DÉBAT

M. Patrick Augustin, vice-président de France-Tibet - J'ai une question sur la jeunesse tibétaine diplômée. Disposez-vous de statistiques sur la scolarisation des enfants tibétains dans le Tibet historique ? Je voudrais rappeler que les Printemps arabes avaient vraisemblablement comme racine une jeunesse sans avenir.

M. Andrew Fischer - Le taux d'analphabétisme est très élevé au Tibet - autour de 30% - même s'il a diminué. Le niveau de scolarisation dans l'enseignement supérieur dans la RAT est assez bas. Les chiffres du recensement de 2010 montrent cependant une augmentation du taux de scolarisation au niveau supérieur, mais je pense que cela résulte plutôt de l'accroissement de la population chinoise.

La population tibétaine a toujours été majoritairement analphabète. Au Qinghai et en Amdo surtout, il existe un mouvement commencé dans les années 1980, et qu'avait soutenu le X ème panchen-lama, qui promeut la création de programmes dans lesquels les Tibétains peuvent étudier différentes matières en langue tibétaine. Ce mouvement s'est amplifié notamment dans l'enseignement secondaire. Le problème se situe en fait au niveau des emplois.

De la salle - Je voudrais savoir comment la population qui a été relogée arbitrairement et est privée de sa vie nomade se comporte maintenant. Existe-t-il des possibilités d'activité ? Est-elle cantonnée dans ces nouveaux logements sans activité sociale ni rémunératrice ?

Mme Katia Buffetrille - Il existe des problèmes de criminalité et d'alcoolisme. De nombreux nomades ont perdu leur bétail, donc leur moyen de vivre. Se posent donc de sérieux problèmes de survie. Certains avaient cru au mirage et l'ont fortement regretté.

M. Andrew Fischer - Au Qinghai, on constate une urbanisation des communautés pastorales. C'est une rupture sociale et économique assez grave. Il faut distinguer les zones où une partie de la population doit quitter le territoire et celles où cela concerne toute la population. Dans le premier cas, les troupeaux sont pris en charge par la population restante.

De la salle - Je voudrais savoir quel est le pourcentage de Tibétains vivant dans la RAT.

M. Andrew Fischer - Environ la moitié des Tibétains vivent dans la RAT. Le dernier recensement, réalisé au mois de novembre hors période touristique, fait état de 90% de Tibétains parmi la population de la RAT. Avec le chemin de fer, de nombreux migrants quittent la RAT en hiver. Il faut dire que l'impression d'invasion chinoise au Tibet est liée aux villes. La majorité de la population est rurale et les Tibétains sont surtout ruraux.

Même si les Chinois ne représentent que 8 ou 10 % de la population de la RAT, ce taux s'élève jusqu'à 30 % dans les villes. Ils sont actifs économiquement et représentent donc plus de 50 % de la main d'oeuvre urbaine. Sur ce plan, la Mongolie est très différente de la RAT parce que les Mongols étaient déjà minoritaires à la fin du XIX ème siècle.

Aujourd'hui l'immigration chinoise n'est pas agricole. Elle est très concentrée dans les villes. Les Chinois viennent profiter des subventions, de l'attrait du pouvoir et de la concentration des richesses.

M. Patrick Kulesza, directeur du Groupe international de travail pour le droit des peuples autochtones - Je dirige une ONG française, reliée à une ONG nordique, qui a oeuvré pour faire avancer la question du droit des peuples autochtones au sein des Nations-Unies depuis maintenant une trentaine d'années. Au sein de la commission des droits de l'homme, un travail a été fourni pour que ces questions des minorités pénètrent cette instance qui est en fait celle des États. Ces derniers n'étaient pas très favorables à ce que des peuples puissent s'exprimer à la tribune de Genève sur leurs revendications et leur mal-être. Cela a débouché sur une déclaration des Nations-Unies sur le droit des peuples autochtones, qui a donné lieu à un vote le 24 septembre 2007. La Chine a voté pour cette déclaration, ainsi que la Fédération de Russie, considérant dans un cas comme dans l'autre que le problème n'existait pas.

Le sujet qui est posé aujourd'hui se situe dans un cadre plus large. Je rentre d'une réunion au siège des Nations-Unies, à New-York, où se sont rencontrés des responsables d'ONG autochtones et les États. Cette année, la Chine était là mais aucun représentant tibétain n'était présent. Se pose donc la problématique de la Chine face à la stratégie non violente du dalaï-lama, la question du Xinjiang avec des actions violentes des Ouïghours, et un début d'émergence d'un nationalisme mongol. En fait, la Chine est attaquée à toutes ses frontières, au nord et à l'ouest, par la montée de ces identités. Est-ce que ces mouvements au Xinjiang et en Mongolie peuvent favoriser un regard de la Chine sur ce qui se passe au Tibet ?

M. Elliot Sperling - Je ne peux pas prédire l'avenir. Ces actions ne sont pas centralisées par une organisation quelconque. De nombreux Ouïghours non violents demandent les droits civils. Il ne faut pas se tromper sur la position des Ouïghours. On commet parfois la même erreur en affirmant que la position des exilés est celle de tous les Tibétains. La Chine sépare bien toutes ces questions. Dans le monde, les Tibétains ont cette image pacifique. Il existe pourtant des actions violentes menées par des Tibétains même si elles sont peu nombreuses. Pour les Ouïghours, il est toujours possible de lier leurs attitudes à l'intégrisme islamique.

De la salle - Les Tibétains ne sont pas opposés à la modernité. Le changement est nécessaire partout dans le monde. Se pose la question de sa signification. Les Tibétains et les autres aimeraient bien en parler à leur propre façon. Les Chinois l'abordent du point de vue de leur civilisation. C'est pourquoi cela ne fonctionne pas.

M. Lun Zhang - Je suis tout à fait d'accord. C'est un modèle imposé aux Tibétains à travers les Chinois. Il y a beaucoup de fondamentalistes ou de traditionnalistes chinois qui sont aussi contre cette modernité considérée comme occidentale.

Dans le contexte de mondialisation, c'est aussi une question que les Tibétains doivent se poser. Il existe tout un contexte mondial par rapport à la langue, à la consommation, à l'urbanisation. La modernité est toujours à double tranchant. Comment la porter ? Comment la traiter ? Comment réconcilier tradition et modernité ? C'est une interrogation universelle.

Mme Françoise Robin - Même en France, est employée l'expression « moderniser l'appareil d'État », ce qui veut dire en fait le démanteler. Sous un très joli mot - modernité - qui fait plaisir à tout le monde se cachent des réalités ou des volontés différentes. Votre emploi du mot modernité, même si j'apprécie votre intervention, me paraît ne pas être le meilleur terme choisi.

Les Tibétains n'ont, me semble-t-il, aucun problème avec la modernité. Il suffit de les regarder avec leur IPhone ! Il n'y a pas de complexe sur l'arriération. C'est plutôt un regard chinois qui les rendrait non modernes. Le développement de la technologie met les Tibétains tout à fait en phase avec le monde moderne.

Les problèmes entre modernité et tradition se sont posés dans les années 1920-1930 sous le XIII ème dalaï-lama. Aujourd'hui cela ne relève pas de la modernisation du Tibet, mais de la mainmise sur le Tibet selon un modèle de développement économique et politique que les Tibétains n'ont jamais demandé.

M. Lun Zhang - Il y a là une forme de malentendu. Pourquoi cette notion de modernité existe-t-elle ? Elle a son utilité. Ce que j'englobe dans cette question de modernité, ce sont toutes les considérations liées à la modernisation, la mondialisation, à l'urbanisation, à l'émancipation de l'individu et la subjectivation, etc.

La modernité ne s'identifie pas à la modernisation matérielle, surtout pas à celle technologique. Il n'y a aucune différence entre vous et moi, sauf que cela se situe peut-être à un autre niveau. N'étant pas un spécialiste comme je l'ai dit, je n'entre pas dans le détail. Mais certaines questions par exemple, pour un jeune tibétain, comment traiter la question de la tradition, face à la consommation... toutes ces questions ne peuvent être ignorées ou réduites à une simple question de la domination chinoise, d'ailleurs, cette domination s'est précisément justifiée au nom de la modernité.

Je constate dans l'ensemble du monde, notamment en Chine, cette revendication d'une identité à partir des années 1980 jusqu'à nos jours. Il faut avoir l'horizon de la planète pour comprendre ces problématiques. Le XX ème siècle est un siècle totalitaire avec cette modernité totalitaire qu'elle qu'en soit la forme : communisme, fascisme, nazisme, ... Pendant ce siècle, face à ces grands courants de modernité totalitaire, sont nées les figures comme Nelson Mandela, ou le jeune Chinois devant le char en 1989, qui incarnent la moralité, la dignité humaine et la résistance contre ces courants. À partir des années 1980-1990, on assiste à un tournant historique à l'échelle de la planète avec une revendication identitaire et culturelle qui contient une dimension d'émancipation mais aussi de fermeture parfois dangereuse. La modernité reste à réinventer en ce nouveau siècle. Dans ce sens, je ne pense pas que les Tibétains puissent faire l'économie de cette question qui s'entremêle avec celle de la domination chinoise.

Mme Rebecca Buechel, coordination Festival Tibet - Est-ce que vous pensez qu'il est inévitable que la Chine se modernise en accumulant les tragédies dont vous avez parlé ? Ou pensez-vous que la Chine peut innover en développant un autre modèle de modernité ?

M. Lun Zhang - C'est une question qui me préoccupe depuis longtemps. J'ai préféré rester en Europe pour réfléchir sur cette question de modernité au lieu d'aller en Amérique. Car je pense que l'Europe dispose d'expériences très riches à ce propos et ne se trouve pas aujourd'hui dans une position dominante. Je préfère y résider pour disposer d'une meilleure perspective plutôt que de me situer dans une vision relativement dominante en Amérique.

Depuis plusieurs années, les spécialistes s'intéressent au modèle de développement chinois. Le gouvernement chinois parle plutôt de voies chinoises. C'est une question de libéraux et de démocrates.

Je suis un défenseur de la modernité sur certains sujets comme celui des droits de l'homme ou de la démocratie. Comment mieux faire ? Les pratiques, l'histoire, l'invention, la réflexion sont déterminantes. En même temps, la réponse n'est pas encore trouvée.

J'ai fait un effort important pour comprendre ce monde. Je constate, d'une part, de nombreuses particularités, héritages culturels, enjeux économiques, dans un environnement très différent, et d'autre part, une sorte d'uniformisation qui se répand dans l'ensemble du monde, à l'image de la globalisation. Des problèmes sont à résoudre dans un contexte particulier, et parallèlement certains enjeux sont planétaires. Par exemple, beaucoup de jeunes sont défenseurs de l'environnement sur le Plateau tibétain.

De la salle - Je suis Tibétain de France. Je voudrais remercier le groupe sénatorial d'avoir organisé cette journée de réflexion.

Cette phase de conclusion instaure un dialogue entre les tenants des différentes opinions. La question tibétaine n'est pas un choix de type de société. C'est la survie d'un pays sous occupation chinoise. En langue chinoise, la Chine se désigne par Zhôngguó, pays du milieu. Cette Chine est connue depuis octobre 1949. Avant 1911, pour les Tibétains, les Mongols, le monde, la Chine était sous occupation mandchoue. J'invite les interlocuteurs chinois à connaître leur propre histoire pour ne pas commettre des erreurs. Vous avez une dette envers les Tibétains.

De la salle - Je suis le président d'une organisation internationale qui s'appelle Gopay. C'est la diaspora indienne dans le monde. Je partage nombre de propos de M. Lun Zhang car ils sont porteurs d'espoir. Chez nous, on dit tant qu'il y a de l'espoir, il y a de la vie. Et la vie des Tibétains se passe en Inde. On n'a jamais remercié le gouvernement indien pour cela. Je le fais aujourd'hui.

Depuis trente-quatre ans, j'entends parler sans que cela donne de résultats. S'il y a une volonté, si 550 millions de personnes ont pu voter en Inde, je pense que le voisin chinois doit commencer par cela. C'est le minimum de la démocratie avant d'essayer de donner des leçons aux autres. Telle est ma réflexion personnelle. La solution viendra quand deux mains se tendront. On ne doit pas encore attendre trente-quatre ans.

De la salle - Je voudrais revenir sur une controverse qui est intervenue sur la division entre un panchen-lama reconnu par les Chinois et un panchen-lama reconnu par le dalaï-lama. Je voudrais rappeler aussi le cas du karmapa car tous deux sont aujourd'hui reconnus, ce qui est à l'origine d'une controverse importante. J'aimerais bien savoir dans quelle mesure ces controverses peuvent influer sur une crise de légitimité par rapport à la succession du dalaï-lama et quelle ampleur cette crise peut avoir entre les deux karmapa, en cas d'implication du gouvernement chinois.

M. Elliot Sperling - Au début du XX ème siècle, une liste de plusieurs lignages d'incarnations du Tibet central et d'une partie du Kham a été préparée pour l' amban , le représentant de l'empereur mandchou à Lhassa. Elle indiquait  les noms successifs des lamas qui étaient nés dans ces lignages et, le cas échéant, quelles étaient les incarnations qui avaient été reconnues au moyen de l'urne d'or. Le XIV ème karmapa était parmi ceux qui avaient été reconnus de cette manière. Mais quand l'actuel karmapa, le XVII ème , a été intronisé alors qu'il était encore au Tibet, l'urne d'or n'a pas été utilisée et la question ne semble même pas s'être posée. En revanche, dès que le dalaï-lama a reconnu le XI ème panchen-lama, les autorités chinoises ont rappelé la nécessité d'utiliser l'urne d'or, ce qui démontre bien leur cynisme. Les dirigeants chinois savent pertinemment que le XI ème panchen-lama « chinois » est rejeté par la majorité de la population tibétaine, mais cela leur permet de faire l'expérience de ce qui arrivera avec la prochaine incarnation du dalaï-lama.

Mme Katia Buffetrille - Le XI ème panchen-lama est venu, en 2010, au plus grand monastère gelugpa de l'Amdo, à Labrang. Les autorités chinoises qui savent très bien qu'il n'est pas accepté et qui craignaient des incidents ont alors expulsé tous les touristes.

S'agissant du karmapa : il a été reconnu à la fois par le dalaï-lama et par les autorités chinoises. Or, traditionnellement, il n'y a pas de reconnaissance du karmapa par le dalaï-lama. Le cas du XVII ème karmapa est très particulier.

M. Elliot Sperling - S'agissant de la contestation du panchen-lama, le gouvernement chinois a affirmé que le dalaï-lama n'a pas utilisé l'urne d'or.

Au XVIII ème siècle, a commencé une régulation de tous les grands lamas. On envoyait une liste des noms de toutes les incarnations reconnues en Amdo au représentant à Lhassa. Parmi celles-ci, il y avait le karmapa. Or l'actuel, accepté par le gouvernement chinois avant de se réfugier en Inde, n'a pas été reconnu en Amdo.

M. Andrew Fischer - Je trouve qu'on se focalise trop sur les conflits en exil, surtout sur les questions de réincarnation du dalaï-lama. Le bouddhisme tibétain, depuis 1200 ans, a eu une importante capacité de régénération en intégrant les nouveaux leaders spirituels qui sont ensuite identifiés à une réincarnation. L'initiative politique et religieuse n'est plus dans les communautés en exil. Elle est au Tibet. Beaucoup de ces débats nous distraient.

Les leaders religieux contribuent à régénérer le bouddhisme de manière moderne sans hiérarchie traditionnelle. Ils ont vécu la période maoïste et ont aujourd'hui la légitimité parmi les Tibétains qui vivent au Tibet. C'est là où se trouve la prochaine génération de leaders.

De la salle - Suite à l'annonce de la venue sur le sol français de policiers chinois pour aider les policiers français afin de prévenir les agressions de touristes chinois, beaucoup de parlementaires de tous bords et d'associations sont inquiets. En effet, lorsqu'il y a des manifestations pro-tibétaines auxquelles participent les dissidents chinois, ou les Ouïghours, par exemple, il nous est arrivé de constater que des personnes d'origine chinoise en civil photographient les manifestants. Nous sommes vraiment très inquiets de la venue de ces policiers chinois en France en appui de la police française.

Mme Katia Buffetrille - Il semblerait que cela soit démenti officiellement.

De la salle - Je voudrais connaître la position des sénateurs présents.

M. André Gattolin, sénateur, membre du groupe sur le Tibet - C'est une question qui me préoccupe au premier chef. J'ai posé il y a deux semaines une question écrite au ministre de l'Intérieur à ce sujet.

Cette information est d'abord parue dans la presse chinoise anglophone. Ensuite, le Figaro , en France, s`est intéressé à la question. Je n'ai pas encore de réponse. Je suis passé aussi par des voies moins officielles.

Officiellement, à ce jour, il n'y a rien d'arrêté. Mais, en réalité, tout cela a été annoncé par le gouvernement français dans le cadre de la venue du président de la République populaire de Chine à Paris puisque M. Laurent Fabius s'est engagé à développer le tourisme chinois en France. On me cite le cas, l'an dernier, de 23 touristes chinois séjournant dans un hôtel français qui ont été dépouillés.

Je m'élève fortement contre cela. Ce type de coopération policière existe en France avec des pays de l'Union européenne, membres de l'Espace Schengen et avec deux autres, dans des conditions particulières, la Roumanie et la Bulgarie. Cela me parait complétement surréaliste. Mon collègue Noël Mamère à l'Assemblée nationale a pris position sur cette question. J'attends une réponse. Parfois cela prend du temps. On parle de leur venue dès cet été. Ce qui est étonnant, c'est que les informations viennent essentiellement des autorités chinoises, dont les déclarations ne sont pas pour l'instant démenties. Je m'interroge sur le cadre juridique de cette éventuelle coopération. J'ai bien peur que ce soit une volonté politique discrète. Naturellement nous allons continuer à interroger le gouvernement français. J'ai compris que c'était une décision qui émanait plutôt du ministère des affaires étrangères.

De la salle - Est-ce qu'il existe des études sur l'impact de l'argent envoyé par les exilés tibétains à leur famille au Tibet ? Qu'en est-il s'agissant de la rénovation des monastères ?

Les Occidentaux qui utilisent le logiciel WeChat pour communiquer avec les Tibétains sont-ils surveillés ?

M. Andrew Fischer - Je ne connais pas d'étude sur cette question. Sur le plan éthique, je ne voudrais pas que cela se fasse car cela permettrait l'identification.

Je n'ai aucune information sur le soutien que les exilés apportent aux monastères au Tibet. Je sais que les communautés tibétaines en Chine, à Taïwan, à Hong Kong, au Canada ou aux États-Unis sont un appui financier considérable aux monastères au Tibet et même à Dharamsala.

M. Nicolas Tournadre - Je n'ai pas mentionné WeChat dans mon intervention mais c'est un moyen très utilisé à l'heure actuelle en Chine, à la fois par les Tibétains, les Chinois et les gens de la diaspora. C'est l'enregistrement d'un message qui est écouté en différé. Bien entendu, les utilisateurs peuvent être écoutés à tout moment. Tant qu'on ne parle pas de politique, je pense que ça va. Il suffit au Tibet de télécharger un site interdit pour avoir très rapidement la visite d'un agent de la police secrète.

C'est vrai pour toute la Chine. C'est une espèce de course poursuite, un jeu du chat et de la souris. Il suffit de taper un caractère interdit pour que cela bloque tout de suite. Les internautes chinois essayent de trouver constamment des moyens de contourner la censure. Toute la Chine est surveillée, mais c'est encore pire au Tibet.

L'ordinateur peut être confisqué et vous pouvez vous retrouver en prison pour avoir consulté un site. Toutes ces technologies modernes sont très utiles.

De la salle - J'ai une question à poser à M. Andrew Fisher concernant l'économie du Tibet. Pensez-vous que l'évolution économique dont vous avez parlé dans votre exposé permet aux Tibétains de survivre ? Est-ce un atout pour les Tibétains ?

M. Andrew Fischer - Il est certain que le changement structurel de l'économie et du travail met les Tibétains dans une situation de dépendance à l'égard des subventions. C'est un outil de pouvoir comme un autre. Cela pose la question de la politique de subventions. Je ne dis pas qu'il faut supprimer toute subvention. Toute région périphérique dans le monde capitaliste en a besoin car il y a trop de fuite de richesses des périphéries dans le système actuel. Il faudrait avoir des systèmes redistributifs. La Chine fait peut-être mieux que d'autres pays à ce titre. La question repose sur la manière de distribuer les subventions.

Un autre débat concerne la répartition par secteur d'activités économiques des Tibétains puisque beaucoup d'entre eux travaillent de plus en plus dans l'industrie tout en continuant leurs activités agricoles. Relèvent-ils du secteur agricole ou non ? On pourrait penser que ces populations pourraient revenir facilement vers le secteur agricole en cas de crise économique. Il n'en est rien. Le sens de l'histoire montre que lorsque les populations quittent le monde agricole, structurellement elles n'y reviennent jamais.

Sur le plan sociologique, l'entrée dans la modernisation des populations est probablement irréversible au regard de ce qui s'est passé dans le monde depuis deux cents ans. L'enjeu aujourd'hui est cependant différent de ce qu'il était il y a vingt ou trente ans.

De la salle - Je vais vous poser la question autrement. Ne pensez-vous pas que les constructions réalisées aujourd'hui ne le sont que dans la perspective de développer le tourisme au Tibet ? Alors les Tibétains ne se sentiront plus chez eux dans leur pays.

M. Andrew Fischer -Après 2008, on a constaté un boom de la construction en Chine. C'est un phénomène général dans le pays. Le gouvernement chinois planifie une forte urbanisation et il présume que d'ici dix à vingt ans ces appartements seront habités même s'ils sont vides aujourd'hui. Je ne pense pas que ce soit une politique à destination exclusive des Tibétains.

De la salle - Personnellement, je pense que si. Ces constructions conduiront les Tibétains à se sentir de moins en moins chez eux et les obligeront à partir. Bien sûr, je peux me tromper.

M. Lun Zhang - J'ai entendu ce type de phrases chez un homme politique français important, dans un contexte différent. Esthétiquement je suis contre ces constructions, mais elles sont en quelque sorte un challenge à l'égard de l'ensemble du monde.

La démocratisation est une condition préalable pour résoudre le problème tibétain. L'histoire le montre bien ainsi que l'actualité. En amont, il faut aussi d'autres conditions.

Je suis heureux de voir que le dalaï-lama devient le symbole et l'incarnation de la sagesse orientale. Il remplace cette image de Gandhi dans le monde occidental au début du 20 e siècle. En Chine, il n'existe pas une telle figure. C'est une histoire tragique pour les Tibétains mais aussi une histoire glorieuse des Tibétains qui conquièrent le monde. Je crois beaucoup en la capacité des Tibétains à sauvegarder leur culture et à défendre leur identité. J'aimerais attirer votre attention sur le fait que dans les années à venir, la Chine entrera selon moi dans une période très incertaine. Préparez-vous. Je ne suis pas sûr que les hommes politiques aient pris conscience de l'enjeu.

M. Jean-François Humbert - Je voudrais féliciter et remercier Mme Katia Buffetrille d'avoir été l'organisatrice et l'animatrice de cette réunion, ainsi que tous les intervenants.

Je tiens aussi à remercier chaque participant de sa présence.

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