Avenir du régime de garantie des salaires

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues, relative à l'avenir du régime de garantie des salaires, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Serge Babary, auteur de la proposition de résolution .  - Le groupe Les Républicains du Sénat - conjointement avec celui de l'Assemblée nationale - souhaite sonner l'alarme, dans un esprit constructif. Le contexte économique et social ne permet aucun faux pas.

Nous devons nous interroger sur l'opportunité de modifier la loi, car l'instabilité juridique est contreproductive. Face au mur des faillites, pourquoi prendre le risque de déstabiliser le régime de garantie des salaires ? Quelque 750 000 emplois sont menacés. Euler Hermes nous annonce une augmentation de 32 % des défaillances des entreprises en 2021 et selon la Coface, 22 000 entreprises risquent de mettre la clé sous la porte, après n'avoir survécu que grâce aux aides.

Alors pourquoi cette réforme ?

Le Parlement avait autorisé le Gouvernement, par la loi Pacte de 2019, à transposer la directive européenne Restructuration et insolvabilité. Mais le Gouvernement va plus loin que les ajustements nécessaires, et propose un nouvel agencement de l'article L. 643-8 du code de commerce, débouchant sur une rétrogradation de la créance superprivilégiée des salaires de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances de salariés (AGS).

Les procédures collectives font intervenir plusieurs acteurs sous l'autorité du tribunal de commerce : entreprise, administrateurs et mandataires judiciaires, praticiens de la procédure, créanciers...

Le régime de garantie des salaires, créé en 1973 par les employeurs - qui le financent - permet le maintien des salaires dans les entreprises en difficulté. L'AGS avance les créances salariales : salaires, indemnités de licenciement ou congés payés. La récupération des sommes est permise par le superprivilège de l'AGS.

Cette spécificité française est essentielle au droit des entreprises en difficulté et à la préservation de l'emploi ; il est impératif de la conserver. L'AGS est un amortisseur social qui préserve l'avenir.

Le projet d'ordonnance prévoit que la récupération des salaires interviendrait après le paiement des « frais de bon déroulement de la procédure », bénéficiant principalement aux administrateurs et mandataires judiciaires (AJMJ) et aux experts. Mais depuis plus de vingt ans, ces frais de procédure sont critiqués pour leur niveau excessif et leur manque de transparence et de contrôle. Les abus de certains jettent l'opprobre sur tous, et sont régulièrement dénoncés, depuis Arnaud Montebourg en 2001 jusqu'à Richard Ferrand ou l'Autorité de la concurrence.

Ce projet d'ordonnance, choquant dans le contexte actuel, menace la pérennité économique de l'AGS, qui perdrait de 300 à 400 millions d'euros par an. Elle n'aurait que deux options pour y répondre : réduire le périmètre de prise en charge ou tripler le taux de cotisation des entreprises - ce qui est inacceptable en période de crise.

La délégation sénatoriale aux entreprises est unanime pour condamner ce projet de réforme. Où est l'intérêt général dans cette démarche ?

La mission confiée à René Ricol a réintroduit un peu de bon sens. Nous saluons sa sagesse. Maintenons le superprivilège de l'AGS pour garantir la pérennité de notre système, l'un des plus protecteurs en Europe.

Ce sujet doit être traité dans un projet de loi et non subrepticement dans une ordonnance : le Sénat sera heureux de s'y associer, notamment avec les travaux de la commission des lois sur les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises, qui seront présentés le 19 mai.

Comme le suggère René Ricol, il faut élargir le débat au rôle de l'AGS dans le reclassement des salariés ou dans les procédures de prévention, ou à son intervention auprès des groupements d'employeurs, moins solides financièrement. Par ailleurs, pourquoi ne pas inclure les indépendants dans le système de garantie ?

Renforçons la transparence et le contrôle des frais des professionnels intervenant dans les procédures collectives, et créons un cadre pour faire évoluer les pratiques.

Enfin, pourquoi ne pas prévoir une procédure simplifiée et accélérée, comme notre délégation l'a proposé il y a déjà trois ans à la suite du rapport d'Olivier Cadic sur la liberté d'entreprendre ?

Nous espérons que le Gouvernement nous rassurera sur la mise en oeuvre des préconisations de René Ricol, en amont de la ratification de l'ordonnance.

La situation économique est grave : votons cette proposition de résolution pour défendre la pérennité du système de garantie des salaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Canevet applaudit également.)

Mme Colette Mélot .  - Le régime éprouvé de garantie des salaires est essentiel pour le monde économique.

Nous avons la chance de disposer d'un des systèmes les plus protecteurs d'Europe, qui garantit le versement des salaires lorsqu'une entreprise est en procédure collective par un double financement : cotisations patronales et créances sur l'entreprise. Ces dernières représentaient 36 % des ressources de l'AGS en 2019, grâce au superprivilège qui la place au troisième rang des créanciers.

Cette pratique est remise en question en raison d'un conflit ouvert entre l'AGS et les administrateurs et mandataires judiciaires : à la suite de plusieurs abus, l'AGS refuse de leur restituer les avances de fonds pour frais de justice et de procédure.

La transposition de la directive Restructuration et insolvabilité rétrograde l'AGS du troisième au sixième rang des créanciers, au profit des administrateurs et mandataires judiciaires.

Le financement de la garantie des salaires serait ainsi compromis, alors que la crise sanitaire a entraîné une baisse de 9 % des comptes de l'AGS en raison du chômage partiel et qu'elle fragilise l'ensemble du monde économique.

Les défaillances d'entreprises ont explosé en mars, en hausse de 155 %. L'allongement des délais de déclaration de cessation de paiement a décalé les procédures judiciaires. La Banque centrale européenne (BCE) anticipe une vague d'insolvabilité. Avec la fin des aides, la France pourrait compter 22 000 entreprises non viables.

Il est indispensable de conserver le système AGS, institué par la loi du 27 décembre 1973, qui paie chaque année les salaires de 150 000 salariés, joue un rôle d'amortisseur social et contribue au financement des entreprises en faillite.

René Ricol préconise de maintenir la priorité des salaires sur les honoraires des administrateurs et mandataires judiciaires. Oui, le superprivilège des salariés doit être conservé : c'est pourquoi le groupe INDEP votera la proposition de résolution.

Mme Raymonde Poncet Monge .  - Le rapport Ricol sur le projet d'ordonnance du ministère de la Justice, qui transpose la directive Restructuration et insolvabilité, confirme que ce projet rétrograderait l'AGS dans l'ordre des créanciers, alors que rien dans la directive n'y oblige.

La proposition de résolution vise à maintenir le droit actuel, ce que le GEST souhaite aussi. C'est un outil efficace de protection des salariés.

Toute rétrogradation du rang des créanciers réduirait la récupération des avances consenties, alors que les trois quarts sont des avances superprivilégiées. Les autres avances sont plus faiblement récupérées, ce qui explique un taux de couverture final de 37 %.

La baisse du taux de couverture des avances par les récupérations de créances déséquilibrerait le régime.

Le plafond de garantie risque d'être abaissé, certaines créances salariales comme les congés payés ou les dommages et intérêts pourraient être exclus, et le taux de cotisation des entreprises, qui s'établit depuis 2017 à 0,15 % de la masse salariale, pourrait augmenter de nouveau : il avait atteint 0,4 % après deux hausses en 2009.

La modification de l'ordre des créances risque de faire basculer le système dans le déséquilibre au moment où les défaillances d'entreprises vont se multiplier, avec un effet ciseau : les cotisations baissent avec la crise, or les 22 000 défaillances d'entreprises prévues feront augmenter les avances. L'Observatoire français des conjonctures économiques prévoit une perte de 180 000 emplois en 2021. Certains craignent un véritable tsunami social.

La crise ne doit pas être aggravée par cette réforme ! Le maintien du superprivilège de l'AGS n'est pas négociable.

Les frais de justice doivent être plus transparents et mieux contrôlés.

Pour défendre les droits des salariés, le GEST votera la proposition de résolution.

M. Martin Lévrier .  - Cette proposition de résolution témoigne d'une préoccupation des parlementaires pour nos entreprises dans un climat à haut risque de faillites. Les articles 60 et 196 de la loi Pacte prévoient la transposition de la directive par ordonnance. Tous les acteurs doivent être associés à leur élaboration.

L'AGS est un régime réactif et efficace qui, en 2019, a versé 1,5 milliard d'euros à 182 000 salariés, en moins de cinq jours en moyenne. Il ne coûte rien aux contribuables. Son équilibre financier repose sur son superprivilège dans l'ordre de réorganisation des créances, mais cet ordre n'est pas explicite actuellement.

Les administrateurs et mandataires judiciaires jouent aussi un rôle essentiel, comme le souligne René Ricol. L'équilibre avec l'AGS est nécessaire et doit être protégé.

La rétrogradation de l'AGS risque de réduire les sommes allouées à la garantie des salaires.

Mais ce déclassement doit être relativisé car la réalité est complexe. Le droit actuel n'est pas toujours clair et lisible. Toutes les parties prenantes doivent être entendues.

Les résolutions sont une voie d'affirmation du Parlement, différente de l'initiative législative. Celle-ci concourra à l'amélioration de l'avant-projet d'ordonnance, que le Gouvernement entend retravailler en tenant compte du rapport Ricol. Le Premier ministre a réaffirmé son attachement à l'AGS : la proposition de résolution nous paraît donc satisfaite sur ce point, d'autant que le Gouvernement agit massivement pour prévenir les défaillances d'entreprises, avec notamment la prolongation du Fonds de solidarité.

Nous voterons donc contre la proposition de résolution.

M. Fabien Gay .  - L'AGS, quoiqu'imparfaite dans sa gestion, est fondamentale pour les salariés et les entreprises. Elle est menacée par une réforme combattue par les syndicats et les organisations patronales. Je remercie le groupe Les Républicains pour son initiative.

Le système de garantie créé en 1973 a versé 1,5 milliard d'euros d'avances en 2019 à 182 000 salariés, généralement versées en cinq jours.

L'AGS a été créée pour protéger les salariés, et non les frais de justice. Conservons son but initial.

Les salariés sont en première ligne dans cette crise : on ne compte plus les licenciements ces derniers mois. Les indemnités chômage de plus d'un million de salariés vont baisser, rappelait l'Unedic hier. Et s'y ajoute votre réforme inique de l'assurance chômage.

Madame la ministre, vous soufflez sur les braises de la colère sociale ! Les ressources de l'AGS sont constituées à 25 % des remboursements des créances des entreprises, car elle est prioritaire. L'AGS ne coûte rien à l'État. Sa gestion mérite certes d'être réformée - il faudrait débattre notamment de sa composition non paritaire ou de l'absence de droit de regard de l'Unedic. Au lieu d'améliorer la transparence et la gestion, vous changez le but de l'AGS.

Les organisations patronales et salariales sont fermement opposées à votre projet. Vous mélangez transposition et surenchère en modifiant l'ordre des créanciers au profit des administrateurs judiciaires et des banques, alors que rien dans la directive n'y oblige.

Il faut davantage de transparence sur les frais de justice. Votre deuxième mouture conserve le rang de l'AGS mais place les frais de justice au deuxième rang, ce qui revient au même ! Au lieu de déstabiliser le système, créons un fonds de garantie dédié ! Votre réforme s'attaque aux fonds propres de l'AGS dans un contexte d'augmentation des dépôts de bilan. Cela pourrait conduire à tripler le montant des cotisations !

L'ordonnance du 20 mai 2020, qui autorise le rachat de sa propre entreprise en liquidation, a déjà affaibli l'AGS, obligée de payer les salaires d'entreprises liquidées comme celles du groupe Mulliez...

Le groupe CRCE votera cette proposition de résolution avec grand plaisir.

M. Jean-Pierre Moga .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie les auteurs de la proposition de résolution pour leur vigilance. Les salaires dans les entreprises en difficulté doivent continuer à être versés. Cette question va se poser avec de plus en plus d'acuité, le Parlement ne peut s'en désintéresser.

Avec une rare unanimité, syndicats et patronat ont dénoncé un projet de réforme qui déstabiliserait notre régime de garantie des salaires.

Cette proposition de résolution traduit une réelle inquiétude et le souhait de maintenir cet amortisseur social.

La rétrogradation de l'AGS dans l'ordre des créanciers est difficilement acceptable. La perte de 320 millions d'euros qui en résulterait nécessitera soit d'augmenter la cotisation patronale, soit de réduire les garanties apportées aux salariés.

Je suis également favorable à l'ouverture de la protection aux indépendants qui manquent cruellement de filet de sécurité.

La loi Pacte prévoyait-elle vraiment une telle réforme ?

Madame la ministre, comment allez-vous prendre en compte les recommandations de René Ricol ?

L'AGS est un mécanisme de démocratie sociale dont nous pouvons être fiers. Le groupe UC votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Serge Mérillou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis un an, notre pays est frappé par une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent. Notre économie est sous cloche ; les mesures de soutien remplissent leur rôle et le taux des faillites a diminué de 37 % en 2020, mais nous repoussons l'inévitable.

Une fois la perfusion arrachée, de nombreuses entreprises fermeront ou licencieront. Quelque 175 000 emplois sont menacés, selon l'OFCE. Les faillites pourraient passer de 2,3 % à 12,1 %, soit 250 000 emplois menacés...

Il faut protéger les Français qui perdront leur emploi. Mais le Gouvernement a un curieux sens du timing : il met sur la table ce projet d'ordonnance qui fait passer les salaires après les administrateurs et mandataires judiciaires. Quel sens des priorités !

C'est aberrant, mais cohérent avec votre réforme inacceptable de l'assurance chômage, en pleine crise économique... Le Gouvernement rassemble syndicats et patronat contre lui.

L'AGS remplit un rôle d'amortisseur social. Sa rétrogradation dans l'ordre des créanciers la mettrait en difficulté. Nous demandons le retrait de ce projet inopportun et inapproprié.

Notre régime de garantie des salaires est parmi les plus protecteurs d'Europe. Depuis 2010, plus de 2,4 millions de salariés en ont bénéficié : nous devons le conserver et l'améliorer.

Le superprivilège est plus que jamais nécessaire. S'il était supprimé, les recettes de l'AGS seraient amputées. Cela conduirait à une baisse de la prise en charge ou à une hausse des cotisations, de l'ordre de 300 %. Aucune de ces options n'est raisonnable en période de crise.

Selon les syndicats, rien dans la directive européenne ne justifie cette modification de la hiérarchie des créanciers.

René Ricol dénonce la rétrogradation de l'AGS, appelle à clarifier l'ordre de priorité des créanciers et à conserver l'actuel superprivilège des créances salariales.

Le groupe SER partage les craintes des salariés et des entreprises : il votera cette proposition de résolution qui envisage aussi la protection des indépendants.

La gestion de l'AGS est qualifiée par les syndicats de salariés de « boîte noire » dont le patronat fait ce qu'il veut : il faut plus de transparence et une meilleure prise en compte des syndicats de salariés. À l'heure où la réforme de l'assurance chômage est contestée, la réforme de l'AGS serait une faute politique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Créée en 1973 à l'initiative de Georges Pompidou, l'AGS est un dispositif unique en Europe. Elle bénéficie d'un superprivilège qui garantit le remboursement de ses créances. Or ce dernier est aujourd'hui menacé par un projet d'ordonnance du ministère de la Justice : c'est inacceptable. La République doit protéger les plus fragiles ; vous faites l'inverse.

L'AGS risque de ne plus être en mesure de garantir les salaires. Le Gouvernement prétend diminuer les impôts des entreprises, mais au détour d'une telle réforme, il augmente leurs cotisations ! Cette proposition de résolution s'oppose vigoureusement à l'évolution proposée.

La fin du « quoi qu'il en coûte » risque de conduire à des défaillances d'entreprises. L'ampleur du mur des faillites est encore incertaine. À Saint-Quentin, dans l'Aisne, le tribunal de commerce a vu son activité baisser, mais les juges et les agents craignent une situation pire qu'en 2008 ; l'AGS avait alors dû doubler ses cotisations pour les porter à 0,4 % de la masse salariale.

Malgré la baisse de 33 % du nombre d'affaires, les cotisations ont baissé de 9 % en raison du chômage partiel. Pour faire face à ce pic prévisible de faillites, l'AGS a contracté trois emprunts pour 1,5 milliard d'euros, à rembourser en 2023.

Le calendrier du Gouvernement est incompréhensible. La loi Pacte vous contraint à prendre l'ordonnance rapidement ? Que ne laissiez-vous jouer le débat parlementaire ! La situation d'un salarié qui gagne le smic n'est pas comparable à celle d'une banque : il doit être rémunéré à tout prix. Conservons le superprivilège, et élargissons aux indépendants.

Notre proposition de résolution en appelle au bon sens : pourquoi changer un système qui fonctionne et n'impacte pas les finances publiques ? Le président de l'AGS déplore que l'on fragilise un système socialement généreux et financièrement vertueux.

Pour tenter d'apaiser la situation, le Premier ministre a commandé un rapport à René Ricol qui va dans notre sens. J'espère que vous suivrez sa proposition de maintien du superprivilège des salariés. Ce serait un signal fort pour les salariés touchés par la crise.

Le groupe Les Républicains votera cette proposition de résolution, et espère être entendu du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Michel Canevet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie le groupe Les Républicains pour ce débat et tout particulièrement le président Serge Babary.

Le régime actuel de l'AGS - qui date de cinquante ans - est particulièrement vertueux : il est sans impact sur les finances publiques, car financé par des cotisations modiques sur les entreprises et des créances récupérées sur les entreprises en dépôt de bilan. Il est vital pour les petites entreprises de moins de dix salariés, qui représentent 86 % des entreprises aidées. La loi Pacte a institué la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Celle-ci doit prendre en compte les salariés.

Le régime de garantie des salaires est vertueux et opérationnel : les salaires sont versés en moins de cinq jours, et le niveau de prise en charge est élevé, jusqu'à 80 000 euros, contre 3 000 euros chez nos voisins européens.

Ce régime solide ne doit pas être remis en cause, mais mérite d'être amélioré avec la prise en charge des indépendants et une amélioration des procédures relatives aux liquidations judiciaires, afin de maintenir au maximum les entreprises en activité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue l'initiative du président Retailleau en faveur de l'AGS.

La situation économique de notre pays est très préoccupante, avec un déficit public supérieur à 9 % en 2020 et une dette publique qui atteint 120 % du PIB. La valse des milliards - 100 milliards d'euros selon notre commission des finances - est inquiétante. Certes, les conséquences sociales sont encore ténues. Chômage partiel, prêts garantis, atténuation des charges sociales : grâce aux dispositifs massifs mis en place par l'État, les entreprises ont pu tenir pendant les confinements ; cela perdure pour certains secteurs.

Les procédures collectives ont diminué de 32 % en 2020, mais ne nous fions pas à ce chiffre : le plus difficile est devant nous. Olivier Dussopt a annoncé mi-avril la fin progressive du « quoi qu'il en coûte », qui aura des conséquences. Le taux de liquidation directe des entreprises après jugement est passé de 66 % avant crise à près de 80 %, dont une majorité de très petites entreprises.

Certaines ne pourront pas s'en remettre ; dans cette casse sociale, tout doit être fait pour assurer la reconversion des salariés.

La France dispose depuis 1973 d'un système intelligent, unique en Europe, grâce auquel les salariés continuent à toucher leur salaire pendant une procédure collective. Il est menacé par un projet d'ordonnance de la Chancellerie qui lui ferait perdre son superprivilège. L'AGS passerait ainsi du troisième au sixième rang des créanciers, avec un risque pour le maintien du versement des salaires.

Le président de l'AGS a dénoncé un coût pour le régime de près de 300 millions d'euros par an, soit les trois cinquièmes des sommes récupérées en 2020. La réforme arrive à un moment difficile pour l'AGS, qui devrait avoir à débloquer 2,5 milliards d'euros, soit le double que l'an dernier. Près de 98 000 salariés pourraient bénéficier de ce dispositif innovant.

Certaines choses fonctionnent bien en France. L'AGS, créée par le président Pompidou, en fait partie. Conservons-les !

Cette proposition de résolution est un appel à écarter une réforme hâtive et mal évaluée.

Au risque de licenciement et de faillite, n'ajoutons pas l'impossibilité de payer leurs salaires à ceux qui méritent une juste rétribution de leurs efforts ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Claude Requier .  - « L'affaire Lip a démontré qu'en cas de faillite, notre législation sacrifiait les travailleurs (...). C'est pourquoi le Gouvernement, avec le concours des partenaires sociaux, a l'intention de (...) faire en sorte que les travailleurs soient mieux défendus en pareil cas et qu'ils soient une priorité sur l'actif des sociétés ». Ces mots, prononcés par le Président Pompidou en septembre 1973, annonçaient la création de l'AGS. Celle-ci est un amortisseur social essentiel. En contrepartie, elle est privilégiée dans l'ordre des créanciers.

L'avant-projet d'ordonnance a donc provoqué une vive inquiétude. Si le ministère a voulu écarter les critiques des syndicats et du patronat, exceptionnellement unanimes, le rapport Ricol remis au Premier ministre a confirmé les craintes.

Le président du conseil d'administration de l'AGS a rappelé que l'équilibre du dispositif reposait sur une cotisation patronale de 0,15 % et sur la possibilité de récupérer prioritairement les créances, soit 400 à 500 millions d'euros par an. La rétrogradation entraînerait une perte de 200 à 300 millions d'euros en année pleine.

Les conséquences de la réforme dans une période où les faillites devraient se multiplier, - 45 000 prévues en 2021, plus de 60 000 en 2022 - sont très inquiétantes.

Pourquoi vouloir déstabiliser ce dispositif généreux au nom d'une directive européenne qui n'en demande pas tant ? Pourquoi rétrograder l'AGS ? Ce sont les salariés qui en pâtiront in fine.

Il est plus que jamais nécessaire de conserver une AGS qui a versé 1,9 milliard d'euros de salaires en 2019.

La proposition de résolution incite aussi à l'extension de ce régime aux indépendants. J'y souscris.

Le groupe RDSE votera cette résolution à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Serge Babary applaudit également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion .  - Depuis plus d'un an, la priorité du Gouvernement est - et restera - de prévenir les défaillances d'entreprises et la destruction d'emplois, grâce au fonds de solidarité, aux prêts garantis par l'État et à l'activité partielle, qui bénéficiait à 7,3 millions de salariés en mars, et encore 3 millions en avril. Le « quoi qu'il en coûte » est une réalité. Les secteurs de l'hôtellerie-restauration, du commerce et des services aux entreprises sont les premiers bénéficiaires.

Nous avons consacré 30 milliards d'euros à l'activité partielle en 2020 ; nous y consacrons 10 milliards d'euros supplémentaires cette année.

Plusieurs centaines de milliers d'emplois sont ainsi préservés.

Dans la perspective d'une levée progressive des restrictions sanitaires, Bruno Le Maire et moi-même menons des concertations. Sur l'activité partielle de longue durée, 52 accords de branche ont ainsi été signés, pour cinq millions de salariés. Le taux de prise en charge des salaires par l'État est élevé. Le Gouvernement prend toute la mesure de la situation économique.

Le régime de garantie des salaires, qui existe depuis près de cinquante ans, est innovant et protecteur et le Gouvernement y est attaché. C'est un véritable amortisseur des soubresauts de l'activité économique.

Financé uniquement par des cotisations patronales, le dispositif trouve son équilibre grâce à son superprivilège de récupération des avances sur salaires.

La directive Restructuration et Insolvabilité a provoqué des inquiétudes. Le projet initial pouvait faire craindre une rétrogradation du privilège de l'AGS. Or, celle-ci est fragilisée financièrement et pourrait être très sollicitée avec la fin de la crise.

Certains se sont émus de la priorité donnée aux frais de justice dans le remboursement des créances. Le sujet n'est pas simple : le paiement des salaires est une priorité, mais la survie de l'entreprise également, ce qui implique de rétribuer ceux qui la remettent à flot.

Début mars, le Premier ministre a demandé à René Ricol un rapport, remis le 15 avril. Le Gouvernement suivra largement ses recommandations. Nous maintiendrons le rang de l'AGS dans l'ordre des créanciers. Les administrateurs et mandataires pourront être écartés du superprivilège prévu par la directive. Pour éviter des frais de justice trop importants, le garde des Sceaux y apportera plus de transparence. Cela sera favorable au superprivilège de l'AGS. Les syndicats seront également invités à réfléchir à une évolution des taux de cotisation pour assurer l'équilibre du régime.

Nous soutenons votre résolution dans son objectif de préservation du régime.

Le Gouvernement est plus réservé sur le reste, notamment l'ouverture du régime à la reconversion des salariés et aux indépendants. Ces salariés disposent déjà d'un maintien de leur revenu à 75 % pour une formation de reconversion. L'AGS peut déjà intervenir sur les mesures légales du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) sans qu'il faille modifier son champ de compétences.

Si de nouvelles mesures d'accompagnement étaient assurées par l'AGS, les cotisations devraient augmenter.

Idem pour l'extension du dispositif aux indépendants, dont la garantie de revenus relève plutôt du régime assurantiel. On changerait la nature du régime. Je comprends la détresse des indépendants mais ne transformons pas la garantie salariale en garantie pécuniaire. Des mécanismes existent déjà pour les indépendants.

Avec Alain Griset, nous sommes ouverts aux propositions du Sénat et je suis prête à présenter les actions du Gouvernement pour la prévention des défaillances devant votre délégation aux entreprises. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

La proposition de résolution est adoptée.

La séance est suspendue à 15 h 50.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 heures.