Mardi 27 octobre 2015, le Sénat n'a pas adopté le projet de loi constitutionnelle visant à autoriser la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Sur proposition de sa commission des lois, il a en effet adopté une motion tendant à opposer la question préalable, par 179 voix contre 155. L'adoption de cette motion équivaut au rejet du texte.

 Comprendre les enjeux

Le projet de loi constitutionnelle visant à autoriser la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été présenté en Conseil des ministres par Christiane TAUBIRA, garde des sceaux, ministre de la justice, le 31 juillet 2015. Il été déposé le même jour au Sénat afin que les sénateurs procèdent les premiers à la première lecture du texte.

Ce projet de loi a pour objet de modifier la Constitution afin de pouvoir ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992 et complétée par la déclaration interprétative annoncée par le Gouvernement français le 7 mai 1999. Cette charte vise à "protéger et promouvoir les langues régionales ou minoritaires en tant que telles" afin "de maintenir et de développer les traditions et la richesse culturelles de l'Europe".

Elle entre en contradiction avec les articles 1er et 2 de la Constitution qui disposent que "la France est une République indivisible" et que "la langue de la République est le français". Ces principes interdisent en effet qu'il soit reconnu des droits, par exemple linguistiques, à un groupe humain identifié et distinct du corps national indivisible.

Le projet de loi propose donc d'ajouter un article 53-3 à la Constitution qui autorise expressément la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Il s’agit ainsi de tirer les conséquences de la décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999 par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que la Charte comportait des clauses contraires à la Constitution et que sa ratification ne pouvait intervenir qu'après révision de la Constitution.

La modification de la Constitution vise à lever les obstacles constitutionnels relevés par le Conseil :

  • il n’est pas conféré de droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires ;
  • l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public et aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics.

La déclaration interprétative annoncée le 7 mai 1999 reprend ces deux éléments. Sa mention dans la Constitution permet de circonscrire le champ des obstacles constitutionnels qui sont levés par la présente révision.

 Les étapes de la discussion

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 Rejet en première lecture au Sénat (27 octobre 2015)

Mardi 27 octobre 2015, le Sénat a examiné le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Les sénateurs ont adopté la motion tendant à opposer la question préalable par 179 voix pour et 155 contre (consulter le scrutin). 

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 L'adoption de la question préalable entraîne le rejet du projet de loi constitutionnelle (art 44 alinéa 3 du règlement du Sénat).

Examen en commission au Sénat (14 octobre 2015)

Réunie le 14 octobre 2015, sous la présidence de Catherine TROENDLÉ (Les Républicains - Alsace), la commission des lois a examiné le rapport de Philippe BAS (Les Républicains - Manche), rapporteur sur ce projet de loi constitutionnelle. Après avoir rappelé le contenu de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée par la France en 1999 et assortie d'une déclaration interprétative, et précisé que l'absence de ratification de la Charte n'empêchait nullement la protection et la promotion des langues régionales, car "les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France" (article 75-1 de la Constitution), le rapporteur a présenté la double contradiction juridique qui résulterait de l'adoption de la révision constitutionnelle proposée par le Gouvernement.

Après avoir précisé que l'absence de ratification de la Charte n'empêchait nullement la protection et la promotion des langues régionales, car "les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France" (article 75-1 de la Constitution), le rapporteur a présenté la double contradiction juridique qui résulterait de l'adoption de la révision constitutionnelle proposée par le Gouvernement.

La commission a alors indiqué :

  • que la révision n'empêcherait pas la contradiction avec les principes fondamentaux posés par les articles 1er et 2 de la Constitution, puisque la Charte pourrait être ratifiée y compris pour certaines de ses dispositions jugées contraires à la Constitution ;
  • que la révision conduirait à contrevenir à la Charte, qui prohibe la formulation de réserves à ses stipulations, sauf exceptions ponctuelles. La déclaration interprétative constitue, pour une part, des réserves à certaines stipulations. Dans ces conditions, constitutionnaliser cette déclaration placerait la France dans une position difficile dans le cadre du mécanisme de contrôle du respect de la Charte et vis-à-vis des autres États parties à la Charte au sein du Conseil de l'Europe.

Face à cette situation, elle a estimé qu'accepter la révision constitutionnelle imposerait donc à la fois de contrevenir à la Charte et de déroger aux principes constitutionnels les plus fondamentaux, l'unité de la République et l'égalité des citoyens.

En conséquence, et considérant qu'il n'y avait pas lieu de délibérer, la commission des lois a proposé au Sénat d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi constitutionnelle.

Les sénateurs examineront la motion sur ce texte le mardi 27 octobre 2015.

Nomination d'un rapporteur

Mercredi 16 septembre 2015, la commission des lois a nommé Philippe BAS (Les Républicains - Manche) rapporteur sur le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Dépôt du texte (31 juillet 2015)

Le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, texte de Christiane TAUBIRA, garde des Sceaux, ministre de la justice, a été déposé au Sénat le 31 juillet 2015.

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