Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 122 de Mme Josette DURRIEU , - 18 février 2015


Groupe interparlementaire d'amitié

France-Moldavie (1 ( * ))

La Moldavie au lendemain

des élections législatives du 30 novembre 2014

Actes du colloque du 13 janvier 2015

Sous le haut patronage de Mme Josette DURRIEU,

Présidente du Groupe interparlementaire

France-Moldavie

Palais du Luxembourg
Salle Vaugirard

AVANT-PROPOS

Organisé à l'initiative conjointe du groupe interparlementaire d'amitié France-Moldavie et du Cercle Moldavie, une conférence s'est tenue, au Sénat, le 13 janvier 2015, sur la situation de ce pays au lendemain des élections législatives du 30 novembre 2014.

Cette conférence a été ouverte par Mme Josette Durrieu, Présidente du groupe d'amitié France-Moldavie du Sénat, qui a rappelé sa connaissance approfondie de ce pays en tant que rapporteure à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a livré son analyse de la situation politique moldave à l'issue du dernier scrutin et a annoncé l'examen prochain par le Sénat du projet de loi autorisant la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Moldavie. Elle a également rendu compte de la visite du groupe interparlementaire à Chisinau, en Transnistrie et en Gagaouzie en septembre dernier.

Parmi les participants, étaient présents à cette manifestation Mme Maryvonne Blondin, Sénatrice (SOC-Finistère), M. Jean-Claude Frécon, Sénateur (SOC-Loire), Président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe et Mme Gisèle Jourda, Sénatrice (SOC-Aude), membres du groupe d'amitié.

Mme Sandrine Treiner, directrice adjointe de France culture, auteur d'un ouvrage sur la Bessarabie, a animé le débat auquel ont participé M. Florent Parmentier, maître de conférences à Sciences Po Paris, et Mme Iulia Badea-Guéritée, journaliste à Courrier International.

Les échanges avec la salle ont permis d'aborder de nombreuses thématiques comme le rôle de l'opposition, la constitution d'une nouvelle coalition gouvernementale, l'état de la société civile ou encore les aspirations de la jeunesse dans ce pays en pleine évolution.

M. Jean-Jacques Combarel,

Président du Cercle Moldavie

Ce document constitue un instrument de travail.

Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

OUVERTURE

Mme Josette Durrieu, Présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Moldavie du Sénat - Je voudrais d'abord remercier M. Jean-Jacques Combarel, Président du Cercle Moldavie, qui a créé cette association amicale francophone sur ce pays et qui a co-organisé, avec le groupe d'amitié France-Moldavie que j'ai l'honneur de présider, cette rencontre.

Ma relation avec la Moldavie est ancienne, puisque j'ai été rapporteure de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur la Moldavie pendant quatorze ans. J'ai donc connu tous les Présidents de ce pays depuis la chute du Mur, et je me suis impliquée dans l'évolution de son histoire.

La situation de la Moldavie reste toujours marquée par la sécession de la Transnistrie - où la délégation du groupe d'amitié s'est rendue pendant son déplacement en septembre dernier - et par la menace qui pèse sur la Gagaouzie. Le vainqueur des dernières élections moldaves est sûrement M. Vladimir Poutine. La délégation l'avait pressenti lors de sa mission, notamment au vu de la « mainmise » sur les médias locaux largement sous l'influence économique et financière. La pénétration russe en Moldavie n'est certes plus militaire, mais elle est toujours réelle. La liberté d'expression et la liberté de la presse doivent être défendues ici, comme là-bas et dans tous les pays du monde.

La coalition fragile qui est sortie de cette élection est pro-européenne, même si cette majorité tournée vers l'Ouest est à peine plus nombreuse que les partisans de la Russie. Il appartient aux Moldaves, y compris aux 44 % d'électeurs qui se sont abstenus lors du scrutin, de choisir librement. Le peuple moldave sait faire preuve de sagesse et de modération, même dans un monde et un contexte menaçants.

La ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique et leurs États membres, d'une part, et la République de Moldavie d'autre part, doit encore être approuvée par la France. Il aurait été souhaitable qu'elle intervienne avant les élections moldaves mais l'inscription du texte à l'ordre du jour du Sénat le 19 février prochain, en procédure accélérée, atteste néanmoins de la reconnaissance des aspirations de la population moldave. Les combats à mener ensemble ne manquent pas. Les victimes de ces derniers jours se sont engagées pour la liberté ; ce sont elles que nous honorons.

M. Jean-Jacques Combarel, président du Cercle Moldavie - Je vous remercie Madame la Présidente de nous accueillir au Sénat pour un échange sur les récentes élections législatives moldaves. Trois intervenants éclaireront nos débats : M. Florent Parmentier, maître de conférences à Sciences Po, expert de la Moldavie, Mme Iulia Badea-Guéritée, journaliste à Courrier international , spécialiste de la Roumanie et de la Moldavie, et Mme Sandrine Treiner, directrice-adjointe de la rédaction de France Culture.

Résultats du scrutin législatif moldave du 30 novembre 2014

La Commission Électorale Centrale a annoncé le 3 décembre les résultats du scrutin législatif du 30 novembre 2014.

Selon ces données, cinq partis ont accédé au nouveau Parlement moldave :

- Parti des Socialistes - 20,51%

- Parti Libéral-Démocrate - 20,16%

- Parti des Communistes - 17,48%

- Parti Démocrate - 15,8%

- Parti Libéral - 9,67%

Ainsi, sur le total de 101 sièges de député, le Parti des Socialistes détiendra 25 sièges, le Parti Libéral-Démocrate - 23 sièges, le Parti des Communistes - 21 sièges, le Parti Démocrate - 19 sièges et le Parti Libéral - 13 sièges.

24 candidats électoraux s'étaient inscrits dans la course électorale, y compris 19 partis politiques, un bloc électoral et 4 candidats indépendants.

Le rapport final de la Commission Électorale Centrale doit être remis à la Cour Constitutionnelle pour la validation des résultats du scrutin, ainsi que des mandats des députés élus et de ceux suppléants.

Conformément au Règlement du Parlement, le nouvel organe législatif doit se réunir 30 jours après le jour des élections au plus tard. La séance de constitution du Parlement est convoquée par le chef de l'État.

Source : La Commission Électorale Centrale de Moldavie

DÉBAT

Mme Sandrine Treiner, directrice-adjointe de la rédaction de France Culture - Le point de départ de nos débats, ce sont les élections du 30 novembre dernier, qui se sont déroulées dans un contexte international très tendu, notamment à l'Est de l'Europe. Aujourd'hui même est intervenu un nouveau développement que Mme Iulia Badea-Guéritée va vous exposer.

Mme Iulia Badea-Guéritée, journaliste à Courrier international - À cet effet, à midi, les deux principaux partis de la coalition pro-européenne, le Parti libéral-démocrate de M. Vladimir Filat et le Parti démocratique de M. Marian Lupu, ont décidé d'entamer des discussions avec le Parti communiste de M. Vladimir Voronin après l'échec des négociations avec le Parti libéral de M. Mihai Ghimpu. Ce dernier avait exprimé son exigence de devenir Président de la République et de voir la Moldavie adhérer rapidement à l'OTAN. Or ceci a été jugé inacceptable : M. Filat en particulier estime que l'accession à la Présidence ne doit pas être politique, et les deux partis veillent à ménager la Russie. La prochaine séance du Parlement se tiendra le 15 janvier. Le 29 décembre 2014, une première réunion avait abouti à une pause dans les travaux parlementaires, au moment des fêtes. La loi dispose que si aucun Premier ministre n'est désigné dans les trois mois suivant les élections législatives, le Parlement est dissous. Une option serait la mise en place d'un gouvernement minoritaire. En tout état de cause, l'ouverture de discussions avec le Parti communiste n'est pas une bonne nouvelle. La presse moldave exprime son inquiétude : sans gouvernement, la Moldavie n'a pas accès aux fonds européens, aux investissements, etc. ; le pays est bloqué.

De la même manière que les Moldaves continuent de fêter Noël et le Nouvel An à la fois selon le calendrier julien et selon le calendrier grégorien, le pays garde un pied dans ce qu'il reste de l'Union soviétique tout en regardant vers l'Europe. Comme Madame la Sénatrice, j'ai observé la division de la société moldave. Les Moldaves sont un peuple magnifique, mais ils gardent une certaine nostalgie du passé et n'arrivent pas à embrasser pleinement les promesses de l'Europe tant qu'elles ne sont pas concrètes. L'accord d'association UE-Moldavie a marqué leur imaginaire, mais les citoyens sont également très déçus par les affaires de corruption qui secouent la coalition pro-européenne. D'autre part, la langue russe, et partant les médias russes, étaient très présents en Moldavie, notamment à travers les sous-titres des films et la radio ; la société civile et les acteurs culturels moldaves ont donc leur rôle à jouer pour faire changer l'imaginaire de la population.

Après la réunion du Parlement du 15 janvier, les partis politiques auront deux semaines pour avancer le nom d'un Premier ministre. La prochaine élection du Président de la République, par le Parlement, est prévue seulement en 2016. Cependant, comme me l'a confirmé un juriste moldave, elle peut intervenir dès à présent.

M. Florent Parmentier, maître de conférences à Sciences Po - La date de notre colloque pouvait paraître très éloignée de la tenue des élections législatives, mais elle se révèle finalement très pertinente. Je voudrais examiner le rôle de l'opposition, question très importante en démocratie. Ce rôle est triple : concurrencer le pouvoir en place lors des élections (comme cela a été effectivement le cas le 30 novembre dernier), contrôler l'action du gouvernement et, s'il y a lieu, contester , par des moyens politiques, les actions des pouvoirs publics.

Quel est aujourd'hui la nature de l'opposition moldave ? Jusqu'à ce matin, la situation était relativement simple. On considérait que les partis de centre-gauche (le Parti démocrate), de centre-droit (le Parti libéral-démocrate) et de droite (le Parti libéral) devaient poursuivre leur alliance pro-européenne, bien qu'ils ne comptaient, à eux trois, que 55 députés et risquaient d'être renversés avant la fin de la législature. Aujourd'hui, si une coalition entre les trois partis majoritaires - c'est-à-dire avec le Parti communiste à la place du Parti libéral - se formait, elle disposerait de 69 sièges sur 101 et pourrait parvenir à élire un Président (majorité requise : 62) et à changer la Constitution (majorité requise : 68). La coalition qui se dessinerait actuellement perdrait un peu en cohérence, mais disposerait de davantage de moyens d'action. La nouveauté, en ce qui concerne l'opposition, n'est pas à chercher du côté du Parti socialiste, qui conserve un programme et un style assez différents du reste de l'offre politique moldave, mais du côté du parti pro-Poutine, qui a gagné statistiquement, et du Parti libéral, que sa stratégie de surenchère a conduit dans l'opposition.

L'on peut retenir deux faits majeurs de ces élections. Premièrement, l'alliance qui a été au pouvoir pendant plusieurs années a, de nouveau, gagné. Deuxièmement, le nombre d'élus du Parti communiste a été divisé par deux ; celui qui était jusqu'à présent un parti d'opposition fort se voit concurrencé aussi parce qu'il n'arrive plus à faire la jonction entre trois types de « gauche » moldaves : la gauche nostalgique néo-communiste, la gauche orientaliste tournée vers la Russie et la gauche sociale-démocrate représentée par le Parti démocrate. L'on assiste aujourd'hui au divorce entre les néo-communistes et les pro-russes. Structurellement, le Parti communiste n'atteindra donc pas les scores qu'il obtenait dans les années 2000.

Les résultats des élections législatives du 30 novembre 2014 étaient assez clairs, bien que la Moldavie reste très partagée. Le Parti communiste était en situation de monopole de son côté de la scène politique et parvenait à « maximiser » sa présence au sein du Parlement ; c'est un peu moins vrai aujourd'hui dans la mesure où il subit la concurrence du Parti socialiste. De plus, les deux premiers partis n'ayant pas franchi le seuil des 6 % sont le Parti des communistes réformateurs et le Bloc union douanière totalisent 8 % des voix à eux deux, ce qui n'est pas négligeable mais n'est pas reflété par les résultats électoraux. Pour la première fois, l'offre politique de gauche est divisée. Il paraît difficile de trouver un terrain d'entente - autre que purement tactique - pour le Parti communiste et le Parti socialiste. Il sera donc intéressant d'observer quelle place pourra trouver cette opposition.

Mme Sandrine Treiner - Je souhaiterais que l'on dresse un bref portrait de la société civile moldave et que l'on examine l'impact de la situation internationale sur le vote du 30 novembre dernier.

M. Florent Parmentier - Cet impact est d'autant plus évident que les partis moldaves ne sont pas politiques mais « géopolitiques », pour reprendre l'expression du politologue moldave Oleg Serebrian : le nom du parti « Bloc union douanière » illustre tout à fait cette idée. Il y a eu un clivage au sein de la société par rapport aux événements survenus en Ukraine au cours de l'année passée. Les clivages sont toujours les mêmes.

Mme S andrine Treiner - Comment analysez-vous alors cette relative stabilité alors que la région n'est absolument pas stable actuellement ?

M. Florent Parmentier - Une raison simple réside dans le clientélisme. Le vote dans une grande partie du pays est conditionné par les consignes transmises par chacun des maires ou des personnes qui détient localement l'autorité, d'où une certaine stabilité. Ce phénomène apparaît nettement si l'on dresse la carte électorale de la Moldavie : le Nord et la Gagaouzie votent généralement pour les communistes et les socialistes, alors que le centre et le Sud sont plutôt en faveur de partis « de droite » (Parti libéral-démocrate et Parti libéral).

Mme Iulia Badea-Guéritée - La société civile moldave a été très déçue par la coalition pro-européenne et ses promesses non tenues. Comme le montrent les sondages, la confiance des Moldaves dans l'Union européenne (UE) recule un peu. L'UE n'est présente dans les foyers moldaves qu'à travers les déclarations des responsables de la coalition pro-européenne. La population ne connaît pas véritablement les valeurs ni les acquis européens, en dépit des efforts croissants de la presse en ce sens. Les affaires de corruption auxquelles sont mêlés certains membres de la coalition pro-européenne sont bien plus visibles. De plus, cette coalition est très fragmentée, sans unité réelle ; lors du sommet du Partenariat oriental qui s'est tenu à Vilnius en novembre 2013, sa délégation s'est présentée en ordre dispersé et il n'y a pas eu d'échanges en son sein. Enfin, le Partenariat oriental lui-même n'est pas bien compris en Moldavie, où il est perçu, à tort, comme une antichambre pour l'UE.

La coalition pro-européenne a gagné les élections grâce à « l'intervention roumaine ». L'accord d'association avec l'Union européenne a été signé en juin 2014 - il était vital pour la coalition de pouvoir afficher ce résultat - après que Mme Monika Macovei, eurodéputée roumaine, avait, la veille, fait le tour de ses collègues allemands, français et néerlandais notamment pour les enjoindre de voter l'accord avant l'été. La coalition doit sa victoire au fait qu'elle représente la promesse d'un avenir au sein de l'UE.

Mm e Sandrine Treiner - Comment la jeunesse a-t-elle voté ?

M. Florent Parmentier - ... Ou plutôt, comment n'a-t-elle pas voté ? Si le taux de participation était de 45 %, compte tenu de la discipline de vote des générations plus âgées, cela signifie que les jeunes se sont largement abstenus. Ils s'étaient mobilisés en avril 2009, lors des manifestations qui avaient suivi la victoire des communistes aux élections législatives, mais ont été déçus par la coalition pro-européenne et notamment par ses affaires de corruption. Qu'est-ce qui structure le vote ? Est-ce le fait d'être jeune, d'appartenir à une minorité russophone ou d'habiter telle région ? La majorité des jeunes a penché en faveur des partis pro-européens, mais cela n'est pas le cas de tous. Ceci n'est pas nouveau. Un député communiste m'expliquait ainsi en 2010 que dans certains bureaux de vote installés dans une université, donc avec beaucoup de jeunes, les communistes obtenaient tout de même 20 à 25 % des voix. Il faut donc pondérer l'inclinaison pro-européenne de la jeunesse en tenant du compte du clivage qui existe entre russophones et non-russophones, et de la région de vote.

Mme Josette Durrieu - J'aimerais réagir à la nouvelle tombée aujourd'hui, à la lumière de ce que nous avions perçu lors de notre dernière mission en Moldavie. L'Union européenne, pour les Moldaves, est abstraite : elle aurait peu apporté, sinon les visas. Concrètement, la population n'a rien vu venir de nouveau à la suite du rapprochement avec l'UE. L'ancien système ne paraissait donc pas si mauvais, notamment aux yeux des personnes les plus âgées. Le perdant est tout de même M. Voronin. Nous l'avons longuement rencontré lors de notre déplacement et il nous avait alors dit qu'il pensait sortir vainqueur des élections estimant que les seules réformes entreprises en Moldavie l'auraient été par lui. Or il n'a pas gagné pour autant.

La coalition pro-européenne est dirigée par des hommes qui sont en rivalité notamment dans le parti libéral (MM. Filat et Leanca). M. Filat, l'un des leaders, a pensé introduire un référendum sur la nature et les modalités de l'élection présidentielle au milieu des élections législatives ; interrogés à ce sujet lors de la réunion du groupe d'amitié, nous avons dit que cette proposition pouvait perturber la situation et les élections.

Ce n'est pas M. Petru Luchinski qui a influé le cours des choses en Moldavie ; c'est M. Voronin qui a laissé faire. Le moins pro-russe était le communiste ! Il a laissé s'engager la marche vers l'UE et a rompu avec les Russes au moment où il y avait un accord « médiocre » sur la Transnistrie, porté par le ministre russe M. Dmitri Kozak. M. Voronin a eu alors le courage de dire « non », ce qui a changé la nature de la relation entre la Moldavie et la Russie. Cependant, il a perdu les dernières élections et il n'a pas vu venir la montée des pro-russes et pro-Poutine.

Je m'interroge sur la suite. Connaissant M. Ghimpu, je n'attendais pas grand-chose de l'ancienne alliance. Je ne sais pas non plus quel sera le résultat des discussions avec M. Voronin, compte tenu de sa situation actuelle.

Mme Sandrine Treiner - Entre 2009 et 2015, il n'est pas certain que l'Europe ait concrètement gagné en pouvoir d'attractivité. La situation économique dans laquelle se trouvent les pays de l'UE, notamment du Sud, a certainement nourri aussi le grand doute sur les profits que la Moldavie pourrait en retirer.

Mme Iulia Badea-Guéritée - Néanmoins, il y a eu des avancées. L'accord d'association a permis, entre autres, une libération du marché - les vins moldaves et d'autres produits alimentaires circulent maintenant bien ; la Russie n'est plus la première destination des exportations, puisqu'elle a été supplantée par l'UE en à peine six mois. L'accord sur le vin avait été signé avant l'accord d'association, au début de l'année 2014, à l'initiative du Commissaire européen roumain, au moment où la Russie avait mis les vins moldaves sous embargo. Sur le plan commercial, la situation est plutôt bonne. Sur le plan politique en revanche, les blocages doivent être levés.

Un participant [Philippe Loubière, co-auteur de l'article « Moldavie » dans l'encyclopédie Universalis ] - Il est vrai que les partis moldaves sont principalement des formations « géopolitiques », mais ils se comportent actuellement comme des partis politiques. Le système institutionnel n'est pas efficace. Ce n'est pas un système majoritaire comme en France, et - comme en Italie ou en Israël - il donne parfois naissance à des coalitions de petits partis surprenantes, en fonction de logiques circonstancielles et non politiques. Par ailleurs, M. Voronin a été « lâché » par la Russie, ce qui constitue aussi un élément de rapprochement.

M. Florent Parmentier - Les élections législatives se déroulent certes à un seul tour, mais l'entrée au Parlement est conditionnée par un seuil de 6 %, qui est donc plutôt élevé. En règle générale, il n'y a que quatre à cinq partis qui siègent.

Par ailleurs, en 2013, la Moldavie a été le « tigre » de l'Europe, avec un taux de croissance d'environ 8 %. Le problème réside cependant dans la répartition des fruits de la croissance.

Enfin, nous avons beaucoup évoqué ce que l'UE pouvait apporter à la Moldavie, mais nous ne devons pas oublier ce que l'Europe fait perdre aux yeux d'un électeur moldave. Un accord sur les visas a été conclu avec l'UE, mais beaucoup de travailleurs moldaves vont vers les industries à fort besoin de main d'oeuvre installées dans la région de Saint Pétersbourg ou de Moscou ; s'ils perdent l'accès au marché du travail russe, ils seront confrontés à un problème de mobilité. Les fruits et légumes s'exportent moins vers l'Union que vers la Russie ; là encore, la fermeture du marché russe serait lourde de conséquences. L'Alliance pour l'intégration européenne, qui a gouverné de 2010 à 2014, s'est montrée adroite en parvenant à se rapprocher de l'UE sans attiser les tensions avec la Russie sur un certain nombre de points sensibles, en particulier l'OTAN. Le rapprochement avec celle-ci n'est donc défendu que par un parti qui représente 10 % de l'électorat. L'enjeu, pour les dirigeants moldaves, est bien de ne pas perdre d'un côté (la Russie) ce que l'on a gagné de l'autre (Europe).

Mme Sandrine Treiner - Comment les résultats du 30 novembre peuvent-ils avoir des conséquences, d'une manière ou d'une autre, sur le problème récurrent de la corruption ? Peut-on espérer une prise de conscience de la classe politique ?

Mme Iulia Badea-Guéritée - Les jeunes Moldaves vivant en France avec lesquels je me suis entretenue ne vont plus voter : comme beaucoup d'autres peuples de l'Est de l'Europe, ils ne veulent pas voter pour des personnes corrompues.

Il convient par ailleurs d'examiner l'incidence des événements en Crimée, en Ukraine, sur le moral des Moldaves. Juste avant les élections, les échos provenant des écrivains, des étudiants et des analystes politiques moldaves étaient inquiets ; l'on craignait une guerre, un effet de contagion vers la Transnistrie. La seule institution susceptible de défendre la Moldavie est l'OTAN à leurs yeux. M. Ghimpu mise sur la peur de la population.

Un participant - En ce qui concerne les affaires de corruption, la presse moldave parle beaucoup de M. Vladmir Plahotniuc, qui serait un personnage sulfureux doté d'une influence considérable dans la société, notamment à travers les médias.

M. Florent Parmentier - Je partage ce constat. Il ne faut pas sous-estimer le problème de financement des partis politiques. Comme ces formations ont une faible capacité de pénétration dans la société, elles ont besoin de sources de financement importantes. Il est de notoriété publique que M. Plahotniuc est un financier majeur du Parti démocrate. Les autres partis ont également leurs financiers ; sinon, ils n'existent pas véritablement sur la scène politique. Il faut donc une loi claire sur le financement de la vie politique moldave et renforcer les autorités indépendantes impartiales.

Sur la question de l'OTAN, je ne suis pas d'accord avec ce qui a été dit. Comment l'organisation atlantique accepterait-elle une candidature moldave alors qu'elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la candidature ukrainienne et que la démarche d'élargissement de l'OTAN me semble avoir pris fin en 2008.

Un participant - Je voudrais connaître le poids réel de la Transnistrie dans l'économie moldave, sachant que la Moldavie n'inclut pas cette province dans le calcul de son produit intérieur brut (PIB). Par ailleurs, s'il est exact de dire que la majorité des Moldaves vont à l'Est, la Banque centrale moldave encaisse environ autant en roubles, en euros et en dollars. Enfin, le rouble a connu récemment une forte baisse et la situation économique européenne est mauvaise également. La Moldavie peut-elle réellement faire un choix entre deux blocs économiquement faibles ?

Mme Iulia Badea-Guéritée - La Transnistrie a proclamé son indépendance de la Moldavie et son économie est renflouée par la Russie. Elle ne produit guère que du cognac ; jusqu'à la signature de l'accord d'association avec l'UE, elle avait besoin de l'intervention de la Chambre de commerce moldave pour l'exporter ailleurs qu'en Russie. Comme l'accord ne concerne que la Moldavie, et non la Transnistrie, des tensions se sont fait jour et l'exportation du cognac n'est plus possible que vers la Russie.

M. Florent Parmentier - En ce qui concerne le poids économique de la Transnistrie, il faut distinguer la mythologie des chiffres réels. En 1991, la Transnistrie était effectivement beaucoup plus développée industriellement que le reste de la Moldavie ; cela est moins vrai aujourd'hui. Le modèle transnistrien de développement s'appuie d'ailleurs sur un endettement important vis-à-vis de Gazprom. Par ailleurs, pour mesurer l'incidence de la chute du cours du rouble, il faut regarder de près la parité rouble/lei. La devise moldave est elle aussi affaiblie, à cause de l'environnement géopolitique. Par conséquent, on peut s'attendre à ce que le poids de la Russie dans les transferts de fonds ne baisse pas, mais à ce que les transferts en provenance de la zone euro augmentent par effet de taux de change. L'importance du dollar s'explique plus par son rôle international de monnaie de réserve que par l'influence des États-Unis.

Un participant - J'aimerais en savoir plus sur la réaction moldave au résultat de la dernière élection présidentielle en Roumanie, ainsi que sur le degré de mobilisation de la diaspora roumaine pour les législatives.

Mme Iulia Badea-Guéritée - Le Premier ministre moldave avait soutenu ouvertement l'adversaire de M. Klaus Iohannis. Les intellectuels et les étudiants étaient très déçus par le choix de M. Iurie Leanca, pourtant également de droite. Les Moldaves ont salué le résultat roumain. Les citoyens roumains installés en Moldavie - dont beaucoup sont également moldaves - avaient largement voté pour M. Iohannis ; 90 % des voix de la diaspora se sont portées sur lui.

Un participant - Les partis moldaves qualifiés de « pro-européens » ont, dans les faits, peu contribué au rapprochement avec l'Union européenne. Ils ont même attribué la concession de l'aéroport du pays à une obscure société russe, vendu des banques à des oligarques russes... Dans quelle mesure sont-ils effectivement « pro-européens » ?

M. Florent Parmentier - Ce n'est pas parce qu'une banque moldave serait rachetée par exemple par une banque française ou autrichienne que le rapprochement avec l'UE progresserait et que l'achat de cette même banque par une banque russe signifierait automatiquement une domination russe. Ce qu'il faut examiner, en revanche, ce sont les conditions d'accès au marché et la politique d'attraction des financements vers la Moldavie.

Mme Josette Durrieu - La Transnistrie n'est plus ce qu'elle était, c'est-à-dire un grand espace industriel spécialisé dans l'armement. Je ne suis jamais entrée dans l'une de ses usines et ne sais pas ce qu'il en reste aujourd'hui, ni ce qu'est la production. Cependant, les usines transnistriennes sont sans doute en mesure de se remettre à produire si nécessaire.

L'ancienne équipe de M. Igor Smirnov, premier président de la Transnistrie autoproclamée, qui est toujours à la tête d'une immense fortune, a été affectée par la lutte contre les trafics (mission EUBAM). Les hommes d'affaires transnistriens qui voulaient continuer leur commerce ont alors dû se rapprocher des autorités moldaves, afin d'obtenir les autorisations pour mettre en place des circuits dits légaux.

La Transnistrie est, dans les faits, sous l'autorité de la Russie. La Gagaouzie, quant à elle, regarde vers Vladimir Poutine, en espérant que Moscou agisse vite. Or Poutine, qui pourrait chercher l'accès à Odessa, clef du commerce dans la Mer Noire, ne bouge pas. Quelle est sa stratégie ? Il sait où sont ses intérêts et il sait qu'il peut perdre le soutien des hommes d'affaires russes.

Un participant - Je voudrais ajouter qu'il existe un problème de double nationalité avec la citoyenneté russe, en particulier en Gagaouzie. A la suite de la visite du président du Parlement, M. Poutine a promis 100 000 passeports russes aux 160 000 habitants de la Gagaouzie. Manifestement, un plan se dessine.

Mme Maryvonne Blondin, sénatrice - Lorsque je m'étais rendue en Moldavie, à l'occasion des précédentes élections législatives, j'avais été frappée par le nombre d'universités et d'étudiants. Ceux-ci n'avaient qu'un objectif : avoir suffisamment d'argent et de connaissances linguistiques pour partir au Québec. Renseignement pris, beaucoup de jeunes Moldaves sont effectivement accueillis dans cette province. Quelle est la situation aujourd'hui ?

Mme Iulia Badea-Guéritée - La jeunesse moldave reste francophone - le français est la première langue étrangère enseignée - et francophile. Mais elle a été déçue par le manque d'intérêt des plus hautes autorités françaises : aucun Premier ministre, aucun Président ne s'est par exemple rendu en Moldavie depuis des années. Par ailleurs, le Québec a une politique d'immigration, à la différence de la France. Les jeunes Moldaves bi-nationaux utilisent leur passeport roumain pour venir en France, où ils sont mieux perçus que les Roumains. Le gouvernement Leanca a mis en place un programme destiné à favoriser le retour des jeunes, en leur promettant un emploi correspondant au cursus universitaire qu'ils ont suivi à l'étranger. Je ne sais pas à quel point cela fonctionne. Par ailleurs, la Moldavie est candidate de longue date à l'organisation d'un sommet de la Francophonie. Ce serait un beau symbole.

M. Florent Parmentier - Le Premier ministre français pourrait se rendre en Moldavie au cours du premier semestre 2015.

Une participante - Ma soeur vit en Transnistrie et je peux mesurer l'efficacité du « lavage de cerveaux » organisé par la Russie à travers les médias. Moscou n'a même pas besoin d'envoyer son armée pour gagner la guerre : la population transnistrienne est déjà acquise à la Russie et défend le séparatisme, pour des raisons principalement matérielles (infrastructures nettement meilleures que dans le reste de la Moldavie). Certaines personnes redoutent une guerre en Transnistrie. Mais la Moldavie n'a pas d'accès à la mer et présente donc un intérêt stratégique réduit pour Moscou.

En ce qui concerne l'élection présidentielle, il serait opportun qu'elle se tienne au suffrage universel direct. Cela permettrait que le chef de l'État soit véritablement choisi en raison de ses qualités propres et de son dévouement pour le pays.

Les partis politiques en Moldavie constituent un système tout à fait clientéliste. Pour mettre fin à cette situation, il faudrait proposer une éducation politique et civique, qui fait actuellement défaut à la population. Personne ne connaît par exemple le président, choisi par son seul parti et presque absent de la scène politique.

Une participante - La Moldavie doit faire naître et cultiver le patriotisme dans sa jeunesse. Cela passe par l'éducation. L'Union européenne quant à elle doit préciser les perspectives qu'elle offre : s'agit-il seulement d'un accord d'association ou de libre-échange ? ou alors d'une adhésion ?

La Moldavie me paraît comparable à la Suisse ou au Luxembourg en ce qu'elle a besoin d'une politique étrangère multivectorielle en raison de sa situation géopolitique et géostratégique. On ne peut pas lui demander de choisir entre la Russie et l'Europe.

Mme Sandrine Treiner - Je vous remercie beaucoup de vos interventions.

Jean-Jacques Combarel - Je tiens à dire ma reconnaissance à nos trois invités qui ont animé les débats, mais aussi aux Sénateurs présents ce soir et à l'ensemble des participants.

ANNEXES

Annexe 1

Compte rendu du déplacement à Chisinau, en Transnistrie et en Gagaouzie

en septembre 2014

Annexe 2

Étude d'impact du projet de loi de ratification

de l'accord d'association UE-Moldavie


* ( 1 ) Membres du groupe d'amitié France-Moldavie : Mme Josette DURRIEU, Présidente, Mme Maryvonne BLONDIN, Vice-Présidente, M. René DANESI, Vice-Président, M. Jean DESESSARD, Vice-Président, Mme Anne EMERY-DUMAS, M. Jean-Claude FRÉCON, Secrétaire, Mme Gisèle JOURDA, Secrétaire, M. Antoine LEFÈVRE, Secrétaire, Mme Danielle MICHEL, Vice-Présidente, M. Yves POZZO di BORGO, Secrétaire.

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N° GA 122 - Février 2015

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