Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 112 - 19 novembre 2013


Groupe interparlementaire d'amitié

France-Europe du Nord (1 ( * ))

L'égalité hommes-femmes au travail, un atout pour l'entreprise : le modèle norvégien

Actes du colloque du 26 septembre 2013

Sous le haut patronage de M. Alain RICHARD,

Président du Groupe interparlementaire

France-Europe du Nord

et de

Son Exc. M. Tarald Osnes BRAUTASET,

Ambassadeur de Norvège en France

Palais du Luxembourg
Salle Clemenceau

AVANT-PROPOS

Le 26 septembre 2013, le groupe interparlementaire d'amitié France-Europe du Nord et l'Ambassade de Norvège en France ont co-organisé, au Sénat, un colloque consacré à l'égalité hommes-femmes au travail.

La Norvège célèbre cette année le centenaire du droit de vote accordé aux femmes. Ce pays est, depuis longtemps, « à la pointe » pour ce qui concerne l'égalité entre les sexes. Dans le classement du Forum économique mondial, il est classé au troisième rang pour ses résultats en matière d'égalité ( Global Gender Gap Report ).

Rappel historique

Les femmes norvégiennes ont obtenu le droit de voter en 1913, après plus de 30 ans de luttes féministes. Après le refus du gouvernement d'accorder aux femmes le droit de vote lors du référendum sur la dissolution de l'Union avec la Suède en 1905, plus de 280 000 signatures avaient été recueillies par les mouvements féministes.

Les années 70 ont été marquées par l'émergence de nombreuses organisations féministes et par la mise en place d'une politique institutionnelle d'égalité entre les sexes. La première loi sur ce sujet est entrée en vigueur en 1979, un an après la création d'un département en charge de la famille et de l'égalité des sexes au sein du ministère de l'administration et de la consommation.

La Norvège a ratifié la Convention des Nations-Unies sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes en 1981.

La même année, Mme Eva Kolstad fut nommée Médiateur chargé des questions d'égalité des sexes, fonction créée pour faire respecter ce principe. Elle a été la première fonctionnaire au monde en charge de ces questions.

La création d'un Médiateur, d'une commission et d'un conseil dévolus à l'égalité des sexes a fait de cette question un domaine juridique à part entière, en Norvège.

Aujourd'hui, les questions d'égalité des sexes dépendent du ministère de l'enfance, de l'égalité et de l'intégration (BLD). L'égalité et la non-discrimination sont réunies sous le terme général « likestilling » en norvégien, ce qui désigne aussi bien l'égalité indépendamment de toute distinction de sexes, que d'autres formes d'égalité concernant l'âge, l'origine ethnique ou encore la religion.

L'égalité politique

Dans le gouvernement nouvellement élu, les postes de Premier ministre et de ministre des finances sont occupés par des femmes, lesquelles sont actuellement aussi à la tête du parti conservateur et du parti du progrès qui forment la coalition gouvernementale.

Mme Erna Solberg (droite) est la deuxième femme à devenir Premier ministre de la Norvège, après Mme Gro Harlem Brundtland (travailliste) qui a été élue pour la première fois en 1981.

Au total, le gouvernement est composé actuellement de 9 femmes et 9 hommes. Après l'élection de 2013, les femmes représentent 39,6 % des parlementaires siégeant au Storting, ce qui est la même proportion que pour l'élection précédente en 2009.

Il y a un consensus politique sur la question de l'égalité des sexes en Norvège, mais le débat demeure quant aux moyens pour la mettre en oeuvre. La majorité des partis politiques et plusieurs grandes organisations ont aujourd'hui mis en place des règles de représentation, de façon interne, et composé leurs propres listes de candidats.

Dans le plus grand parti politique en Norvège, le Parti travailliste, le comité exécutif doit être composé à parité. Parmi les chefs de partis élus à ce jour au Parlement (Storting), cinq sont des femmes, et trois sont des hommes.

La loi sur l'égalité des sexes

La loi norvégienne, adoptée à la suite de la ratification de la Convention des Nations Unies de 1981, promeut l'égalité et assure une protection contre la discrimination fondée sur le sexe. Les mêmes chances en matière d'éducation, d'emploi, de développement sur les plans culturel et professionnel, doivent être données aux femmes et aux hommes. Les femmes et les hommes sont protégés par la loi, même si celle-ci vise à améliorer la position des femmes.

La loi contraint les employeurs et les pouvoirs publics à s'engager activement pour l'égalité des sexes. Le Médiateur pour l'égalité et la non-discrimination (LDO) veille à l'application de la loi, notamment en traitant les plaintes pour non-respect et en dispensant des conseils juridiques. Les déclarations du LDO peuvent être contestées devant la Commission pour l'égalité et la non-discrimination (LDN) qui peut prendre des décisions contraignantes.

L'objectif de la politique d'égalité des sexes est d'intégrer la parité aux niveaux central, régional et local. Le gouvernement en a la responsabilité secteur par secteur et chaque ministère est impliqué. Le ministère de l'enfance, de l'égalité et de l'intégration a la responsabilité de la coordination de cette politique.

Les quotas dans les conseils d'administration

La loi norvégienne a prévu un quota de 40 % pour les femmes dans les conseils d'administration. Dans les sociétés anonymes (SA), les entreprises qui ne satisfont pas à cette exigence se voient, en principe, refuser l'enregistrement auprès de l'administration centrale ( Brønnøysundregistrene ). En outre, ladite administration ( Brønnøysundregistrene ) peut les assigner devant les tribunaux (ils risquent en principe la liquidation mais, à ce jour, aucune société n'a été condamnée).

L'exigence de 40 % de femmes dans les conseils d'administration concerne également les entreprises à capitaux entièrement publics (entreprises d'État), les entreprises intercommunales, les grands regroupements d'entreprises et les grandes sociétés anonymes qui appartiennent pour plus des deux tiers aux communes.

Ces quotas ont fait l'objet de vifs débats lorsqu'ils ont été adoptés, aujourd'hui apaisés. Ces règles relatives aux quotas dans les conseils d'administration des sociétés anonymes ont suscité un grand intérêt sur le plan international.

La loi a eu des effets incontestables : en 2013, en effet, la proportion de femmes dans les conseils d'administration des SA étaient de 40,5 % contre 7 % avant que la loi n'entre en vigueur en 2003. Dans les SA ordinaires -entreprises plus petites, avec peu de propriétaires, et qui ne sont pas concernées par la loi sur les quotas-, la répartition est inégale avec seulement 17,7 % de femmes dans les conseils d'administration.

Cependant, bien que les femmes représentent près de la moitié des salariés en Norvège, deux dirigeants sur trois sont des hommes. Et parmi les dirigeants de haut niveau, 15,1% seulement des directeurs généraux de SA sont des femmes. Elles ne sont que 5,8 % dans les entreprises cotées en bourse.

Un service militaire mixte

En 2013, le Parlement a adopté le principe de l'instauration d'un service militaire mixte. Le gouvernement devra présenter un projet de loi d'ici à 2014, et en cas d'adoption, les femmes norvégiennes pourront effectuer leur service militaire à égalité avec les hommes à partir de 2015.

Depuis 2010, les jeunes filles sont convoquées pour une période de service obligatoire l'année de leurs 17 ou 18 ans, à l'issue de laquelle elles peuvent décider d'accepter de servir dans l'armée.

La politique familiale

L'un des principaux instruments de la politique d'égalité en Norvège est constitué par la politique familiale. L'état norvégien considère qu'en permettant de concilier travail et vie familiale, on peut aussi mieux utiliser la main-d'oeuvre dont l'économie a besoin.

Les allocations familiales garantissent un revenu aux parents lors du congé parental, et les deux parents, dans la plupart des cas, ont droit à ces allocations. Les parents se partagent un congé parental de 49 semaines (ou 59 semaines à 80 % du salaire). Les allocations permettent d'assurer les revenus de la famille dans la première année de l'enfant. Après la première année, l'enfant a droit à une place en crèche, ou bien la famille reçoit un soutien financier.

Le droit aux allocations familiales est basé sur le travail effectué durant les six derniers mois précédent le début du congé. Les mères qui n'ont pas droit aux allocations familiales ont droit à une allocation forfaitaire. Les allocations familiales sont basées sur le revenu du parent qui doit en bénéficier et couvrent son revenu total jusqu'à un certain niveau (ce qui correspond à un salaire annuel de 62 500 € en 2013). L'allocation forfaitaire est fixée par le Parlement chaque année. En 2013, elle était environ de 4 400 € par enfant.

Les trois semaines avant et les six semaines après la naissance sont réservées à la mère. Après la naissance, 14 semaines peuvent être prises par chacun des parents -quotas maternel et paternel. Au-delà, les parents peuvent se répartir librement entre eux la période « d'allocations familiales ». En cas de dépassement du quota paternel, le père doit justifier de la garde principale de l'enfant. Certaines exigences relatives à l'activité professionnelle des mères peuvent également justifier des aménagements.

Les allocations familiales sont financées par la sécurité sociale et les subventions représentaient environ 2,25 milliards d'euros dans le budget de l'État pour 2013. Il y a environ 60 000 naissances par an en Norvège. Plus de 80 % des mères et environ 70 % des pères remplissent les conditions qui permettent de bénéficier des allocations familiales.

En 2002, le Parlement a adopté un dispositif sur les crèches et les jardins d'enfants, fixant un plafond maximum et assurant un développement considérable de ces structures d'accueil. Depuis 2004, les communes ont le devoir de disposer d'un nombre suffisant de places en crèches, et depuis 2009, la place en crèche fait partie des droits individuels. Depuis l'automne 2012, l'objectif de couvrir tout le territoire a été atteint.

De 2003 à 2010, le nombre d'enfants en crèches est ainsi passé de 205 000 à 277 000, le nombre de places à temps plein augmentant lui aussi dans la même période. De 2005 à 2012, la capacité d'accueil (mesurée en heures disponibles) a augmenté de 39 %. Dans le même temps, les coûts maximaux ont été réduits de 33%.

Les subventions pour les crèches et jardins d'enfants ont presque été multipliées par sept de 2002 à 2011, atteignant ainsi les quelque 5 milliards d'euros.

Un plan d'action pour 2014

« Égalité des sexes 2014 », lancé en 2011, est le premier plan d'action sur ce sujet dans tous les domaines de la société depuis 20 ans. Le plan définit neuf objectifs : la lutte contre les stéréotypes liés au genre, la sensibilisation à l'égalité des sexes dès la petite enfance et dans l'éducation, des conditions de travail favorables à la famille et à l'égalité parentale, l'établissement de la parité dans tous les domaines du marché du travail, la répartition équitable des ressources économiques et du pouvoir, une démocratie plus égalitaire, l'égalité des chances pour les femmes et les hommes pour la santé, la lutte contre la violence et les abus, et enfin l'égalité au niveau international. Ceci représente un total de 86 nouvelles mesures d'égalité sous l'égide de différents ministères.

La Norvège promeut également l'égalité sur la scène internationale. Toutes les opérations norvégiennes pour la paix et la sécurité à l'étranger doivent intégrer la résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité. Pour mettre en oeuvre cette résolution, le gouvernement a lancé, en 2011, un plan stratégique qui vise à promouvoir l'influence et la participation des femmes dans les activités de consolidation de la paix et à renforcer la protection des femmes dans les conflits armés 2 ( * ) .

OUVERTURE

M. Alain RICHARD, Président du groupe interparlementaire d'amitié France-Europe du Nord du Sénat

Monsieur l'Ambassadeur, Cher(e)s collègues Sénatrices et Sénateurs, Mesdames, Messieurs, au nom du groupe d'amitié France-Europe du Nord que j'ai l'honneur de présider, je suis particulièrement heureux de vous accueillir ce matin au Sénat dans le cadre d'un colloque consacré à l'égalité entre femmes et hommes au travail.

D'abord, ce thème se prête particulièrement bien à une approche comparative. Nous devons nous inspirer de ce qui se fait de mieux au-delà de nos frontières. Et il entre tout à fait dans le rôle des groupes interparlementaires de promouvoir les échanges d'expériences et de législations sur les grands sujets de société.

En l'espèce, l'initiative de ce projet revient à l'Ambassade de Norvège dont je salue la présence, parmi nous, de ses représentants qui ont beaucoup oeuvré à la préparation et à la réussite de cette manifestation. Je remercie tout particulièrement Son Excellence M. Tarald Osnes Brautaset, ambassadeur de Norvège à Paris, qui en a eu l'idée et qui me succèdera ici en tribune dans quelques minutes. C'est avec beaucoup de plaisir et d'intérêt que nous avons répondu favorablement à cette initiative, et que mes collègues et moi-même avons tenus à nous y associer.

Sur le terrain de l'égalité, les pays nordiques ont ouvert la voie et sont aujourd'hui « à la pointe » des évolutions sociales. Les échanges que nous aurons tout à l'heure doivent nous permettre de mettre en lumière ce qu'il convient, à juste titre, de nommer le « modèle norvégien » et de faire comprendre comment les innovations sur lesquelles il s'appuie, loin d'être un frein, sont un atout pour les entreprises et pour le développement économique en général.

Le présent colloque est d'autant plus bienvenu qu'il coïncide, comme vous le savez, avec notre actualité parlementaire.

Je salue, à cet égard, la participation de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation sénatoriale des droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui interviendra tout à l'heure.

En effet, la délégation qu'elle préside est spécialement chargée d'informer le Sénat de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et assure, en ce domaine, le suivi de l'application des lois. Cette délégation effectue un travail de fond remarquable et s'est d'ailleurs penchée sur la situation norvégienne, dès 2009, lors d'une mission d'étude sur place.

Vous n'ignorez pas que le Sénat a débattu récemment et a adopté, le 17 septembre dernier, un projet de loi défendu par Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes précisément.

Je laisserai le soin à ma collègue de vous en détailler la portée mais ce texte comporte indéniablement de nombreuses dispositions directement inspirées de l'exemple norvégien. Je pense notamment à la réforme du congé parental qui vise à inciter davantage d'hommes à prendre ce congé, qui, en France, est pris actuellement à 97 % par les femmes. Vous le constatez, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir dans ce domaine.

Nous serons donc à votre écoute, chers amis, en particulier ceux d'entre vous venus spécialement de Norvège, pour entendre vos témoignages et vos recommandations : notamment sur le point de savoir comment l'État peut être le moteur de l'égalité au travail, et également comment les entreprises peuvent tirer avantage de cette nouvelle donne. Nous attendons aussi de connaître votre appréciation sur la réforme en cours en France : est-elle assez ambitieuse ? Faut-il développer les instruments incitatifs ou de contrainte ? L'objectif fixé par Mme Najat Vallaud-Belkacem d'une égalité complète en 2025 est-il réaliste ?

Voici quelques-unes des questions qui seront sans doute abordées au cours de cette passionnante matinée. Sans plus tarder, je souhaite donc à chacun de fructueux échanges, en espérant qu'ils contribuent à faire avancer les mentalités et notre législation.

M. Tarald Osnes BRAUTASET, Ambassadeur de Norvège en France

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les orateurs, Mesdames et Messieurs, c'est un grand plaisir pour moi de vous souhaiter la bienvenue à cette conférence, que l'Ambassade a l'honneur d'organiser conjointement avec le Sénat.

Cet événement a lieu au moment où nous célébrons le jubilé de l'instauration du suffrage universel en Norvège. Il y a 100 ans, notre pays devenait le premier pays du monde à donner le droit de vote aux femmes.

La Norvège a continué à se distinguer dans ce domaine. Durant des décennies, les femmes ont été bien représentées dans la politique norvégienne, que ce soit dans les partis politiques eux-mêmes, au Parlement ou au Gouvernement. La Norvège a aussi été prompte à exiger que les deux sexes soient représentés à hauteur d'au moins 40 % dans les conseils d'administration des plus grandes sociétés. En 2012, la Norvège s'est vu attribuer une troisième place en termes d'égalité hommes-femmes dans le rapport sur l'inégalité entre les sexes du Forum économique mondial. Cependant, dans certains domaines, nous avons à apprendre d'autres pays, dont la France, où les chefs d'entreprise et les dirigeants femmes sont beaucoup plus nombreux qu'en Norvège.

Il y a quelques semaines, le 9 septembre, la population norvégienne s'est rendue aux urnes pour élire les députés qui siègeront pendant les quatre prochaines années au Parlement. Les femmes ont occupé une place centrale durant la campagne électorale et, sur les 169 députés, 40 % sont des femmes. Sur les quatre partis qui négocient pour former un gouvernement de coalition, trois sont dirigés par des femmes. C'est un long chemin qui a été parcouru depuis 1913, lorsqu'une seule femme siégeait au Parlement.

Mais il reste que les femmes sont toujours moins bien payées que les hommes. Nombreuses sont celles qui subissent le travail à temps partiel et les entreprises sont majoritairement dirigées par des hommes. C'est la raison pour laquelle il est bon que nous nous rappelions que l'égalité des sexes n'est pas une simple question de droit, c'est aussi une question de rentabilité économique.

Comme la Banque mondiale le soulignait, l'égalité des sexes n'est pas seulement une valeur en soi, elle est également rentable. L'une des conséquences des politiques actives menées par la Norvège en la matière réside dans la bonne santé de son économie. Alors qu'au début des années 1970, à peine 50 % des femmes travaillaient, elles sont aujourd'hui plus de 75 %. Dans l'ensemble des pays membres de l'OCDE, la proportion est de 59 %.

Le premier ministre norvégien Jens Stoltenberg a souligné que si la participation des femmes norvégiennes devait être réduite à la moyenne de l'OCDE, la valeur de cette perte de production serait égale à la richesse pétrolière norvégienne, y compris celle non encore extraite. Il a ajouté que le ministre des finances devrait remercier tous les jours les Norvégiennes.

Bien entendu, l'égalité entre les sexes n'est pas la réponse à tous les défis économiques auxquels l'Europe se trouve aujourd'hui confrontée, mais en ces temps difficiles, il nous faut faire preuve d'intelligence et échanger les leçons de nos expériences respectives, afin de savoir comment utiliser au mieux cet outil qu'est l'égalité, pour le plus grand bien des économies nationales, comme pour celui des entreprises.

La Norvège a tiré un grand profit de l'entrée en action de toute la force de travail et de tous les talents que recèle la population. Nous espérons que les exemples norvégiens, même s'ils ne sont pas directement transposables, présenteront un réel intérêt pour la France et nous ne doutons pas que la France ait en retour beaucoup à nous apporter.

Pr Kjell SALVANES, Professeur d'économie à l'École norvégienne

En guise d'introduction, je rappellerai que le monde du travail en Norvège est très flexible. Les différences salariales sont peu nombreuses, la mobilité sociale est importante, le filet de sécurité est solide et le niveau de formation est également élevé.

Pour la place des femmes, la Norvège est en tête des classements d'égalité de l'ONU. Le taux d'activité des femmes est très élevé. Les femmes en politique sont nombreuses et exercent des responsabilités importantes. L'espérance de vie des femmes norvégiennes par rapport aux hommes est très élevée également. La politique familiale est très active et les pouvoirs publics sont impliqués dans la garde des enfants, depuis très longtemps, avec une couverte complète de places de jardins d'enfants fortement subventionnées, et un congé parental très généreux.

La flexibilité du monde du travail est un élément important en Norvège. Par rapport aux pays nordiques, la Norvège se situe en milieu de classement s'agissant de la réglementation du monde du travail. Il existe un flux d'emplois entre les secteurs. Cette mobilité est géographique ainsi que transversale. Les créations d'emplois y sont nombreuses, alors que, dans l'Europe du Sud, le monde du travail est très rigide et très réglementé. Les restructurations sont nombreuses en Norvège et la productivité est élevée. Les entreprises norvégiennes ont le droit de licencier leur personnel. La population accepte cette situation, car l'Etat-providence est très généreux. Ce pacte implicite, qui a débuté en 1936 avec la première convention entre syndicats et patronat, est ainsi essentiel.

En Norvège, les entreprises sont donc efficaces, et la mobilité sociale est très importante. Les pays présentant peu de différences salariales ont en effet une mobilité sociale élevée. Plus les différences salariales sont élevées, moins il existe de mobilité sociale. Ce point est très primordial pour de nombreux économistes. Aujourd'hui il existe une mobilité sociale élevée dans tous les pays nordiques. C'est un fait irréfutable.

Dans les années 1960, dans la période d'après-guerre, tous les pays se situaient au même niveau : 40 % des femmes étaient actives. Dans les années 1970, en Norvège, ce taux a commencé à croître de façon significative, pour atteindre le premier taux mondial, pour toutes les femmes, avec ou sans enfants.

La Norvège est toujours classée première à l'indice d'égalité de l'ONU, qui porte sur la santé, la fertilité et l'éducation des femmes, ainsi que sur leur taux de représentation au Parlement, alors que la France n'arrive qu'à la 19 ème place de ce classement.

Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi le taux d'activité des femmes est-il si élevé en Norvège ? Les interprétations divergent. Peu de travaux ont été effectués sur les facteurs qui ont conduit à cette situation.

Ce que nous savons, c'est que l'entrée des femmes dans la vie active a commencé avant la prolongation des congés parentaux, décidée en juillet 1977. Cette mesure en avait accompagné d'autres, qui ont toutes été appliquées après l'entrée des femmes dans le monde du travail et la mise en place des jardins d'enfants. Il est donc difficile, en réalité, d'expliquer cette évolution. Le niveau d'éducation des femmes a été très élevé dès les années 1950. A cette époque, l'économie norvégienne a été restructurée, et a atteint son point culminant en 1972 ; la création de nombreux emplois dans les services et le secteur public a permis d'augmenter le nombre des femmes au travail. L'avortement et la pilule ont, en outre, été légalisés précocement, ce qui a permis aux femmes de choisir des formations plus longues. L'entrée des femmes dans la vie active a précédé la forte augmentation du nombre de places en jardins d'enfants.

Cependant, le congé maternité et l'extension du nombre de places en jardins d'enfants ont accéléré ce phénomène, ainsi que probablement l'amélioration de la santé des femmes. Nous avons constaté aussi que l'allongement du congé maternité entraînait de meilleurs résultats scolaires chez les enfants. Cette situation a d'ailleurs été observée également en Angleterre.

Le modèle nordique se caractérise par une grande mobilité sociale et une forte égalité des salaires. Cependant, il existe également quelques paradoxes. Le haut niveau d'égalité entre hommes et femmes contribue-t-il à accroître la prospérité en Norvège ? Un collègue a affirmé que l'entrée des femmes sur le marché du travail a été plus importante que la découverte du pétrole en Norvège ! Ceci a cependant permis de nous enrichir rapidement ! Dans tous les phénomènes de croissance, c'est la qualité de la main-d'oeuvre du pays qui en est le moteur. En Norvège, les femmes ont un plus haut niveau de formation que les hommes. Ce sont de bonnes hypothèses de travail pour les économistes.

Revenons sur les paradoxes. Quels métiers choisissent les femmes ? Les femmes norvégiennes deviennent-elles des ingénieurs ou des infirmières ? Non, elles deviennent des infirmières ! Les secteurs du marché du travail réservés aux femmes sont très marqués dans les pays nordiques. Les femmes sont ainsi peu nombreuses à être chefs d'entreprise, ce qui est paradoxal dans une société très égalitaire. Il existe de nombreuses théories sur ce point.

TABLE RONDE 1 - L'ÉTAT PEUT-IL ENCORE ÊTRE LE MOTEUR DE L'ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES DANS LE MONDE DU TRAVAIL ?

Table ronde animée par Mme Myriam LEVAIN, journaliste

Ont participé à cette table ronde :

Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, Présidente de la Délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes
Mme Brigitte GRÉSY, Inspectrice générale des affaires sociales
Mme Kristin CLEMET, ancienne Ministre du travail, directrice de l'Institut norvégien Civita
Mme Arni HOLE, Directrice générale du service de la famille et de l'égalité entre les femmes et les hommes au ministère des enfants, de l'égalité et de l'intégration de Norvège

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Mme Myriam LEVAIN - Madame la Présidente, pourquoi continuer à légiférer pour assurer l'égalité hommes-femmes ?

Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN - Je tiens, tout d'abord, à saluer l'initiative de ce colloque, car il est important que nous partagions des expériences pour construire ensemble de nouveaux moments d'égalité. Je dois souligner que dans notre pays comme dans d'autres, des organisations féministes avancent la clause de l'Européenne la plus favorisée qui pourrait conduire à ce que chaque pays se réfère aux dispositions les plus avantageuses dans chacun des pays pour pouvoir construire une réponse au niveau de l'Europe permettant d'avancer dans l'égalité hommes-femmes.

Le projet de loi que nous venons d'adopter consiste en une approche intégrée de la problématique égalité hommes-femmes, comportant plusieurs volets, l'égalité professionnelle et salariale, la représentation des femmes dans les instances de gouvernance, ainsi que les violences faites aux femmes, notamment au sein du couple. Ce projet doit permettre également de faire évoluer l'articulation des différents temps de vie.

Il faut poser d'emblée cette question de l'égalité au travail et du partage des tâches domestiques. Cette progression de l'égalité doit s'articuler en deux temps. Tout d'abord, il faut faire en sorte que des dispositions législatives et réglementaires plus contraignantes soient mises en place, en y associant des obligations de résultats. Ensuite, il faut travailler plus profondément à la déconstruction des stéréotypes de genre. À ce titre, l'Éducation nationale a un rôle à jouer.

En France, les femmes ont toujours travaillé, mais ce travail n'était pas rémunéré jusqu'aux années 1960. A cette époque, le travail salarié se développe et constitue un facteur d'émancipation pour les femmes. Toutefois, il ne remet pas en cause l'ordre sexué et profondément inégalitaire des répartitions entre hommes et femmes. Aujourd'hui, en France, les femmes sont concentrées dans seulement 12 familles de métiers sur 87. Il faut donc déconstruire les stéréotypes qui peuvent exister dans la tête des hommes ou qui existent dans celle des femmes, qui s'interdisent de postuler dans certaines professions. Or les progrès technologiques et la réduction des risques psychosociaux au travail leur permettraient d'être plus représentées dans certains secteurs. Il faut ajouter qu'en France les filles réussissent mieux à l'école que les garçons.

La délégation sénatoriale a concentré ses réflexions l'année dernière sur le thème femmes et travail, ce qui lui a permis d'émettre un certain nombre de recommandations lors de l'examen de ce projet de loi.

En France, le temps partiel contraint concerne à 82 % les femmes. Il est source d'inégalités et de précarité. En effet, nous avions l'impression que certaines femmes étaient en mesure d'accéder à des postes de responsabilité, en faisant beaucoup de sacrifices, alors que d'autres étaient contraintes à la grande précarité, dans des emplois qui s'inscrivent dans le prolongement des tâches domestiques. Un phénomène de surexploitation intervenait ensuite, puisque ces femmes qui avaient réussi à percer le plafond de verre employaient à l'autre bout de la chaîne principalement des femmes dans des emplois à temps partiel et dévalorisés.

Un projet de loi a entériné un accord national interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux sur la question du temps partiel. Les négociations sont donc renvoyées aux branches et peuvent faire l'objet d'une interprétation qui ne serait pas favorable in fine aux femmes. Nous devons rester très vigilants.

Nous avons identifié d'autres questions, notamment la nécessité de travailler les grilles de classification, le travail féminin étant systématiquement dévalorisé ou sous-estimé. Nous avons identifié des risques psychosociaux et une pénibilité du travail méconnu propre aux femmes.

Après cet effort d'identification, la délégation sénatoriale a rédigé un rapport sur la place des femmes dans la culture, secteur qui n'échappe pas à ces stéréotypes et à ces inégalités contrairement à ce qu'on aurait pu penser, notamment en matière de représentations des femmes parmi les auteurs-compositeurs mis en scène ou les directeurs de centres dramatiques, ou de niveau des subventions déclenchées. Il n'y a eu qu'une seule femme réalisatrice, Palme d'or au festival de Cannes, par exemple.

Ce texte de loi que nous venons de voter en première lecture consiste à engager un processus transversal d'intervention pour un nouvel acte d'égalité entre les femmes et les hommes, en pointant la question de l'éducation.

Mme Myriam LEVAIN - Madame Clemet, la Norvège a beaucoup à nous apprendre en matière de législation. Faut-il légiférer pour progresser dans le domaine de l'égalité entre les femmes et les hommes ?

Mme Kristin CLEMET - Nous sommes un pays riche, nous avons été une nation très homogène et les valeurs d'égalité ont toujours occupé une position très forte en Norvège. Notre système de protection sociale est très généreux, notre congé maternité d'une année est très avantageux, des places en jardin d'enfants sont disponibles pour tous les enfants et largement subventionnées par l'État. Les employeurs facilitent également l'articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, notamment lorsque nos enfants entrent à l'école ou sont malades. Les conseils d'administration doivent être composés de femmes à hauteur de 40 % et temporairement des quotas ont aussi été mis en place pour les postes de professeurs d'université. Dans d'autres secteurs, nous pratiquons un système de quotas modérés, c'est-à-dire une discrimination positive. Il faut ajouter que notre législation sur l'avortement est très libérale.

Ces mesures ont-elles entraîné les résultats que nous constatons à présent sur le marché du travail ? Les femmes sont plus formées que les hommes et les résultats scolaires des filles sont meilleurs. Notre taux de natalité est très élevé et, globalement, notre culture est très favorable à l'enfant. L'égalité des sexes, des chances et de traitement est fondamentale. Nous favorisons enfin l'entrée des femmes dans les conseils d'administration.

Cependant, nous sommes en proie à quelques inégalités et paradoxes. Le travail à temps partiel féminin est répandu, parfois imposé, même si, la plupart du temps, ces temps partiels sont volontaires. On ne peut pas véritablement parler d'égalité salariale en Norvège. Les inégalités de revenus s'expliquent par le fait que les femmes n'exercent pas les mêmes métiers que les hommes et occupent davantage de postes à mi-temps. Les femmes cadres supérieurs sont peu nombreuses en Norvège. Il n'est pas possible d'apporter la preuve des effets des quotas dans les conseils d'administration, et entre autre l'allégation selon laquelle les entreprises seraient plus rentables du fait de la présence des femmes. C'est en fait la situation des garçons qui est paradoxale en Norvège. Il semblerait que les garçons soient les perdants à l'école. Dans nos crèches, du fait de notre culture, nous accordons une prime aux gentilles petites filles, alors que nous avons tendance à punir les garçons, qui sont plus dissipés. Cela transparait aussi dans la vie professionnelle. Il faut donc s'occuper de ces garçons qui présentent davantage de risques d'être déscolarisés. Il existe de nombreux débats sur la situation norvégienne.

Mme Myriam LEVAIN - Les femmes n'ont pas accès aux mêmes professions que les hommes, ce qui peut constituer l'un des noeuds du problème.

Mme Brigitte GRÉSY - L'égalité ne peut advenir dans un pays que s'il existe un système de valeurs fortes qui la soutient, et aussi de contraintes. Les politiques publiques doivent s'appuyer sur deux piliers, celui de la contrainte, et celui de la conviction et de la mise en exergue des valeurs.

En France, la loi pour imposer l'égalité débouche jusqu'à la sanction. Dans le domaine de l'égalité professionnelle, depuis les années 80, les entreprises ont l'obligation d'établir des plans d'égalité, de promouvoir les femmes, de traiter la question du temps partiel et celle de la précarité du travail féminin. Or on constatait peu de réalisations. Depuis très récemment, la sanction peut s'élever à 1 % de la masse salariale. Quatre sanctions ont été prévues en France et, du coup, les plans d'action pour l'égalité fleurissent dans les entreprises. Dans le domaine de la vie politique, en matière de représentation des femmes au Parlement, nous allons également mettre en place un système de sanctions plus fort. Pour la parentalité, nous travaillons sur une loi visant à inciter les pères à prendre leur part du congé parental. La loi a ici valeur d'incitation, en vue de changer les mentalités. Si le père ne prend pas sa part de congé parental, alors il tombe. Les politiques publiques sont essentielles : faire des lois pour engager volontairement les acteurs sur la voie de l'égalité, sanctionner en cas de non-application et contrôler les résultats, ce qui peut passer aussi par le biais de la médiatisation, et convaincre.

Une société démocratique doit mettre en exergue à tout moment le fait que l'égalité constitue un principe constitutionnel auquel nous devons répondre. L'État doit d'abord être un chef d'orchestre entre les différents ministères. Les inégalités sont souvent invisibles et le rôle de l'Etat est de les rendre visibles. L'État est responsable aussi de la formation des acteurs. Il importe de former les enseignants aux bienfaits de l'égalité et aux méfaits de l'inégalité.

Un autre point concerne les campagnes de sensibilisation. Le grand public en France ne se rend pas compte à quel point le droit à l'IVG peut être menacé ni de l'impact des médias et des images, qui sont largement sexuées. Il faut engager des démarches d'autorégulation pour améliorer l'image des femmes. Effectivement, les filles s'autocensurent dans l'orientation, mais les garçons refusent aussi certaines filières. C'est ce système sexué qui fait apprendre aux filles à être de bonnes élèves, alors que les garçons peuvent s'affirmer dans le refus des consignes. Les filles seront parfois dans le marché du travail si conformistes qu'elles n'iront pas dans certaines filières à forte rentabilité alors que les garçons oseront beaucoup plus. Ce sont souvent eux qui prendront les meilleures places dans le monde du travail, alors que les femmes resteront dans le conformisme.

Mme Myriam LEVAIN - Dans quelle mesure l'Etat a-t-il une responsabilité dans le domaine de l'égalité entre hommes et femmes ?

Mme Arni HOLE - Je représente un ministère qui coordonne les politiques familiales dans toutes ses dimensions.

L'égalité entre les sexes concerne les deux sexes, il faut le rappeler. Elle constitue un but en soi, mais également une source de croissance. Ces idées sont très ancrées en Norvège. La politique norvégienne est basée sur un consensus tripartite entre l'État, les syndicats et le patronat. Elle permet à l'individu de faire des choix adéquats dans sa vie. Les jeunes pères peuvent choisir de rester à la maison durant 14 ou 15 semaines, ce qui est positif pour la famille. Nous pensons que la liberté individuelle et la participation sociétale sont réalisées si l'on dispose d'un revenu avec lequel on peut vivre. En 1925, en Norvège, 23 % des travailleurs en usine étaient des femmes. Ces dernières ont, en effet, toujours travaillé en Norvège. Dans les pays nordiques, les dépendances traditionnelles au sein de la famille ont été réduites, notamment celles des enfants vis-à-vis des parents ou des femmes vis-à-vis de leurs maris, ce qui a libéré la main-d'oeuvre féminine.

En Norvège, la confiance dans les négociations entre les partenaires sociaux et l'État est forte. La suppression de l'évaluation des ressources pour l'obtention de prêts à l'éducation a favorisé la mobilité sociale. Cette mobilité sociale élevée permet aux étudiants d'origine modeste de faire des études supérieures. La Norvège a fait le choix de régimes universels indépendants des ressources propres.

Au cours des quarante à cinquante dernières années, les gouvernements norvégiens successifs ont beaucoup travaillé sur cette question de l'égalité. Il y a trente-cinq ans, le congé parental était de trois mois et n'était pas rémunéré. A présent, nous disposons de 49 semaines de congé parental avec un salaire de 100 % jusqu'à un certain plafond, ou de 59 semaines de congé parental avec un salaire de 80 %. C'est un niveau très élevé, même la Suède ne l'atteint pas. Ce système est de plus très flexible, car le congé peut être pris sur une période de trois ans. En 1993, les pères ont obtenu un congé parental de 4 semaines. Au départ, peu d'hommes partageaient le congé parental. Ensuite, nous avons introduit une main de fer dans un gant de velours, le quota paternel. Aujourd'hui, ce sont 14 semaines. Si le père ne souhaite pas les prendre, elles sont perdues. Les pères bénéficient également de dix jours de congé pour enfant malade par an. Ils s'occupent ainsi autant des enfants malades que les mères. C'est un droit universel. En 1978, les femmes norvégiennes ont obtenu un congé d'une heure par jour pour allaitement sur le temps de travail, à charge pour elles de négocier le salaire. En 2014, les pouvoirs publics ont accordé une rémunération pleine pour cette heure. Le gouvernement et le parlement ont ainsi un rôle à jouer en matière d'égalité.

Un système de quotas dans les entreprises a, en outre, été mis en place. Les femmes ne doivent pas, en effet, être ignorées si elles disposent des compétences requises pour entrer dans les conseils d'administration. Les politiques ont joué un rôle important dans ce domaine, en concertation avec les entreprises. Avec cette loi sur les quotas, en 2003, une association patronale dans le secteur des finances a lancé des programmes pour permettre aux femmes de participer à la vie professionnelle et occuper des postes à haute responsabilité. Nous avons écrit un Livre blanc au Parlement sur l'égalité entre les sexes d'où il ressort que 79 % des femmes norvégiennes sont actives (dont 40 % travaillent à mi-temps, volontairement la plupart du temps).

Nous devons cependant encore travailler beaucoup sur l'égalité salariale, l'intégration des femmes immigrées ou encore la présence des femmes dans les postes à haute responsabilité. Nous devons également légiférer dans le domaine des violences domestiques. Selon le ministère des finances norvégien, notre PNB serait inférieur de 15 % sans la participation des femmes à l'économie.

Mme Myriam LEVAIN - Les quotas sont-ils nécessaires pour imposer l'égalité ?

Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN - Oui, l'imposition des quotas donne des résultats. Nous avions d'ailleurs proposé dans le cadre du projet de loi sur l'égalité un abaissement du seuil des entreprises soumises à ces quotas de 500 à 250 salariés. Cet amendement n'a pas été adopté, mais les idées cheminent.

Mme Brigitte GRÉSY - Concernant la législation sur les quotas relatifs à la représentation des femmes en entreprise, la France a essayé de copier la Norvège. J'estime que la logique de cooptation qui prévalait auparavant était une logique de discrimination positive. Il fallait donc instaurer de la transparence et une logique de critères vérifiables dans le domaine du choix des membres des conseils d'administration. Cependant, pour les comités de direction et les comités exécutifs, nous préconisons des quotas non obligatoires. Nous espérons que ces logiques obligatoires dans les conseils d'administration auront des conséquences positives sur la place des femmes dans les comités de direction au sein des entreprises.

Mme Kristin CLEMET - En matière de quotas, en Norvège, des quotas modérés formels et informels ont été mis en place dans de nombreux domaines. Il serait ainsi impossible de former un gouvernement qui ne serait pas composé d'au moins 40 % de femmes.

Cependant, les quotas radicaux peuvent conduire à privilégier des personnes moins qualifiées, ce qui s'apparente à des discriminations ; ils sont plus difficiles à défendre. Dans notre loi, nous avions prévu une possibilité de quotas radicaux pour le professorat dans l'enseignement supérieur.

Qui prend la décision ? Dans la loi, c'est l'Etat qui décide de la composition des conseils d'administration des entreprises privées. Qui doit être concerné par les quotas ? Les personnes en situation de handicap souhaitent également disposer de quotas dans le monde du travail. Les immigrés pourraient en disposer aussi. Il faut donc bien réfléchir à tout ce qu'implique cette question des quotas.

J'étais membre du gouvernement qui a proposé une législation sur les quotas dans les conseils d'administration. Je peux divulguer ici que j'y étais opposée. Et j'ai perdu ! Les politiques désignent du doigt des sociétés privées en légiférant, alors que le marché du travail dans le secteur public présente des inégalités fortes dans la représentation des hommes et des femmes. Les femmes sont très majoritairement présentes dans l'enseignement et dans les crèches. Peu de garçons choisissent ces filières. Si on veut montrer aux enfants un marché du travail équilibré et diversifié, il importe d'agir sur les secteurs dont on a la responsabilité.

Mme Brigitte GRÉSY - L'État doit effectivement s'imposer à lui-même les règles qu'il impose à autrui. La France a légiféré dans le domaine de la fonction publique d'État, qui ne comptait que 17 % de femmes à des postes de haute responsabilité, avec un objectif de 40 % avec des sanctions financières. Notre position initiale sur les sociétés cotées en bourse était la suivante : dès lors qu'elles gèrent de l'argent public, elles ont des devoirs supplémentaires, qui passent par une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans leur conseil d'administration.

Évidemment, ces quotas radicaux ne peuvent être mis en place que pour une période transitoire et promouvoir que des personnes à compétences comparables. Ils engagent à se poser la question du vivier, donc de la compétence et de la professionnalisation. Depuis la législation sur les quotas, se développent en France des certificats et des formations au mandat d'administrateur. Cette réflexion sur les quotas sert donc aux entreprises dans leur ensemble.

Mme Arni HOLE - Nous avons légiféré sur les sociétés cotées en bourse et sur celles détenues par l'État et les municipalités, mais pas sur les petites entreprises. J'ignore quel est le résultat économique de cette règle des quotas. Les débats ont été nombreux lors des campagnes électorales. Faut-il conserver un quota pour le père au sein du congé parental ? La dirigeante de la principale organisation patronale en Norvège s'est montrée défavorable à sa suppression, car cela a permis plus d'égalité entre hommes et femmes. Les entreprises se font alors concurrence pour embaucher les meilleurs talents. De plus, la société n'est pas mature pour supprimer ce quota. 90 % des pères ayant droit à ce congé en bénéficient et nous constatons un changement concernant le rôle des hommes en Norvège. La flexibilité de ce congé est également très importante pour les petites entreprises en Norvège.

Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN - L'exigence du rééquilibrage du congé parental avait également trait au retour à l'emploi de la femme. Comment traitez-vous ce point en Norvège ? Quelles sont vos pistes pour s'émanciper du temps de travail partiel imposé ?

Mme Arni HOLE - Nous avons beaucoup travaillé avec des femmes et des hommes qui travaillent à temps partiel, surtout dans le secteur de la santé.

Ces questions sont également traitées par les partenaires sociaux. Effectivement, l'un des arguments pour le partage du congé parental voté par le Parlement le 1 er juillet dernier repose sur le retour à l'emploi des femmes. Néanmoins, ce sont les femmes qui prennent l'essentiel de leur quota de congé parental. Nous espérons toutefois que les pères utiliseront davantage ce droit. Beaucoup de programmes existent pour inciter un maximum de femmes à entrer sur le marché du travail.

Mme Kristin CLEMET - Ce qui est positif dans nos sociétés nordiques c'est d'avoir à la fois « un mari, un enfant et une carrière ». Pour ma part, j'ai quatre enfants et j'ai toujours travaillé. Il existe un débat sur ce sujet : travailler à temps plein, avoir des enfants et tout réussir. Le nombre important de femmes travaillant à temps partiel suscite la question. Elles souhaitent sans doute rester davantage auprès de leurs enfants. Nous devons avoir une vision plus nuancée du congé parental. Peut-être n'est-il pas positif d'obliger tout le monde à travailler à 100 % en permanence. Notre système incite à faire des enfants tard, ce qui a un impact sur le taux de naissance et stoppe la carrière des femmes au moment où elles sont les plus productives. Ne faudrait-il pas changer les choses pour inciter à avoir des enfants plus tôt ? Les subventions versées en faveur des jardins d'enfants le sont à des familles assez aisées. Enfin, je pense qu'il est important de débattre du quota des pères pour le congé parental.

Mme Myriam LEVAIN - Quelles sont les pistes pour que la maternité freine moins la carrière des femmes ?

Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN - Nous avons réfléchi à cette question, mais nous n'avons pas de réponse concrète précise. Quoi qu'il en soit, cette réponse n'est pas unique et nous devons mener une réflexion importante au sujet du travail, de son contenu, de son statut et revoir la question de la formation, initiale et tout au long de la vie. Je suis interpellée par le système que vous décrivez, et qui fonctionne avec une grande flexibilité et un système d'assurance qui fait que vous n'avez pas peur du chômage. En France, il faut déconstruire les stéréotypes et réfléchir au contenu des formations.

Nous n'avons, en outre, pas abordé la question de la pénibilité du travail des femmes. Les accidents de trajet pour les femmes ont explosé et les temps partiels concernent souvent des métiers dévalorisants. Nous sommes donc face à un faisceau de problématiques liées au travail et à la santé au travail.

Mme Brigitte GRÉSY - Trois leviers essentiels s'offrent à nous pour favoriser une maternité équilibrée. En France, nous manquons de modes de garde, même si des projets existent ou si l'éducation nationale s'engage à recréer des classes pour les enfants de moins de trois ans. Nous n'avons pas cette confiance que vous avez en Norvège envers un service de la petite enfance. De plus, il faut introduire la notion de parentalité au sein de l'entreprise et cette notion doit être prise en compte dès la naissance de l'enfant. C'est pourquoi nous entendons faciliter les congés parentaux, pris par les pères notamment mais aussi par les mères, et flexibiliser l'organisation du temps de travail. La France a beaucoup de progrès à faire dans ce domaine. Enfin, le troisième levier est celui de l'implication des hommes, non seulement en termes d'égalité mais aussi pour eux-mêmes, dans cette prise en compte de la double sphère. Là aussi les progrès à réaliser sont importants. C'est essentiel afin que les employeurs ne pensent pas que les femmes soient des agents à risques mais aussi dans le couple pour leur donner les outils d'une négociation conjugale. La négociation conjugale est d'ordre privé mais il est possible de donner des outils de dialogue, le congé parental en est un.

Mme Arni HOLE - En Norvège, une réforme a été lancée récemment et pour chaque enfant en-dessous de 18 ans, on attribue une allocation familiale mensuelle d'environ 1 000 couronnes. Cette allocation est doublée si le parent élève seul son enfant. Une aide est également versée chaque mois pour les parents qui ne mettent par leur enfant au jardin d'enfants. Cette aide ne concerne que les enfants de moins d'un an. Je pense qu'en France il faut défier les hommes et les femmes pour éviter de développer des stéréotypes.

En Norvège, je constate que les femmes choisissent de plus en plus des formations non traditionnelles. Le rôle de l'Etat doit être d'établir des cadres pour permettre aux familles de choisir eux-mêmes ce qui leur convient le mieux. En Norvège, on ne contraint pas les parents à prendre un congé parental mais on le facilite.

Une intervenante - Le marché du travail dans les pays scandinaves, avec une flexibilité dans l'embauche et le licenciement et une sécurité en matière d'assurance-chômage et de formation, peut-il favoriser l'égalité entre hommes et femmes, en contribuant à une fluidité de l'ensemble des acteurs économiques, et notamment des femmes ?

En outre, vous avez parlé de ce fort niveau de segmentation sur le marché du travail entre les hommes et les femmes en Norvège, qui existe aussi en France. Quelles pistes pour mettre fin à cette situation ?

Mme Kristin CLEMET - Le marché du travail en Norvège, comme dans les pays scandinaves, se caractérise par sa souplesse. En 1931, une forme de paix sociale a été conclue avec la signature d'une convention de base sur laquelle reposent toutes les conventions ultérieures. Le contexte du marché du travail est ainsi apaisé. Les partenaires sociaux ont eu une grande influence dans ce domaine. Les syndicats en Norvège font preuve de sens constructif.

Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN - Evidemment, le temps partiel peut parfois constituer une réponse. Dans le cadre de l'examen de la loi, la délégation avait réfléchi à un principe de droit de congé individuel portable qui pourrait être pris entre les 0 et 18 ans de l'enfant.

L'indépendance économique de la femme est indispensable dans un processus d'émancipation, ce à quoi se heurte le temps partiel. En cas de congé parental prolongé, la question du retour à l'emploi se pose.

Mme Arni HOLE - Nous devons effectivement remédier à la segmentation du marché de travail et nous menons des campagnes en Norvège dans ce sens, dans les milieux scolaire et universitaire. Nous disposons de plans d'action nationaux mis en oeuvre aux différents échelons. Nous donnons des points supplémentaires aux hommes lorsqu'ils suivent des formations pour travailler dans les crèches, où ils ne représentent que 10 % du personnel. Nous essayons également d'encourager les femmes à suivre des filières de formation dans lesquelles les hommes sont traditionnellement surreprésentés. Les instituts qui emploient des chercheuses obtiennent des primes.

Il importe, en outre, de travailler sur l'orientation au niveau du lycée. De nombreux enseignants donnent en effet des conseils dépassés et sexués à leurs élèves lorsque ces derniers se déterminent sur leur choix d'études supérieures. Le Danemark a mené une politique forte pour prévenir les préjugés sexués qui existaient chez les enseignants. Le droit de retrouver un travail après un congé parental est entériné dans les lois norvégiennes, pour prévenir toute discrimination dans ce domaine. Des hommes ont également été confrontés à cette difficulté. En tant que père ou mère, vous pouvez choisir de prolonger le congé au-delà de la première année de l'enfant, mais il n'est plus rémunéré. Le fait de prendre un congé non rémunéré a un impact sur le niveau ultérieur de la retraite.

Mme Brigitte GRÉSY - Y a-t-il un lien entre une plus grande flexibilité du marché du travail et l'égalité des sexes ? Cette question est délicate. Je voudrais citer quelques chiffres. Une femme qui prend un congé parental, douze ans après, a vingt points d'écart en matière d'emploi. A présent, les femmes qui prennent les congés parentaux les plus longs voient leurs carrières freinées. De plus, deux tiers des salariés au SMIC sont des femmes et nous avons tendance à penser en France que le code du travail protège les salariés les plus faibles et les plus précaires, que sont les femmes.

Les raisonnements économiques sur la place des femmes et l'égalité sont parfois un peu fragiles dans notre pays. Par exemple, les études sur la place des femmes au sein des comités de direction et les performances financières des entreprises établissent des liens de corrélation et non de causalité. Or si ces entreprises sont meilleures, c'est également parce qu'elles recrutent des femmes et qu'elles sont les pionnières en termes d'innovations, de prise de risques, de conquête de nouveaux marchés ; elles font donc le pari de la nouveauté et du non conservatisme.

Dans le même temps, nous avons besoin d'une flexibilité plus grande dans l'organisation du temps de travail, pour permettre l'exercice de la parentalité, mais aujourd'hui en France une flexibilité plus forte en matière de disposition d'embauche, de licenciement pénaliserait davantage les femmes. Les échos de la crise le montrent très bien. Dans un premier temps, le chômage a été plus fort du côté des hommes car ce sont des emplois industriels qui ont été supprimés. Aujourd'hui le chômage atteint plus fortement les femmes puisque la sous-traitance et les services à la personne sont impactés, là où elles sont plus nombreuses.

M. Alain RICHARD - Les Français n'ont pas suffisamment prêté attention à un point soulevé par les interventions des personnalités norvégiennes, à savoir le niveau élevé de qualification de la population active. Une grande partie des difficultés que nous rencontrons provient du contraste entre notre haut niveau économique global et la présence massive de personnes à très faible niveau de qualification en France. Ce qui explique que les mêmes mécanismes dans les deux sociétés ne donnent pas les mêmes résultats. Il est important d'analyser le symptôme à la base. Nous rencontrons des problèmes de niveau de réussite scolaire et de focalisation de la formation professionnelle. La réforme à venir sur ces sujets, qui devrait rééquilibrer entre les basses et les hautes qualifications, pourrait donc être une grande avancée sociale.

Mme Brigitte GRÉSY - C'est plus en France un sujet de marché du travail global que d'égalité entre les hommes et les femmes. La formation initiale des filles est meilleure que celle des garçons. Le sujet important en termes d'égalité est l'écart croissant entre les femmes qualifiées et celles qui ne le sont pas. La proportion des femmes cadres en France a augmenté de 149 % en vingt ans, alors que celle des hommes cadres n'a progressé que de 49 %.

Mme Kristin CLEMET - En Norvège, il est beaucoup question de la façon de prouver l'égalité à travers la recherche et les sciences. Cependant, la recherche peut se tromper et peut donner lieu à manipulations. La démocratie ce n'est pas la technocratie, c'est plus que cela. Ce sont également les valeurs. La politique doit se baser sur des connaissances, mais l'égalité et l'équité sont des valeurs essentielles.

TABLE RONDE 2 - L'ÉGALITÉ AU TRAVAIL, FACTEUR DE RENTABILITÉ POUR LES ENTREPRISES

Table ronde animée par Mme Myriam LEVAIN, journaliste

Ont participé à cette table ronde :

Mme Mercedes ERRA, chef d'entreprise, fondatrice de BETC
Mme Catherine BOISSEAU MARSAULT, Directrice des Études et de la Prospective de l'Observatoire de la parentalité en entreprise
M. François FATOUX, Délégué général de l'Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises
Mme Hanne BJURSTRØM, avocate, ancienne Ministre du travail
Mme Tove SELNES, Vice-présidente exécutive d'Opera Software
Pr Kjell SALVANES, Professeur d'économie à l'École norvégienne

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Mme Myriam LEVAIN - Plus de femmes dans une entreprise, est-ce rentable ?

Mme Mercedes ERRA - Ça dépend ! Dans mon domaine, la communication, 70 % des personnes sont des femmes. L'enjeu est donc celui de la vraie mixité, car les métiers qui deviennent trop féminins perdent de la valeur. Regardez les avocates, elles ont le même souci que nous. Elles sont très nombreuses. Le sont-elles partout ? En réalité, ce monde de la communication qui semble ouvert aux femmes l'est jusqu'à une certaine position. Je me souviens lors de ma nomination à l'Association des agences conseils de communication d'avoir ouvert une porte sur quarante hommes. La seule femme présente était une secrétaire et j'étais contente qu'elle soit là. Nous étions au moins deux différentes dans la salle ! Ce métier pourtant féminin avantage les hommes dans l'accès à une fonction dirigeante.

J'ai donc intérêt à favoriser une vraie mixité au sein de mon agence. Il est important de travailler avec des hommes et des femmes à tous les étages. J'ai donc institué des quotas en faveur des hommes, car s'ils ne sont pas avantagés, ils n'arrivent pas à entrer dans l'agence. En haut de la hiérarchie, il me faut « pousser » pour que les filles grimpent, sinon c'est difficile. Il faut combattre non seulement l'ambition des hommes mais aussi la propre réticence des femmes. Il faut être très volontariste en ce qui concerne cette mixité. J'en ai fait un combat.

Je crois que ce droit à l'égalité accroît la performance dans une entreprise, comme le montrent d'ailleurs des études à ce sujet. J'y crois d'autant plus que les femmes et les hommes sont différents. Le fait d'avoir été dominées au cours des siècles fait naître d'autres types d'intelligence. Je me sens la fille de ma mère et de ma grand-mère, et j'ai appris des choses que les garçons n'ont pas apprises. Les femmes ont des forces que les hommes n'ont pas, car ils ont été élevés autrement. Cela s'effacera sans doute un jour.

Cet équilibre femmes-hommes est très intéressant. Mon entreprise est magnifique en ces termes-là, car elle a réussi cet équilibre. Je pense que les résultats que nous avons sont à la hauteur de cette mixité. Lorsque je compare mon entreprise avec d'autres du secteur, toutes dirigées par des hommes, je m'aperçois que la mienne est moins politique, moins compliquée et j'explique les forces de mon entreprise par un bon équilibre entre le masculin et le féminin. Il existe un respect de l'humain. Les congés maternité et paternité sont valorisés. Dans mon agence, les hommes prennent des congés paternité. J'estime également que, si nous souhaitons que les femmes parviennent à des postes à haut niveau de responsabilité, il ne faut pas allonger le congé maternité, mais le partager entre hommes et femmes. L'égalité professionnelle est un combat, qui est loin d'être terminé.

Mme Myriam LEVAIN - En Norvège, beaucoup de femmes semblent rencontrer des difficultés pour monter dans la hiérarchie.

Mme Hanne BJURSTRØM - En Norvège, les hommes sont très peu nombreux en études de médecine. Dans certains secteurs, les femmes dominent, surtout lorsqu'il faut une grande compétence pour y accèder. Les femmes prennent également deux fois plus de congés maladie que les hommes, ce qui est peut-être lié à la pression qui pèse sur l'importance de l'apparence physique chez les femmes. C'est un pas en arrière en ce qui concerne l'égalité.

Dans ma société d'avocats, il n'y a que trois femmes. En Norvège, le besoin de main-d'oeuvre est très important, c'est pourquoi il est nécessaire de maintenir l'emploi des femmes, car ce sont elles qui dominent dans les formations longues. Les entreprises qui n'arrivent pas à recruter des femmes vont perdre la compétition, car elles se privent des meilleures compétences.

Dans le secteur privé, en Norvège, il y a peu de temps partiel. Le secteur public offre un marché du travail dominé par les femmes, contrairement au secteur privé. Il est, en effet, plus difficile pour les femmes de travailler dans le secteur privé. De nombreuses femmes choisissent un emploi dans lequel elles sont dépendantes de l'homme pour subvenir aux besoins de la famille, cela aura des conséquences importantes sur le montant de leur retraite, qui sera bien inférieur. Dans le secteur de la santé, la proportion des femmes qui travaillent à temps partiel est bien supérieure, alors que la moyenne est de 42 %. Certaines femmes choisissent elles-mêmes de travailler à temps partiel. Je n'en connais pas l'explication. Comme nous sommes un pays riche, nous pouvons disposer de temps libre et importer la main d'oeuvre de l'étranger.

De nombreuses femmes sont cadres intermédiaires, mais nous ne parvenons pas à les faire évoluer vers des postes à hautes responsabilités. Des règles de quotas ont été introduites pour les grandes sociétés et, si elles ne répondent pas à ces exigences, ces entreprises sont dissoutes. Les chercheurs sont divisés sur le sujet de l'efficacité. Cependant, nous avons peu de recul dans ce domaine. Il faut constater que les femmes siégeant au sein des conseils d'administration sont souvent très compétentes.

Je pense que pour aider les femmes, le quota de pères prenant leurs congés parentaux est déterminant.

Mme Myriam LEVAIN - Comment impliquer davantage les hommes dans l'entreprise sur les questions d'égalité ?

M. François FATOUX - J'avais eu la chance de faire partie de cette délégation parlementaire qui s'est rendue en Norvège en 2009 pour étudier la faisabilité d'une loi sur les quotas en entreprise. Nous faisions le constat des difficultés à progresser sur ces questions. Il nous semblait intéressant d'analyser cette loi car dans tous les pays du monde, même les plus avancés, existe ce plafond de verre pour les femmes. Il fallait donc un cadre légal pour pouvoir progresser. Les contacts ont été passionnants et nous avons constaté qu'il existait un consensus sur cette question. Nous avions été reçus par le patronat norvégien qui avait bien compris la nécessité d'avancer, et qui avait mis en place un programme de viviers pour accompagner la loi. De notre côté, nous avions convaincu les représentants du patronat français de l'intérêt à disposer d'une loi, je pense notamment à l'engagement de Mme Laurence Parisot qui était à l'époque présidente du MEDEF.

Toutes les conférences relatives à l'implication des hommes sont suivies par une grande majorité de femmes, ce qui est paradoxal. La question de l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas uniquement un sujet de femmes. Il faut aussi que les décideurs masculins s'y intéressent, d'autant que les hommes ont également à gagner à la mise en place de politiques d'égalité, encore faut-il le démontrer. Nous avons arrêté au sein de notre observatoire de communiquer sur les enjeux de la performance. Les chercheurs n'arrivent pas à trouver des démonstrations, il faut plutôt présenter des réalisations concrètes. Les politiques publiques doivent faire le constat qu'il ne peut pas y avoir d'égalité dans l'entreprise s'il n'y a pas d'égalité au sein du couple dans la répartition des tâches ménagères et parentales.

En France, 80 % des tâches domestiques sont assumées par les femmes. Certes on ne peut pas mettre en place des sanctions ; c'est un sujet de réflexion. L'ORSE avait fait un travail sur la représentation des pères dans la publicité. Nous avions porté un focus sur la manière dont les publicités mettaient en scène les pères dans les situations familiales. Ce travail montrait qu'ils étaient systématiquement placés en situation d'incompétence, ce qui signifiait qu'il faut laisser ces tâches aux femmes.

En France, le congé paternité rémunéré n'est que de 15 jours, vous parliez de 14 semaines en Norvège. Vous pouvez avoir une réglementation, mais il faut aussi avoir des actions de communication. Des campagnes de communication avaient été menées en Norvège et en Suède pour que les hommes prennent leur congé paternité. Avons-nous intérêt à rendre obligatoire ce congé paternité ? La présidente du patronat y était favorable. C'était alors un sujet de discussion, car j'entendais dire que 90 % des hommes le prenaient. Cela veut dire aussi que 10 % des hommes ne le prennent pas. Au sein de notre observatoire, nous avions opté pour un mode incitatif afin que les hommes prennent davantage ce congé paternité. Lors de notre déplacement en Norvège, lorsque nous interrogions les dirigeants de ce pays, il était impensable qu'un homme politique ne prenne pas son congé paternité. En France, je ne connais aucun exemple de ministre ou de parlementaire qui s'est autorisé à prendre un congé paternité. Vous voyiez encore le chemin à parcourir.

Nous souhaitions aller plus loin que la parentalité : tous les hommes ne sont pas des pères, nous avons travaillé sur la façon dont les grandes organisations publiques travaillent sur leur implication. En 2009, la Norvège a mobilisé un panel d'hommes pour qu'eux-mêmes fassent des propositions sur l'égalité. De tels travaux permettent d'aborder d'autres thématiques, comme la santé des individus.

Il faut également avoir un focus sur la santé masculine, les hommes adoptant des comportements à risque. La plupart des suicides, de l'ordre de 75 %, sont masculins, 92 % des personnes en France condamnées pour homicide involontaire en situation d'ébriété sont des hommes. Nous constatons le poids des normes masculines qui impactent notre système de santé. Il y a aussi de la violence dans les milieux masculins, comme dans toutes les formes de pouvoir, ce qui pose la question de la violence institutionnelle. Lors du débat sur l'ouverture des conseils d'administration, les quelques femmes qui se sont impliquées ont été confrontées à une violence difficilement imaginable. C'est vrai aussi dans la politique. Cette violence se retrouve à tous les niveaux, notamment aux plus élevés, et dans toutes les formes d'organisation. Il faut donc sortir de ces schémas.

Au sujet du temps partiel, est-il possible d'avoir des responsabilités à temps partiel ? Pourquoi les hommes s'interdisent-ils de se diriger vers des métiers dits féminins ? Il faut lier ces questions à celle de l'injonction à la virilité.

Mme Myriam LEVAIN - Plus une entreprise est mixte, plus elle est rentable. Y a-t-il des chiffres pour prouver ce point ?

Pr Kjell SALVANES - La loi sur les quotas de femmes dans les conseils d'administration aura sans doute à terme un effet sur les choix de carrières des femmes. Il n'est pas possible de le constater à court terme, même si mon institut a mené des études sur ce sujet. On estime que cela peut déterminer le choix d'études. Le congé paternité, mis en place à partir de 1993, était très peu pris au départ par les pères, puis l'a été massivement depuis dix ans seulement. Certains hommes ne le prenaient pas en raison de forte compétition entre postes. Tout d'un coup, il a été très habituel pour eux de prendre ce congé. Les quotas de femmes dans les conseils d'administration peuvent avoir des effets sur la concurrence entre les femmes. Cela peut avoir un impact sur la formation et le plan de carrière des femmes.

En outre, un congé maternité long peut-il avoir un effet négatif sur la carrière des femmes ? Il faudrait poser cette question aux entreprises. En Norvège, les femmes prennent d'habitude un an de congé et très peu d'entre elles ne reviennent pas au travail suite à ce congé. Elles conservent le même salaire. Une période de trois ans serait trop importante.

Les femmes en Norvège ont tendance à être employées par le secteur public. Une hypothèse est une transformation de la situation dans les prochaines années.

Mme Mercedes ERRA - L'écart entre les femmes et les hommes est lié au fait que les femmes sont les seules à prendre ce congé. Elles ont encore en tête qu'elles sont seules responsables de leurs enfants. À propos des métiers les plus durs, je voudrais dire que le métier le plus dur est de faire le ménage à la maison. Une femme travaille chaque jour trois heures de plus qu'un homme, en raison des tâches ménagères ! Ce ne sont pas seulement les lois qui changent les données, même si j'y suis favorable. Il est vrai qu'avant les quotas, les femmes n'étaient pas présentes dans les conseils d'administration, maintenant elles y sont, mais seulement dans les conseils d'administration et pas dans les comités de direction, là où est le vrai pouvoir ! Nous devons considérer que les enfants n'appartiennent pas aux femmes, mais qu'ils sont de la responsabilité des femmes et des hommes. La mixité sert à rendre les hommes meilleurs, car les femmes « calment » les hommes. En France, nous avons une vision du monde très rétrograde et nous avons encore beaucoup de progrès à réaliser. La Norvège est en avance par rapport à nous, mais elle a encore beaucoup de chemin à faire.

Mme Myriam LEVAIN - Ne faut-il pas également mener un travail en France au sujet des crèches ?

Mme Catherine BOISSEAU MARSAULT - En 2013, selon un sondage que nous avons réalisé, pour 93 % des parents salariés, l'équilibre entre vie professionnelle et vie familiale est important et la plupart estiment que leur entreprise ne les aide pas assez dans ce domaine. De plus, quatre femmes sur dix se disent stressées d'annoncer leur grossesse à leur employeur ou à leur responsable hiérarchique.

Depuis cinq ans, des entreprises s'investissent sur ce sujet dans le cadre d'une réflexion sur l'égalité professionnelle et les risques psycho-sociaux, notamment par la création d'une charte de la parentalité en entreprise en avril 2008. Cette charte vise à inciter les employeurs à proposer aux salariés parents un environnement professionnel mieux adapté aux responsabilités familiales. Le réseau des signataires de cette charte mobilise 500 employeurs, de tous secteurs d'activité et entreprises de toute taille. 10 % de la population active est ainsi couverte par cette charte aujourd'hui. Le chemin est donc encore long. Ces entreprises ont également créé un observatoire, afin de porter cette charte, de la déployer sur le territoire national et de favoriser la mise en place d'actions concrètes dans les entreprises. Pour ce faire, l'observatoire s'appuie sur une vingtaine d'entreprises qui partagent leurs bonnes pratiques, rédige des guides à destination du grand public, des employeurs de plus petite taille et des associations.

Tout salarié est, sera ou a été confronté à un moment de sa carrière à des difficultés de conciliation de sa vie personnelle avec sa vie professionnelle. On pense bien sûr aux jeunes parents, mais il y a également les parents d'adolescents. Des salariés plus âgés souhaitent, par exemple, s'occuper de leurs petits-enfants ou de leurs parents et demandent des temps partiels. Ces entreprises considèrent qu'elles ont tout à gagner à s'intéresser à ces questions et à soutenir leurs salariés, pour mieux gérer les carrières, pour améliorer la performance de leurs salariés, pour ne pas induire d'inégalités, de stress au travail, etc.

Nous avons contribué à la rédaction d'un Livre blanc qui s'intitule : « Soutien à la parentalité et performances des entreprises : quel retour sur investissement ? » . Il est difficile d'apprécier le retour sur investissement sur le plan quantitatif, les entreprises contributrices de ce Livre blanc font plutôt ressortir un bénéfice social.

Mme Myriam LEVAIN - Nous n'avons pas abordé la question de l'autocensure des femmes, qui peut être un frein dans la carrière. Quelles sont les pistes de réflexion dans ce domaine ?

Mme Tove SELNES - Je suis vice-présidente d'une société internationale de logiciels, dans laquelle il est important d'être innovateur. Dès les années 1990, nous avons voulu disposer d'une main-d'oeuvre multiculturelle et diversifiée. Ce qui est essentiel pour nous afin de maintenir les femmes au travail c'est à la fois notre flexibilité et le fait que nous posions des défis à tous les collaborateurs. Pour autant, il ne faut pas envisager que la vie personnelle est plus importante que la vie professionnelle. Dans notre entreprise, nous comptons des collaborateurs de 54 nationalités différentes et chaque nouvel employé constitue pour nous une richesse. Les premiers salariés que nous avons recrutés étaient férus d'informatique, alors qu'à présent, nous avons embauché des collaborateurs d'autres cultures pour développer nos produits. La recherche montre que, dans des entreprises hétérogènes d'un point de vue culturel, le rythme d'innovation est plus grand. La Norvège est un petit pays et la plupart de ses dirigeants d'entreprise ont la même formation et se connaissent. Dès lors, les personnes étrangères constituent une ressource importante, qui sert à promouvoir l'innovation. Cette diversification est précieuse pour nous.

Le siège de notre société est en Norvège, mais nous sommes représentés dans 16 pays dans le monde. Nous considérons qu'il est important d'exporter les mesures qui ont réussi en Norvège. Il y a quelques années, nous avons introduit un congé de paternité pour tous nos employés dans le monde. Cette initiative a retenu beaucoup d'attention. Il est en effet positif pour leur équilibre professionnel que les pères s'occupent de leurs enfants dès la naissance.

Pour ma part, je suis favorable aux quotas. Le changement doit se faire par la contrainte dans un premier temps. Pour les femmes, ce congé de paternité obligatoire est devenu un outil d'égalité très précieux. Nous ne rencontrons pas de problème pour réintégrer les personnes qui ont pris un congé et les mentalités ont évolué en matière d'égalité.

Mme Hanne BJURSTRØM - Je suis satisfaite de constater que les entreprises sont favorables aux politiques mises en place par le gouvernement. En écoutant ce débat, je constate que les différences sont nombreuses entre la France et la Norvège. En France, les hommes estiment qu'il est dégradant de faire les tâches ménagères, ce qui est impensable en Norvège. Les défis sont différents, et les outils aussi.

J'ai lancé ce débat sur le temps partiel et j'ai rencontré de nombreuses oppositions, les femmes souhaitant décider elles-mêmes si elles veulent rester à la maison.

En Norvège, l'âge des femmes à la naissance de leur premier enfant ne cesse de progresser. Les femmes font des études supérieures et ensuite ont des enfants. Beaucoup de femmes souhaitent alors passer du temps avec leur enfant. Pour les cadres supérieurs, nous constatons qu'être cadre supérieur ne pose pas de problème pour les hommes alors que les femmes ne souhaitent pas assumer ces responsabilités-là. Faut-il sacrifier sa vie de famille pour réussir sa vie professionnelle ?

M. François FATOUX - Les modèles d'engagement sont finalement des modèles sexués et c'est l'engagement sacrificiel qui est privilégié. Nous avons encore une culture du sacrifice dans notre société, que l'on retrouve au sein de l'entreprise et c'est pourquoi il n'existe pas d'exercice des responsabilités à temps partiel. Or ce type de modèle d'engagement est en bout de course. Il faut mettre en place des formations en direction des hommes à l'empathie, à la bienveillance, à la faculté d'exprimer des émotions, etc. Dans une entreprise tournée vers la compétition et la performance, les individus peuvent-ils être des êtres fragiles, par rapport aux enfants, à des parents dépendants, à des situations personnelles ?

Une intervenante - Nous avons parlé des responsabilités de l'Etat et de l'entreprise, mais il importe de revenir sur les responsabilités individuelles des femmes, notamment lorsqu'elles sont managers. Ainsi, par exemple, il ne faut pas imposer des réunions après 18 heures et rassurer les collaboratrices sur la possibilité de prendre un congé maternité. Il faut également cesser de critiquer les hommes lorsqu'ils effectuent les tâches domestiques et prennent part à l'éducation des enfants.

Le rôle de l'État consiste à donner le choix en matière de travail et d'éducation des enfants. Les crèches constituent ainsi un élément important pour que les femmes puissent choisir et réussir. Où en sommes-nous dans ce programme d'ouverture de nouvelles places de crèches. ?

Mme Catherine BOISSEAU MARSAULT - Depuis la conférence de la famille de 2003, les entreprises bénéficient d'aides financières incitatives pour réserver des places de crèche, avec un crédit d'impôt famille qui est aujourd'hui de 50 %. Les leviers fiscaux existent. L'offre, notamment dans le secteur privé, s'est développée. Nous constatons cependant un recul dans le domaine de l'engagement des entreprises dans les crèches en raison de la crise. En effet, les entreprises qui réservaient des places en crèche recevaient en 2004 des aides en amont, c'est-à-dire sans avances de trésorerie, alors qu'en 2009-2010, le dispositif a changé. De plus, les crèches d'entreprises représentent un coût de 10 000 à 20 000 euros par an et par enfant. Des expérimentations sont toutefois menées en région, avec des partenariats public-privé et associatifs. Ces places coûtent 5 000 euros par an et les entreprises s'engagent plus volontiers dans des processus de ce type.

Mme Brigitte GRÉSY - Le Gouvernement prévoit d'augmenter les possibilités d'accueil de 175 000 places et l'éducation nationale doit créer des classes passerelles pour les deux-trois ans.

Mme Mercedes ERRA - Sans système qui permette d'accompagner les enfants, comment travailler ? En effet, le travail domestique est épuisant et n'est pas épanouissant. Les femmes ont toujours beaucoup travaillé, davantage que les hommes, d'ailleurs, mais elles ne sont pas payées pour cela.

Je crois que nous sommes encore dans une période où il ne faut pas trop parler d'équilibre. Lorsque j'inaugure à l'agence une semaine de réunions sur la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, je constate que mon auditoire n'est constitué que de femmes. Il n'y a pas de garçons dans la salle ! Désormais, je n'accepte de parler que si les garçons sont présents ! Je voudrais féliciter Mme Tove Selnes qui a trouvé un excellent système pour changer les mentalités.

Il faut travailler dans nos pays à un monde plus égalitaire, d'autant qu'une société mixte est plus performante. Car dans le monde, les femmes vont mal. Je pense que cela change aussi des formes de violence dans l'entreprise.

M. François FATOUX - L'Organisation internationale du travail vient d'adopter une convention sur le travail domestique pour reconnaître des droits à des employés, qui représentent entre 7 et 22 % des salariés dans un certain nombre de pays. Vous savez que ce travail est effectué essentiellement par des femmes qui ont statut très précaire. Nous avons à nous interroger sur les politiques publiques incitatives dans le domaine des emplois à la personne. En effet, les emplois à la personne en France concernent à 90 % des femmes et quasiment 100 % dans le secteur de la petite enfance. Lorsque nous externalisons les tâches, nous créons à nouveau des précarités. Un sujet à traiter pour la France et la Norvège est celui des femmes immigrées, pour lequel la question de la parentalité reste un tabou. Les politiques publiques ont peut-être intérêt à mener des actions ciblées sur des catégories qui ne se retrouvent pas forcément dans les discours sur la parentalité masculine.

Une intervenante - Je suis chercheuse sur les questions de mixité et d'égalité dans la région de la Gironde. Il ne faut pas sous-estimer en France la question de la puissance publique, et l'apport féministe sur ces débats. Aujourd'hui, en France, on n'est pas en mesure de présenter une alternative. Les identités se construisent sur des normes sexuées. Aucun regard n'est porté sur la question femme-homme dans le travail. Comment avez-vous en Norvège mené un projet politique égalitaire, porté à la fois par des hommes et des femmes ?

En France, nous ne parviendrons pas à régler cette question de l'égalité femmes-hommes si nous ne formons pas les personnes qui sont auprès de la puissance publique : les acteurs éducatifs, les animateurs et animatrices, les responsables de service, les directeurs des ressources humaines...

Mme Myriam LEVAIN - Vous aurez donc le mot de la fin. Beaucoup de personnes partagent votre avis dans la salle.

CLÔTURE

M. Jean-Claude MERCERON, Président délégué pour la Norvège du Groupe interparlementaire d'amitié France-Europe du Nord

Monsieur l'Ambassadeur de Norvège en France, Cher Tarald Brautaset,

Monsieur le Président Alain Richard,

Madame la Présidente Brigitte Gonthier-Maurin,

Mesdames, Messieurs,

Comme Président délégué pour la Norvège du groupe d'amitié « France-Europe du Nord », je me réjouis particulièrement de la tenue de ce colloque. J'ai pu apprécier, comme vous tous, la qualité des échanges et la richesse de cette perspective comparative entre nos deux pays.

L'importance de ce colloque tient, me semble-t-il, au fait que nous avons encore beaucoup à faire pour atteindre l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Madame la Présidente Gonthier-Maurin, les travaux de notre délégation du Sénat soulignent avec constance cette réalité, et je veux rendre hommage au travail que vous menez avec nos collègues de la délégation sur ce point.

Nous le savons, la France est aujourd'hui dans un contexte économique et budgétaire peu favorable. Cette situation est d'autant plus difficile que la concurrence internationale est toujours plus rude avec l'accélération de la mondialisation. Ce n'est pas une idée nouvelle que de dire que, dans la compétition mondiale, chaque pays a intérêt à miser sur ses points forts. Or il se trouve, et je crois que nos échanges ce matin et l'exemple norvégien, en général, tel que l'a présenté en introduction le Professeur Salvanès, l'ont montré, que nous disposons avec la main d'oeuvre féminine française d'un potentiel insuffisamment mis en valeur.

Les raisons en ont été rappelées, elles tiennent essentiellement à la persistance des représentations traditionnelles et à une « répartition des rôles » plus ou moins implicite entre les hommes et les femmes.

Or nous voyons bien que la réalité économique et sociale ne rentre plus dans ce cadre ancien. Nos concitoyennes subissent les conséquences de ce décalage, qui impacte aussi négativement notre compétitivité.

L'exemple norvégien peut constituer un modèle en ce qu'il établit assez clairement le lien entre vie professionnelle et vie familiale. Autrement dit, pour réduire les inégalités entre les sexes sur ces deux plans, il faut pouvoir les aborder dans un même regard. De ce point de vue, la question du congé de paternité me paraît véritablement centrale.

Il se trouve qu'en France nous avons depuis longtemps une politique nataliste assumée et qui fait l'objet d'un assez large consensus politique. Il s'ensuit que la France a un des meilleurs taux d'accroissement naturel d'Europe, ce qui est un atout précieux lorsque nous devons traiter la question de l'équilibre démographique de nos régimes de retraites. Par conséquent, nous avons déjà une tradition de dispositifs ambitieux de soutien aux familles. Il est certain que développer de façon significative le congé de paternité serait coûteux ; mais après tout ce serait d'une certaine façon le prolongement de notre politique de la famille, en ce qu'il s'agit de permettre aux familles d'avoir des enfants et de les accompagner au plus près dans les premières semaines de leur vie. La nouveauté décisive consiste à fixer l'objectif que les naissances ne fragilisent plus la vie professionnelle des mères, en permettant aux pères d'être plus présents dans les premières semaines de la vie, si importantes. Le législateur a commencé à mettre en place ce congé paternité, et nous voyons aujourd'hui les développements qui lui ont été donné en Norvège.

Il nous faut parvenir à faire évoluer les mentalités pour que la parentalité ne soit plus perçue comme un frein à l'ambition professionnelle. Aujourd'hui, un nombre toujours croissant de pères sont demandeurs de dispositifs leur permettant de s'impliquer de façon plus importante dans cette période cruciale, sans en subir le contrecoup professionnel. C'est ici que le législateur doit intervenir, pour garantir aux salariés, hommes et femmes, que leur situation professionnelle ne soit pas fragilisée par la parentalité.

Le modèle norvégien a le très grand mérite d'offrir une approche globale, particulièrement efficace semble-t-il : une politique publique qui englobe dans une analyse cohérente la vie professionnelle et la vie familiale, d'une part, et les femmes et les hommes, d'autre part.

Pour nous Français, un tel modèle, par son ambition et par ses résultats, ne peut que nous faire réfléchir et nous donner envie d'avancer. Ces questions sont du reste au coeur de nos débats de société. Le Sénat a examiné il y a quelques jours un projet de loi traitant notamment de ces questions. Ce vaste sujet est loin d'être tranché, mais nous sentons bien que des évolutions profondes sont en cours, et la Norvège nous donne sans doute un exemple de ce vers quoi nous nous dirigeons : un modèle économique et social tendant vers l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ce qui permettrait à la fois une plus grande efficacité économique au niveau national, et le maintien d'une démographie plus favorable que celle de beaucoup de pays européens.

En conclusion, je souhaite adresser à tous les participants au colloque, au nom de l'ensemble de nos collègues Sénateurs du groupe d'amitié, tous nos remerciements et toute notre amitié.

ANNEXE

Rapport d'activité pour l'année 2009 de la Délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

(Extrait)

LES ACTIVITÉS INTERNATIONALES DE LA DÉLÉGATION

Les activités internationales de la délégation répondent à deux objectifs :

- recueillir des éléments d'information sur la politique en faveur du droit des femmes conduite dans des pays étrangers, principalement européens ;

- représenter la délégation au sein des réunions internationales relevant des Nations-Unies, de l'Union européenne, ou de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie.

Mission conjointe en Norvège (du 25 au 27 mai 2009)

La loi du 12 juillet 1999 qui a institué la délégation aux droits des femmes du Sénat et de l'Assemblée nationale prévoit qu'elles peuvent organiser des réunions communes.

Sur ce fondement, la délégation a accepté de participer à une mission commune avec la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale en Norvège.

Cette mission, qui s'est déroulée sur trois jours, entre le 25 et le 27 mai 2009, avait pour objet d'étudier la politique conduite par la Norvège en matière d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Ce pays conduit en effet dans ce domaine une politique très volontaire, souvent citée en exemple, et qui mérite d'être examinée.

La délégation parlementaire était composée, côté Sénat, de Mme Michèle André, présidente, et de Mme Jacqueline Panis, premier vice-présidente ; côté Assemblée nationale, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, était accompagnée de deux vice-présidentes, Mme Danielle Bousquet et Mme Claude Greff.

Mme Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales et M. François Fatoux, délégué général de l'Observatoire sur la responsabilité sociale des entreprises, se sont joints à ces entretiens organisés par l'ambassade de France.

Au cours de ce déplacement, la délégation parlementaire a pu s'entretenir avec le président du Stortinget, M. Thorbjørn Jagland, les responsables des principales formations politiques en charge de la politique de l'égalité entre les sexes, M. Angran Gabrielsen, ancien ministre du commerce et de l'industrie, qui est à l'origine de la loi imposant un quota de femmes dans les conseils d'administration des principales sociétés norvégiennes, Mme Knutsen, secrétaire d'Etat à l'enfance et à l'égalité, les responsables administratifs du département des affaires familiales et de l'égalité, ainsi que plusieurs femmes qui sont entrées dans le conseil d'administration de sociétés à la faveur de la loi.

a) La Norvège : un pays avancé en matière de parité

La Norvège est un pays de 4,8 millions d'habitants qui dispose d'importantes réserves d'hydrocarbures. Elle était, en 2007, le cinquième exportateur mondial de pétrole et le troisième exportateur mondial de gaz naturel.

C'est un pays qui se montre assez en pointe en matière d'égalité :

- Les femmes ont obtenu le droit de vote dès 1913 ;

- La loi a imposé une forme de parité politique dès 1993 dans les conseils municipaux et dans les comités qui en dépendent, en disposant que la proportion de l'un ou l'autre sexe ne pouvait descendre en dessous de 40 % ;

- Ces « quotas » n'ont en revanche pas été imposés à l'échelon national ; mais certains partis - le parti travailliste notamment - se sont cependant imposés eux-mêmes cette règle ; ainsi, le Parlement monocaméral compte-t-il 38 % de femmes, et ce pourcentage est stable depuis plusieurs années. Le gouvernement actuel est composé de façon paritaire : 18 ministres, 9 hommes et 9 femmes.

Envisagé sous l'angle de l'égalité professionnelle, le marché du travail présente, au départ, des caractéristiques comparables à la situation française :

- 80 % des femmes sont actives mais le marché est segmenté suivant le genre : les hommes sont surreprésentés dans l'industrie, les femmes se tournent massivement vers le secteur tertiaire et les services ;

- alors que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être diplômées de l'enseignement supérieur, et qu'elles devraient fournir aux sociétés autant, sinon davantage, de hauts potentiels que les hommes, leur déroulement de carrière prend du retard dès 35 ans, et elles n'occupent qu'une faible proportion des emplois de direction ;

- enfin, les femmes sont souvent employées sur des postes à temps partiel.

Les autorités norvégiennes s'efforcent cependant d'y remédier, et mettent en avant deux mesures particulièrement énergiques.

b) Des congés parentaux généreux en faveur de la mère et du père

Les congés parentaux garantis par la loi sont généreux. Leur originalité est de mettre l'accent sur le rôle des pères de façon à faire évoluer la répartition des charges familiales dont la rigidité constitue un frein à l'égalité professionnelle.

La loi garantit un congé indemnisé de :

- 9 semaines à la mère ;

- 8 semaines au père, durée qui devrait prochainement être portée à 10 semaines ;

- 29 semaines supplémentaires, à partager à volonté, entre les deux parents.

Ces congés sont effectivement pris. De l'aveu général, les pères sont heureux de les prendre et il est socialement mal vu d'y renoncer.

Même les députés, qui deviennent père en cours de mandat, n'hésitent pas à les prendre. Ils sont alors remplacés par leur suppléant pour la durée de leur absence.

c) La loi imposant un quota de 40 % de femmes dans les conseils d'administration

Une loi, adoptée en 2003, a progressivement imposé aux entreprises publiques, puis, à compter du 1er janvier 2006, aux entreprises cotées en bourse, de compter au moins 40 % de femmes dans leurs conseils d'administration. Les sociétés disposent d'un délai de 2 ans pour se mettre en conformité avec la loi.

La sanction du non-respect de cette disposition peut aller jusqu'à la dissolution de la société. Elle peut cependant être commuée en lourde amende si la preuve est apportée que cette dissolution affecterait gravement l'économie nationale.

Cette disposition est semble-t-il bien respectée par les entreprises concernées et ses effets ont été rapides.

Le patronat, d'abord réticent à l'égard d'une réforme qui pouvait apparaître comme une restriction au droit de propriété des sociétaires, a finalement accepté une mesure qui avait d'ailleurs été présentée par un ministre conservateur, en charge du commerce et de l'industrie, et que celui-ci défendait au nom de l'efficacité économique.

De sa propre initiative, le patronat a lancé un programme intitulé « female future » qui se propose à la fois d'identifier les candidates ayant un bon profil pour siéger dans un conseil d'administration, et de leur dispenser une formation.

Cette mesure, bien respectée par les entreprises, s'est traduite à la fois par une féminisation et par un rajeunissement des conseils d'administration : les femmes ainsi recrutées sont en effet plus jeunes que les hommes qui y siégeaient habituellement. Cette évolution sociologique tendrait à renforcer une tendance à la professionnalisation des conseils d'administration qu'encourage actuellement toute une réflexion sur la corporate governance.

Cette féminisation se borne, cependant, aux seuls conseils d'administration. Ce n'est que par contagion qu'elle facilitera ultérieurement l'accès des femmes aux fonctions de direction des entreprises.


* ( 1 ) Membres du groupe d'amitié France-Europe du Nord : M. Alain RICHARD, Président ; Mme Leila Aïcha, M. Bertrand AUBAN, M. Gérard BAILLY, M. Philippe BAS, M. Pierre CAMANI, M. Christian CAMBON, Mme Karine CLAIREAUX, Mme Cécile CUKIERMAN, M. Ronan DANTEC, M. Philippe DARNICHE, Mme Catherine DEROCHE, M. Vincent EBLÉ, Mme Anne EMERY-DUMAS, M. Alain FAUCONNIER, M. François FORTASSIN, M. Thierry FOUCAUD, M. Jean-Paul FOURNIER, M. Yann GAILLARD, M. Gaëtan GORCE, M. Joël GUERRIAU, M. Jean-François HUMBERT, Mme Hélène LIPIETZ, M. François MARC, M. Pierre MARTIN, Mme Colette MÉLOT, M. Jean-Claude MERCERON, M. François PILLET, M. Michel SAVIN, M. Jean-Marc TODESCHINI, M. René VANDIERENDONCK

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N° GA 112 - Septembre 2013

* 2 Sources : Gouvernement (http://www.government.no), ministère de l'Enfance, de l'Egalité et de l'Intégration (http://www.government.no/bld), Parlement (http://stortinget.no/en/In-English/), Bureau central des statistiques (www.ssb.no/en ), Forum économique mondial : « The Global Gender Gap Report 2013 » (www.weforum.org)

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