II. L'HISTOIRE CONTEMPORAINE DU TIBET : UN ENJEU POLITIQUE

La science historique n'est jamais exempte d'implications politiques. C'est particulièrement vrai dans le cas du Tibet, dont l'histoire est largement instrumentalisée par les autorités chinoises. Celles-ci cherchent d'abord à démontrer l'ancienneté de l'appartenance du Tibet à la Chine. Le débat porte moins ici sur la réalité des liens entre les deux pays, que sur la signification qu'il convient de leur donner.

Mais là n'est pas le plus important. L'essentiel de l'enjeu politique se concentre sur l'histoire contemporaine du Tibet, que les autorités chinoises présentent sous un jour qui leur est unilatéralement favorable, admettant tout au plus certains débordements à l'époque de la « Révolution culturelle ». Or, la question tibétaine ne pourra pas être correctement posée en Chine tant que les violences et exactions commises lors de la « libération pacifique » puis de la « réforme démocratique » du Tibet ne seront pas officiellement reconnues.

A. DEPUIS QUAND LE TIBET EST-IL CHINOIS ?

Comment expliquer qu'il puisse y avoir débat sur l'ancienneté de l'appartenance du Tibet à la Chine ? Cela résulte du caractère ténu des liens qui unissaient les deux pays dans le passé. Le Tibet n'a jamais été pleinement intégré à l'empire chinois, mais constituait une forme de protectorat fondé sur la relation personnelle existant entre l'Empereur et le Dalaï-Lama, entre protecteur temporel et maître spirituel (dite relation choe-yon ).

La revendication de souveraineté des autorités chinoises sur le Tibet remonte pourtant loin dans le temps. Certains documents officiels situent le « rattachement » du Tibet dès le VIII ème siècle, lors du mariage du roi tibétain Song-tsen Gampo avec une princesse chinoise. Mais la version la plus communément avancée situe l'événement capital au XIII ème siècle, lorsque le mongol Khubilaï Khan charge le tibétain P'hagpa, hiérarque de la lignée religieuse des sakyapa, de la fonction de précepteur impérial et l'investit de l'autorité politique sur le Tibet. Le « pays des neiges » s'est ainsi trouvé inclus dans l'empire mongol, à l'époque où celui-ci s'étendait à la Chine.

Le protectorat établi par la dynastie mongole des Yuan a été ensuite transmis à la dynastie chinoise des Ming qui lui succède au XIV ème siècle. Mais celle-ci ne l'a exercé que de manière très théorique. Le Tibet sort de l'orbite de Pékin, pour demeurer objet de rivalités entre les différentes tribus mongoles. C'est Altan Khan qui confère en 1577 à Seunam Gyamtso, abbé du monastère guélougpa de Drépoung, le titre de Dalaï-Lama. Et c'est Gushri Khan qui investit en 1642 le V ème Dalaï-Lama de l'autorité suprême sur tout le Tibet.

Si l'on s'en tient à des critères de contrôle effectif, le début réel de l'incorporation du Tibet à l'Empire du Milieu date du début du XVIII ème siècle, sous la dynastie mandchoue des Qing. En 1720, l'armée chinoise intervint dans un Tibet en pleine guerre civile, pour rétablir sur son trône le VII ème Dalaï-Lama. Deux représentants de l'Empereur, ou ambans , furent alors installés à Lhassa avec le pouvoir de s'immiscer dans les affaires intérieures tibétaines. Des garnisons chinoises, plus ou moins importantes selon les périodes, stationnèrent depuis au Tibet.

Néanmoins, le protectorat est demeuré très léger. Le Livre blanc de mai 2004 sur l'autonomie régionale ethnique au Tibet admet que « le gouvernement central des dynasties Yuan, Ming et Qing ainsi que de la République de Chine, tout en définissant les organes d'administration locaux, en décidant et en réglant directement les affaires importantes du Tibet, a conservé pour l'essentiel la structure de la société et le pouvoir dirigeant originels, chargé les clergés et laïques locaux des classes supérieures de gérer les affaires locales et accordé une autonomie relativement grande au gouvernement et ses fonctionnaires locaux ».

Les relations sino-tibétaines connurent diverses tribulations au XIX ème et au début du XX ème siècle. Le gouvernement de Pékin essayait de maintenir son influence au Tibet, au besoin en jouant de la rivalité entre le Panchen-Lama, « numéro deux » de l'école guélougpa , et le Dalaï-Lama. Tandis que ce dernier essayait de s'affranchir de la tutelle chinoise, au besoin en s'appuyant sur les Anglais présents dans l'Inde voisine. En 1910, afin de réaffirmer son autorité par la force, le gouvernement de Pékin envoya une expédition militaire à Lhassa et destitua le XIII ème Dalaï-Lama, qui trouva refuge dans les Indes britanniques.

Lors de la chute de la dynastie mandchoue en 1911 et l'instauration de la République de Chine, le Dalaï-Lama regagna Lhassa et dénonça la relation choe-yon qui le liait à l'Empereur depuis des siècles. Il proclama l'indépendance du Tibet en 1912.

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