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PROJET DE LOI

autorisant l'approbation de l'Accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement

de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg

pour le développement de la coopération et de l'entraide administrative

en matière de sécurité sociale

NOR : MAEJ1128016L/Bleue-1

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ETUDE D'IMPACT

I- Situation de référence et objectifs de l'accord ou convention

La France et le Luxembourg, comme l'ensemble des Etats membres de l'Union Européenne, appliquent depuis le 1 er mai 2010 le nouveau règlement communautaire n° 883/2004 du
29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale 1 ( * ) . Ce règlement, dont l'apport majeur par rapport à l'ancien règlement n°1408/71 du 14 juin 1971 réside dans une extension des différents champs d'application, a pour objet principal d'assurer aux ressortissants communautaires le maintien de leurs droits sociaux lorsqu'ils se déplacent sur le territoire de l'Union.

Toutefois, les normes communautaires ne prévoient qu'une entraide administrative limitée, pour l'essentiel à cet objet. Si le nouveau règlement n° 883/2004 et son règlement d'application n° 987/2009 du 16 septembre 2009 2 ( * ) renforcent l'obligation d'entraide, ils ne prennent pas réellement en compte le souci des Etats de lutter contre la fraude sociale et n'instituent pas en ce sens un dispositif concret d'échanges d'informations et de données.

Dans le but de combler cette insuffisance et de répondre à leur préoccupation commune de lutte contre la fraude sociale, les Gouvernements des deux pays ont voulu renforcer le dispositif de contrôle du respect des règles communautaires en matière de sécurité sociale.

En effet, il importe que la lutte contre la fraude sociale ne s'arrête pas aux frontières et que les contrôles puissent être effectués dans les cas de situations transnationales, de la même façon qu'ils sont menés au niveau national conformément à la législation de chacun des deux Etats.

Seule la conclusion d'un accord permet de lever les obstacles que les frontières opposent à l'application de mesures de contrôle prévues par une législation sociale dont les bénéficiaires résident ou travaillent hors du territoire de l'Etat concerné.

L'Accord pose dans un premier temps le cadre général de la coopération en prévoyant une saisine directe entre les organismes de sécurité sociale des deux pays ainsi qu'un échange d'informations et de données en vue de constater les fraudes, abus ou erreurs en matière de prestations, de cotisations ou d'assujettissement. Dans un second temps, il décline cette coopération en trois volets : la coopération en matière de prestations, en matière d'assujettissement et en matière de contrôles. Ces vérifications portent essentiellement sur la résidence, l'état civil, les conditions de ressources ou encore les arrêts de travail.

Grâce à l'échange d'informations et de données, les organismes de protection sociale pourront, lors du traitement des demandes de prestations ou de leur versement, demander aux institutions de l'autre Etat d'effectuer des contrôles. Les organismes de protection sociale pourront, en outre, faire procéder au recouvrement de cotisations dans l'autre Etat et récupérer, par l'intermédiaire des organismes de l'autre Etat, le montant des versements indus.

L'Accord permet, par ailleurs, la coopération pour le contrôle du détachement, facteur important de fraude aux règles d'assujettissement. Seule une coopération entre institutions des deux pays - en l'espèce un échange rapide d'informations - peut conduire à l'affiliation au régime d'accueil, le recouvrement des cotisations, voire l'engagement de procédures avec les sanctions qui s'ensuivent.

Pour finir, cet Accord innove sur trois points. Tout d'abord, l'Accord prévoit la transmission et le rapprochement de fichiers. Ensuite, il autorise la présence d'agents sur le territoire de l'autre Etat, en qualité d'observateurs et aux fins d'assistance - par exemple pour interpréter des données et des informations. Enfin, il instaure la possibilité de contrôle des arrêts de travail pour un salarié affilié au régime d'un Etat par un organisme de l'autre Etat.

II- Conséquences estimées de la mise en oeuvre de l'accord ou convention

- Conséquences économiques

Le détournement des règles d'affiliation dans le cadre du dispositif de détachement favorise les pratiques de concurrence déloyale. Ainsi, s'il est difficile d'évaluer le contournement frauduleux des règles d'assujettissement, l'Accord permettra de limiter les pratiques visant à fausser la concurrence avec les entreprises établies en France portant atteinte, par là-même, à l'emploi national. En outre, la coopération en cas d'emploi illicite peut avoir un impact en tant que facteur pouvant favoriser les conditions de l'emploi. A cet égard, c'est le secteur du travail temporaire qui est le plus concerné.

Entre l'été 2007 et le printemps 2009, 36 000 missions de détachements effectuées par des salariés d'entreprises de travail temporaire (ETT) établies au Luxembourg ont été comptabilisées par le centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS). Le nombre de travailleurs français détachés au Luxembourg s'élevait à 4005 en 2009 3 ( * ) tandis que le nombre de déclarations de détachement de travailleurs luxembourgeois en France était de 12 685 4 ( * ) sur la même période. Le nombre de salariés d'ETT détachés en France est apparu disproportionné voire exorbitant. La concurrence imposée aux entreprises de ce secteur établies en France a soulevé de graves difficultés. La coopération entre les autorités compétentes des deux pays, au plan national comme au plan transfrontalier mise en oeuvre depuis 2009, s'efforce de faire échec aux abus et au contournement des règles communautaires. Cette coopération repose notamment sur une interprétation commune du règlement de coordination des systèmes de sécurité sociale des États membres de l'Union Européenne 5 ( * ) s'agissant des règles du détachement consacrées dans l'Accord.

- Conséquences financières

Toutes branches de la Sécurité sociale confondues (sans compter les fraudes à l'assurance chômage et sans qu'il ne soit possible de distinguer la fraude à l'étranger), le montant des fraudes détectées en France est passé de 228 millions d'euros en 2006 à 457 millions pour 2010 (dont 156 millions à l'assurance maladie et 90 millions aux allocations familiales). En 2010, la lutte contre le travail illégal a abouti à des redressements record de 185 millions d'euros (+ 42% par rapport à 2009).

L'application de l'Accord permettra de limiter les fraudes transnationales aux prestations ou aux cotisations sociales, sans qu'il soit toutefois possible d'en évaluer l'impact financier. Cet Accord n'induira pas de dépenses supplémentaires pour les organismes concernés (voir infra.)

La transmission et le rapprochement de fichiers donneront notamment aux organismes de sécurité sociale des moyens importants contre la fraude transnationale entre la France et le Luxembourg, analogues à ceux dont les mesures législatives prises au cours de ces dernières années les ont dotés au plan national.

Le caractère dissuasif de la mise en oeuvre des contrôles et le rôle positif joué en la matière par la prévention doivent être également soulignés. Ainsi, la conclusion d'un accord de ce type répond plus à la volonté de lancer un mouvement ayant vocation à concerner tous les Etats de l'Union : si les Vingt-sept étaient tous liés par de tels accords, le dispositif aurait certainement un effet dissuasif démultiplié. Dans cette optique, la France a déjà conclu deux accords similaires avec la Belgique (signé le 17 novembre 2008) et avec la République tchèque (signé le 11 juillet 2008 et entré en vigueur le 1 er avril 2011).

Le nombre de ressortissants français au Luxembourg inscrits au registre des Français à l'étranger était en 2010 de 26 136 contre environ 1000 pour la Communauté luxembourgeoise établie en France, nombre auquel il convient d'ajouter environ 70 000 frontaliers.

Les flux financiers entre les deux pays 6 ( * ) dans le cadre du règlement communautaire sont donc particulièrement importants :

- en 2009, les remboursements français de soins de santé effectués au Luxembourg s'élevaient à 2 ,5 millions d'euros tandis que le Luxembourg devait rembourser une somme de 124,1 millions d'euros à la France.

- en 2009, le Luxembourg versait des pensions à plus de 10 000 bénéficiaires résidant en France pour un montant de 113,7 millions d'euros alors que 4014 bénéficiaires résidant au Luxembourg percevaient des pensions françaises pour un total de 10,9 millions d'euros.

Ainsi, compte-tenu de l'importance des migrations transfrontalières entre les deux pays et des flux financiers en jeu, le manque à gagner induit par la fraude sociale transnationale s'avère non négligeable.

- Conséquences sociales

Au-delà de son « rendement » en termes financiers, la lutte contre la fraude sociale est un objectif en soi et un enjeu important au regard du principe de solidarité qui gouverne notre système de protection sociale.

Organiser cette lutte au plan européen c'est, en outre, approfondir le sentiment d'appartenance à l'Union en donnant des exemples concrets de la coopération et de la solidarité entre les Etats au bénéfice des citoyens européens.

- Conséquences juridiques

Cet Accord ne soulève pas de difficultés au regard du droit de l'Union européenne. L'objet principal du règlement n°883/2004 est de coordonner les systèmes nationaux de sécurité sociale et non d'organiser la coopération entre les Etats pour lutter contre les fraudes, ce qui relève d'accords bilatéraux. Sa conclusion s'inscrit dans le cadre de l'article 8 du règlement qui stipule que « deux États membres peuvent conclure entre eux, si nécessaire, des conventions fondées sur les principes et l'esprit du présent règlement. »

L'application de l'Accord de coopération et d'entraide administrative en matière de sécurité sociale est limitée aux départements métropolitains et d'outre-mer, les collectivités d'outre-mer étant exclues du champ d'application du règlement n°883/2004. En effet, celles-ci sont régies par le principe de spécialité législative en matière de protection sociale et leurs régimes de sécurité sociale ne sont coordonnés avec les régimes métropolitains que dans le cadre de décrets de coordination.

Sur le plan bilatéral, les deux pays sont, par ailleurs, liés par un Accord sur la sécurité sociale signé le 7 novembre 2005 7 ( * ) , en vigueur depuis le 1 er août 2008. Compte-tenu de l'importance des migrations transfrontalières entre les deux pays, il a paru en effet souhaitable au début des années 2000 d'adopter des dispositions additionnelles au règlement n°1408/71, qui étendent les droits de leurs citoyens dans les situations de maladie-maternité, invalidité, vieillesse et survie et renforcent la collaboration administrative entre les institutions compétentes des deux Etats. En matière de coopération et d'entraide administrative, le présent Accord ne fait qu'accentuer le dispositif bilatéral existant.

L'entrée en vigueur de l'Accord n'a aucun impact sur le droit interne et n'entraînera donc pas de modification de la législation nationale.

Cet Accord, dans son article 7, rend possible la communication de données à caractère personnel. Cette transmission est indispensable afin de pouvoir contrôler les éventuels cas de fraude, objet même de l'Accord.

S'agissant des échanges de données à caractère personnel, la nouvelle procédure instaurée par cet accord permettant à une autorité d'un Etat de procéder, à la demande de l'autre Etat, à des investigations sur la situation personnelle d'un individu ne porte pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale et ne remet pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis. En effet, cet instrument juridique s'inscrit à la fois dans les cadres communautaire et national.

L'article 76 du règlement n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 permet tout d'abord la coopération entre autorités compétentes et entre institutions compétentes des Etats membres - les organismes de sécurité sociale pour ces-dernières. Par ailleurs, l'article 2, paragraphe 2 du règlement d'application n°987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 prévoit dans son l'échange de « toutes données nécessaires à l'établissement des droits et des obligations des personnes auxquelles s'applique le règlement de base. Ces données sont transmises entre les Etats membres soit directement par les institutions, soit par l'intermédiaire des organismes de liaison ». Ces dispositions sont directement applicables et obligatoires dans tous leurs aspects.  L'accord bilatéral se limite ainsi à préciser le contenu et la finalité des données dont la transmission est requise, en application des règlements communautaires. Enfin, l'échange de données à caractère personnel, y compris relatives aux revenus des personnes, entre les institutions françaises et celles des autres pays de l'Union européenne et de l'Espace économique européen, est prévu par l'article L. 114-22 du code de sécurité sociale en vue notamment de déterminer la législation applicable, prévenir ou sanctionner le cumul indu de prestations, de déterminer l'éligibilité aux prestations et contrôler le droit au bénéfice de prestations et de procéder au recouvrement des cotisations et contributions dues.

S'agissant de la protection des données personnelles, l'utilisation des outils mis en place grâce à cet Accord - notamment la systématisation des échanges directs d'informations et de données ou même le rapprochement de fichiers - est soumise aux règles fixées par chaque législation nationale ainsi qu'aux règles de la directive européenne 95/46 du 24 octobre 1995. Outre l'encadrement strict des échanges de données prévu par l'article 6 de l'Accord lui-même et par l'article 77 du règlement n°883/2004, le niveau équivalent de la législation luxembourgeoise à celle de la France 8 ( * ) et l'existence des normes communautaires en la matière offrent toute garantie à de tels échanges entre les deux pays.

- Conséquences administratives

La mise en oeuvre de l'Accord pour le développement de la coopération et de l'entraide administrative en matière de sécurité sociale s'effectuera par les institutions compétentes et les organismes de liaison de chacun des deux Etats. Pour la France, il s'agit respectivement des caisses de sécurité sociale et du centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS).

La mise en oeuvre de cet Accord n'entraînera pas de conséquences administratives particulières sur ces organismes.

En effet, les nouvelles dispositions destinées à favoriser les échanges entre les organismes de sécurité sociale afin de lutter contre les fraudes sociales s'inscrivent dans les échanges habituels d'informations entre caisses nécessaires à l'instruction et à la gestion de dossiers individuels en matière de sécurité sociale. Les organismes sont donc habitués à ces échanges qui, dès lors, n'impactent pas leur organisation administrative.

Par ailleurs, les personnes qui seront concernées par les dispositions de l'Accord étant peu nombreuses en comparaison du nombre de dossiers que gèrent habituellement les caisses, la mise en oeuvre de cet Accord ne génèrera qu'un impact marginal pour elles, que ce soit en termes de gestion de dossiers ou en termes d'adaptation de leur organisation administrative.

Enfin, les organismes de liaison - le CLEISS pour la France - demeurent les relais privilégiés des échanges avec les organismes de sécurité sociale lorsque ceux-ci interviennent dans un cadre international et notamment bilatéral.

III - Historique des négociations

Plusieurs sessions de négociation ont permis d'aboutir à un projet d'accord finalisé, paraphé le 6 novembre 2009 à Luxembourg.

IV - Etat des signatures et ratifications

Le texte a été signé sous forme d'échange de lettres le 11 avril 2011 à Paris, par M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la modernisation de l'Etat et le 17 juin 2011 à Luxembourg, par M. Mars Di Bartolomeo, ministre de la santé et de la sécurité sociale.

Le Grand-Duché de Luxembourg n'a pas à ce jour informé la France de l'état d'avancement du processus de ratification par ses institutions.

V - Déclarations ou réserves

Sans objet.


* 1 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:166:0001:0123:fr:PDF

* 2 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:284:0001:0042:FR:PDF

* 3 Selon les derniers chiffres disponibles du CLEISS

* 4 Selon les résultats de l'enquête de la délégation générale du travail, publiés en janvier 2011, sur l'« Intervention des entreprises étrangères prestataires de services en France en 2009 »

* 5 Règlement (CEE) n°1408/71 auquel a été substitué, à compter du 1 er mai 2010, le règlement (CE) n°883/2004 cité plus haut.

* 6 Chiffres issus du dernier rapport statistique du CLEISS

* 7 http://www.cleiss.fr/pdf/conv_luxembourg.pdf

* 8 Voir le site de la CNIL : http://www.cnil.fr/pied-de-page/liens/les-autorites-de-controle-dans-le-monde/

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