Le groupe interparlementaire d’amitié, présidé par M. Dominique de Legge, a reçu, le jeudi 8 mars, M. Djilali Benchabane, chercheur auprès de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), afin de dresser un panorama de la situation du Liban dans son environnement régional. MM. René Danesi, Bernard Fournier, Louis-Jean de Nicolay et Jean-Pierre Vial ont participé à cette rencontre.

M. Benchabane a insisté en premier lieu sur le fait que le Liban demeurait, à ses dépens, une caisse de résonnance des interférences régionales. La crise de novembre 2017 qui a abouti à la démission, en raison notamment de probables pressions saoudiennes, de M. Saad Hariri du poste de Premier ministre puis au renoncement à celle-ci en a constitué une nouvelle illustration.

Ces événements doivent également être intégrés dans une grille de lecture régionale, prenant en compte le poids pris dans la région par l’Iran depuis les printemps arabes et son retour sur la scène internationale avec les accords de Vienne de juillet 2015. À cela, s’ajoutant la baisse de l’engagement de l’administration américaine au Moyen-Orient sous le mandat Obama. Ces évolutions ont réduit le rôle d’une Arabie Saoudite, prise à la fois par des considérations intérieures entre 2011 et 2015, et par le souhait de Riyad de combler retrait américain au Moyen-Orient face à la montée en puissance de l’Iran. La manifestation de la rivalité saoudo-iranienne s’exprime néanmoins avec une vigueur renouvelée depuis 2015, en raison de la transition dynastique en Arabie  Saoudite  – en faveur de la famille Salman – qui marque le retour d’une Arabie Saoudite en quête de réaffirmation de son leadership régional. Cette tendance ne s’est pas démentie, mais au contraire confirmée depuis l’arrivée aux responsabilités du prince héritier Mohammed ben Salman.

Le Liban s’inscrit comme un élément central de cette rivalité au Proche-Orient, du fait du rôle et de la proximité du mouvement Hezbollah avec l’Iran qui constitue pour l’Arabie saoudite un « irritant ».  La séquence politique de novembre 2017 avec la démission surprise du Premier ministre Hariri – depuis l’Arabie Saoudite –   reflète à cet égard le jeu d’affrontement des deux puissances et la volonté saoudienne de bousculer le contrefort chiite au Liban et plus largement au Proche-Orient.

Cette action, loin d’avoir provoqué  les résultats escomptés, a surtout permis d’observer la complexité de la réalité politique libanaise, l’affirmation du rôle politique du Hezbollah mais aussi l’importance du concept clé de compromis :  seules des coalitions à large spectre (intégrant chrétiens, sunnites et chiites) – à l’instar de celle mise en place depuis l’élection à la présidence de la République de Michel Aoun – permettent d’éviter des crises politiques majeures au Liban. M. Saad Hariri y joue un rôle clé, du fait de sa capacité  à représenter le visage d’un sunnisme compatible avec la présidence du général Michel Aoun alliée politiquement au Hezbollah. De ce point de vue, les ambitions saoudiennes relatives à la scène politique libanaise semblent avoir minorées le rôle de l’équilibre intercommunautaire qui prévaut au Liban. La crise de novembre 2017 a clairement révélé l’hostilité d’une grande partie des forces politiques et de la société libanaise face à toute forme d’ingérence extérieure.

C’est à la lumière de ce constat qu’il convient également de réévaluer le rôle du Hezbollah. Présenté légitimement comme un allié de l’Iran, le mouvement chiite a su bâtir l’image d’un parti disposant d’une forme d’indépendance à l’égard de Téhéran sur la scène politique libanaise, même si la réalité de cette relation est plus complexe dans les faits. Il constitue néanmoins aujourd’hui un mouvement politique structuré, fédérant pour l’essentiel les aspirations de la communauté chiite, à l’inverse d’une communauté sunnite plus atomisée au plan politique et souffrant d’un problème de leadership. La crise de novembre 2017 a accentué cette impression en fragilisant Saad Hariri.

Le Hezbollah dispose, quant à lui, d’une aura renforcée par son engagement militaire en Syrie. Le mouvement fait, à ce titre, plus que jamais figure de véritable armée du pays, de par sa capacité à projeter ses forces sur un théâtre d’opération extérieure. Au-delà des aspects sécuritaires, le rôle du Hezbollah en tant qu’acteur économique renforce son poids politique sur la scène nationale libanaise. Dans ces conditions, le mouvement chiite fait figure de pilier incontournable pour tout gouvernement libanais. Les élections de mai prochain au Liban devraient confirmer cette tendance, l’ajout d’une dose de proportionnalité renforçant son poids politique.

Ce rôle du Hezbollah n’est pas sans conséquence sur la position israélienne à l’égard du Liban. L’hostilité affichée par l’État hébreu au Hezbollah pourrait cependant ne pas dépasser le registre verbal. Ni le mouvement chiite, ni le gouvernement israélien ne semblent avoir intérêt à une escalade militaire comme en 2006.

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