvertement la souveraineté sur Mayotte. Les Mahorais veulent depuis longtemps être considérés comme des Français à part entière, mais souffrent de l'insuffisance des infrastructures, de la pauvreté et de l'insécurité qu'elle suscite. On n'en mesure pas l'ampleur dans l'Hexagone, sauf quand des troubles sociaux paralysent l'île pendant plusieurs mois.

Ce n'est pas pour autant que les Mahorais n'ont pas une longue tradition d'accueil ; mais avec un taux de pauvreté de 84 % de la population, avec des enfants qui doivent aller à l'école par roulement, et des bidonvilles qui s'étendent sur des collines inconstructibles, comment faire ?

Face à ces enjeux, la prudence s'impose : pas de précipitation ! Attention aux effets pervers insoupçonnés lors du dépôt d'un amendement ! Cette proposition de loi de coordination légistique n'est pas le véhicule adéquat pour répondre à ces questions de fond.

Mme la présidente.  - Amendement n°22, présenté par M. Leconte et les membres du groupe socialiste et républicain.

Supprimer cet article.

M. Jean-Yves Leconte.  - Une précision : il n'y a pas de droit du sol en France mais un double droit du sol, ou plutôt un droit du sol accompagné de conditions de séjour sur le territoire français et la possibilité de demander la nationalité à partir de 13 ans. Ne faisons pas croire que notre droit est celui des États-Unis ! Il n'y a pas d'exception au droit du sol puisqu'il n'y a pas de droit du sol...

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Ce n'est pas moi qui le dis, c'est madame Benbassa.

M. Jean-Yves Leconte.  - Le département de Mayotte est confronté à une situation dramatique en raison de la pression migratoire dont il fait l'objet. À cette heure encore, en dépit des multiples appels d'urgence lancés par les élus, aucune solution n'a été trouvée.

Ce diagnostic appelle une action diplomatique durable avec les Comores, une lutte tenace contre l'immigration irrégulière et particulièrement contre les passeurs qui font commerce du désespoir et de la misère, et une politique économique, sociale et sanitaire globale.

Le recul des droits et des libertés fondamentales, en revanche, est une mauvaise réponse.

Des Mahorais, des avocats, des associations s'inquiètent de la multiplication des situations dérogatoires. La loi Cazeneuve, que vous avez votée, monsieur le rapporteur, lorsque vous siégiez à nos côtés - souvenez-vous en !...

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Oh oui !

M. Jean-Yves Leconte.  - ... établit une situation égale pour tous. On ne résoudra pas le problème en allongeant les délais de saisine pour faciliter les expulsions, relancer le carrousel et, finalement enrichir les passeurs.

D'où cet amendement de suppression.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Le délai dérogatoire est fondé sur l'article 73 de la Constitution et tient compte, à ce titre, des « caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte. »

Je le rappelle, cette mesure dont vous demandez la suppression a été adoptée en 2017 par un gouvernement socialiste, à l'initiative de députés mahorais socialistes, soutenus par le rapporteur Victorin Lurel et avec avis favorable de Mme Erika Bareigt. Pourquoi remettre en cause une adaptation utile dont vos propres collègues sont à l'origine ? J'ai peut-être changé de bord, mais je suis constant dans mes positions sur ce sujet.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Le délai de deux jours, pour saisir le juge, est suspensif de l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reste en vigueur, à l'intérieur du délai de cinq jours dont nous demandons le rétablissement. Avis défavorable.

L'amendement n°22 n'est pas adopté.

Les amendements nos11, 9 et 10 ne sont pas défendus.

M. Loïc Hervé.  - Dommage que M. Masson ne soit pas là ! (L'on sourit et renchérit sur divers bancs.)

L'article premier est adopté.

ARTICLE ADDITIONNEL

Mme la présidente.  - Amendement n°3, présenté par M. Karoutchi.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par un titre ainsi rédigé :

« Titre ...

« Dispositions applicables à Mayotte

« Art. L. ...  - Par dérogation au présent livre, à Mayotte, les mesures d'éloignement peuvent être prises uniquement sur la base de troubles à l'ordre public, sans application des notions de : "menace pour l'ordre public", "menace grave pour l'ordre public", "menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société", "nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique" ou de "comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes". »

M. Roger Karoutchi.  - Point n'est besoin d'ironiser sur l'absence d'un collègue, puisque cela vous arrive aussi ! Cet amendement est un rescapé puisque j'en ai déposé cinq dont quatre déclarés irrecevables en vertu de l'article 45 de la Constitution. J'en reparlerai aux présidents Bas et Larcher... En effet, si j'accepte cet article, les divergences d'interprétation entre l'Assemblée nationale et le Sénat sont problématiques. Il est tout de même ennuyeux que le Sénat ne puisse se saisir de matières qui ont été débattues à l'Assemblée nationale.

Cet amendement prévoit que la qualification de trouble à l'ordre public suffit à justifier l'éloignement. La condition de « menaces à la sécurité publique » est trop restrictive et difficile à caractériser.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Un tel débat de fond mériterait un texte spécifique. Adopter cet amendement, c'est prendre le risque de manquer le butoir du 1er mars, en déclenchant une navette.

Par ailleurs, il exigerait des troubles à l'ordre public, là où de simples menaces suffiraient, rendant en fait la tâche de l'administration plus difficile. Retrait, sinon avis défavorable.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement est pleinement mobilisé sur les questions d'ordre public. La menace à l'ordre public doit être suffisamment grave pour justifier la décision de l'administration, qui prend en compte également d'autres considérations, telles que le droit à une vie familiale normale ou l'absence de traitement inhumain ou dégradant. L'amendement pourrait de ce point de vue être anticonstitutionnel, ou contraire aux engagements internationaux de la France.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Je regrette aussi de ne pas avoir pu déclarer recevable plus d'amendements.

Monsieur Karoutchi, je vous sais sensible, avec M. Richard, à la bonne régulation de nos travaux. Vous avez été aussi ministre chargé des relations avec le Parlement.

Oui, il y a une approche différente du Sénat sur l'interprétation de l'article 45 : la loi ELAN le prouve, les cavaliers ayant été censurés par le Conseil constitutionnel : sur 20 articles annulés pour ce motif, 18 provenaient de l'Assemblée nationale ! Cela dit, un débat a été lancé hier ici même par quelques rappels au Règlement, qui exige une réflexion. Peut-être convient-il d'imaginer une forme de recours, les différends qui pourraient surgir au sujet de l'interprétation de l'application de l'article 45, par les différentes commissions et pas seulement la commission des lois, pouvant être tranchés par le Conseil constitutionnel. Nous estimons être proches de sa jurisprudence, il est vrai plus sévère qu'autrefois.

Cet amendement pose un problème de fond qu'il faut traiter. J'ai été en contact avec notre collègue député Mansour Kamardine qui a raison. Mais nous avons un objectif prioritaire : obtenir une loi avant le 1er mars.

C'est bien parce que je porte un jugement positif sur votre proposition, et que je ne voudrais pas risquer un vote contraire, que je vous demande de la retirer.

M. Roger Karoutchi.  - J'en reparle avec Alain Richard...

Dès que vous demandez 10 centimes, la commission des finances déclare votre amendement irrecevable... mais laisse passer des demandes de rapport, qui ont pourtant un coût. M. le président de la commission des lois envisage un recours devant le Conseil constitutionnel... Cela peut rallonger un peu les travaux...

Je retirerai l'amendement, même si je ne suis pas certain qu'il ne puisse être voté, car je ne veux pas mettre en difficulté le Gouvernement en obtenant un texte non conforme...

Mais, monsieur le ministre, cela aurait pu être fait sur le texte anticasseurs...

Mme Jacqueline Eustache-Brinio.  - Bravo !

L'amendement n°15 n'est pas défendu, non plus que l'amendement n°16.

L'article premier bis est adopté.

L'amendement n°17 n'est pas défendu, non plus que l'amendement n°18.

L'article 2 est adopté.

L'amendement n°7 n'est pas défendu.

L'intitulé de la proposition de loi est adopté.

Explications de vote

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur .  - Merci au ministre, au président de la commission, aux collègues ayant pris part à nos débats - y compris ceux avec qui nous avons été en désaccord.

La situation de Mayotte, il faut la vivre. Nous avons beaucoup parlé d'éloignement, car nous devions corriger une erreur sur ce sujet.

Le maintien des étrangers à Mayotte n'est pas souhaitable. Il faut voir les banjas, ces taudis à flanc de collines, sans eau ni électricité, où vivent des étrangers dans des conditions indignes. À la dernière saison des pluies, une mère et ses quatre enfants y ont perdu la vie à la suite d'un glissement de terrain.

Je veux dire à ceux qui s'expriment sur la question : merci de vous y intéresser, mais venez à Mayotte ; après nous en discuterons. (Applaudissements sur la plupart des bancs, à l'exception de ceux du groupe CRCE)

M. Jean-Yves Leconte .  - En pratiquant l'article 45 de manière un peu rapide, vous prenez le risque que si 60 parlementaires jugeaient cette manière abusive, et saisissaient en conséquence le Conseil constitutionnel, la loi ne serait pas en vigueur non plus le 1er mars.

Si le rapporteur envisageait de déposer une proposition de loi plus large sur la situation à Mayotte, il aurait le soutien du groupe socialiste et républicain.

Ce n'est pas en multipliant les différences qu'on progresse. Le principe d'égalité, fondamental dans notre République, doit prévaloir.

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur, applaudit.)

Prochaine séance, mardi 19 février 2019 à 15 heures.

La séance est levée à 17 h 5.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus