Mme Catherine PROCACCIA, présidente du groupe d’amitié, M. André DULAIT, vice-président, Mmes Catherine DEROCHE et Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. Yvon COLLIN, Jacques GAUTIER, Jean-Claude LENOIR, Gérard CÉSAR, Philippe DALLIER, Jean-Pierre CHAUVEAU et Alain MILON, sénateurs, ont rencontré, dans le cadre d’un déjeuner de travail, trois spécialistes de Timor-Est : M. Frédéric DURAND, maître de conférences à l’université de Toulouse-II Le Mirail, chercheur à l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est ; Mme Camille de RUGY, diplomate, chargée du suivi de l’Indonésie, de Timor-Est et de Singapour au Quai d’Orsay ; M. Hatim ISSOUFALY, chef de projet pour l’Asie à l’ONG CCFD-Terre solidaire.

En préambule, Mme Catherine PROCACCIA a rappelé que le groupe d’amitié France-Indonésie avait élargi son champ de compétence à Timor-Est en 2012. C’est la première fois qu’une réunion du groupe est spécifiquement consacrée à ce pays, qui demeure largement méconnu.

M. Frédéric DURAND a d’abord souligné que Timor-Est  a une histoire ancienne et que ses premiers contacts avec les Portugais remontent au XVIe siècle. Grand comme deux fois la Corse, avec des sommets à 3 000 mètres d’altitude, Timor-Est est peuplé de 1,2 million d’habitants. Le portugais, langue officielle, n’était pratiqué à l’indépendance que par 15% de la population et côtoie aujourd’hui une vingtaine de langues vernaculaires.

Si la population demeure aux trois quarts rurale, la jeunesse aspire à un mode de vie « à l’occidentale ». Le pays dispose de ressources pétrolières et gazières qui lui rapportent un milliard de dollars par an en royalties. Ces revenus ont permis à Timor-Est de proposer de racheter une partie de la dette portugaise. Les réserves prouvées sont suffisantes pour poursuivre la production pendant plusieurs décennies.

Trois périodes peuvent être distinguées concernant l’utilisation de cette manne pétrolière : de 2002 à 2007, le pays, sous administration onusienne, n’a dépensé qu’une petite partie de ses ressources ; le taux d’exécution budgétaire était tombé à 65 % ; l’insatisfaction de la population a conduit à des révoltes en 2006-2007, qui ont notamment contraint le Premier ministre à démissionner ; depuis, Timor-Est finance des projets publics plus nombreux et le taux d’exécution budgétaire est remonté à plus de 90 %.

Pendant la période d’occupation indonésienne, une partie des élites ont émigré au Portugal ou en Australie. Après l’indépendance, en 2002, une commission de réconciliation a été mise en place. En revanche, Timor-Est n’a pas demandé la constitution d’un tribunal international, afin d’éviter de froisser l’Indonésie qui aurait pu, en représailles, bloquer son adhésion à l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN).

M. Hatim ISSOUFALY a estimé que la manne pétrolière avait permis à l’ancien président José RAMOS-HORTA d’acheter la « paix sociale » en versant des prestations à un grand nombre d’anciens combattants, de veuves ou d’orphelins de guerre. L’État a peu investi dans la modernisation de l’agriculture, ce qui oblige Timor-Est à importer une bonne partie du riz qu’il consomme. En 2011, un grand programme de développement, à l’horizon 2030, a été lancé. Il est nécessaire que l’économie timoraise crée davantage d’emplois car la population du pays est très jeune.

Constituée il y a plus d’un demi-siècle, l’ONG CCFD-Terre solidaire est présente à Timor-Est depuis 1996. Elle travaille avec des partenaires locaux sur des projets dans trois domaines : la résolution des litiges en matière de propriété foncière ; l’encouragement à la création de micro-entreprises, qui pourraient notamment valoriser les produits agricoles ; la souveraineté alimentaire, qui doit garantir que Timor-Est produit les denrées agricoles dont sa population a besoin.

Mme Camille de RUGY a indiqué que la France entretient de bonnes relations avec Timor-Est. Les échanges avec ce pays sont cependant modestes. La France dispose d’un bureau de coopération à Dili et a consacré, en 2012, un budget de 30 000 euros aux actions de coopération.

Une cinquantaine de ressortissants français sont recensés à Timor-Est. Certains d’entre eux sont employés par l’une des trois ONG françaises présentes sur place : outre CCFD-Terre solidaire, Triangle Génération Humanitaire, active dans le domaine de l’assainissement de l’eau et Handicap international. Une seule entreprise française, active dans le domaine du fret, est présente à Timor-Est.

En réponse à une question de M. Philippe DALLIER sur le rôle des collectivités locales, M. Frédéric DURAND a expliqué qu’un projet de décentralisation est en cours de discussion, qui aurait notamment pour objet de confier aux collectivités la gestion des budgets de développement. Pour M. Hatim ISSOUFALY, une telle évolution institutionnelle faciliterait la mise en œuvre des projets que soutient son organisation, notamment pour améliorer les voies de communication et les réseaux de commercialisation.

Interrogé par M. Jean-Pierre CHAUVEAU sur l’état des réseaux d’approvisionnement en eau et en électricité, M. Frédéric DURAND a insisté sur l’importance que le Premier ministre, M. Xanana GUSMAO, attache au développement des infrastructures, ainsi que sur l’apport des ONG : Triangle Génération Humanitaire a mis en place, dans certaines zones rurales, un réseau d’approvisionnement en eau réalisé en lien étroit avec les populations locales.

M. Jacques GAUTIER s’étant enquis des modalités de reconversion des combattants de la guerre d’indépendance, M. Frédéric DURAND a indiqué que les anciens combattants avaient souvent été intégrés dans l’armée, tandis que les forces de police en place à l’époque indonésienne avaient servi de base à la constitution de l’actuelle police nationale. Il en a résulté une rivalité entre ces deux institutions, qui a joué un rôle dans le déclenchement de la crise de 2006-2007. M. Hatim ISSOUFALY a ajouté qu’il n’y avait pas de distinction claire entre les missions de l’armée et de la police, qui pourraient, à terme, fusionner. Mme Camille de RUGY a précisé que l’attaché de sécurité en poste à l’ambassade de France à Jakarta avait organisé des formations à Timor-Est, notamment en ce qui concerne la protection des bâtiments officiels.

M. Jean-Claude LENOIR ayant demandé des précisions sur l’insertion du Timor-Est dans son environnement régional, Mme Camille de RUGY a indiqué que le pays souhaitait adhérer à l’ASEAN, où il dispose actuellement d’un statut d’observateur. M. Frédéric DURAND a rappelé que cette adhésion avait été refusée par la Birmanie, qui reproche à Timor-Est d’avoir soutenu les forces d’opposition, et par Singapour, qui estimait que Timor-Est n’avait pas atteint un niveau de développement suffisant. Cette dernière position est surprenante quand on sait que son produit intérieur brut atteint désormais 3 500 dollars par habitant. Les objections à l’adhésion de Timor-Est à l’ASEAN semblent désormais levées et le pays pourrait rejoindre cette organisation en 2013 ou 2014. Par ailleurs, la relation avec les États-Unis est dominée par les questions relatives à la production de café, dont les Américains sont de grands importateurs.

En réponse à une question de M. André DULAIT, M. Hatim ISSOUFALY a souligné que la très grande majorité de la population est de religion catholique. L’Église a été très active pendant la période d’occupation par l’Indonésie, contribuant à organiser l’opposition. Elle est aujourd’hui perçue comme une institution conservatrice, dont les jeunes ont tendance à s’éloigner, ce qui explique une baisse de la pratique religieuse.

Enfin, M. Frédéric DURAND a fait observer que Timor-Est a intégré avec l’Indonésie, en tant qu’observateur, le groupe du « Fer de Lance », alliance internationale qui regroupe plusieurs États mélanésiens ainsi que le FLNKS calédonien, élément qui doit être pris en compte dans la relation bilatérale entre la France et ce pays.

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