Contrôle, régulation et évolution des concessions autoroutières

Mme le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières à la demande de la commission d'enquête.

M. Éric Jeansannetas, président de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières .  - C'est avec satisfaction que j'engage ce débat sur un sujet qui préoccupe nombre de nos concitoyens. Depuis leur privatisation en 2006, les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) font l'objet de controverses légitimes mais aussi parfois caricaturales. Dans quelles conditions s'est faite la privatisation ? Comment sont fixés les tarifs ? Que contiennent les avenants ? C'est pour apporter un éclairage objectif que la commission d'enquête que j'ai eu l'honneur de présider a été demandée.

Nous avons retracé l'historique, analysé les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires, et cherché à évaluer leur niveau réel de rentabilité.

Les autoroutes sont un bien commun, un outil d'aménagement du territoire, un passage obligé pour réaliser de longs trajets en voiture. Il s'agit à la fois d'un service public et d'un monopole économique. Était-il souhaitable de les privatiser ?

Avant même les privatisations décidées en 2006 par Dominique de Villepin, des ouvertures du capital avaient eu lieu depuis 2002. La majorité était d'ailleurs divisée sur le sujet. Le choix a été fait de récupérer en une seule fois 14,8 milliards d'euros pour réduire la dette de l'État et financer de nouvelles infrastructures, plutôt que de continuer à percevoir une rente en assumant les aléas économiques.

Il n'est pas question ici de refaire l'histoire, mais d'envisager l'avenir.

Notre commission d'enquête a conclu que les concessions en cours étaient trop longues, les dividendes versés atteindront 40 milliards d'euros en 2022. Impensable de les prolonger ; si elles devaient être renouvelées, il faudrait en réduire la durée.

Ce rapport, que nous souhaitons faire vivre, ne doit pas finir au fond d'un tiroir mais, dès à présent, préparer le débat.

M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières .  - Merci à Éric Jeansannetas et aux participants à la commission d'enquête. Ce rapport ne doit pas finir au fond d'un tiroir.

Notre but, monsieur le ministre, est d'aider le Gouvernement à négocier avec les sociétés historiques d'autoroutes dans l'intérêt général, celui de la collectivité et des usagers.

Il y a un péché originel : ne pas avoir modifié les contrats de concession au moment de l'ouverture au privé. Mal ficelés, ils étaient inadaptés à une délégation de service public, malgré les évolutions introduites en 2015. Cela explique le blocage juridique que certains dans cet hémicycle contestent.

Le premier pilier de notre stratégie est de mettre fin à la spirale infernale de l'allongement de la durée des concessions en échange de travaux.

Pour Vinci et Eiffage, la rentabilité attendue était atteinte dix ans avant la fin des contrats. Il y a donc matière à négocier des contreparties, notamment sur la modulation des tarifs.

Deuxième pilier : organiser un sommet des autoroutes. Il faut mettre les acteurs autour de la table pour définir l'équilibre économique et financier des contrats.

Troisième pilier : appliquer les pénalités prévues par le protocole de 2015 si les travaux n'ont pas été effectués dans les temps.

Enfin, il faut préparer la fin des contrats, inventorier les biens de retour, prévoir des clauses de revoyure, mieux associer les usagers et le Parlement. Les parlementaires ne sont pas des empêcheurs de tourner en rond. C'est ensemble que nous serons utiles et efficaces.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports .  - Les autoroutes font partie de la vie des Français. Beaucoup les empruntent chaque jour, elles ont un rôle structurant pour nos territoires et méritent mieux que des raccourcis et des débats simplistes.

Nos autoroutes sont un modèle de modernité, de confort et de sécurité ; la France peut se targuer d'avoir l'un des meilleurs réseaux autoroutiers du monde, si ce n'est le meilleur. Nous pouvons en être fiers.

Depuis la loi de 1955, votée en plein boom automobile, le monde a bien changé. Les contrats actuels doivent prendre fin entre 2031 et 2036. C'est l'occasion de faire un bilan critique de notre modèle de financement et de gestion des infrastructures, et de l'améliorer.

Le Sénat s'est saisi de cette question. Je salue la qualité de ses travaux ; nous partageons nombre de vos 38 propositions, et 60 % d'entre elles sont d'ailleurs déjà appliquées ou en cours de mise en oeuvre.

Nous divergeons toutefois sur vos estimations de rentabilité des concessions. Je note des biais méthodologiques et des écarts dans les projections. La période est complexe, certes, mais l'écart entre la réalité des comptes des sociétés et vos chiffres passe du simple au double, voire au triple. Les résultats sont très éloignés de ceux du rapport quinquennal de l'Autorité de régulation des transports (ART).

Enfin, je regrette la fausse polémique sur le plan de relance autoroutier de 2015, validé par la Commission européenne en 2014. Aucun calcul, aucune analyse robuste ne prouve une sur-rentabilité des sociétés autoroutières. Plutôt que d'entrer dans ce débat stérile, concentrons-nous sur l'amélioration des contrats.

Il faut d'abord mieux encadrer les concessions existantes jusqu'à leur terme. Le plan autoroutier et la loi Macron ont équilibré les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires. En cas de surprofit, les tarifs de péages sont revus à la baisse, ou la durée de la concession est réduite. L'État récupère les économies résultant des reports ou abandons de projets. Le rôle du Parlement a été renforcé. Enfin, l'ART rend des avis publics sur les projets d'avenants et de contrats ; elle publie une synthèse annuelle et un rapport quinquennal sur la rentabilité des contrats. Le premier a été publié en juillet 2020.

Les contrats passés depuis les années 2000, plus stricts, respectent globalement les préconisations de votre rapport.

Deuxième priorité : réfléchir à l'avenir des contrats de concessions, sans préjugé ni précipitation.

Première question : faut-il interrompre les contrats ?

Pour le Gouvernement, la réponse est non. Ce serait une gabegie financière - 47 milliards d'euros ! - une entrave au droit des contrats et une rupture de l'État de droit.

Faut-il, à l'inverse, les prolonger ? Les attentes des Français ont changé. Les contrats anciens doivent être modernisés en fonction de nouvelles priorités, environnementales et tarifaires. Concessions multimodales, régionalisées ou en partie gérées par l'État, tarifs segmentés, tout doit être envisagé, sans dogmatisme.

Le « concession-bashing » ne fait pas progresser le débat. Rappelons que les sociétés concessionnaires ont généré 50 milliards d'euros de recettes fiscales entre 2006 et 2018, et investi 20 milliards d'euros dans le patrimoine autoroutier. Sans le modèle concessif, de nombreuses infrastructures n'auraient pas vu le jour.

Je suis favorable sur le principe à un sommet des autoroutes. Nous avons besoin d'un cénacle pour débattre des perspectives, sans brider nos réflexions.

Mme le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Le débat doit impliquer les usagers, les collectivités territoriales et l'État. Il faut travailler sur la fin de vie des contrats, sans les plonger dans un coma artificiel. Les autoroutes doivent, mieux qu'avant, embrasser les enjeux environnementaux. Déjà, elles développent des bornes électriques, des péages en flux libre et travaillent sur l'accueil de nouvelles mobilités.

Mme Christine Lavarde .  - La rentabilité des actionnaires sera atteinte en 2022 selon la commission d'enquête, mais vous contestez ces chiffres. Si les nouveaux contrats sont mieux conçus, il a fallu attendre le plan de relance autoroutier en 2015 pour introduire des clauses de renégociation des contrats historiques en cas de surrentabilité. Mais elles se déclenchent à partir de seuils que l'ART, dans son rapport de juillet 2020, qualifie de « hautement improbables »... Comment rééquilibrer les choses ?

Le Gouvernement donnera-t-il les moyens à l'ART de mesurer la vraie rentabilité des sociétés concessionnaires ? Soutiendra-t-il la proposition de loi du Sénat qui durcit les clauses de péage et de durée endogène des contrats historiques ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Selon le rapport de l'ART, la rentabilité des contrats historiques se situe entre 6,4 % à 9,2 %, avec une évolution favorable, mais modérée depuis 2017. En moyenne, elle est de 7,8 % pour les contrats historiques.

Les 3,2 milliards d'investissements ont majoritairement porté sur des élargissements de section ou des modifications d'échangeurs. La compensation de ces travaux prévue par le plan de relance autoroutier a été confirmée le 24 octobre dernier par la Commission européenne.

La mission a conclu à une surcompensation à hauteur de 4 milliards d'euros - soit plus que la valeur des investissements du plan ! Nous ne partageons pas cette analyse. En cas de surperformance économique, les tarifs des péages ou la durée de la concession sont revus à la baisse. Les gains financiers découlant du report des investissements sont intégralement restitués au concédant. Enfin, l'ART dispose de moyens à la hauteur de ses missions.

Mme Christine Lavarde.  - Je n'ai aucune réponse à mes questions. S'il s'avérait que les chiffres de la commission d'enquête étaient exacts, que feriez-vous ?

L'ART dit elle-même que le mécanisme des clauses de retour à bonne fortune du concédant n'est mobilisable que dans des conditions hautement improbables.

M. Pierre Médevielle .  - L'évolution des concessions est évoquée régulièrement depuis des décennies, par tous les bords politiques.

J'avais, en 2015, refusé de signer le rapport du groupe de travail sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes, car le calcul de la rentabilité omettait le montant du rachat, autour de 22,5 milliards d'euros, et la reprise de la dette, pour 17 milliards.

Le rapport de la commission d'enquête ne tient pas compte de l'inflation depuis 2006, ni des pertes occasionnées par les confinements.

M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d'enquête.  - Il faut lire le rapport...

M. Pierre Médevielle.  - Si les concessions ont été prolongées, c'est que l'État n'a pas honoré ses engagements en matière d'investissements pour l'extension du réseau.

Le rachat des concessions coûterait autour de 50 milliards d'euros. Sans même parler de la crise que nous traversons, il faut aussi relever le risque de non-affectation des recettes pour l'entretien du réseau. L'État percevait une manne très faible des sociétés publiques...

Réfléchissons plutôt à des contrats plus équilibrés. La crédibilité de la parole de l'État est en jeu.

Mme le président.  - C'est fini.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Le bilan de notre modèle concessif est objectivement positif. En soixante-dix ans, nous sommes passés de 80 à 9 000 kilomètres d'autoroutes sécurisés et bien entretenus qui ont permis de désenclaver, de relier des territoires quand la voiture était le moyen de transport privilégié.

En plus de l'encadrement, le confinement nous apprend que le risque trafic peut se réaliser. Les sociétés concessionnaires ont perdu des milliards d'euros !

Je suis ouvert à la réflexion sur le futur modèle de gestion des autoroutes concédées, qui doit intégrer les enjeux sociaux et écologiques. Pourquoi pas des concessions multimodales ?

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le verdissement de nos autoroutes s'impose. Les concessionnaires doivent soutenir les mobilités à faible empreinte carbone, et ce sans contreparties financières. Ce n'est pas faire du « concession-bashing » que de constater l'indéniable rentabilité des sociétés d'autoroutes. On parle de 40 milliards d'euros d'ici 2036.

Le Gouvernement peut avancer cet argument pour verdir les tarifs et imposer une éco-conditionnalité dans les contrats, dans le prolongement de la LOM : déploiement de bornes de recharge électriques, voies dédiées au covoiturage et aux transports collectifs, privilège accordé aux véhicules vertueux, etc.

Comment amener les concessionnaires à adopter un cahier des charges ambitieux de décarbonation, conforme à l'accord de Paris ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Le tournant écologique a été pris au début des années 2000. Quelque 400 millions d'euros d'investissement ont été réalisés dans le cadre des plans de relance autoroutiers de 2015 et 2018 : ouvrages de protection de la biodiversité, assainissement, réduction du bruit, etc.

Nous accélérons le déploiement des bornes électriques. Quelque 60 % des aires en seront prochainement équipées.

Nous accompagnons la transition écologique. Je sais les concessionnaires engagés sur le sujet.

Mme Patricia Schillinger .  - Avec un maillage autoroutier de 9 500 kilomètres, le réseau français se situe en pole position en Europe. Symbole du modernisme des Trente glorieuses, ce réseau, concédé à 90 %, a perdu de sa superbe. Il doit se réinventer pour répondre aux nouvelles exigences environnementales.

Il ne s'agit pas de renationaliser les autoroutes, mais de rééquilibrer les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires, notamment sur la question des mobilités vertes. Il faut investir en faveur du covoiturage, des parkings relais, des transports collectifs. Le projet de loi Climat Résilience sera l'occasion d'en débattre.

Comment comptez-vous accompagner les SCA en ce sens ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Nous avons lancé un grand plan de déploiement des bornes électriques sur le réseau concédé et non concédé, pour permettre l'itinérance : 60 % des aires seront équipées à la fin de l'année, 100 % fin 2022. L'État investit à cet effet 100 millions d'euros du plan de relance ; les concessionnaires, 500 millions d'euros, sur une durée très courte. Preuve d'un bon équilibre contractuel au service des Français, qui augure bien de l'avenir.

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Vous le contestez mais le rapport de la commission d'enquête estime que les dividendes des sociétés concessionnaires atteindraient 40 milliards d'euros en 2022. La privatisation de 2006 s'est faite au détriment du contribuable mais aussi des usagers des autres modes de transport et des investissements sur d'autres axes routiers ou ferroviaires.

Dans son référé de janvier 2019, la Cour des comptes a pointé un risque de surinvestissement sur le réseau, qui contraste avec le sous-investissement sur le réseau non concédé.

Aussi, j'adhère à la recommandation 3 du rapport sur l'amélioration du service rendu aux usagers. Outre le verdissement des tarifs des péages, les sociétés concessionnaires doivent contribuer davantage au financement des autres infrastructures de transport. Le Gouvernement compte-t-il les y inciter ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Entre 2006 et 2018, les sociétés concessionnaires ont versé 50 milliards d'euros de recettes fiscales et apporté 10,5 milliards d'euros à l'Afitf, soit un tiers de son budget, au bénéfice de nombreux projets, notamment ferroviaires. C'est un système vertueux.

Le réseau non-concédé a en effet pâti d'un sous-investissement chronique. Depuis 2017, nous augmentons progressivement ce budget, de 700 millions d'euros à un milliard. Un grand projet est en cours sur les ponts connectés, pour un meilleur entretien du patrimoine.

La loi d'orientation des mobilités est équilibrée et financée ; le plan de relance consacre 11 milliards d'euros aux transports. C'est une réponse volontariste !

M. Éric Bocquet .  - Le Sénat a fait oeuvre utile avec cette commission d'enquête. Son rapport constitue un point d'appui pour mener le combat pour le retour de l'État stratège dans l'aménagement des territoires.

Le scandale dure depuis trop longtemps. Les sociétés concessionnaires sont des machines à cash : même en temps de crise, les dividendes s'élèvent à 2 milliards d'euros ! Depuis 2006, 24 milliards d'euros ont été distribués - un pognon de dingue !

Pourtant, l'État n'est pas impuissant. L'article  31-31-5 du code de la commande publique prévoit que les concessionnaires remettent à l'État un rapport sur l'inventaire du patrimoine autoroutier. Il n'a jamais été rendu. Pourquoi l'État ne fait-il pas respecter ses droits au nom de l'intérêt public ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - L'inventaire du réseau est un enjeu clé, car il est lié à la définition du bon état cible du réseau en fin de concession. Le patrimoine autoroutier français est estimé à 150 milliards d'euros. Sans entretien, il se détériore. Les concessionnaires ont la responsabilité des travaux, contrôlés par l'État.

Trois chantiers ont été engagés : dresser l'inventaire du patrimoine concédé, en mesurer l'état fonctionnel et définir le bon état cible en fin de contrat. Déjà, ce travail a été réalisé pour les ponts de Tancarville et de Normandie.

Les contrats historiques seront traités sept ans avant la fin de leurs concessions respectives. Je souhaite que le ministère continue d'assurer cette mission.

M. Éric Bocquet.  - Je n'ai pas eu de réponse sur la non-remise du rapport annuel...

Tout est ubuesque dans ce dossier, de la conclusion des contrats aux sous-délégations, des tarifs des péages aux surcompensations.

Le décret de 1995 indexant les péages sur l'inflation pourrait être considéré soit comme une aide d'État au sens européen, et justifier ainsi une rupture anticipée. Mais pour cela, il faudrait une volonté politique...

M. Jean-François Longeot .  - Les conclusions de la commission d'enquête doivent permettre de préparer l'avenir. À l'heure de la transition écologique, la France est en retard sur le péage en flux libre, plus écologique. Quels objectifs ont été fixés en la matière ? La surfréquentation des routes nationales et départementales, gratuites, induit des problèmes de sécurité et de pollution.

Comment éviter les reports de trafic sur le réseau secondaire ? Ne peut-on imaginer un dispositif sur le modèle des zones à faibles émissions pour les poids lourds ? Faudrait-il une éco-contribution régionale, telle que prévue par le projet de loi Climat et résilience ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Nous ne sommes pas en retard sur le flux libre ; trois expérimentations sont en cours, sur l'A4, l'A837 et l'A10. Le déploiement à grande échelle est prévu en 2022 sur l'A79 et sur les nouvelles concessions.

S'agissant du report modal, nous soutenons le fret ferroviaire, et avons mis en place des zones à faibles émissions sur les véhicules légers. L'article 32 du projet de loi Climat et résilience permettra aux régions, et à certains départements, d'instaurer une contribution sur le transport routier de marchandises. Le ministère travaille à un inventaire des routes, en fonction des demandes des élus.

M. Olivier Jacquin .  - Je salue les travaux de la commission d'enquête qui a mis en évidence des déséquilibres.

Le décret de 1995 sur la fixation du prix des péages est-il bien légal ? Notre collègue députée Christine Pirès-Beaune attend toujours votre réponse à sa question écrite.

M. Bocquet l'a dit, l'article R 31-31 du code de la commande publique prévoit que les concessionnaires remettent chaque année un rapport établissant l'inventaire actualisé des biens concédés. Cette obligation n'est pas respectée. Dans votre courrier du 5 avril au rapporteur, vous estimez que le concédant n'a pas besoin d'un inventaire précis à un instant donné au cours de la concession. Vous dites vouloir un meilleur encadrement des contrats mais donnez les clés aux concessionnaires, sans aucun contrôle ! Cette question n'est pas que technique ; il faut contrôler le modèle concessif ! J'attends une réponse précise. (MM. Éric Bocquet et Jean-Pierre Corbisez approuvent.)

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Il est prévu que les rémunérations des contractants puissent être adossées sur le niveau général des prix, ce qui est plutôt favorable à l'État et aux usagers. Cette dérogation ne nécessite pas de décret d'application. Aussi, nul besoin de remettre en cause le décret de 1995 sur les péages.

Il faut définir les bons outils et méthodes pour connaître et contrôler le périmètre concédé et établir le bon état cible. Nous avons fait l'exercice pour les ponts de Tancarville et de Normandie, sept ans avant la fin de la concession.

M. Olivier Jacquin.  - Je vous ferai un demi-remerciement, n'ayant pas eu plus de succès qu'Éric Bocquet sur l'état du patrimoine autoroutier. Comment contrôler le concessionnaire sans ce rapport annuel ? (MM. Éric Bocquet et Jean-Pierre Corbisez applaudissent.)

M. Louis-Jean de Nicolaÿ .  - Plus que le modèle concessif, je m'attarderai sur les considérations environnementales, traitées par l'axe 3 du rapport.

En 1970, la France était confrontée au défi du développement économique des territoires. L'appel au secteur privé fut un succès dans la Sarthe, avec l'A11 puis l'A28 : les cinq tranches autoroutières qui irriguent notre département ont contribué à sa prospérité.

Nous sommes désormais confrontés à l'urgence climatique. La route représente encore 87 % du transport de personnes et 86 % du transport de marchandises : il y a urgence à décarboner la route.

Les contrats pourraient-ils rapidement être réorientés vers cet objectif stratégique, et comment ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Les contrats historiques répondaient aux enjeux de l'époque : désenclavement, transports rapides et sûrs. Ces enjeux ont évolué : cohésion des territoires et réponse aux besoins des usagers, mais aussi décarbonation des routes.

Je prendrai l'exemple du développement des véhicules électriques. Les véhicules électriques ou hybrides représentent 16 % des ventes. En 2030, ce sera 50 %. Cela suppose de déployer des infrastructures et des bornes de recharge rapidement. L'État et les sociétés concessionnaires ont ainsi investi respectivement 100 millions d'euros et 500 millions d'euros pour les bornes.

Nous travaillons aussi plus largement pour encourager le report modal du transport de marchandises.

Mme Jocelyne Guidez .  - Les péages périurbains, comme ceux de Saint-Arnoult ou de Dourdan, sont injustes pour certains habitants de banlieue. Ils ont concentré la colère des Gilets Jaunes.

Pour aller travailler à Paris, certains Franciliens prennent l'autoroute quotidiennement : certains, et pas les plus aisés, payent plus de 1 300 euros par an en péages ! Ceux qui ne peuvent supporter ce coût se reportent sur le réseau routier secondaire, avec des conséquences sur l'accidentalité et la congestion.

Mme Borne avait obtenu des sociétés d'autoroute une réduction de 30 % pour plus de dix allers-retours par mois sur un même tronçon. Peu d'automobilistes ont souscrit à cette offre, insuffisamment attractive.

La réponse doit être plus ambitieuse. La suppression de certains péages urbains, comme celui de Dourdan, ne remettrait pas en cause l'équilibre de la concession et répondrait à une demande légitime d'équité.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - L'État a demandé aux concessionnaires de baisser de 30 % les tarifs pour les usagers qui effectuent plus de dix trajets par mois. Ce dispositif a connu un début de succès, avec 130 000 abonnements, en hausse de 60 % entre septembre 2019 et septembre 2020. Avec la crise sanitaire, le dispositif n'a pu prendre son envol, j'ai donc incité les sociétés à lancer une nouvelle opération de communication.

À Dourdan, le tarif de 1,70 euro, stable, est relativement bas. Des abonnements préférentiels sont proposés. Des aménagements comme des places de parking ont été mis en place pour favoriser l'offre de transport collectif sur l'A10.

La suppression ou le rachat de ces péages remettrait trop profondément en cause l'équilibre concessif. En outre, ces péages sont usités par d'autres usagers effectuant des trajets de transit à destination de l'A11. Enfin, cela risquerait de reporter une partie du trafic sur la voirie locale, engendrant d'importantes nuisances voire de l'insécurité.

M. Michel Dagbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je salue le travail de la commission d'enquête. Le rapport met en exergue bien des insuffisances de la concession. Une révision des relations entre les concessionnaires et l'État aurait été bienvenue. Ces concessions ont été validées, dont acte, et il semble hasardeux juridiquement d'y mettre fin de manière anticipée.

Mais il faudra nous garantir que vous aurez les capacités d'analyse économique et juridique afin d'éclairer les choix futurs.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - L'État connaît son patrimoine autoroutier concédé. Nous aidons les collectivités territoriales à faire l'inventaire de leur patrimoine et l'entretien nécessaire. À l'approche du terme de la concession, notre contrôle sur les investissements nécessaires se renforce, afin d'éviter les surinvestissements après l'échéance. Sur les ponts de Normandie et de Tancarville, dont la concession s'achève en 2027, des travaux ont été réalisés entre 2018 et 2020.

Nos services, appuyés par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) par exemple, ont les moyens d'assurer ces contrôles.

M. Didier Mandelli .  - Quinze ans après leur privatisation, les sociétés concessionnaires affichent des résultats élevés. Les conditions de la privatisation étaient avantageuses !

Si les clauses de 2015 ont rééquilibré les rapports entre l'État et les concessionnaires, la défiance menace les projets de travaux. Il est urgent de réunir les acteurs pour négocier des clauses solides, durables, en toute transparence.

Les enjeux du développement durable doivent être pris en compte par les concessionnaires, notamment pour intégrer des bornes de recharge électriques, des aires de covoiturage et des plateformes multimodales. De nouvelles négociations sont-elles envisagées au plan financier et environnemental ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Depuis 2015, l'encadrement des sociétés concessionnaires a été renforcé. Le sujet des bornes électriques démontre que l'on peut agir concrètement, avec 600 millions d'euros investis en trois ans. Il ne faudrait pas recréer des zones grises de la mobilité.

Des pactes de relance autoroutière ont pu être signés, comme avec la région Sud. Je suis favorable à l'organisation d'un sommet des autoroutes afin de débattre des modalités de gestion, du pilotage public et des grands enjeux. Le Gouvernement est à votre disposition pour avancer sur ce sujet important.

M. Didier Mandelli.  - Nous sommes intéressés par le sommet des autoroutes, auquel devront participer l'Afitf, l'Assemblée nationale et le Sénat. C'est indispensable pour rétablir la confiance.

M. Éric Jeansannetas .  - Des zones d'ombre persistent dans le système des sous-concessions, qui gèrent les aires de service, notamment sur la modération des tarifs des carburants.

La commission d'enquête préconise de prévoir explicitement que l'ART peut collecter directement auprès des sous-concessionnaires toute information utile pour contrôler le respect des engagements de fixation des prix ou la durée des sous-concessions ; d'étendre l'obligation de modération tarifaire aux carburants alternatifs et de prévoir un suivi régulier des prix réels. Un contrôle de second niveau serait réalisé par l'ART, assorti d'un pouvoir de sanction.

Monsieur le ministre, comptez-vous appliquer ces deux recommandations ?

La crise sanitaire a mis en lumière le rôle des aires de service pour la restauration et l'hygiène des routiers et commerciaux. Leurs magasins ont cependant subi de lourdes pertes. Une société creusoise, Picoty Autoroutes, qui détient 25 sous-concessions, a perdu 1,2 million d'euros en 2020. Pendant ce temps, les principaux concessionnaires obtenaient 2 milliards d'euros de résultat net et de dividendes, tout en refusant de compenser le manque à gagner. Un rééquilibrage entre concessionnaires et sous-concessionnaires est-il envisageable ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Nous sommes favorables au renforcement des contrôles de l'ART sur les sous-concessions. Des réflexions sont en cours.

Nous avons conscience des difficultés financières des aires de service, qui ont connu des pénuries durant les premiers jours de la crise. Nous avons rouvert en urgence 400 services de restauration. J'ai demandé une réunion de concertation avec l'Association des sociétés françaises d'autoroutes et d'ouvrages à péages (ASFA) et l'Association des sous-concessionnaires d'autoroutes (ASCA), ce qui facilitera les négociations contractuelles.

M. Jean-Pierre Grand .  - Le contournement ouest de Montpellier, chaînon manquant de six kilomètres entre l'A 750 et l'A 709, est hautement prioritaire. En septembre dernier, le commissaire enquêteur a rendu un avis favorable, sous réserve de la finalisation de son financement de 300 millions d'euros. Une prise en charge par ASF présenterait de nombreux avantages : cela ne coûterait rien aux contribuables, ni aux collectivités territoriales, ni aux usagers. Dépassons les dogmatismes archaïques. Pour sortir de la crise, nous avons besoin de l'investissement privé. La concession est un cadre qui a démontré ses avantages. La déclaration d'utilité publique (DUP) doit être signée en septembre 2021. L'adossement à la concession ASF est la seule solution.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Le coût total de ce projet est estimé à 280 millions d'euros. Quelque 25 millions d'euros ont déjà été engagés dans le CPER 2015-2020 mais la métropole de Montpellier s'est désengagée du projet. L'adossement à la concession ASF pose des questions de droit, et nécessitera une saisine du Conseil d'État. Nous tiendrons informés tous les acteurs locaux de l'évolution du dossier, afin de tenir compte de l'échéance. Soyez assuré de notre plein investissement sur ce dossier.

M. Jean-Pierre Grand.  - Ce dossier ne pose pas de problème : il ne s'agit que de six kilomètres... La concession de l'A9 se termine en 2031. L'État doit signer la DUP avant septembre. Espérons que le Conseil d'État prendra une décision sage, conforme à l'intérêt général.

M. Patrick Chaize .  - Le concept d'adossement, qui augmente la durée de la concession en échange d'investissements non prévus dans le contrat, est regrettable, car il transforme le contrat et donne le sentiment d'une concession perpétuelle, difficilement acceptable. Si l'extension du réseau répond à une procédure spécifique, certains investissements ne peuvent être dissociés du contrat, comme l'intégration des évolutions technologiques - bornes de recharge électriques par exemple. Comment le déploiement des bornes électriques avance-t-il ?

Comment intégrer les investissements nécessaires aux véhicules connectés avant l'échéance des concessions ? Il y a urgence.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - Nous sommes au bon niveau de financement et d'avancement sur les bornes électriques.

Nous travaillons sur plusieurs projets relatifs aux véhicules connectés : 3 000 kilomètres sont déjà équipés de bornes grâce aux 44 millions d'euros investis en sept ans, avec un objectif de 5 000 kilomètres en 2024.

La France préside la plateforme technique européenne dédiée : 95 % des spécifications qu'elle propose sont acceptées, ce qui est un motif de fierté et ouvre des opportunités. Nos autoroutes continueront d'être à la pointe de l'innovation.

M. Patrick Chaize.  - Ces évolutions technologiques auront des conséquences environnementales. La transparence est le gage de la confiance.

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Sénateur de l'Essonne, je milite pour la gratuité des tronçons franciliens de l'A10 et l'A11.

Le rapport de notre commission d'enquête esquisse des réponses.

Les autoroutes périurbaines sont structurantes pour la deuxième couronne urbaine francilienne. En quarante ans, l'étalement urbain a eu pour conséquence un triplement de la population. Les investissements dans les transports collectifs sont concentrés dans le coeur de l'agglomération, alors qu'ils se dégradent dans la seconde couronne. La loi ALUR prévoit d'y entasser toujours plus de logements, quitte à multiplier les trajets domicile-travail.

Je vois deux solutions : l'application de la clause de plafonnement de la rentabilité des concessions selon le protocole de 2015, jamais mise en oeuvre, et la création d'une taxe sur les dividendes versés par les concessionnaires. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué.  - J'ai déjà répondu à Mme Guidez sur ce sujet. Des pistes d'améliorations doivent être étudiées, notamment sur le trafic des poids lourds. Une contribution régionale pourra être envisagée ; c'est le cas en Ile-de-France. Des aménagements sur les voiries départementales sont possibles pour traverser les zones habitées.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Vous êtes le neuvième ministre depuis vingt ans que je suis élu. N'oublions pas que le taux de rentabilité des concessionnaires dépasse 30 % et que leurs dividendes sont supérieurs aux résultats nets. Ils sont peu affectés par la crise sanitaire : Cofiroute a vu son bénéfice passer de 31,6 % à 35,9 % entre 2019 et 2020. De grâce, monsieur le ministre, soyez celui qui fera bouger les choses !

M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission d'enquête .  - Je remercie M. le ministre pour sa disponibilité. Nous sommes également demandeurs d'une audition devant la commission d'aménagement du territoire pour aller plus loin. J'entends dans votre bouche un ni-ni, ni renationalisation ni prolongation. Vous voulez un meilleur encadrement des contrats. Tant mieux.

Point de concession-bashing dans notre rapport : la concession de service public est un outil utile, mais elle suppose un suivi rigoureux. Comme le disait M. Bocquet, les rapports d'inventaire, pourtant prévus, ne sont pas disponibles : c'est anormal, alors qu'ils doivent être mis à jour tous les cinq ans.

Le suivi des sous-concessions doit également être renforcé, pour plus de transparence.

Les rapports se multiplient - Autorité de la concurrence en 2013, Cour des comptes, Sénat... - mais les sociétés concessionnaires ne semblent pas les lire. Seule Eiffage nous a répondu et nous avons tenu compte de ses remarques. Je regrette aussi que l'ART soit aussi peu transparente sur son évaluation de la rentabilité des contrats en cours. Elle doit nous transmettre les valeurs d'actifs pour que nous puissions travailler ensemble.

On nous oppose le « secret des affaires ». Mais les prévisions que nous avons publiées dans le rapport sont en ligne avec celles des concessionnaires. (MM. Jérôme Bascher et Jean-Raymond Hugonet s'en félicitent.)

Monsieur Grand, la concession d'ASF prend fin en 2036.

Je remercie tous les participants à ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées des groupes CRCE et SER)

La séance est suspendue quelques instants.