TABLE RONDE 2 : LA TUNISIE AUTREMENT

Table ronde animée par M. Jean-Pierre SUEUR, Président du groupe d'amitié France-Tunisie du Sénat

Ont participé à cette table ronde :

M. Mohamed Raja FARHAT, écrivain, acteur, metteur en scène et réalisateur tunisien

Mme Asma ENNAÏFER, Directrice de l'innovation d'Orange Tunisie

M. Hakim TOUNSI, Président d'Authentique International

M. Mohamed GHANNEM, Député des Tunisiens de France, Chef de service de cardiologie à la Fondation Léopold-Belland

M. Gilles BÉVILLE, Président de l'Association pour le tourisme équitable et solidaire (ATES)

M. François NAVARRO, Directeur général du Comité régional du tourisme Paris-Île-de-France

M. Jean-Pierre SUEUR - Je veux tout d'abord citer :

M. Mohamed Raja Farhat, écrivain, homme d'art et de culture, de théâtre, de télévision, de cinéma, réalisateur et producteur. Il est surtout un grand intellectuel tunisien. Permettez-moi, cher Mohamed, de vous dire que vous nous faites un grand honneur en acceptant de participer à cette table ronde.

Je vous présente également Mme Asma Ennaïfer, directrice de l'innovation d'Orange Tunisie, M. Hakim Tounsi, président d'Authentique International, tour operator spécialisé dans la diversification de l'offre touristique tunisienne et sa montée en gamme, M. Mohamed Ghannem, député des Tunisiens de France, chef de service de cardiologie, qui préside la Fédération des associations franco-tunisiennes et représente toute la Tunisie et le peuple tunisien. J'ajoute que nous devons tous être unis en faveur du développement du nouveau tourisme en Tunisie, car nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.

Nous accueillons également MM. Gilles Béville, président de l'Association pour le tourisme équitable et solidaire (ATES) et François Navarro, directeur général du Comité régional du tourisme Paris-Île-de-France. La parole est à M. Raja Farhat.

M. Mohamed RAJA FARHAT - Monsieur le président, c'est un plaisir que d'assister à ces échanges.

Nous avons appris beaucoup des aventures, des entreprises et des actions des uns et des autres dans ce domaine complexe et si vital pour la Tunisie qu'est le domaine du tourisme.

Le tourisme signifie le dialogue, la découverte de l'autre.

Nous ne ferons pas faire découvrir la Tunisie au président Sueur. Il sait, comme tous les amoureux, les infimes détails de sa longue histoire. Ce petit bout de terre qu'est le belvédère de l'Afrique constitue une aventure humaine bien méditerranéenne qui ne connaît pas les frontières.

Nous sommes aux confluences de Carthage et de Rome, mais également de Kairouan et de la Sicile, qui fut - le sait-on assez ? - kairouanaise durant deux siècles et demi.

Le cimetière musulman de Kairouan compte, dans sa partie ancienne, autant de tombes de chrétiens siciliens décédés à Kairouan pour leurs affaires et leur commerce que de tombes de musulmans de Kairouan.

Voici une ville ex nihilo . En effet, Kairouan n'existait pas : c'est le conquérant arabe Oqba Ibn Nafaa qui, en 670, a fondé la ville qui s'est ensuite développée de façon très étrange.

Elle ne s'est en effet pas singularisée par l'empreinte unique de l'islam. L'école de médecine était juive. Isaac ben Salomon Haisraeli en était le maître. Son élève, le Kairouanais Ibn Jazzar, a quant à lui prospecté de nouveaux horizons dans le domaine de la médecine. Ses oeuvres ont été traduites en latin en l'an 1000. Elles ont nourri cette école de médecine fondatrice de toute la civilisation de la Renaissance qu'était l'école de Salerne, au sud de Naples.

C'est alors que les intellectuels de la Renaissance ont adopté les grands esprits de la culture arabe, comme Averroès l'Andalou, maître du rationalisme, traducteur d'Averroès, qui est mort vilipendé et dont les livres ont été brûlés à Marrakech par le grand théologien rétrograde de cette ville. Dante Alighieri a décrit le paradis des Antiques selon Averroès, qui, après sa mort, a été convoyé à dos de mulet jusqu'à Cordoue pour y être enterré auprès des siens, veillé par Ibn Arabi, tous les grands esprits rationalistes et les grands poètes mystiques de l'époque. C'est notre aventure commune.

Si je parle de Kairouan et de l'Andalousie, c'est parce qu'on retrouve là tous les peuples de l'ouest méditerranéen. Lorsque nous parlons de l'Andalousie, nous parlons d'une terre qui est nôtre spirituellement. Tout l'esprit rationaliste dont nous avons hérité avec Ibn Khaldoun, notre grand historien, vient de l'Andalousie et de cet héritage monumental, tout comme il vient de grands maîtres de la culture chrétienne : Tertullien, Saint Augustin.

Il me vient l'envie de vous narrer à nouveau le récit des figues. Caton l'ancien, le terrible sénateur romain, un des personnages les plus influents du Sénat de Rome, s'est rendu en mission d'études à Carthage, après la défaite d'Hannibal et son départ. Il voulait savoir si Carthage avait plié et, par le poids des impôts que Rome lui avait imposés, était enfin prêt à admettre sa défaite.

Il a trouvé une ville prospère. Le commerce était de nouveau profitable, la bourgeoisie carthaginoise s'était installée dans de nouveaux quartiers, les remparts étaient de plus en plus imposants : 32 kilomètres d'une grande muraille, avec des réserves d'eau dessous, avec des ruelles et des rues pavés, et même le tout-à-l'égout !

Nous sommes au deuxième siècle avant Jésus Christ, et cette puissance, ce génie de Carthage va effrayer Caton, au point que le vénérable sénateur va acheter quelques bonnes figues chez un marchand du port punique de Carthage...

Une fois revenu au Sénat, Caton, qui avait conservé quelques figues dans sa toge, en offrit au plus jeune et au plus vieux des sénateurs :

- Goûtez ces figues, et dites-moi ce que vous en pensez...

- Mais elles sont exquises, sénateur !

- Avez-vous dégusté le miel de ces figues de Carthage ?

- Oui, sénateur, nous vous en remercions.

- Ce miel, c'est le venin de Carthage, c'est le poison de Carthage ! Ces figues sont encore fraîches. Cela signifie que le danger est proche. Détruisez Carthage, sinon Carthage détruira Rome !

Plus tard, une histoire bien plus pacifique verra le jour...

Ce fut la première apocalypse de l'Antiquité. La guerre de Troie fut moins spectaculaire et tragique que la destruction de Carthage.

Quelques siècles plus tard, de jeunes étudiants carthaginois, qui aimaient bien boire, la nuit, après leurs études, dont un certain Augustin, natif de Thagaste - Souk Ahras, dans l'actuelle Algérie - couraient dans les ruelles de Carthage, dans ces escaliers très bariolés et très fleuris.

Sur la devanture d'une maison de Carthage se trouvait un panier de figues très appétissantes. Quand on a bu, on aime bien déguster quelque chose de sucré. Saint Augustin et ses camarades se saisissent du couffin, le volent et se mettent à courir comme des fous dans les ruelles.

Plus tard, quand il ira à Milan, sa mère Sainte Monique lui ayant toujours parlé d'une possible conversion au christianisme, il se rappellera de ce larcin comme d'un péché inoubliable.

Les grands spécialistes de l'histoire augustinienne, qui étudient et réexposent les oeuvres de ce fondateur de l'église catholique universelle parlent toujours d'un « magnifique larcin ». C'est la première fois que j'entends de bons chrétiens louer un vol !

J'ai toujours aimé le goût des figues tunisiennes.

Si j'évoque tout ceci, ce n'est pas pour exposer ma science - tout à fait limitée - mais parce que tout à l'heure, en écoutant les débats, je me demandais ce qu'il manque au tourisme tunisien : il lui manque une dimension culturelle essentielle, une culture générale, un métier, celui de médiateur.

Je ne parle pas du guide qui vend ses tapis dans les souks et qui prélève sa dîme, mais d'un médiateur qui met en confiance le couple de retraités de Limoges qui arrive à Sufetula, et à qui personne n'explique ce qu'est Sufetula.

Nous nous trouvions à Sufetula il y a quelques années, avec un groupe d'historiens, autour de Fathi Béjaoui, un archéologue de grand talent qui a restauré Sufetula, la refondant pratiquement.

Arrivent deux bus de touristes venus de Grenoble :

- Que faites-vous ici ?

- Nous sommes venus pour suivre un séminaire consacré aux steppes de l'ouest tunisien.

- D'où venez-vous ?

- De Rhône-Alpes.

- Savez-vous que le consul romain de Rhône-Alpes venait de Sufetula et qu'il a gouverné la région durant vingt ans ? Il était Tunisien et Berbère, naturellement de culture latine.

Rome avait en effet le génie de convertir les colonisés en citoyens romains, notamment grâce à la culture latine...

Où sont les médiateurs du tourisme tunisiens qui vont expliquer ceci aux centaines de milliers de touristes français, italiens ou espagnols qui vont affluer avec la reprise - Inch'Allah ?

J'ai fait le tour de tous les hôtels de Tunisie. J'ai écouté ce que racontent les guides et les animateurs : c'est absolument désastreux ! Il y a un manque de culture et une cécité des tour operators , qui ne sélectionnent pas assez les intervenants.

À Istanbul, ce sont les étudiants des facultés de lettres et des sections linguistiques qui sont chargés, après apprentissage, de conduire les différents groupes de touristes.

Je me rappelle d'une jeune fille qui nous faisait visiter Dolmabahçe, le fameux palais du Bosphore, pour nous montrer la plus grande salle de bal d'Europe, que les femmes ne pouvaient admirer que depuis les alcôves. C'est elle qui nous l'a expliqué, avant d'éclater en sanglots en nous présentant le lit où était mort Mustapha Kemal Atatürk, père de la nation !

De grâce, exigeons des médiateurs, ainsi qu'une nouvelle formation, rapide, accélérée. Nous ne manquons pas d'historiens, agréables, sympathiques, synthétiques, qui pourront leur communiquer cet esprit sain, ces détails qui permettront aux touristes de mieux comprendre la terre qu'ils visitent et d'assimiler Saint Augustin, Kairouan et Carthage.

Beja (Crédits : Discover Tunisia)

M. Jean-Pierre SUEUR - Merci sincèrement de nous avoir apporté cet éclairage, qui restera en nos coeurs.

Il existe en Tunisie treize universités, sans compter les écoles d'ingénieurs, etc. La Tunisie a réalisé un effort énorme en matière d'éducation.

Il est dommage de se priver des étudiants qui ont fait des études d'histoire ou de lettres et qui ne trouvent pas d'emploi pour présenter les merveilles de la Tunisie et son histoire aux touristes.

Vous ouvrez là une piste. Pour résumer : ce qui doit être un plus grand atout encore pour développer le tourisme en Tunisie, ce doit être sa dimension culturelle.

La parole est à Mme Asma Ennaïfer, directrice de l'innovation et des relations extérieures d'Orange Tunisie.

Mme Asma ENNAÏFER - Mesdames et Messieurs, chers compatriotes, je suis très honorée d'être ici aujourd'hui, et je remercie Monsieur le président de son invitation.

Orange Tunisie est un opérateur téléphonique. Pourquoi un opérateur téléphonique travaille-t-il sur le tourisme ? Nous avons créé un centre de développement en 2010. Il est gratuit et ouvert à tous. On y forme de jeunes étudiants en recherche d'emploi aux techniques de l'innovation et aux nouvelles technologies. On fait travailler ces jeunes sur des projets citoyens, dont « Tunisie Passion », application mobile destinée à promouvoir le tourisme culturel en Tunisie.

Ces étudiants ont été encadrés par nos experts pendant plus d'un an - et pas seulement sur le plan technologique. On a fait travailler plusieurs personnes passionnées par la Tunisie sur tout le territoire pour promouvoir le tourisme culturel, d'où le nom de « Tunisie Passion ».

La Tunisie est connue en tant que destination balnéaire. Elle est cependant avant tout culturelle. Nous disposons de beaucoup d'atouts dont nombre d'autres pays ne bénéficient pas. Nous avons tout intérêt à promouvoir le tourisme culturel si l'on veut toucher la catégorie de touristes que l'on souhaite. La participation d'Orange est donc responsable, solidaire et humaine.

« Tunisie Passion » peut être téléchargée partout dans le monde sur Android ou iOS, en sept langues - chinois, russe, français, anglais, arabe, espagnol et italien. Elle est totalement gratuite. C'est la participation d'Orange à la promotion de la Tunisie.

Cette application recense tous les sites archéologiques et culturels de Tunisie, mais pas seulement. On peut également y acheter son billet d'avion, réserver son hôtel, connaître le nom de toutes les boutiques de souvenirs tunisiennes, commander un hammam ou un spa. Cette application présente une offre touristique de qualité. C'est aujourd'hui la meilleure image de la Tunisie parmi les applications mobiles.

Nous avons également travaillé sur une autre application appelée « Artisans d'Art », qui doit sortir en avril prochain - Inch'Allah ! Celle-ci est destinée à promouvoir tous les artisans du territoire tunisien.

Nous avons associé à cette tâche la société civile ainsi que des étudiants. Ce projet a duré plus d'un an. Cette application sera lancée en avril prochain, sur Android et iOS. Elle est également totalement gratuite.

Nous assurons la promotion de l'artisanat tunisien dans les domaines de la gastronomie, des produits de terroir, des tapis, des couffins... La qualité des produits figurant sur l'application est certifiée par Orange. Il est possible de contacter directement les artisans, pour qui cette application constitue une aide pour vendre leurs produits et se faire connaître.

M. Jean-Pierre SUEUR - Nous allons à présent regarder la vidéo d'Orange qui présente cette application.

La parole est à M. Mohamed Ghannem, député des Tunisiens de France, cardiologue, président de la Fédération des associations franco-tunisiennes.

M. Mohamed GHANNEM - Le sujet qui est le mien est celui du tourisme médical.

Parmi les pays d'Afrique et du Moyen Orient, la Tunisie est la première destination en matière de tourisme médical.

En 2013, 400 000 étrangers ont choisi de se faire soigner en Tunisie. Ceci a rapporté au pays 190 millions de dinars, alors qu'en 2003, nous n'avions reçu que 40 000 patients pour 20 millions de dinars. La progression est exponentielle. À l'époque, les Libyens représentaient 85 % des étrangers soignés en Tunisie, soit 300 000 personnes.

Le second rang est occupé par les Africains subsahariens, qui sont au nombre de 16 800 et représentent 4,5 % de la population étrangère soignée en Tunisie. Les Algériens les suivent de près, avec 116 700 personnes, soit 4 % de la population étrangère. Enfin, les Mauritaniens sont environ 7 000, soit 1,8 % de la population étrangère. Les Européens représentent quant à eux 11 200 patients soignés en Tunisie, soit 3 % de la population étrangère.

En France et en Europe, le système de santé est généralement performant. Les patients, qui bénéficient de très bons hôpitaux, d'une haute compétence médicale et sont pris en charge à presque 100%, ne vont donc pas chercher ailleurs.

Ils ne viennent chez nous que pour les pathologies pour lesquelles ils ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale - ou très peu - comme la chirurgie esthétique ou les soins dentaires. On commence même à avoir des patients britanniques qui souffrent de problèmes orthopédiques. À Londres, alors qu'on est dans un pays européen, il faut attendre un an avant d'avoir une prothèse de la hanche totale.

Les étrangers qui viennent chez nous sont-ils bien soignés ? La réponse est oui. J'en suis témoin, la formation médicale tunisienne est excellente. Tous mes collègues français le reconnaissent.

Est-on bien organisé pour cela ? Je pense que le système est perfectible. Il faut absolument centraliser les demandes. Il ne faut pas que ce soit le taxi qui décide où emmener le patient étranger ! Il faut également un comité d'affectation qui envoie le patient étranger là où il sera le mieux soigné.

Enfin, il faut un comité d'éthique. Sans éthique, pas de médecine. Il faut absolument que les médecins tunisiens respectent l'éthique médicale pour que les gens reviennent.

Quels sont les axes à améliorer ?

En premier lieu, je pense que l'avenir réside dans les maisons de retraite médicalisées. En Tunisie, leur prix est très peu élevé.

Il faut également s'ouvrir vers l'Afrique. J'ai l'honneur de présider l'Association francophone pour la prévention cardiaque. Je me suis rendu à ce titre dans beaucoup de pays africains. J'ai constaté que les médecins africains ont beaucoup de difficultés administratives et matérielles pour venir se former en France et en Europe en général.

Les patients africains, même quand ils en ont les moyens, ont des problèmes financiers et administratifs pour venir se faire soigner ici. On a donc élaboré un projet tripartite qui inclut la Tunisie, l'Afrique de l'Ouest - soit douze pays - et le monde francophone. À cette fin, il faut que les douze pays africains envoient leurs médecins en formation en Tunisie. Nous, francophones, nous engageons à aller enseigner en Tunisie de façon bénévole.

Il faut que le diplôme délivré le soit à la fois par la France et par la Tunisie. Les programmes, les enseignants, les diplômes sont les mêmes, à ce point près que la formation a lieu en Afrique, et en particulier en Tunisie.

Les médecins africains que l'on va former seront les vecteurs du tourisme médical en Tunisie car, satisfaits de leur enseignement, ils enverront leurs patients en Tunisie, tout comme les médecins formés en France sont reconnaissants envers votre pays et envoient leurs patients dans l'hexagone.

Je ne peux finir sans évoquer deux points, dont celui des Tunisiens résidant en France qui tombent malades en Tunisie et qui ont beaucoup de mal à se faire rembourser en France. Les patients en fin de vie sous chimiothérapie peuvent être soignés chez eux, en Tunisie, entourés des leurs. Pourquoi les garder en France, loin de leur famille ?

Enfin, la Tunisie est un centre culturel qui sert de vitrine au pays. Cela permet aux Tunisiens de se réunir, de s'organiser, et de réaliser des manifestations pour mieux aider leur pays.

M. Jean-Pierre SUEUR - Vous avez traité d'un sujet très important et je vous en remercie.

La parole est à M. Hakim Tounsi, président d'Authentique International. Les voyages que vous proposez  seraient-ils plus authentiques que ceux de vos concurrents ? La question n'est pas facile ! Vous allez sûrement nous convaincre...

M. Hakim TOUNSI - J'aurais aimé avoir plus de temps pour vous parler du tourisme tunisien. Je vais donc tenter de vous transmettre un témoignage. Tout ce que je vais dire, je ne l'ai pas lu, on ne me l'a pas raconté, je ne l'ai pas deviné, je l'ai vécu.

On m'a demandé de parler de la Tunisie authentique, du tourisme alternatif et du tourisme social. Je vais m'y essayer - et j'espère vous convaincre.

Authentique International a travaillé une vingtaine d'années avec le Sud tunisien. Je ne peux pas aujourd'hui, dans cette institution chargée d'histoire, de symboles et de noblesse, ne pas penser à mes amis du Sud tunisien ni leur rendre hommage.

Je vais à présent revêtir le chèche du Sud tunisien, pour honorer sans démagogie tous ceux avec qui j'ai travaillé durant vingt ans dans la Tunisie authentique - l'autre Tunisie. Voici donc comment on se transforme en Mérazigue de Douz, d'Es Sabria, d'El Faouar, ou de Kébili, tout ce Sud tunisien que j'adore et auquel je rends hommage...

Tamaghza (Crédits : Discover Tunisia)

La révolution a constitué un acquis extraordinaire. Nos amis du Sud tunisien l'ont peut-être payé plus que d'autres. En effet, le tourisme saharien, dans lequel Authentique international était spécialisé a subi beaucoup de dégâts. Il est actuellement à l'arrêt. Les vols internationaux sur Tozeur ont cependant repris depuis huit mois, et nous espérons revoir des vols internationaux sur l'aéroport de Tozeur-Nefta pour redonner une dynamique au tourisme tunisien.

Je vais essayer d'expliquer à M. Sueur ce qu'est cette Tunisie authentique. Personnellement, j'ai eu la chance de suivre des études de troisième cycle en économie et en macroéconomie en France, avant de retourner en Tunisie pour travailler à la Banque nationale de développement touristique. J'ai donc trempé dans le tourisme dès l'âge de 21 ans. J'ai contribué pendant cinq ans au financement du tourisme tunisien, dont je connais l'histoire.

J'entends aujourd'hui beaucoup de personnes - que je remercie - émettre des suggestions, mais je constate - et c'est tout à fait normal - qu'elles ignorent beaucoup de choses.

Le tourisme tunisien n'est pas ce que l'on pense. Le tourisme tunisien ne va pas si mal qu'on le dit. Il passe par une période conjoncturelle compréhensible. La révolution a provoqué un affaiblissement de l'État après le départ des dirigeants en place. Ceci a créé un vide, mais la démocratie s'organise. Les choses ne peuvent se faire du jour au lendemain.

L'État est affaibli et ses programmes ne connaissent pas de continuité. Je veux toutefois rendre hommage aux équipes de l'Office national du tourisme tunisien. Avant Ben Ali, l'ONTT comportait déjà une cellule sérieuse qui explorait beaucoup de domaines. Peu de Tunisiens le savent, mais j'en ai été le témoin, de 1982 à 1987, époque à laquelle je travaillais à la Banque nationale de développement touristique.

Contrairement à ce que beaucoup pourraient penser, ce travail sur la diversité touristique ne date pas d'hier. Des équipes travaillent depuis longtemps sur le balnéaire, la culture, le Sahara, le thermalisme - bien avant la thalassothérapie et le bien-être - le médical, le golf, la plaisance, les congrès.

Le tourisme tunisien a commencé avec le balnéaire. En tant que professionnel, je ne suis pas d'accord avec le fait que le tourisme balnéaire serait péjoratif. La Tunisie n'exploite même pas 5 % de son potentiel balnéaire. Nous disposons de 1 300 kilomètres de côtes et plus de 600 kilomètres de plages de sable fin qui n'existent nulle part ailleurs. La plage de Kélibia est classée comme la sixième plus belle plage du monde 9 ( * ) - et je ne parle même pas de Mahdia, Rafraf, etc. Toutes les plages tunisiennes sont splendides. Qu'en avons-nous fait ? Beaucoup de choses sont à réaliser pour monter en gamme.

Le développement du tourisme tunisien peut se faire à l'horizontale, mais il peut également se faire à la verticale sur chacun des créneaux que je viens de citer, y compris le balnéaire.

Notre potentiel balnéaire naturel est extraordinaire ! Tous les architectes diplômés par le Gouvernement (DPLG), tous les promoteurs immobiliers disposaient de terrain et de facilités de marché mais n'ont pas fait ce qu'il fallait pour l'aménagement de nos plages. Il n'y a aucune créativité. Ceci reste à mettre en oeuvre.

Je vois la partie vide du verre, mais c'est pour mieux la remplir et dire à notre jeunesse qu'elle peut y contribuer. Nous avons fait ce que nous avons pu, et nous l'avons fait sérieusement.

Sur le plan macroéconomique, le tourisme tunisien a été profitable à la Tunisie, même s'il y a eu un problème de répartition au niveau de l'État, le système lui ayant permis d'intervenir pour favoriser financièrement telle ou telle région.

Des instructions avaient été données après la chute du mur de Berlin. La libéralisation à outrance a interdit à l'État d'intervenir dans les affaires. On a voulu appliquer la transparence. Ce sont des éléments qui ne relèvent pas du sujet que nous traitons, mais qui le touchent.

Quel secteur peut s'enorgueillir d'avoir fait travailler le bâtiment durant 30 ans ? Quand le bâtiment va, tout va ! N'importe quel banquier vous le dira.

Le tourisme a été une aubaine pour la Tunisie. Il a démarré avec le balnéaire. Bourguiba, dix ans à peine après l'indépendance, a chargé l'un de ses collaborateurs d'accompagner feu Gilbert Trigano, après qu'il a réalisé son premier village en Sicile, pour qu'il développe avec Gérard Blitz le tourisme sur la côte tunisienne. Il a créé Djerba la fidèle et Djerba la douce bien avant les années 1970.

La Tunisie a accompagné les mouvements de libération après mai 1968, la libération de la femme, les droits de la jeunesse. Jeunes Sans Frontières a permis à tous les autres tour operators de s'implanter : Nouvelles Frontières, Fram, Jet Tours et les clubs Eldorador. Cette période de croissance a profité aussi bien à la France qu'à la Tunisie.

Le tourisme social et les « vacances pour tous » ont démarré en Tunisie, et ont touché toute la France par le biais des comités d'entreprise, des associations, des conseils généraux. Il a connu de très beaux jours dans notre pays.

En 2010, sur 1,4 million de clients français, plus de 500 000 étaient issus des comités d'entreprise et du monde associatif. Cette clientèle s'est toutefois évaporée en raison de la peur et de l'insécurité.

Quelqu'un a évoqué l'initiative que nous avons eue l'an passé avec les syndicats destinée à constituer un comité d'appui pour le retour du tourisme associatif en Tunisie. C'est une réussite totale. Nous enregistrons à présent des retours de groupes français.

La Tunisie est un pays divers. C'est un pays ami, ouvert, pluriel, millénaire. Le tourisme n'est pas qu'une locomotive de l'économie. Ce n'est pas un secteur économique majeur : le tourisme en Tunisie est une vocation naturelle, historique, une passion. Le produit est riche et varié. Quand on va en Tunisie, on ne s'ennuie pas.

Je finirai par une anecdote en citant ce groupe de vacanciers parti pour une destination que je ne nommerai pas, où l'équipe d'animation a imaginé une excursion pour aller voir une tortue de mer échouée sur la plage à 4 heures du matin - en fait un animateur pesant 150 kg qui s'était déguisé en tortue marine ! Je ne vous dis pas ce qu'il a pris ! On ne risque pas de voir cela en Tunisie. La Tunisie est plurielle et très riche.

Enfin, je considère le tourisme alternatif comme complémentaire au tourisme classique. Je n'aime pas le mot de « tourisme de masse ». Je ne comprends pas qu'il soit considéré comme péjoratif : la Tunisie a toujours été là pour répondre à la demande. On ne va pas nous reprocher notre réussite alors que la masse a estimé que notre produit était bon !

J'attire votre attention sur le fait que la réussite du tourisme alternatif est fulgurante. Aujourd'hui, 253 unités vivent de l'atout majeur que constituent la beauté, la nature, les saveurs, les produits du terroir, l'artisanat. Il s'agit des gîtes, des maisons d'hôtes, des hôtels de charme, qui fleurissent un peu partout en Tunisie. Attention toutefois à la protection du tissu social et du patrimoine de la Tunisie ! On n'a pas su protéger le littoral, il faut savoir protéger l'intérieur du pays.

J'ai toujours dit que j'aurais préféré que les bus et les 4 x 4 qui viennent du Chott el-Jérid ne passent pas par Souk Lahad et Kébili, mais empruntent une rocade et se garent ensuite pour utiliser des calèches ou d'autres moyens pour visiter le pays. Prenons garde à la protection de l'environnement !

M. Jean-Pierre SUEUR - Vous avez parlé avec force de tout ce qui vous tient à coeur et je vous en remercie.

Nous allons à présent entendre avec intérêt M. Gilles Béville, président de l'Association pour le tourisme équitable et solidaire.

M. Gilles BÉVILLE - J'interviens au nom d'un tourisme dit « alternatif » pour apporter quelques indications sur le Forum international du tourisme solidaire et du développement durable (FITS), qui va se tenir dans quelque temps dans le Sud tunisien 10 ( * ) . Il mérite en effet que l'on s'y attarde et que les Tunisiens y participent très largement...

Je suis président d'une association qui regroupe des voyagistes associatifs français qui promeuvent des formes de tourisme solidaire et équitable.

Ces deux termes sont importants. Ils recouvrent tout ce qui concerne l'appui et l'aide au développement des communautés et se situe non dans une logique de rentabilité maximum, mais de détermination des prix, de façon à ce que chacun y gagne sans que qui que ce soit accapare une partie de la manne au détriment des autres.

Il s'agit d'un tourisme de niches, très loin du tourisme de masse. Seules quelques milliers de personnes en France voyagent sous cette forme, mais elles laissent sur les territoires un impact relativement fort, dont on cherche à étendre les formes.

De petits groupes sont hébergés chez l'habitant, dans des gîtes, ou de petits sites hôteliers tenus par des locaux. On est là hors des sentiers du tourisme international. On tente de maximiser les retombées sur l'économie locale en essayant de valoriser les productions locales artisanales, agroalimentaires, culturelles, les transports locaux, etc.

Ce schéma existe aujourd'hui dans un certain nombre de pays, à des niveaux relativement marginaux, mais ces formes de tourisme vont produire de plus en plus d'effets.

L'Amérique latine est pionnière en ce domaine - Pérou, Équateur, Nicaragua, Mexique. On peut également citer le Sénégal où, dans les années 1970, le tourisme chez l'habitant géré par des communautés locales s'est développé en Casamance. Malgré les vicissitudes politiques, ce modèle fonctionne et se développe.

Ce tourisme solidaire est l'objet du FITS qui aura lieu à partir du 23 mai à Tataouine, dans le Sud tunisien. Ce forum est destiné à faire en sorte que les différents acteurs de cette forme de tourisme se rencontrent - Tunisiens ou autres.

Ce modèle a vu le jour en 2002 au sommet mondial du développement durable de Johannesburg. La France, grâce à l'appui d'un cabinet d'études français, avait pu mettre en place un premier atelier d'études et d'analyses du commerce et du tourisme équitables.

À partir de là, un groupe de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, dont le fondateur et coordinateur est ici présent, a eu l'idée d'essayer de réunir régulièrement toutes ces personnes pour qu'elles échangent au travers de toutes les expériences ayant cours dans le monde.

Ces forums ont lieu régulièrement. Le premier s'est tenu à Marseille en 2003. Un autre a eu lieu au Mexique en 2006 sous l'égide de l'Organisation mondiale du tourisme, de l'UNESCO, et d'un certain nombre d'autres organisations, soutenu par le ministère français des affaires étrangères.

En 2008, il se tenait au Mali. Cet exemple est intéressant, car vous connaissez tous la situation actuelle de ce pays, où il n'y a pas de tourisme. Les opérateurs du tourisme solidaire tiennent cependant le cap, notamment le long du fleuve Bani. Ils se sont reconvertis dans le tourisme de séminaires et le tourisme local, sans l'aide d'accords internationaux mais avec un mode de gestion qui rend cette activité actuellement viable.

Un forum méditerranéen a également eu lieu en 2008 à Marseille. En 2012, il se tenait au Maroc, puis au Nicaragua en 2014.

Le forum de Tataouine est destiné à réunir les opérateurs de la Méditerranée autour d'un certain nombre d'expériences qui se déroulent en Amérique latine et dans des pays du continent africain.

Chose remarquable, le fonds de responsabilité sociétale des entreprises travaillant dans le domaine du pétrole dans le Sud tunisien appuie et finance ce forum.

La mise en avant de ces formes de tourisme est, pour nous, fondamentale. Celles-ci s'appuient sur des structures comme, en France, « Accueil paysan » ou « Bienvenue à la ferme », et ont permis de participer au renforcement d'une économie rurale en déshérence, qui avait du mal à prendre le tournant des années 1970.

Ces formes de tourisme impliquant les partenaires locaux ont permis à ces contrées de se développer et aux populations des différentes zones du pays d'en partager les retombées.

M. Jean-Pierre SUEUR - Nous allons enfin entendre M. Navarro, directeur régional du Comité régional du tourisme Paris-Île-de-France (CRT-Île-de-France).

Monsieur Navarro, vous dirigez une instance très importante. Quelles conclusions tirez-vous de ce colloque ?

M. François NAVARRO - Merci pour votre invitation.

Paradoxalement, il n'existait pas d'accord de partenariat entre l'Île-de-France, première région touristique de France et d'Europe, qui compte 12 millions d'habitants, et la Tunisie.

C'est chose faite depuis mi-février, à l'occasion d'un voyage de la présidente de la région à Tunis. Cet accord a été signé entre l'Île-de-France, le Grand Tunis et les quatre gouvernorats de Tunis, Ariana, Ben Arous et La Manouba. Il porte sur des sujets comme le développement économique, l'innovation, le développement durable et le tourisme, sujet qui nous importe aujourd'hui.

Nous avons pu entamer des discussions dans le cadre d'une rencontre entre Mme Elloumi Rekik et la présidente de la région, puis avec le directeur général de l'époque de l'ONTT, appelé depuis à de nouvelles fonctions 11 ( * ) .

Nous allons poursuivre ces discussions avec Tunis, notamment sur les sujets liés à la formation. Certains d'entre eux nous intéressent, comme celui sur les métiers de l'hôtellerie, la question de la qualité de l'accueil, ou des « petits métiers », extrêmement importants dans l'industrie touristique. Il existe là un enjeu.

Notre hôtellerie est mobilisée pour accueillir des stagiaires. Il serait également souhaitable que l'on ait un échange sur la formation des formateurs.

Le destin d'une destination touristique comme Paris-Île-de-France, dont on dit souvent qu'elle est la première au monde, même si les chiffres varient, est lié à celui de la Tunisie, tout d'abord parce que des événements ont eu lieu sur nos sols respectifs et ont eu un impact important. L'année dernière Paris et l'Île-de-France ont perdu 1,5 million de touristes, soit environ 1,5 milliard d'euros.

Les débats sur le tourisme de masse, par opposition au tourisme de niches, m'a particulièrement intéressé. Je pense qu'il faut y être extrêmement attentif. On avait pris l'habitude de considérer que les touristes venaient naturellement à Paris. C'est aujourd'hui terminé, et la compétition avec les autres destinations françaises est très forte.

On a évidemment besoin du tourisme de masse, et il faut insister sur l'urgence qui existe à venir visiter nos régions. Pour Paris, ce ne peut être pour voir la Tour Eiffel, la Seine, le Louvre et toutes ces richesses, dont on a certes besoin, mais qui seront encore là dans 25 ans. Il faut donc raconter une histoire, à laquelle les visiteurs pourront s'identifier. C'est la même chose pour la Tunisie.

La région, comme le commissariat régional au tourisme (CRT), ont besoin d'une Tunisie forte et d'un retour des touristes en Tunisie. Nous essaierons de vous y aider à notre niveau, en mettant à disposition la collectivité d'Île-de-France et le CRT.

M. Jean-Pierre SUEUR - Merci à chacun.

Y a-t-il des questions ? On pourra les poser autour du verre de l'amitié...

M. Maher Ben Azzouz désirait adresser une question à Mme Elloumi Rekik. Nous prenons l'engagement de la lui transmettre.

M. Maher BEN AZZOUZ - Lors d'un point de presse récent, à Tunis, Mme la ministre a lancé les assises du tourisme, qui existent déjà en France.

Mme la ministre pourrait-elle nous apporter davantage d'informations à ce sujet ? J'ai en effet appris que des assises allaient bientôt avoir lieu à Paris.

M. Jean-Pierre SUEUR - Les députés tunisiens ici présents lui poseront la question. La parole est à M. Ghannem.

Kerkennah (Crédits : Discover Tunisia)

M. Mohamed GHANNEM - Montesquieu a dit : « Ce que l'auteur ne peut dire en profondeur, il le dit en longueur ». Je serai donc bref...

Je remercie tous ceux qui ont fait le déplacement, particulièrement Jihène Saadi, de Toulouse.

Je remercie également le président du groupe interparlementaire d'amitié Tunisie-France, qui a fait le déplacement.

Je remercie surtout M. Jean-Pierre Sueur, sénateur, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Tunisie, de nous avoir reçus aujourd'hui dans un lieu hors du commun, le temple de la République. En tant que républicains, nous apprécions tous son invitation.

M. Jean-Pierre SUEUR - Vous êtes ici chez vous.

Nous allons maintenant entendre l'intervention vidéo de Matthias Fekl, lorsqu'il était encore secrétaire d'État charge du tourisme, avant qu'il ne devienne ministre de l'Intérieur.


* 9 Selon un classement réalisé par le magazine américain Daily News Dig en 2014.

* 10 Il aura lieu du 23 au 26 mai 2017 à Tataouine avec pour thème « le rôle du tourisme alternatif dans le développement durable des territoires fragiles des pays de la Méditerranée ».

* 11 Abdellatif Hmam a été nommé secrétaire d'État au Commerce dans le gouvernement de M. Youssef Chahed à la fin du mois de février 2017.

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