Actes colloque Moyen-Orient



Les grandes tendances économiques et commerciales

Pierre MOURLEVAT,
Ministre conseiller, Chef du Service Economique pour le Moyen-Orient,
Directeur du bureau régional de l'AFII (Agence Française pour les
Investissements Internationaux)

Je vais évoquer les perspectives de retour à la croissance au Moyen-Orient en prenant l'exemple des Émirats Arabes Unis et établir d'éventuelles leçons à tirer pour le Golfe.

Aux Émirats, il existe deux grands pôles de développement économique. En premier lieu, il s'agit d'Abu-Dhabi avec ses hydrocarbures et ses projets de développement dans l'industrie lourde et dans les pôles de technologie. L'autre pôle est Dubaï dont le modèle économique tire son succès du transport de marchandises et de personnes entre l'Orient et l'Occident via un hub maritime et aérien dont l'activité contribue à la croissance de l'Émirat. Les deux émirats sont complémentaires.

Leur stratégie de sortie de crise repose avant tout sur l'intervention de l'État au travers d'une politique budgétaire contra cyclique consistant à injecter dans l'économie des montants financiers très importants. Cette politique budgétaire vise à tirer la croissance par la demande publique en orientant ses projets vers l'investissement. Certes, la crise a induit une révision des budgets et certains projets ont été allongés, voire différés. Mais les projets liés à la stratégie de diversification de l'économie sont restés inchangés dans leur ensemble. La stratégie de diversification de l'économie est au coeur du projet politique des Émirats Arabes Unis. Il existe une anxiété sur l'avenir. Les pics de production pétrolière vont être atteints sur un certain nombre de grands champs pétroliers vers 2010/2020. L'objectif à terme est de déconnecter la croissance du PIB des hydrocarbures. Ces derniers ne devraient plus représenter que 20 % du PIB au lieu des 32 % actuels. La croissance ne devra plus dépendre de l'aléa du cours du baril.

Pour ce faire, Abu-Dhabi a formé le projet de devenir une nation industrielle, avec des industries lourdes, mais surtout des industries de hautes technologies, l'aéronautique, les composants informatiques, etc. L'État impulse le financement du lancement de ces industries. Pour ce faire, il faut développer les infrastructures permettant d'acheminer les productions nouvelles et de les exporter. Pour ce faire, il faut augmenter considérablement la production d'électricité et disposer de moyens de transports permettant d'acheminer les produits des lieux de production vers les ports et aéroports pour l'exportation. Ainsi il existe un projet de réseau ferroviaire de fret et un projet de nucléaire civil.

Dans cette politique de relance par la demande publique, les financements sont assurés. Les modalités de gestion des projets vont être extrêmement diverses. L'État fait quasi systématiquement le choix de faire appel à des fonds propres de l'État et à des financements bancaires et sur les marchés. Ce faisant, l'État d'Abu-Dhabi adopte une gestion prudente de ses ressources budgétaires. En avril 2009, cet État a lancé une émission obligataire en devises de 3 milliards de dollars. Cela a permis de créer un marché financier.

La croissance du PIB devrait être positive dès cette année. Le rebond de la croissance est déjà réalisé. Les bonnes nouvelles affluent : les capitaux reviennent, les réserves de change sont reconstituées, l'excédent de la balance des paiements courants et l'excédent commercial sont très confortables, l'inflation est désormais sous contrôle. Les banques ont été stabilisées grâce à l'injection de capitaux et la garantie des dépôts.

Néanmoins, si les flux de capitaux entrent dans le pays, il est difficile de savoir dans quelle mesure il s'agit de capitaux durables. Par ailleurs, les banques sont nombreuses et leurs bases en capital ne sont pas toujours très importantes. Les banques nationales ne peuvent donc à elles seules assurer les financements de l'économie et le recours aux banques étrangères est indispensable.

Par ailleurs, le modèle de développement de Dubaï est de bonne qualité. L'Émirat dispose même de quelques fleurons. Mais il présente certaines fragilités. En premier lieu, le poids de l'immobilier et de la construction est important dans la création de richesse (entre 30 à 40 % du PIB). En second lieu, le développement de l'Émirat s'est fait sur des projets de long terme avec des financements de très court terme, ce qui pose problème en période de crise. Le stock de dettes est important et les échéances de remboursement des entités publiques jusqu'à 2014 s'élèvent à 10 à 20 milliards de dollars par an à rembourser ou renouveler. Il faut trouver des partenaires qui acceptent de renouveler ces dettes à des conditions financières acceptables.

Entre octobre et novembre, des flux financiers très importants sont arrivés sur l'Émirats de Dubaï pour lui permettre de faire face aux échéances de la dette des entités publiques. Cet optimisme est dû au sentiment des marchés qu'il existe une garantie implicite de l'Émirat d'Abu-Dhabi et de l'échelon fédéral sur la dette de Dubaï. Ces marchés ont aussi confiance en la capacité de rebond de l'économie de Dubaï. Enfin, il est encore possible d'y placer de l'argent rémunéré entre 6 et 7 %. Hier, nous avons appris que Dubaï World, une des principales entités semi-publique de Dubaï, avait demandé un moratoire sur sa dette pour six mois. Ce type d'événements doit être décrypté.

Quelques leçons ont été tirées de la crise financière. La politique de développement a changé. Les projets exubérants ont disparu. On assiste également au retour de l'assurance-crédit. La crise a, en effet, renforcé la conscience que la régulation financière par la banque centrale est fondamentale. Beaucoup de réformes se mettent donc en place aujourd'hui. Les normes de régulation ont atteint le niveau des standards internationaux et se situent même au-dessus. Les banques font l'objet d'un contrôle accru et mènent des politiques de prêt beaucoup plus rigoureuses.

L'enjeu est dorénavant d'attirer des capitaux stables et durables contribuant au projet économique du pays et à son projet d'industrialisation. L'Émirat a grand besoin de groupes étrangers qui viendraient co-investir avec les entreprises locales. Cette région attire beaucoup moins d'investissements directs étrangers que les grands pays émergents. Pour accroître leur attractivité auprès des investisseurs étrangers, il faut permettre à ces derniers de détenir plus de 49 % du capital dans une joint-venture , c'est-à-dire réduire le système de sponsoring. Les mesures de ce type seront mises en oeuvre progressivement et pas dans tous les secteurs. La réforme de la fiscalité n'est pas facile. Il faut créer un système fiscal plus diversifié et non axé sur les hydrocarbures. Il est probable que sera d'abord mise en place une TVA mais plutôt au niveau régional pour éviter de créer des distorsions de concurrence.

L'intégration régionale reste une grande priorité. Elle vise la mise en place d'un marché commun et d'infrastructures communes, telles que l'interconnexion des réseaux et des projets ferroviaires. Une nation qui souhaite devenir un pays producteur, mais qui ne dispose pas d'un marché national suffisamment profond, a besoin d'un marché régional.

Les Émirats Arabes Unis ont bien résisté à la crise. Ils en sont sortis plus rapidement que prévu, à l'exception de Dubaï.

Au niveau régional, les mécanismes sont très proches. La plupart des pays de la région devraient connaître dans leur ensemble une croissance positive de 2,5 % en moyenne en 2009. Le rebond devrait être très marqué en 2010. Tous les pays du Golfe ont adopté la même politique contra cyclique d'investissements que les Émirats Arabes Unis. Dans ce pays, la demande publique peut à elle seule porter la sortie de crise compte tenu des moyens gigantesques de l'État et de ses besoins considérables en termes d'infrastructures. Les budgets publics d'investissements s'élèvent à 100 milliards de dollars au Qatar ou encore à 500 milliards de dollars à moyen terme en Arabie Saoudite.

Les fonds souverains ont reconstitué leurs avoirs et repris leur stratégie d'investissements financiers et stratégiques à l'étranger. Ils prennent des participations en capital dans des grands groupes ayant des technologies importantes afin de les attirer dans leur pays pour bâtir avec eux leur projet de diversification industrielle.

Les pays du Golfe sont également très attachés à l'intégration régionale. La question des accords de libre-échange avec les pays tiers reste en suspens : ils semblent difficiles à mettre en place avec l'Union européenne mais aussi avec les grands pays émergents. Ces pays considèrent peut-être qu'il n'est pas judicieux d'ouvrir leurs frontières à un moment où ils se lancent dans le développement d'industries nationales qui peuvent avoir besoin de protection.

En conclusion, les pays du Golfe se trouvent dans une période de post-crise grâce à l'action de l'État. Aujourd'hui le principal défi n'est plus la gestion de la crise, même si une certaine fragilité affecte encore Dubaï. Toutefois, il est, à moyen terme, possible de construire une économie diversifiée, industrielle et exportatrice. Dans ce contexte, les opportunités sont très importantes pour les entreprises françaises, grâce aux marchés publics. Mais la concurrence de l'Asie est extrêmement forte, notamment celle de la Chine. La Chine développe des partenariats qui permettent de s'assurer sa sécurité d'approvisionnement énergétique et se positionne avec des prix très compétitifs sur les grands appels d'offres.

Cyril FORGET
Chef du bureau Moyen-Orient, Ministère de l'Économie, de l'Industrie
et de l'Emploi, DGTPE

La France porte une grande attention à la région du Golfe, et cette attention a eu tendance à se renforcer depuis deux ans. La région constitue une des priorités de la France.

Cette politique de développement des relations avec le Moyen-Orient a des manifestations dans le domaine de la sécurité, de la culture, de l'éducation et de l'économie. Le dialogue économique se construit autour de quelques sujets structurants d'intérêt économique commun, tels que la réduction des déséquilibres économiques mondiaux et la gouvernance économique mondiale ; la stabilisation des prix du pétrole ; les fonds souverains et l'attractivité du territoire français ; le développement de la finance islamique en France ; la propriété intellectuelle. Ce dialogue a des effets positifs pour les entreprises françaises.

Le deuxième axe de structuration de la relation économique française avec le Moyen-Orient porte sur l'appui aux projets des entreprises françaises dans la région et leur contribution au projet économique qu'elle développe. Le Moyen-Orient était depuis 2002 la première région émergente de grands contrats pour les entreprises françaises. Un recul très important a été enregistré en 2009. Mais ses programmes de développement continueront à en faire une des principales zones d'opportunité de grands contrats. Nous continuerons à appuyer l'offre des entreprises françaises notamment grâce à une politique volontariste de garantie publique à l'export.

Trois autres perspectives doivent être travaillées pour renforcer notre relation économique avec le Moyen-Orient : l'accompagnement des économies moyen-orientales dans leur politique de diversification économique ; l'économie du futur, le développement durable et les nouvelles générations de technologies ; le développement de la présence des PME françaises. Il existe une attente forte des autorités locales à notre égard dans ces différents domaines.