Compte rendu du déplacement effectué par une délégation du groupe interparlementaire

du 22 au 30 mai 2004

II - L'Érythrée, la nécessaire ouverture

L'Érythrée est en superficie un petit pays (environ 124.000 km²), peu peuplé (4,3 millions d'habitants), très isolé sur la scène internationale et qui y fait l'objet de maintes critiques. Ses institutions semblent entièrement dominées par le Président Issaïas Afeworki, avec une ouverture fort lente -et sans doute insuffisante- tant vis-à-vis de l'étranger qu'en matière de politique intérieure.

Cette situation est largement tributaire de l'histoire assez mouvementée de l'Érythrée et pour partie liée à celle de son grand voisin éthiopien. Ex-colonie italienne (entre 1897 et 1941), l'Érythrée, rattachée à l'Éthiopie par une résolution de l'ONU en 1952, est le plus récent pays d'Afrique à avoir accédé à l'indépendance, puisque c'est seulement en 1993 qu'au terme d'une longue lutte contre le régime du dictateur éthiopien Mengistu, le dirigeant du Front populaire de Libération de l'Érythrée (FPLE), Issaïas Afeworki, parvient à faire reconnaître la souveraineté de son pays à son ancien frère d'arme éthiopien, M. Mélès Zénawi.

Pour autant, des divergences sont apparues très tôt entre l'Érythrée et l'Éthiopie, concentrées notamment sur la possession de la zone de Badmé, ville située au sud-ouest d'Asmara et qui cristallise un contentieux territorial d'ailleurs préexistant, puisque dès 1976, des combats y opposaient déjà différents « Fronts de Libération » opérant dans cette zone.

1. La question de Badmé, un conflit récurrent entre l'Érythrée et l'Éthiopie

L'origine exacte du contentieux entre l'Érythrée et l'Éthiopie à propos de Badmé est fort complexe et assez contestée, mais à s'en tenir au strict plan du droit international, il résulte, pour l'essentiel, des hésitations quant l'attribution de cette zone par le traité tripartite anglo-italo-éthiopien du 15 mai 1902, selon un tracé imprécis repris lui-même d'un traité antérieur. Depuis lors, la querelle a été entretenue par l'invocation de part et d'autre du principe de l'intangibilité des frontières coloniales, pour le coup peu opérant dans la mesure où, sur le terrain, lesdites frontières n'étaient pas parfaitement établies.

Ce qui aurait pu demeurer un contentieux frontalier somme toute banal a changé de nature et pris une tournure dramatique à partir de 1998, lorsque les troupes érythréennes pénètrent à Badmé, ce qui enclenche un conflit armé particulièrement meurtrier (au moins 200.000 morts de chaque côté, véritable saignée humaine pour un petit pays comme l'Érythrée) et le déplacement forcé d'une part considérable de la population (environ 1,5 millions de personnes).

Sur le plan militaire, l'Éthiopie a lancé une vaste offensive en mai 2000 pour reprendre les territoires occupés par l'armée érythréenne, ce qui a débloqué la situation sur le terrain après deux ans d'engagements sanglants entrecoupés de médiations internationales infructueuses.

Le mois suivant, alors que les forces éthiopiennes semblaient sur le point d'emporter militairement la victoire, un accord de cessation des hostilités en quinze points a été signé au terme de pourparlers organisés sous les auspices de l'Algérie et de l'Organisation de l'Unité Africaine, les deux belligérants s'engageant à mettre fin aux combats et à permettre la libre circulation dans une zone tampon de 25 kilomètres à une force internationale onusienne.

Carte de l'Erythrée

Sur cette base, une Mission des Nations unies en Éthiopie et en Érythrée (MINUEE) (ou United Nations Mission in Ethiopia and Eritrea - UNMEE) a été créée par deux résolutions n° 1312 du 31 juin 2000 et n° 1320 du 15 septembre 2000, puis confirmée à plusieurs reprises (la dernière fois par une résolution du 12 septembre 2003) 6 ( * ) .

Cette force internationale -dont la délégation sénatoriale a rencontré le haut-responsable, S. Exc. M. Joseph Legwaila- est chargée d'observer le retrait des troupes et devrait rester sur place jusqu'à la démarcation précise d'une frontière par les experts de l'ONU. L'effectif maximum de la MINUEE ne doit pas dépasser 4 200 hommes (actuellement environ 4 000 hommes) dont 220 observateurs militaires.

Plus précisément, la MINUEE a été chargée de cinq missions :

1. superviser et vérifier le déploiement des forces éthiopiennes à partir des positions qui ont été prises après le 6 février 1999 et qui n'étaient pas sous administration éthiopienne avant le 6 mai 1998 ;

2. contrôler simultanément les positions des forces érythréennes qui doivent se redéployer, afin de rester à une distance de 25 kilomètres des positions desquelles les forces éthiopiennes doivent se redéployer ;

3. présider la Commission de coordination militaire créée par l'Organisation des Nations unies et l'Organisation de l'Unité africaine ;

4. fournir une assistance technique aux activités de déminage humanitaire ;

5. coordonner les activités de la mission avec les activités humanitaires et relatives aux droits de l'Homme menées dans ces zones par l'Organisation des Nations unies et d'autres organisations.

En pratique, un état-major et des bureaux de la MINUEE sont installés à Asmara, d'ailleurs non loin de l'hôtel où a séjourné la délégation sénatoriale.

Si l'accord global de paix conclu à Alger le 12 décembre 2000 sous la pression conjointe de l'Algérie, du Conseil de Sécurité des Nations unies et de l'Union européenne a mis un terme aux opérations armées, force est de reconnaître que la question de Badmé n'est pas réellement réglée, faute d'acceptation d'une solution commune par les deux anciens belligérants.

A ce jour, une commission arbitrale a décidé en avril 2002 que Badmé devait revenir à l'Érythrée, sa décision revêtant juridiquement un caractère final et obligatoire qui lie toutes les parties en présence et qui est reconnue par la France.

Pour autant, cette décision n'a pas coupé court aux revendications de chacune des parties, et semble même attiser le différend : l'Éthiopie ne paraît pas prête à l'appliquer telle quelle, tandis que l'Érythrée s'arc-boute avec intransigeance sur un texte qui lui donne raison pour refuser d'engager la moindre négociation qui pourrait, d'une manière ou une autre, remettre en question le tracé frontalier délimité en sa faveur.

ÉRYTHRÉE - LES DONNÉES DE BASE

Superficie : 124 320 km²

Population : 4,3 millions d'habitants

Capitale : Asmara

Villes principales : Asmara, Keren Massoua, Assab

Langue officielle : juridiquement aucune,

mais usage majoritaire de l'arabe,

du tigrinia et de l'anglais

Monnaie : Nakfa

Fête nationale : 24 mai

Croissance démographique : 2,4 % (moyenne 1992-2002, OMS)

Espérance de vie : 57,6 ans (OMS, 2002)

Taux d'alphabétisation

des 15 ans et plus: 56,7 % (données 2001, rapport PNUD 2003)

Religion (s) : Musulmane (50 %),

chrétienne orthodoxe (50 %)

Indice de développement humain

(Classement ONU) : 155 ème sur 175 pays (rapport PNUD 2003)

PIB nominal : 3,3 milliards de $

PIB par habitant : 190 $

Taux de croissance (2003) : 2 % (est.EIU)

Taux d'inflation (2003) : 12,3 % (est.EIU)

Balance commerciale : -580 M $

Principaux clients : Soudan (83 %), Italie (4,9 %),

Djibouti (2,1 %), Allemagne (1,1 %) (EIU, 2002)

Principaux fournisseurs : Emirats AU (17,3 %), Arabie Saoudite (14,7 %),

Italie (14,2 %), Allemagne (4 %),

Belgique (3,8 %) (EIU, 2002)

Part des principaux secteurs

d'activités dans le PIB (EIU, 2002) - agriculture : 11,7 %

- industrie : 25 %

- services: 63,3 %

Exportations France vers l'Érythrée : 9 M€ (DREE, 2002)

Importations françaises d'Érythrée : 1 M€ (DREE, 2002)

Communauté française en Érythrée : 35 personnes

Source - Ministère des Affaires étrangères

Pour tenter de sortir de cette impasse et de renouer le dialogue entre l'Érythrée et l'Éthiopie, le secrétaire général des Nations unies a désigné le 30 janvier 2004 un représentant spécial, M. Lloyd Axworthy, ancien ministre des Affaires étrangères du Canada, qui a déjà été reçu par les autorités éthiopiennes. Pour sa part, l'Érythrée n'a pas accepté de recevoir M. Axworthy, réaffirmant qu'elle ne saurait admettre une tentative de médiation qui, directement ou indirectement, aurait pour objet ou pour effet de reposer la question de Badmé, selon elle définitivement tranchée à son profit par la commission arbitrale.

* 6 Tous les renseignements utiles sur la MINUEE sont disponibles en français sur le site Internet de l'ONU, à l'adresse suivante : http://www.un.org/french/peace/peace/cu_mission/unmee/body_unmee.htm ; la MINUEE dispose d'un site Internet très complet en anglais, dont l'adresse est la suivante : http://www.unmeeonline.org

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