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N° 639

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet 2012

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 34-1 DE LA CONSTITUTION,

relative à la politique de la France en matière de sécurité ,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Éliane ASSASSI, Nicole BORVO COHEN-SEAT, M. Christian FAVIER, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Éric BOCQUET, Mmes Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Michel LE SCOUARNEC, Mmes Isabelle PASQUET, Mireille SCHURCH, MM. Paul VERGÈS et Dominique WATRIN,

Sénateurs

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis 2002, de très nombreuses lois ont été adoptées, sous les gouvernements successifs de droite, censées lutter soi-disant contre l'insécurité.

En réalité, cette politique, essentiellement axée sur la répression sans aucun moyen pour la prévention, a conduit le pays dans une impasse.

Voici, pour mémoire, la liste non exhaustive des textes votés depuis 2002 en matière de sécurité et de justice :

- la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure dite LOPSI I ;

- la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice dite Perben I ;

- la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ;

- la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite Perben II ;

- la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales ;

- la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme ;

- la loi n° 2007-297 du 7 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance ;

- la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 relative à la récidive ;

- la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté ;

- la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 relative au renforcement de la lutte contre les violences de groupes ;

- la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI II ;

- la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs ;

- la loi n° 2011-1940 du 26 décembre 2011 visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants ;

- la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines.

À cet arsenal législatif s'ajoutent encore bien d'autres lois qui contiennent des mesures répressives telles par exemple celle relative au renforcement des mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux ou encore celle renforçant la législation en matière de vente et d'utilisation des mini motos.

Sans oublier les nombreux textes concernant le droit des étrangers qui établissent ouvertement un lien entre délinquance et étrangers.

Toutes ces réformes ont abouti à un empilement de textes sans qu'aucun bilan ni aucune évaluation quant à l'application effective des lois n'ait jamais été effectué.

Cette inflation législative entre 2002 et 2012 ne relève en réalité que de l'affichage politique et ne fait que traduire l'obsession sécuritaire de la droite et son incapacité à apporter des réponses efficaces et concrètes en la matière.

Cette surenchère sécuritaire s'est traduite notamment par la mise en place des peines planchers, de la rétention de sûreté, l'aggravation des peines d'amendes et de prison, la création de nouvelles infractions, la suppression de la spécificité du droit pénal des mineurs pour le rapprocher de celui des majeurs, la généralisation de la vidéosurveillance très coûteuse, etc.

À chaque incident dans le pays, la réponse des précédents gouvernements s'est traduite par l'ajout d'un article dans le code pénal ou le code de procédure pénale.

Toutes ces lois ont pour effet, outre de remplir les prisons, de stigmatiser certaines catégories de la population sans parvenir à lutter efficacement contre les organisateurs de trafics de drogues et d'armes qui savent profiter des zones de relégation que sont devenus certains quartiers populaires délaissés par l'État.

Loin de répondre aux inquiétudes de nos concitoyens en matière de sécurité, la politique gouvernementale menée depuis 2002 basée sur le « tout sécuritaire » s'est révélée contre-productive.

La suppression en 2003 de la police de proximité pour la remplacer par les BAC, CRS, sans même avoir laissé le temps à cette police de proximité de produire les effets « positifs » escomptés, la suppression de postes de policiers en application de la RGPP, la suppression des commissariats de quartier, la politique du chiffre et de la culture du résultat imposées aux forces de l'ordre, etc. sont autant de choix qui n'ont fait qu'aggraver la situation.

La droite a toujours privilégié la répression et l'enfermement au détriment de la prévention de la délinquance alors que pour une meilleure efficacité, il est indispensable de mettre pleinement en oeuvre le triptyque » prévention-dissuasion-répression ».

Un constat sévère mais réel s'impose en l'espèce : celui de l'échec patent de cette politique répressive qui a clairement atteint ses limites. La droite n'a pas réussi à prévenir la délinquance ni la récidive, ni à lutter efficacement contre l'insécurité, encore moins à rétablir l'égalité républicaine sur l'ensemble de notre territoire.

Si le maintien de l'ordre est nécessaire, en revanche ce ne peut pas être l'unique voie à suivre en matière de sécurité. On ne réglera rien avec les seuls BAC, CRS, ...

Il est indispensable de rétablir une police de proximité -peu importe le nom qu'on lui donne, l'important étant les missions qu'on lui attribue au regard de l'expérience passée - qui soit proche des habitants permettant ainsi de retisser les liens de confiance entre les populations, singulièrement celles des quartiers dits sensibles, et les forces de l'ordre. Chacun doit se rappeler tout l'intérêt du travail de l'îlotage.

C'est le seul moyen de renouer le dialogue entre les policiers et la population et de contribuer à apaiser les tensions.

Il faut mettre à nouveau en place un travail de discussion avec les associations de locataires, sportives, culturelles.

Nous avons besoin d'une police républicaine, respectée et formée. Pour cela, il faut arrêter d'affecter dans les quartiers les plus difficiles les jeunes fonctionnaires de police tout juste sortis de l'école de police et fidéliser ceux qui par leur expérience de terrain ont acquis une bonne connaissance des quartiers les plus difficiles, il faut revoir la répartition des effectifs de police sur le territoire qui est inchangée depuis 50 ans, arrêter la culture du chiffre - cette politique du rendement axée sur la seule répression - dangereuse pour tous et qui fait peser sur les forces de l'ordre une forte pression hiérarchique.

On est en effet toujours dans cette confrontation entre le monde policier et les jeunes, voire même la population des quartiers populaires. Il est temps de passer d'une police d'ordre au service de l'État à une police au service du citoyen car, soulignons-le, la police est un service public essentiel qui garantit la liberté de chaque citoyen.

Il faut impérativement donner une nouvelle orientation des missions de la police nationale afin de mettre en oeuvre une véritable politique de prévention et de dissuasion en veillant à l'utilisation démocratique de la force publique dans le respect des règles déontologiques ceci, dans l'intérêt des citoyens comme des policiers.

Il faut cesser de fermer les brigades de gendarmerie et les commissariats de quartiers et rouvrir ceux qui ont fermé.

La question des effectifs de policiers, de leur formation, de leur encadrement, de leur fidélisation, ainsi que celle des financements demeurent entières.

Car le mécontentement gagne aussi les forces de l'ordre qui sont en sous-effectif chronique dans les zones dites sensibles et se font agresser sur le terrain.

Un grand débat public s'impose sur l'utilisation démocratique des forces de police. Interrogeons-nous : « quelle police pour quel usage ? »

Cette politique sécuritaire est bien sûr dénuée de toute réflexion de fond quant aux causes de la délinquance, quant à son traitement social, quant à sa nécessaire prévention.

La droite n'a cessé de renforcer sa politique de répression et d'exclusion sans aucun traitement social ni de la délinquance ni de la crise sociale qui s'étend dans le pays et alors que l'on sait pertinemment que la délinquance prend justement racine dans l'aggravation des inégalités sociales.

Peut-on sincèrement penser que l'aggravation de la précarité, la privatisation de pans entiers de la vie sociale, économique et culturelle, le racisme, les discriminations, les injustices, les inégalités, la stigmatisation des jeunes en général et en particulier ceux issus de l'immigration et vivant dans les cités, n'auraient aucune incidence sur le « vivre ensemble » ?

La situation nécessite de mobiliser en urgence tous les secteurs de l'État lequel doit jouer un rôle régulateur et donner des signes d'espoir à la jeunesse à l'avenir bouché sur tous les plans.

Des moyens considérables sont ainsi nécessaires pour engager des actions dans la continuité et ceci, dans tous les domaines : qu'il s'agisse de l'éducation nationale qui doit être la priorité majeure du nouveau gouvernement, de la lutte contre le chômage qui touche en grande partie les jeunes singulièrement dans les quartiers populaires, de la lutte contre toutes les formes de discriminations, de la formation professionnelle et/ou continue, de l'accès à la culture et aux loisirs, du désenclavement des cités, des transports, du financement des associations, du développement de l'accompagnement social, du logement, de la santé, de l'amélioration de l'habitat, des services publics de proximité en milieu urbain et rural, bref tout ce qui est susceptible de reconstituer le lien social.

Ce n'est pas de moins d'État dont nous avons besoin mais de plus d'État. Or c'est exactement l'inverse qu'ont fait les gouvernements précédents. Le tissu social ne pourra se reconstituer qu'au prix de réformes radicales et d'une véritable ambition politique.

Mais ceci suppose bien évidemment de mobiliser des moyens financiers conséquents et surtout une réelle volonté politique pour enrayer la spirale de la violence et de l'insécurité engendrées par le fonctionnement même de notre société.

Tel est le sens de la présente résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

article

Le Sénat,

Vu l'article 34-1 de la Constitution,

Vu les articles 1 er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,

Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,

Considérant que la sécurité est un droit fondamental qui doit bénéficier à chaque citoyen de façon équitable sur l'ensemble du territoire de la République,

Considérant que la politique menée depuis 10 ans en France en matière de sécurité est inefficace, stigmatisante, liberticide, ...,

Considérant qu'il est indispensable de mettre un terme à l'inflation législative qui est symptomatique de l'échec de la droite en matière de lutte contre l'insécurité,

Attire l'attention sur le fait que la sécurité de nos concitoyens nécessite de mobiliser des moyens humains, matériels et financiers ambitieux,

Juge urgent la mise en oeuvre d'un plan de rattrapage des effectifs de police et de professionnels de la justice mis à mal par la révision générale des politiques publiques,

Estime nécessaire de redéfinir les missions de service public dévolues aux forces de l'ordre qui passe notamment par le rétablissement d'une police de proximité en vue de renforcer le lien citoyen-police,

Propose au Gouvernement d'engager rapidement une réforme en profondeur de la politique de la France en matière de sécurité qui soit plus respectueuse des libertés individuelles et publiques, plus efficace en termes de lutte contre l'insécurité et de prévention de la délinquance et de la récidive.

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