SÉANCE

du mardi 5 novembre 2019

15e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Vincent Delahaye, vice-président

Secrétaires : Mme Annie Guillemot, M. Michel Raison.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Orientation des mobilités (Nouvelle lecture)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, d'orientation des mobilités.

Discussion générale

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports .  - Votre assemblée a été la première saisie de ce texte. Les échanges de votre Haute Assemblée avec le Gouvernement, de grande qualité, ont révélé les nombreux enjeux structurants de ce projet de loi pour les territoires et permis de le faire évoluer.

Je salue le travail du rapporteur, Didier Mandelli, et du président Maurey qui ont amélioré la couverture de l'ensemble du territoire par les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) pour une mobilité partout et pour tous, et instauré le contrat opérationnel de mobilité qui favorise une traduction des offres bien plus efficace.

Le Sénat a aussi pérennisé le Conseil d'orientation des infrastructures (COI). L'accès des accompagnateurs des personnes à mobilité réduite a été facilité, grâce à l'amendement de Mme Vullien.

Des mesures encourageant l'usage du vélo, par le « savoir-rouler », dès le plus jeune âge, afin qu'il devienne un réflexe, mais aussi le verdissement des flottes de véhicules et la décarbonation des transports ont pu être prises. Les régions qui le souhaitent peuvent désormais administrer directement leurs petites lignes ferroviaires.

Avec plus de 1 900 amendements déposés et plus de 50 heures de discussion, le travail a été immense et utile. Ce projet de loi répondait aux attentes et aux interpellations de la société.

L'unique objet de nos divergences concerne le financement de la prise de compétence Mobilité par les intercommunalités, notamment par celles qui disposent de faibles ressources. La quote-part de la TVA remplaçant la taxe d'habitation apportera une recette supérieure de 30 à 40 millions d'euros, soit 120 à 160 millions d'euros de produit annuel complémentaire lors de la quatrième année.

Ce texte permet d'investir plus de 13,4 milliards d'euros dans nos infrastructures de transports pour l'ensemble du quinquennat. Ce seront autant de trains qui pourront retrouver une vitesse normale et de routes réaménagées, plus sures, plus rapides et plus confortables pour tous.

La Haute Assemblée a souhaité pérenniser le financement de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) à hauteur de1,1 milliard d'euros par an. Le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont soutenu ce choix décisif et lors du conseil de défense écologique du 9 juillet, le Gouvernement a apporté les dernières réponses attendues, qui se traduisent dans le projet de loi de finances que j'ai défendu hier devant les députés.

L'urgence climatique est une réalité prégnante, qui impose un défi environnemental et de santé publique. D'où la réduction de 2 centimes d'euros par litre de l'exonération de TICPE sur le gazole des poids lourds, et l'éco-contribution sur les billets d'avion que nous avons introduite, sur le modèle de l'Allemagne ou de la Grande-Bretagne.

Ce projet de loi est aussi à destination des territoires auxquels il propose des solutions telles que le développement du système dit « MAAS » (Mobility as a service) permettant de réaliser la réservation et le paiement de tous les modes de transport entre deux points sur un même support.

Notre politique entend favoriser les alternatives aux déplacements automobiles, à l'auto-solisme - en 2019, 70 % des automobilistes effectuant un trajet domicile-travail sont seuls dans leur véhicule - et, en même temps, rendre du pouvoir d'achat aux Français.

Le forfait mobilité durable bénéficiera dès 2020 à tous les territoires. C'est une avancée majeure. Le besoin de nos concitoyens en matière de transports devient urgent. Depuis la loi d'orientation sur les transports intérieurs (LOTI) de 1982, aucun Gouvernement n'avait jusque-là présenté de texte sur le droit à la mobilité, qui est pourtant en constante mutation. Les attentes sont fortes et multiples. Les assemblées d'élus locaux l'ont dit. Il est nécessaire d'adopter ce texte, même si j'entends votre désaccord et tâcherai de vous répondre au mieux. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. Didier Mandelli, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Le projet de loi Orientation des mobilités a commencé son parcours législatif il y a quasiment un an, après les Assises de la mobilité. Les deux chambres se sont beaucoup investies pour l'enrichir.

Trente-cinq ans après la LOTI, il est très attendu par les acteurs du secteur et par tous les territoires dépourvus d'offre de transports. Il porte une ambition, celle de réduire le recours à la voiture individuelle en développant les alternatives, et de limiter les émissions de gaz à effet de serre.

C'est pourquoi nous l'avons examiné avec un état d'esprit exigeant et constructif. Plus de 450 amendements ont été adoptés au Sénat dont la moitié en commission. Des propositions en provenance de tous les bancs ont été intégrées. Certains ont été surpris de nous voir adopter des mesures volontaristes sur lesquelles nous n'étions pas attendus, comme le développement de l'usage du vélo. Il est temps de constater que le Sénat prend les enjeux environnementaux au sérieux.

Les échanges avec les députés, dont certaines des modifications complètent celles du Sénat, ont montré une convergence de vues sur les objectifs de ce texte.

Le Sénat a sanctuarisé le financement de l'Afitf et pérennisé le COI. En matière de gouvernance, nous avons donné plus de temps aux communautés de communes pour se saisir de la compétence d'organisation des mobilités, renforcé la coordination entre les autorités organisatrices de la mobilité (AOM), en introduisant des contrats opérationnels de mobilité, mieux régulé les nouvelles mobilités, en particulier les services de free floating notamment en limitant le nombre maximum d'engins déployés.

Conformément au groupe de travail sur la sécurité routière, dont étaient co-rapporteurs nos collègues Michel Raison, Michèle Vullien et Jean-Luc Fichet, nous avons permis aux présidents de département d'adapter localement les limitations de vitesses aux réalités des territoires, même si nous regrettons que cette faculté d'adaptation n'ait pas été conservée pour les routes nationales.

L'usage du vélo a été favorisé, avec le développement d'emplacements réservés dans les gares. Les entreprises gérant un parc de plus de cent véhicules ont désormais l'obligation de verdir leur flotte.

La sécurité des passages à niveau, chère à Jean Sol, a été renforcée. Le Gouvernement, qui n'encourt pas les foudres de l'article 40, a accepté de déposer un amendement sur le transfert de l'administration des petites lignes ferroviaires aux collectivités territoriales. Je l'en remercie.

J'en viens aux aspects moins positifs. Il reste des points de désaccord avec l'Assemblée nationale.

Parmi ceux-ci, la suppression du troisième cas de réversibilité du transfert de la compétence mobilité que nous avions introduit, pour permettre à une communauté de communes de demander à la région de récupérer cette compétence, d'un commun accord.

Ainsi, nous restons très réservés sur le rétablissement de l'article 20 relatif à la responsabilité sociale des plateformes de mobilité, qui ne permet pas de définir un statut pour les travailleurs de ces plateformes. L'obligation de publier leur taux de verdissement en donnant lieu à une procédure de name and shame a été supprimée. Nous le regrettons.

Cependant, une seule question reste en suspens, celle du financement des communautés de communes qui se saisiront de la compétence mobilité. Ce sujet, essentiel, a été identifié dès le début de l'examen du texte. Sans ressources dédiées, les intercommunalités ne pourront pas développer d'offres de mobilité satisfaisantes dans les territoires qui en sont dépourvus. Hélas, le projet de loi de finances 2020 ne répond pas à cette question, ce qui légitime notre opposition lors de la CMP.

Dans ces conditions, il est inutile de prolonger nos discussions sur ce projet, étant entendu que nous sommes d'accord sur la majorité des dispositions et que la question du financement de la compétence d'organisation des mobilités relève désormais du budget qui sera examiné dans les semaines à venir par le Sénat.

C'est pourquoi je vous invite à adopter la motion tendant à opposer la question préalable qui vous sera présentée par le président Maurey. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SOCR ; Mme Annick Billon applaudit également.)

M. Alain Fouché .  - Inutile de rappeler combien ce projet de loi est attendu par nos concitoyens. Je salue la qualité du travail fourni par les deux assemblées et l'accord trouvé au terme de discussions riches et passionnées. Cette loi contribuera à réduire la fracture sociale en favorisant le désenclavement de certains territoires. C'est pourquoi je me félicite que les collectivités territoriales soient le coeur du dispositif.

Adaptation aux réalités actuelles de la France, ainsi qu'aux enjeux climatiques, aux transformations et à la décarbonation des moyens de transport, au développement de nouvelles formes de mobilités, telles sont les avancées. La question des carburants alternatifs, de l'hydrogène en particulier, me tient particulièrement à coeur.

La voiture reste un instrument de liberté. Nous avons également soutenu la promotion du vélo et du covoiturage. Tout cela insufflera une énergie bénéfique à nos territoires. Le caractère essentiel de l'intermodalité n'est plus à démontrer, non plus que celui du numérique. Le développement de la voiture autonome nous invite à inscrire la question des mobilités dans la ruralité. La réduction des émissions de gaz à effet de serre est un défi essentiel, pour lutter contre la pollution, responsable de 50 000 morts prématurées par an dans notre pays.

Les collectivités deviennent chefs d'orchestre de la LOM, mais le problème des moyens demeure. Car les bonnes intentions sont vaines sans un financement équilibré et juste pour les collectivités territoriales. Les propositions du Gouvernement en la matière restent insuffisantes. C'est main dans la main que nous pourrons oeuvrer dans le sens souhaité par nos concitoyens.

L'esprit de cette loi forte d'engagements ambitieux est bon. Le texte ne résout cependant pas tout. Les efforts doivent être poursuivis pour que nous réussissions ensemble une mobilité saine, durable, partagée et collective.

Mme Michèle Vullien .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous voici réunis pour ce qui aurait dû être une nouvelle lecture de ce texte. Loin de toute posture politicienne, je tiens à dire que nous aurions pu accélérer le travail parlementaire. L'espérance suscitée par ce projet de loi se teinte désormais d'impatience dans les territoires.

Monsieur le ministre, vous ne nous aidez pas à conclure, en ne résolvant pas la problématique du financement des intercommunalités se saisissant de la compétence mobilité. Les engagements pris par la ministre avant la CMP ne se retrouvent pas dans le PLF 2020. Pire encore, vous diminuez la contribution sur le versement transport.

Je ne vous cacherai pas ma déception. J'aurais aimé, comme d'autres, enrichir le projet de loi, apporter des solutions, au lieu d'abandonner le combat législatif. Notre examen d'aujourd'hui risque de se solder par le même échec qu'en CMP. Je n'ose imaginer qu'il s'agisse là d'une manoeuvre politicienne. (On se récrie, non sans ironie et sourires, sur la plupart des travées.)

Des apports existent cependant, comme la reprise de l'enveloppe de la dette de la SNCF par le Gouvernement.

Je veux rester optimiste, car les orientations du texte sont bonnes. Nous avons pris la pleine mesure des enjeux climatiques. Vos engagements récents ont montré votre volonté de combler les manques du passé.

Depuis 25 ans, j'ai entendu trop de promesses sans lendemain.

Pourquoi rester muet sur le financement des intercommunalités ?

C'est assez déconcertant. Nous vous jugerons lors de la session de rattrapage du projet de loi de finances pour 2020, puisque c'est au 1er janvier 2021 que l'ensemble des territoires doit être couvert par une AOM. Comme on dit à Lyon, aimons l'avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur le banc de la commission ; quelques applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Olivier Jacquin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) La barre n'a-t-elle pas été placée trop haut lors des Assises mobilité ? Nous aboutissons à un projet de loi insuffisant, même s'il comporte des dispositions utiles, voire indispensables.

Ce projet de loi apporte une version amoindrie du scénario n°2 de la programmation pluriannuelle du COI. La fin des zones blanches serait une bonne chose, mais 75 % des intercommunalités n'exercent pas encore la compétence transport.

Le financement est adéquat, mais dans ce projet de loi, il n'est presque question que de mesures peu coûteuses et réglementaires. La LOM fait-elle les frais du rachat partiel de la SNCF ? Quelques heures avant la CMP, le Gouvernement a bricolé, pour sortir de son chapeau une taxation de l'aérien, la fin de l'exonération de 2 centimes de la TICPE pour les poids lourds et la promesse du transfert d'une part de TVA, le tout sans étude d'impact. Un socialiste ne peut que se satisfaire de l'esquisse de la fin d'une injustice terrible entre les modes de transport.

Les mesures spécifiques pour les petites AOM adoptées au Sénat étaient consensuelles. (Marques d'approbation sur plusieurs travées des groupes SOCR, UC et Les Républicains) Pourquoi les avoir abandonnées ?

Je ne comprends pas non plus l'obstination gouvernementale sur les travailleurs de plateformes. Votre charte volontaire est un cheval de Troie. Allez-voir le tout récent film de Ken Loach, qui montre les conséquences dramatiques de la dérégulation.

Un débat serein sur les secteurs aérien et maritime n'a pas pu avoir lieu ici.

Je salue votre position - lorsque vous étiez député  - (M. le secrétaire d'État sourit.) de créer une société publique pour préparer la fin des concessions autoroutières. Au contraire dans ce texte, des portions de routes nationales sont offertes à la concession.

Mme Borne nous avait promis que les petites lignes ferroviaires figureraient dans le projet de loi LOM plutôt que dans la réforme de la SNCF. Or nous attendons toujours la véritable arlésienne qu'est ce rapport Philizot qui devait apporter des réponses.

Ce qui nous est proposé ne concilie nullement la fin du monde avec la fin du mois... En attendant, il y aura des mobilités à deux vitesses : d'un côté les utilisateurs de TGV, d'avions et de VTC et de l'autre ceux qui n'ont d'autre choix pour se déplacer que leur vieux diesel, sans parler de ceux désignés par un sociologue comme « insulaires », ruraux sans voiture, handicapés, personnes âgées dépendantes, jeunes sans permis, quasi-assignés à résidence. (« Très Bien ! » et applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; M. Yves Détraigne et Mme Sylvie Goy-Chavent applaudissent également.)

M. Éric Gold .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE) Depuis les Assises de la mobilité, tenues il y a deux ans, la LOM était très attendue par les élus comme par nos concitoyens. Je regrette le choix d'une question préalable alors que nous aurions pu nous prononcer sur la rédaction de l'Assemblée nationale.

Le projet de loi, après son passage au Parlement, comporte des avancées substantielles, comme la sanctuarisation des ressources de l'Afitf, ou la fin de la vente de véhicules neufs à énergie fossile d'ici 2040. L'accompagnement financier des ménages modestes est indispensable, tout autant que le développement des zones à faible émission.

L'État comme les collectivités territoriales vont devoir prendre part à la décarbonation en renouvelant leur flotte de véhicules.

Je me réjouis de la création du forfait mobilité durable qui couvrira tous les modes de transport. L'extension du forfait à 400 euros pour les frais d'alimentation des véhicules électriques rechargeables et à hydrogène a été maintenue : c'est une bonne chose, il reste aux entreprises à s'en emparer.

Il y a toutefois des reculs, notamment sur la ruralité. Les mesures de désenclavement chères au groupe RDSE de la loi LOTI ont disparu. Il ne peut y avoir de bassin de vie sans bassin de mobilité. Le droit à la mobilité reste trop hypothétique pour certains.

L'auto-solisme reste une réalité pour ceux qui n'habitent pas en agglomération. Quelque 70 % de nos concitoyens sont dépendants de la voiture pour les déplacements pendulaires. Des alternatives accessibles et crédibles doivent leur être proposées. Il faut développer les bornes de recharge électrique ou d'approvisionnement en hydrogène. Un accord en CMP était possible. Mais les ressources des collectivités territoriales doivent être fiables.

Le groupe RDSE votera contre ce texte, en regrettant l'absence de discussions sur certains points cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)

M. Frédéric Marchand .  - Nous avions espéré un accord en CMP. Nous pensions que le Sénat et l'Assemblée nationale avaient fait oeuvre utile sur le texte. Nous ne pouvons que déplorer le retard pris par ce projet de loi très attendu partout sur le territoire. L'Assemblée nationale n'est pas revenue sur nombre d'apports du Sénat. La démarche de la majorité sénatoriale n'est pas entendable, au vu du travail fourni sous la houlette bienveillante du rapporteur.

La réforme de la fiscalité locale répondra aux besoins de financements complémentaires pour les collectivités territoriales se saisissant de la compétence transport - d'autant que la TVA est beaucoup plus dynamique que l'évolution des bases de taxe d'habitation des communes.

M. Stéphane Piednoir.  - Cela reste à prouver.

M. Frédéric Marchand.  - Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Mais c'est la posture de la majorité sénatoriale aujourd'hui.

Ce projet de loi a fait le pari de l'ambition pour la France et les Français : désenclaver les territoires, améliorer les transports du quotidien, ainsi que l'efficacité du transport de marchandises en facilitant le report modal. Ce n'est pas rien, d'autant que cinq programmes d'investissement prioritaire ont été définis au service de ces quatre objectifs.

La programmation des transports s'est trop souvent soldée par des échecs ou des renoncements. Ce projet de loi constitue un atout majeur pour réussir une politique de mobilité ? Quelque 13 milliards d'euros d'investissements sont ainsi prévus. Les collectivités territoriales ont de nouveaux outils pour sortir du tout-voiture. Les zones à faible émission sont valorisées. Hélas, c'est peu de chose face à la volonté d'obstruction de la majorité sénatoriale.

J'ai peine à comprendre les louanges et félicitations s'adressant au Gouvernement, aussitôt balayées d'un revers de main pour céder la place à une forme de guérilla parlementaire bien éloignée des préoccupations quotidiennes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Michèlle Vullien, MM. Jean-Paul Prince et Jean-François Longeot applaudissent également.)

Mme Éliane Assassi .  - Après des dizaines d'heures de débat, nous voilà au terme de la navette. Le groupe CRCE est favorable à la question préalable, justifiée par l'absence de financements pour l'exercice par les autorités organisatrices de leurs nouvelles compétences. Nous partageons les arguments de la commission, d'autant que nous avions déposé une telle motion, dès la première lecture, pour souligner le manque d'ambition de ce texte, le désengagement de l'État des transports collectifs et le défaut de financement pour l'Afitf... et les autorités organisatrices. Tout cela demeure hélas d'actualité.

Ce texte se contente d'une série de mesurettes plus ou moins pertinentes et dénuées de lien entre elles - de la régulation des trottinettes au co-voiturage - et non financées. En creux, se dessine l'abandon des transports collectifs comme offre structurante, au profit de nouvelles « solutions de mobilité » à géométrie variable dans un marché libéralisé et ubérisé.

Ce projet de loi n'apporte aucune réponse au changement climatique. Le principal moyen reste encore et toujours la route. On abandonne le rail.

Avec plus de 13 gigatonnes de CO2 émises dans le monde, le trafic routier est le deuxième émetteur de gaz à effet de serre. Nous assistons au désengagement et au démembrement du réseau ferroviaire. La stratégie purement commerciale de la SNCF crée le malaise chez les cheminots.

Nous proposons l'augmentation et la généralisation du versement transport, le retour de l'écotaxe et la renationalisation des autoroutes, la déclaration du fret ferroviaire comme étant d'intérêt général. Le maintien de la ligne Perpignan-Rungis est pour nous un minimum vital. Nous plaidons pour les trains de nuit et les intercités, alternatives à l'avion.

À l'inverse de ces exigences, ce projet de loi organise de nouvelles concessions autoroutières et la privatisation des routes nationales : une faute lourde puisque l'heure n'est plus aux PPP mais bien au retour de l'intérêt public.

La création d'une charte pour les travailleurs de plateformes contourne le droit des salariés. Nous avons déposé une proposition de loi à ce sujet avec M. Savoldelli.

Vos remèdes sont toujours les mêmes : privatisation, libéralisation, individualisation ; bref, des solutions de l'ancien monde ! Nous voterons contre ce projet de loi et pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; M. Jean-Pierre Sueur et Mme Martine Filleul applaudissent également.)

M. Michel Vaspart .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) la Sénat achève une séquence législative ouverte il y a deux ans avec les Assises de la mobilité. Après 400 réunions de travail, 60 réunions publiques, 2 000 propositions et 200 cahiers d'acteurs, on ne pourra pas dire que ce projet de loi n'a pas été rédigé dans la concertation... Face aux mouvements sociaux qui ont traversé notre pays, il a été édulcoré, notamment sur la question des péages urbains - et ce fut une sage décision.

Certains « sachants », conseillers ou hauts fonctionnaires, ignorent la réalité de la vie quotidienne et de l'état d'esprit des Français. Leur méconnaissance est le ferment de la défiance de nos concitoyens à l'égard de l'action publique.

Quand une mesure ne passe pas dans l'opinion, comme la hausse de la TICPE. Il faut cesser de dire qu'elle n'a pas été expliquée, qu'il y a eu malentendu, ou qu'il faut plus de pédagogie.

La mobilité des Français est en crise pour deux raisons : le prix des carburants qui augmente les coûts de déplacement et l'éloignement accru entre zones d'habitation et zones d'activités et de scolarisation, conséquence d'un aménagement du territoire parfois défaillant.

Ce projet de loi n'admet qu'un postulat : comment favoriser la mobilité ? On ne peut plus réfléchir ainsi dans le contexte climatique actuel.

Le Sénat s'est montré très constructif lors de l'examen du projet de loi. Parce que nous n'avons pas d'priori, nous avons toujours essayé d'améliorer le texte.

Les sénateurs ont, par exemple, rejeté, dans leur très grande majorité, la charte des travailleurs de plateformes car elle ne résout en rien l'ubérisation des relations sociales, mais les députés l'ont rétablie. Sur les 80 km/h, j'avais, il y a déjà deux ans, avec d?autres sénateurs, attiré l'attention sur les risques de cette mesure. Les députés ont supprimé la faculté laissée au préfet de déroger à la vitesse maximale autorisée sur les routes nationales. Seuls les présidents de conseils départementaux et les maires auront donc la possibilité de remonter la limite à 90 km/h sur les routes secondaires et l'on voit bien à quel point le piège s'est refermé sur eux.

L'attribution d'une partie de la TICPE aux AOM de territoires peu denses, introduit par le Sénat, a été supprimée de même.

En 2018, selon le président délégué du conseil des prélèvements obligatoires, le Gouvernement a prélevé 87 milliards d'euros de fiscalité verte, soit 3,73 % du PIB, contre 2,4 % pour le Royaume-Uni et 1,8 % pour l'Espagne, comme pour l'Allemagne.

Autrement dit, en France, nous prélevons deux fois plus qu'en Espagne et en Allemagne, sans que cette fiscalité finance la transition écologique puisqu'elle va au budget général. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe SOCR ; Mme Christine Prunaud applaudit également.)

Après les bonnets rouges et les gilets jaunes, prenons garde aux pantalons bleus.

Nous sommes passés d'une logique de développement du réseau national à une logique de préservation de l'existant. Nous payons les conséquences de décennies de sous-investissement chronique dans l'entretien des infrastructures qui nous condamnent aujourd'hui à la frugalité.

Je regrette que ce projet de loi n'ait pas été l'occasion d'un éclaircissement sur le financement futur et stable de nos infrastructures. Le Sénat a essayé de trouver des parades, sans résultat. Sur le financement, le Gouvernement ne nous a jamais rassurés. Il est donc à craindre qu'une nouvelle lecture soit une voie sans issue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe SOCR)

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Quelques mots sur le financement des autorités organisatrices, pomme de la discorde entre nous : le projet de loi sanctuarise le versement mobilité pour les collectivités territoriales qui mettent en place des services de transport collectif réguliers. D'où le choix du Gouvernement de substituer à la taxe d'habitation une fraction de TVA, plus dynamique, qui donnera aux collectivités des marges de manoeuvre supplémentaires pour financer de tels services.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il faut y croire !

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - L'intention est réelle et la dynamique, substantielle. (M. Jean-Pierre Sueur en doute.)

Le produit est très largement supérieur au manque à gagner initial. En moyenne, la réduction de la compensation aux collectivités territoriales est inférieure à l'augmentation du versement transport. Je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale, le Gouvernement est prêt à ajuster le texte afin d'éviter que ce plafonnement ne vienne affecter une collectivité dont la dynamique de versement transport serait défavorable.

Je rappelle qu'avec 13,4 milliards d'euros, les investissements sont supérieurs de 40 % à ceux de la décennie précédente. Le plan de régénération et d'entretien des routes est porté à 800 millions d'euros par an à compter de 2020 pour atteindre 1 milliard. S'y ajoute un plan de désenclavement routier d'1 milliard d'euros sur dix ans qui répondra aux aspirations des territoires.

Madame Assassi, le projet de loi prévoit 600 millions d'euros pour les pôles d'échanges multimodaux et les transports collectifs. SNCF Réseau fera des propositions sur le plan RER métropolitain, avec 3 milliards d'euros pour la désaturation des noeuds urbains.

Monsieur Mandelli, l'État publiera les statistiques en matière de verdissement des flottes par les acteurs publics. Il n'est pas question de name and shame mais de valoriser les trajectoires positives.

L'article 20 apporte de nouvelles garanties pour les travailleurs des plateformes (On le conteste sur les travées du groupe CRCE.), comme le droit à la déconnexion. Cela correspond au souhait de nombreux professionnels de demeurer indépendants et d'accroitre leurs droits.

Le rapport Philizot, dont l'avant-projet m'a été livré peu après mon entrée en fonction, dresse l'état du réseau et fait la clarté sur le coût de régénération et de pérennisation des lignes ferroviaires. J'ai cependant demandé au préfet Philizot de lancer un nouveau cycle de discussions avec les régions pour que nous disposions d'un plan d'action territorial concret et opérationnel. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; Mme Michèle Vullien applaudit également.)

La discussion générale est close.

Question préalable

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Mandelli, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, d'orientation des mobilités (n°730, 2018-2019).

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.  - Le texte issu de l'Assemblée nationale conserve la majeure partie des apports du Sénat, sur les volets programmation, gouvernance, développement des mobilités propres ou sécurité des transports.

Pourquoi alors cette question préalable ? Parce que le texte issu de l'Assemblée nationale ne permettra pas de répondre à l'ambition affichée de mettre fin aux zones blanches de la mobilité en offrant des alternatives à la voiture individuelle dans les territoires ruraux et périurbains. Le financement, vous l'avez dit, est la pomme de discorde.

L'enjeu est social - en témoigne la crise des gilets jaunes - et environnemental. Dès la présentation en Conseil des ministres, le Sénat s'est inquiété de l'absence de mesure de financement, une ligne rouge. Il est inconcevable pour nous de transférer aux communautés de communes une compétence aussi lourde que le transport sans leur donner les moyens de l'exercer. C'est pourquoi le Sénat a voté un amendement prévoyant l'affectation d'une part de TICPE. Nous avions précisé que le dispositif était amendable et remplaçable - mais l'Assemblée nationale l'a purement et simplement supprimé, renvoyant la question au projet de loi de finances.

La ministre des transports s'était engagée à proposer un dispositif de financement avant la CMP. Il n'en a rien été. Deux jours avant la CMP, le Premier ministre a écrit au rapporteur que les intercommunalités pourraient compter sur le dynamisme de la part de TVA qui leur est attribuée en compensation de la suppression de la taxe d'habitation. Or rien ne dit que ces recettes seront suffisantes et stables dans le temps, d'autant qu'elles ne sont pas liées à l'exercice de la compétence mobilité. Les communautés de communes ne seront pas incitées à se saisir de cette compétence.

Quelques heures avant la CMP, nouveau courrier de Mme Borne évoquant des mécanismes financiers incitatifs au bénéfice des intercommunalités qui prendraient la compétence. L'engagement était trop imprécis pour que la CMP puisse être conclusive.

Nous avions raison d'être méfiants puisque le projet de loi de finances ne prévoit aucun financement dédié et pérenne de la compétence mobilité des intercommunalités. Au lieu d'attribuer aux AOM des moyens supplémentaires, il ampute de 45 millions d'euros la compensation que l'État leur verse au titre de relèvement des seuils.

Nombre d'intercommunalités renonceront à exercer cette compétence, qui remontera aux régions. Faute de solutions de proximité, les zones blanches de la mobilité demeureront dans les territoires les plus fragiles.

Par cette motion, la commission acte notre désaccord profond sur le financement. Nous sommes fiers du travail mené par l'ensemble des groupes sur ce texte, que le Sénat a amélioré. Mais la chambre des territoires ne saurait accepter le transfert d'une telle compétence sans financement dédié. Nombre des 950 communautés de communes concernées ne bénéficieront pas du versement mobilité car elles ne pourront mettre en place des services réguliers de transport.

Autre sujet de désaccord, l'article 40 ter A, introduit à l'Assemblée nationale, qui permet d'intégrer au périmètre des concessions autoroutières des « sections à gabarit routier servant à fluidifier l'accès au réseau autoroutier ». Des sections de routes nationales, départementales, voire communales pourraient être intégrées aux concessions, en contrepartie d'une augmentation des péages.

L'Arafer s'est inquiétée de l'imprécision de la rédaction, contraire à l'esprit de la loi Macron de 2015 et surtout, à l'intérêt des automobilistes. Selon le ministère, le décret donnera une interprétation restrictive. J'espère que vous pourrez nous rassurer, monsieur le ministre.

Je le répète, cette motion marque notre refus d'une réforme de la gouvernance des mobilités à la charge financière des collectivités locales que nous avons à coeur de représenter et de défendre. (Applaudissements sur plusieurs travées des groupes UC, Les Républicains et SOCR)

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État.  - Avis défavorable. Le décret sera basé sur le droit actuel, qui ne change pas avec l'article 40 ter A. J'ai répondu sur le financement des AOM ne percevant pas de versement transport. La pomme de discorde, jetée au milieu d'un festin des dieux, a provoqué la guerre de Troie ; j'espère que nous saurons dépasser cette querelle !

Mme Martine Filleul.  - En dépit des déclarations de bonnes intentions, le Gouvernement s'arrête à mi-chemin. Les constats et objectifs sont inattaquables, mais il y a loin de la coupe aux lèvres : l'insuffisance de financements ne permet pas de répondre aux enjeux. En première lecture, le groupe SOCR avait proposé de nouvelles sources de financement, comme un grand emprunt, une vignette poids lourds, un versement mobilité à taux réduit ou encore l'affectation d'une part du produit de la taxe carbone. Ces mesures ont été supprimées à l'Assemblée nationale. Les solutions du Gouvernement ne sont pas pérennes. Renvoyer à une réforme à venir de la fiscalité locale est irresponsable : vous mettez les collectivités en difficulté et laissez pour compte les territoires les plus fragiles !

Le groupe SOCR votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Alain Fouché.  - La mobilité en France n'a jamais été aussi importante. À l'heure du tout numérique et de la transition écologique, le cadre législatif devait évoluer.

Je salue les avancées de ce texte, mais il faut nous donner les moyens de nos ambitions. Or l'objectif n'est pas atteint. Le groupe Les Indépendants s'abstiendra dans sa majorité ; Jérôme Bignon et moi-même, membres de la commission de l'aménagement du territoire, voterons la motion déposée par la commission. À nous de reprendre la main lors de l'examen du projet de loi de finances.

La LOM est un espoir, donnons-lui les moyens de se réaliser. (M. Yves Bouloux applaudit.)

M. Guillaume Gontard.  - Le groupe CRCE votera la question préalable. Même si nous saluons certaines mesures comme le développement des mobilités douces, financièrement parlant, le compte n'y est pas.

L'Assemblée nationale ayant conservé nombre des apports du Sénat, la CMP aurait dû aboutir - mais votre Gouvernement refuse d'entendre le Sénat sur le nécessaire effort de financement des infrastructures. Le budget de l'Afitf est structurellement insuffisant ; le Gouvernement a proposé en catastrophe une écotaxe minima sur les billets d'avions... qu'il avait refusée au Sénat. On est dans le bricolage. Pourtant, les propositions ne manquent pas : taxe poids lourds, nationalisation des autoroutes...

L'État se défausse sur les collectivités territoriales, se désengage des CPER, bride SNCF Réseau, mais s'engagerait pour la route ? Quid, au passage, de la ligne Grenoble-Veynes-Gap ?

Nous attendons toujours le fameux rapport Philizot, qui serait, monsieur le ministre, sur votre bureau. Vous refusez de publier le diagnostic car vous n'avez pas les plans d'action pour y répondre.

La boucle est bouclée, je suis déçu, nous restons au milieu du gué. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE)

M. Jean-François Longeot.  - À titre personnel, je ne participerai pas au vote sur la motion. Nous restons à mi-chemin, comme une équipe de football qui refuserait de jouer la seconde mi-temps puis s'étonnerait d'avoir perdu ! Nous avions pourtant beaucoup travaillé, auditionné, proposé.

Les désaccords persistants auraient mérité une seconde discussion, où le Sénat aurait pu montrer son utilité et son attachement aux territoires. La décision de ne pas poursuivre le débat pose la question de la volonté politique d'améliorer les mobilités dans les territoires ruraux.

Pourquoi s'arrêter au milieu du gué alors que cette loi d'orientation est la première en quarante ans ? (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et RDSE et sur les travées du groupe LaREM)

M. Michel Vaspart.  - Le groupe Les Républicains, comme nous l'avons annoncé, votera la question préalable.

La motion n°1 tendant à opposer la question préalable est adoptée.

En conséquence, le projet de loi n'est pas adopté.