Monde combattant

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote puis le vote sur la proposition de loi relative au monde combattant, présentée par Mme Jocelyne Guidez et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC.

La Conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du Règlement du Sénat. Au cours de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l'ensemble du texte adopté par la commission.

Explications de vote

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - C'est avec fierté que je rapporte les travaux de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi dont je suis l'auteure, qui a été très largement cosignée. Elle a fait l'objet d'une procédure de législation en commission (LEC), compte tenu de son caractère consensuel et de son objet circonscrit au changement de dénomination de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONACVG).

La carte de combattant est due à tout militaire ayant fait un séjour opérationnel d'au moins quatre mois sur un théâtre d'opérations. Dès lors, parmi les anciens combattants, les profils sont différents : anciens d'Algérie, aujourd'hui octogénaires, militaires ayant servi en OPEX - qui sont quelque 200 000 depuis les années 1970.

Progressivement, l'extinction des anciens de la guerre d'Algérie va modifier la sociologie des anciens combattants : plus jeunes, plus féminisés, plus actifs. Cela s'accompagne d'une décroissance de leur nombre. L'ONACVG accompagne aussi les veuves, les pupilles de la Nation, ainsi que les parents des soldats morts pour la France.

Les attentes évoluent, et partant, l'action de l'ONACVG : plus de formation et de reconversion, moins d'aide à des personnes en perte d'autonomie. Les jeunes ne se reconnaissent pas dans le terme « ancien combattant » et les associations de mémoire peinent à fédérer les générations des OPEX. Du reste, 30 000 personnes éligibles à la carte ne la demandent pas...

La proposition de loi modifie le nom de l'office, qui deviendrait l'Office national des combattants et victimes de guerre. Le sigle ne changerait pas. L'ensemble des associations en est d'accord ; ce changement n'a pas d'impact sur les missions.

La proposition de loi sera mise en oeuvre au 1er janvier 2023 afin de ménager un temps pour la pédagogie et l'adaptation dans la sérénité. Ce texte est une première étape dans un travail qu'il nous faut accomplir collectivement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, RDSE, INDEP et Les Républicains)

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants .  - L'histoire du monde combattant, c'est l'histoire de France. Elle nous relie et constitue une part de notre identité collective.

Je sais les parlementaires à l'écoute des anciens combattants et des associations. Nous travaillons ensemble pour assurer la pérennité du monde combattant.

Dans cette perspective, l'ONACVG doit demeurer notre principal opérateur et le relais entre le monde combattant, la société civile et l'État. Je remercie son personnel.

L'Office oeuvre au quotidien au service des anciens combattants, pupilles de la Nation, victimes du terrorisme, et fait vivre la mémoire.

La directrice générale et moi-même venons de signer le nouveau contrat d'objectifs et de performance 2020-2025, pour accompagner la baisse du nombre de ressortissants, accélérer la modernisation et la dématérialisation et améliorer l'action sociale en tournant davantage l'Office vers les combattants des OPEX, y compris par une représentation au sein même des régiments.

Déjà, plus de 230 000 cartes de combattant ont été délivrées au titre des OPEX. L'Office accroît son activité auprès des soldats mais aussi des blessés, en particulier pour favoriser leur réinsertion professionnelle. Notre objectif est de consolider la solidarité et la fraternité ; c'est ce qu'incarne le Bleuet de France, fleur de la solidarité.

Votre proposition de loi est d'une vive portée symbolique, pour une institution plus que centenaire. Vous accompagnez la montée en puissance de la quatrième génération du feu en modifiant la dénomination de l'ONACVG. Nous vous suivrons volontiers.

L'ancêtre de l'ONACVG est issu de la fusion de trois offices - mutilés, pupilles de la Nation, combattants - en 1935. Puis la carte du combattant a été créée en 1926 et l'Office a pris son nom actuel en 1946. Les évolutions font partie de son histoire.

Vous souhaitez que la modernisation se concrétise par un nouveau nom. J'y suis favorable, mais il faut surtout convaincre les ressortissants. Je vous sais gré d'avoir sollicité les associations et fédérations et d'avoir pris en compte leurs remarques.

Je suis également favorable à une entrée en vigueur différée.

Soyons à la hauteur de la reconnaissance que nous devons au monde combattant et de la volonté collective de faire vivre la mémoire. (Applaudissements sur les travées du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur le banc de la commission.) Ce texte a reçu l'assentiment de tous. C'est important à l'heure où la France connaît des fractures profondes : les sujets mémoriels doivent nous rassembler et nous fédérer.

Au-delà du changement de nom, il convient d'actualiser la reconnaissance des combattants et de leurs familles - et ce, quelle que soit la génération du feu. On constate un manque de liens entre les appelés des conflits passés et les engagés d'aujourd'hui, professionnels.

Nous devons également mieux accompagner les enfants et les veuves et veufs des combattants de la quatrième génération du feu, ainsi que les enfants des victimes d'attentats.

Ceux qui ont participé aux OPEX doivent être mieux reconnus. Il faut leur délivrer davantage de cartes du combattant. Je tiens à saluer l'action de nos anciens collègues Charles Revet et Patricia Morhet-Richaud qui ont tant fait pour que ces combattants soient mieux accompagnés par l'ONACVG.

Le changement de nom, approuvé par les associations, accompagnera la nécessaire modernisation de l'Office : la nouvelle dénomination reflétera le monde combattant dans son intégralité.

Je salue à cette occasion le travail remarquable des associations, que Jocelyne Guidez a entendues. Elles constituent un maillon indispensable de notre devoir de mémoire. Le groupe Les Républicains votera ce texte.

Pour conclure, je crois nécessaire d'améliorer notre travail mémoriel. L'histoire a besoin de stabilité. Cessons de vouloir rendre l'histoire forcément contemporaine, au risque d'erreurs d'interprétation. Cessons de stigmatiser notre propre pays. Comment, sinon, attacher les jeunes générations à notre destin commun ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Martin Lévrier applaudit également.)

M. Jean-Pierre Decool .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) L'ONACVG existe dans sa forme actuelle depuis 1946. Si le nombre de ses ressortissants diminue régulièrement, l'Office soutient toujours trois millions de personnes : attribution des cartes et titres, des mentions « mort pour la France », « mort au service de la France » ou « mort en déportation » ; accompagnement moral et matériel des pupilles de la Nation ; travail mémoriel, car il est important d'associer les jeunes générations aux cérémonies.

Cette proposition de loi renomme donc l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre en Office national du monde combattant et des victimes de guerre, pour mieux prendre en compte les soldats ayant servi en OPEX.

Je salue cette solution qui maintient la sonorité actuelle, même si la notion de monde combattant était intéressante, incluant l'ensemble des acteurs du travail mémoriel.

« Mal nommer les choses, c'est participer au malheur du monde » disait Camus : notre groupe votera ce texte, dont je suis cosignataire et dont la portée n'est pas uniquement symbolique.

J'avais moi-même déposé une proposition de loi pour que tous les titulaires de la carte de combattant puissent avoir le drapeau tricolore sur leur cercueil. Je remercie Florence Parly d'avoir accédé à ma demande avant même que le texte vienne en discussion.

Les liens entre l'armée et la Nation sont fragiles : n'oublions pas la reconnaissance et le soutien que nous devons aux combattants. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du RDPI et du RDSE)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'ONACVG, qui oeuvre depuis 1946 auprès des anciens combattants et de leurs familles, doit représenter l'ensemble des combattants. Or c'est moins le cas depuis l'arrivée de la quatrième génération du feu. Ces engagés sont plus jeunes, plus féminisés, plus divers et ont un rapport professionnel à leur mission.

Aussi, l'ONACVG doit s'adapter aux demandes de ces nouveaux ressortissants en matière de retour à la vie civile et professionnelle. Dommage, du reste, que les engagés en opérations intérieures ne soient pas inclus dans les bénéficiaires.

Nous regrettons le maintien d'une notion de genre dans la dénomination choisie, ce que le choix d'une référence au « monde combattant » aurait évité.

Car il faudrait au contraire favoriser la féminisation de l'armée. Les femmes ne représentent encore que 16,7 % des engagés et moins de 10 % des officiers, en dépit du lancement du plan Mixité par le ministère en mars 2019.

Les chiffres restent insatisfaisants, même si l'armée française est la quatrième armée la plus féminisée du monde. Malgré cette réserve purement sémantique, le GEST votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. Martin Lévrier .  - Les visages parfois jeunes des vieilles photographies de guerre nous semblent à la fois proches et éloignés. Fantassins en pantalon rouge de la Marne, tankistes de la ligne Maginot et soldats de la quatrième génération du feu ont pourtant de nombreux points communs, à commencer par le sens du don de soi. Notre passé doit beaucoup à leur engagement ; notre futur dépend de leur courage.

Les ressortissants de l'ONACVG sont multiples, anciens combattants, militaires en service, victimes civiles. Je salue l'engagement de nos soldats actuellement sur les théâtres d'opérations extérieures. Depuis cinquante ans, 647 militaires français y ont trouvé la mort. Le 11 novembre 2019, un monument en hommage à ces soldats morts pour la France, en Irak, en Syrie, en Centrafrique ou encore au Sahel, a été inauguré.

La proposition de loi vise à adopter une approche plus contemporaine et à mieux prendre en compte cette nouvelle génération du feu. Je salue le travail de compromis mené. Le changement de nom était déjà envisagé dans l'actuel contrat d'objectifs et de performance, mais avec une transformation en 2025 seulement, en fin de période.

Ce texte exprime la reconnaissance du pays tout entier à l'égard des combattants. Ce ne sont pas les conflits qui méritent notre reconnaissance, mais les hommes et les femmes qui s'y sont engagés, s'y engagent ou s'y engageront. N'oublions jamais le sacrifice de ceux qui donnent leur vie pour leur patrie. Le groupe RDPI votera cette proposition de loi, trait d'union entre le passé, le présent et l'avenir que nous offrirons à notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI)

M. Éric Gold .  - Il y a treize ans, le dernier poilu de la Grande Guerre, Lazare Ponticelli, disparaissait, et avec lui le monde de ceux de 1914, si bien décrit par Maurice Genevoix. Peu à peu les anciens de la Seconde Guerre mondiale nous quittent. Les anciens d'Algérie sont encore nombreux mais bientôt, la quatrième génération du feu sera la seule représentante des anciens combattants.

Le groupe RDSE approuve le changement de dénomination proposé. Ce nouveau nom colle mieux aux évolutions du monde combattant. La notion d'ancien combattant est réductrice et moins exacte au plan sociologique.

L'ONACVG devra revoir ses missions, notamment pour développer les actions de réinsertion dans la vie civile, rejoignant les préoccupations des militaires. Les carrières courtes garantissent une armée jeune et opérationnelle mais en contrepartie, un effort de réinsertion professionnelle s'impose.

Certaines associations représentent tous les anciens combattants, d'autres sont issues de tel ou tel conflit ; elles fusionnent parfois pour pouvoir perdurer, le nombre de leurs adhérents diminuant.

Depuis 2019, un monument dans le parc André Citroën à Paris rend hommage à nos militaires tombés en opérations extérieures. Il faudra réfléchir aux moyens de mieux associer notre jeunesse au devoir mémoriel, porteur de valeurs essentielles. Le groupe RDSE votera cette proposition de loi consensuelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Cette proposition de loi centriste modifie l'intitulé de l'ONACVG. C'est l'occasion pour le Sénat d'envoyer un message symbolique.

Le 2 février 2021, deux soldats français ont été tués au Mali, nous rappelant que le monde combattant, ce sont de nombreux militaires engagés sur des théâtres extérieurs divers : Tchad, Afghanistan, Côte d'Ivoire, Liban, opération Barkhane au Sahel et dans le Sahara.

Nous partageons le souci d'une modernisation de l'Office. Le changement de nom était une revendication des associations, même si nous regrettons que le nouvel intitulé ne tienne pas compte de la féminisation de l'armée. Les femmes sont désormais 32 000 au sein de notre armée, soit 20 %. C'est la quatrième armée la plus féminisée au monde : le mot de « combattantes » aurait donc pu être ajouté.

Néanmoins c'est la politique de reconnaissance et de réparation qui doit nous mobiliser. Combien d'années avant que notre pays n'accord aux chibanis et aux tirailleurs sénégalais leurs droits d'anciens combattants...

Les moyens humains de la sous-direction des pensions de La Rochelle doivent être renforcés pour traiter les demandes de revalorisation.

La demi-part fiscale des veuves et veufs de guerre, supprimée en 2009, n'a été rétablie qu'après dix ans. Ces économies sur le dos des anciens combattants et de leur famille vont à l'encontre de la reconnaissance !

L'engagement des militaires dans le passé doit servir pour le présent. Sachons reconnaître l'action mémorielle des associations ; je pense notamment à l'Association républicaine des anciens combattants (ARAC) fondée par Henri Barbusse et Paul Vaillant-Couturier : leur journal Le Réveil des combattants est en difficulté, alors qu'il est l'héritier de la lutte contre le fascisme.

Le groupe CRCE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST et sur le banc de la commission.)

Mme Victoire Jasmin .  - J'ai un immense respect pour tous ceux et toutes celles qui se sont battus et se battent encore pour notre sécurité. Je remercie Jocelyne Guidez pour cette proposition de loi qui nous donne l'occasion de saluer le courage et l'engagement de nos soldats.

L'action de notre collègue Jean-Marc Todeschini, ancien secrétaire d'État, doivent être saluées. La transmission de la mémoire aux jeunes générations est une manière pour eux d'apprendre à être citoyens.

La modification du nom de l'ONACVG va au-delà du symbole. Elle marque notre attachement à cet opérateur centenaire, dont nous souhaitons voir renforcées les missions de proximité. Je remercie ses agents et les associations pour leur action au service des anciens combattants, mais aussi des pupilles de la Nation et des victimes du terrorisme.

Conserver la marque et le sigle était indispensable pour les milliers de personnes qui y sont attachées.

Le groupe SER est favorable à ces adaptations qui permettront de mieux reconnaître les troisième et quatrième générations du feu, dont les attentes ne sont pas les mêmes que celles de leurs aînés.

L'ONACVG doit maintenir son haut niveau de service et son maillage territorial, notamment outre-mer. Les associations de Guadeloupe demandent plus de proximité. Depuis les dissidents antillais de la France libre, l'armée attire de nombreux jeunes de nos départements, souvent séduits par le régiment du service militaire adapté (RSMA).

Comment ne pas avoir une pensée pour le jeune caporal Loïc Liber, seul survivant du terroriste Mohammed Merah, pour qui j'ai demandé, avec d'autres, la légion d'honneur ?

Les anciens combattants d'outre-mer qui ont tant donné pour la France vivent parfois mal leur retour sur la terre natale, où ils font face à la précarité.

Le groupe SER votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et du RDPI ; M. Roger Karoutchi applaudit également.)

M. Alain Duffourg .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition d'initiative centriste, qui fait consensus, a été élaborée par Jocelyne Guidez en concertation avec les associations et le ministère.

Le changement d'appellation est un symbole, mais les symboles comptent. Il n'altère pas la valeur du sigle pour les anciens combattants.

La carte d'anciens combattants est délivrée à tout militaire engagé sur un théâtre d'opérations pendant au moins quatre mois. Mais l'expérience de ceux qui ont choisi le métier des armes est inévitablement différente de celle des appelés ou rappelés. La Grande Guerre a fait 1,5 million de morts et disparus en France. Puis il y eut la Seconde Guerre mondiale, la guerre d'Indochine, la guerre d'Algérie. Les 36 000 anciens combattants de ce dernier conflit atteignent les 80 ans. Si 1,5 million de Français y avaient été appelés, auxquels il faut ajouter 80 000 harkis, 25 000 n'en revinrent pas. Rendons-leur hommage.

La quatrième génération est formée de professionnels. Les guerres actuelles ont changé de visage ; elles se déroulent souvent sous l'égide de l'ONU, en Asie ou en Afrique.

Le changement de dénomination de l'ONACVG me semble opportun. Nous comptons 1 million de titulaires de cartes de combattants mais 30 000 ne l'ont pas demandée. Il faut sensibiliser les jeunes, redonner un souffle nouveau à l'Office.

N'oublions pas que ces militaires vont revenir à la vie civile ; il faut les accompagner. N'oublions pas non plus les blessés, les veuves et les orphelins.

Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements)

La séance, suspendue à 15 h 25, est reprise à 15 h 30.