N°66

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 novembre 1997.

PROPOSITION DE LOI

relative à la taxation des mouvements de capitaux,

PRÉSENTÉE

Par Mme Marie-Claude BEAUDEAU, MM. Paul LORIDANT, Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Jean DERIAN, Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Pierre LEFEBVRE, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGES, Jack RALITE, Ivan RENAR, Mme Odette TERRADE et M. Paul VERGÉS,

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Impôts et taxes.

EXPOSE DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

L'actualité du mois d'octobre 1997 confirme la nécessité de prendre des mesures urgentes contre la spéculation financière.

Selon les dernières estimations de la Banque des règlements internationaux (BRI), les transactions sur les marchés des changes auraient progressé de 50 % en trois ans pour atteindre, en chiffres nets, le montant quotidien de 1250 milliards de dollars.

Cette somme faramineuse peut être rapprochée du montant global des échanges de biens et services qui atteignaient, dans les pays du Fonds monétaire international (FMI), 4345 milliards de dollars en 1994, soit trois jours et demi d'activité sur les marchés de devises.

Cette inflation n'est nullement combattue par les politiques monétaires nationales, toujours résolument orientées en Europe vers la lutte prioritaire contre la hausse des prix des biens et services dans chaque pays, alors que le sous-emploi est massif. Et sans doute est-il légitime de relier la persistance d'une telle orientation des politiques monétaires nationales - alors que des enchaînements déflationnistes sont à l'oeuvre - et l'ampleur des liquidités rendues disponibles pour des opérations de placement très rentables à court terme et, souvent, purement spéculatives.

De même, on ne peut s'empêcher de rapprocher ces phénomènes de préférence exacerbée pour la liquidité de l'inflation considérable que connaissent les marchés déréglementés. Leur survalorisation fait peser des exigences de rentabilité exorbitante sur les économies réelles, au détriment de l'emploi, des qualifications, des salaires, de la recherche, d'investissements socialement efficaces.

Aussi, la crainte du « risque systémique » associé à la probabilité d'un dégonflement brutal de ces marchés (krach) conduit les Etats, les systèmes bancaires à soutenir toujours plus ces pyramides de créances et de dettes, au détriment des productions réelles.

Ces processus traduisent une très grave inefficacité dans l'allocation des ressources si l'on en juge, précisément, par la faiblesse rémanente de la croissance et l'ampleur du chômage dans la zone OCDE, qui concentre l'essentiel des flux de fonds.

La libre circulation des capitaux au sein de l'Union européenne, effective depuis juillet 1990, prétendait améliorer cette efficacité pour les pays membres. Or, le sous-emploi, les difficultés persistantes de la croissance, la hauteur des taux d'intérêt réels, relativement à ce que l'on connaît par exemple aux Etats-Unis, montrent que c'est le contraire qui est vrai.

En fait, elle a contribué à l'éclatement du Système monétaire européen (SME) et à un grave recul de la coopération entre banques centrales, au détriment surtout des pays d'Europe du Sud.

Elle a considérablement renforcé le rôle d'ancrage du mark pour les monnaies européennes, accentuant leur vulnérabilité face aux mouvements de capitaux pour l'attraction desquels rivalisent le dollar et le mark.

Elle a accru fortement la subordination des politiques monétaires et budgétaires nationales aux exigences de valorisation rivales des marchés monétaro-financiers, contre la croissance réelle et l'emploi.

Les contraintes de «stabilisation» qu'elle impose conduisent, sur un fond de surévaluation générale de la zone écu-mark par rapport à la zone dollar, à une orientation des politiques budgétaires et salariales qui nuisent gravement à la France et à toute l'Europe.

Mais, loin de gagner en stabilité, la France, l'Europe ont à faire face à des crises monétaires de plus en plus brutales, une tension permanente sur les taux d'intérêt.

Volatilité, spéculation financière, contradiction du crédit accentuent alors une concurrence intraravageuse par la baisse du coût du travail et la surenchère au sacrifice des dépenses publiques et sociales.

Il est absolument indispensable de chercher à rompre avec ces enchaînements.

* *

*

Toute incertitude sur l'intention des autorités politiques face à la montée du mouvement social et aux luttes revendicatives en matière de pouvoir d'achat salarial, de garantie de l'emploi, se traduit par des tensions importantes sur les marchés des changes. C'est le cas aujourd'hui. L'attaque des forces du marché a contraint le gouvernement

français à relever les taux d'intérêt à des niveaux incompatibles avec une politique de croissance.

La spéculation monétaire coûte des milliards à la France au détriment des investissements créateurs d'emplois ; elle la contraint à relever ses taux pour enrayer un processus de vente spéculative et renchérit la charge annuelle de la dette publique, cette prime aux spéculateurs, au prix d'une austérité accrue pour le plus grand nombre.

Dans le passé, les Etats pouvaient protéger leurs monnaies en réglementant le change et en contrôlant les capitaux, ce qui favorisait l'existence de taux de change fixes et ajustables.

Le choix efficace pour les peuples n'est ni dans l'ultralibéra-lisme, qui considère les attaques spéculatives comme un moyen vertueux de discipline monétaire dont font les frais les salaires et pensions et prive les Etats de tout moyen d'intervention, ni dans l'Union économique et monétaire (UEM) de Maastricht, qui conduit à la disparition des monnaies nationales et à la création d'une monnaie unique en 1999. Les crises de change se succèdent.

L'échec de la politique européenne (les marges de fluctuation larges établies après juillet 1993, #177; 15 %, n'en sont que l'expression) appelle de nouvelles coopérations internationales dans le respect des souverainetés nationales face à l'hégémonie de la Bundesbank sur une zone mark européenne.

Aujourd'hui, l'éligibilité au passage en phase HI de l'Union économique et monétaire est synonyme de taux d'intérêt élevés; elle entraîne une politique budgétaire d'austérité pour maintenir des taux de change prévus par le traité de Maastricht.

En incitant à réduire les dépenses sociales et budgétaires, celle-ci pénalise l'emploi et le pouvoir d'achat tant des salariés d'un pays à monnaie dominante comme l'Allemagne que la France qui paie par une surévaluation de fait son accrochage au mark. La surévaluation du Mark fait que les prix moyens dans la zone mark sont supérieurs de plus de 30 % à ceux des Etats-Unis et des prix mondiaux.

La politique monétaire comme le droit de lever l'impôt sont partie intégrante de la souveraineté de chaque Etat. La coopération monétaire au sein de l'Europe doit se faire dans l'intérêt réciproque des peuples concernés.

Un système monétaire européen rénové doit contribuer à la coopération entre nations souveraines et partenaires ; à l'opposé de la monnaie unique, un instrument monétaire commun de coopération pourrait se fonder sur les monnaies nationales et les richesses produites par les différents pays. Il contribuerait à stabiliser les prix, à agir contre les développements inégaux entre pays, secteurs d'activité et régions en Europe, à favoriser les échanges entre le Nord et le Sud.

On ne pourra relancer la croissance et lutter contre le chômage sans contrôler et taxer les mouvements de capitaux.

Dans le cadre d'une politique économique donnant la priorité à l'emploi, une fiscalité dissuasive pour les spéculateurs doit s'opposer à l'évasion des capitaux afin d'orienter l'argent vers l'emploi et le progrès social.

L'objectif est de taxer les spéculateurs qui empruntent et détiennent des actifs pour une courte période sans pénaliser les opérateurs qui investissent à long terme dans l'industrie et le commerce.

Pour spéculer contre le franc et vendre des francs à court terme contre une monnaie plus forte, il faut en emprunter auprès des institutions monétaires françaises.

Une taxation, même à taux réduit, sur tous les achats et ventes de devises, renforcerait l'autonomie de décision de chaque pays. Si elle n'est pas de nature à elle seule à maintenir des parités inadaptées, ou à remplacer une coopération des politiques monétaires, elle porterait atteinte à la volatilité excessive des devises, d'autant que leurs coûts de transaction sont aujourd'hui très faibles.

La spéculation sera dissuadée si le coût de la taxe est supérieur au gain spéculatif attendu. Aussi est-il logique de laisser au ministre de l'économie la responsabilité de fixer un taux qui peut varier avec la conjoncture pour rendre la spéculation trop coûteuse.

L'efficacité de la taxe dépend aussi du comportement des institutions bancaires ayant leur siège dans le pays concerné. Par exemple, si demain les banques françaises pouvaient expédier des francs à leurs succursales à l'étranger où ils seraient convertis en devises, elles échapperaient à la taxe tout en participant à la spéculation contre le franc.

On remarque pour l'Allemagne, depuis la crise de 1993, l'augmentation des dépôts en deutsche Mark reçus par les établissements de crédit et l'emprunt de deutsche Mark par les filiales à l'étranger des banques allemandes, mais aussi l'accroissement important des achats de valeurs mobilières allemandes par des non-résidents (essentiellement des obligations) financées par des crédits des établissements bancaires. Tous ces mouvements favorisent la spéculation et ses conséquences.

D'où la nécessité de taxer les prêts aux non-résidents libellés en monnaie nationale et de les soumettre à un dépôt obligatoire.

Le produit de cette taxation de mouvements de capitaux, dans l'esprit des propositions du prix Nobel de l'économie, J. Tobin, pourra notamment être affecté à l'aide au développement.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

II est créé une taxe sur toutes les opérations menées sur le marché des changes.

Le taux de la taxe est fixé par arrêté du ministre chargé de l'Economie sur avis du gouverneur de la Banque de France et du Conseil national du crédit.

Article 2

Les prêts de toute nature accordés à des non-résidents et libellés en francs sont soumis à un dépôt obligatoire non rémunéré pour un montant qui ne peut être inférieur à 5 % de leur valeur totale auprès de la Banque de France.

Article 3

Pour l'application de l'article 2, les filiales à l'étranger d'établissements bancaires et d'entreprises ayant leur siège sur le territoire national sont considérées comme non-résidents.

Article 4

Le produit de la taxe définie à l'article premier est versé, selon des modalités définies par décret, en recettes des comptes de prêts sous les intitulés suivants :

- n° 903-07 « Prêts du Trésor à des Etats étrangers et à la Caisse française de développement » ;

- n° 903-17 « Prêts du Trésor à des Etats étrangers pour la consolidation de dettes envers la France», et, pour le solde, au budget général.

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