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N° 90

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1980-1981

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 novembre 1980.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Tendant à la création d'une commission d'enquête sur les difficultés actuelles de l 'industrie textile.

PRESENTE

Par MM. Christian PONCELET, Maurice SCHUMANN, Pierre VALLON, Josy MOINET, René TOUZET, Michel MIROUDOT, Henri GOETSCHY, Adrien GOUTEYRON et Jean DESMARETS,

Sénateurs

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(Renvoyée à la Commission des affaires économiques et du Plan et pour avis à la Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale en application de l'article 11, alinéa 1 du Règlement).

Industrie textile - Commission d'enquête

Mesdames, Messieurs,

L'année 1980 est marquée par une nouvelle aggravation de la situation des industries textiles et de l'habillement, comme le laissait déjà pressentir la fin de l'année 1979.

En 1977, sous l'effet de la crise, le Gouvernement français avait été amené à prendre des mesures d'urgence, en référence à l'article 19 du GATT, pour arrêter l'accélération anormale des importations. Par la suite il avait défini sa position à l'égard du renouvellement de l'Accord Multifibres fondée sur le principe de la globalisation des importations des produits les plus sensibles, c'est-à-dire sur un total maximum admissible d'importations de produits textiles, quelle qu'en soit l'origine.

Cette attitude était particulièrement fondée dans la mesure où la consommation finale textile étant alors pratiquement stable en France depuis 1972-1973, la croissance des produits importés aurait réduit d'autant la production nationale et donc l'emploi.

Que s'est-il passé depuis lors ?

En dépit d'une application ainsi définie de l'AMF et des accords d'autolimitation des importations avec la plupart des pays à bas prix de revient, on constate que :

- pour le secteur textile, les importations ont augmenté en valeur de 38 % entre 1977 et 1979 (et encore de 12 % pour les 7 premiers mois de 1980),

- pour le secteur de l'habillement, les importations ont augmenté de 46 % dans la même période,

- en dépit de progrès relatifs à l'exportation, la balance commerciale globale du textile habillement est passée de plus 1087 millions de francs en 1977 à moins 1970 millions de francs en 1979 et que pour les 7 premiers mois de 1980 elle a déjà atteint le déficit de 2 milliards de francs.

Si l'on examine les flux d'importations en provenance des pays à bas prix on constate qu'après une relative stabilité en 1977, pour la majeure partie des produits concernés, l'augmentation en 1979 a été de 26,6 % pour les importations textiles en provenance des pays signataires de l'AMF et de 28,8 % pour les importations textiles en provenance des pays méditerranéens.

Cette situation n'a pas été sans conséquence sur les emplois qui ont diminué de plus de 29000 personnes entre 1977 et 1979 pour le seul secteur textile et la presse se faisait récemment l'écho de 7500 pertes d'emplois dans le textile-habillement en 1980.

Parmi les secteurs textiles les plus exposés figure notamment l'Industrie Cotonnière, qui, à elle seule, a perdu 8 000 emplois en 2 ans.

Les importations de produits cotonniers en provenance de pays extérieurs à la CEE ont progressé de 32 % en volume entre 1977 et 1979 et pour les 8 premiers mois de 1980 la hausse est encore de 8 % par rapport à 1979. L'évolution dans les industries clientes est tout aussi inquiétante, du même ordre entre 1977 et 1979, mais également de 22 % pour les 8 premiers mois de 1980.

Ces importations proviennent essentiellement de pays exerçant deux types de concurrence :

- celles en provenance des pays à bas prix de revient, théoriquement limitées par les accords AMF et bilatéraux et qui ont néanmoins progressé de 21 % entre 1977 et 1979,

- celles en provenance des pays industrialisés n'appartenant pas à la CEE et qui ont progressé de 70 % durant la même période. Parmi eux, les États-Unis viennent en tête ; leurs livraisons ont triple entre 1973 et 1979 et elles ont triplé en velours entre 1977 et 1979.

Ces tendances sont d'autant plus inquiétantes que si la consommation textile française était stable entre 1973 et 1977 on constate depuis une décroissance sensible d'année en année : 0,5 % en 1978, 1,7 % en 1979, 2 % pour les 9 premiers mois de 1980 et aucune perspectives économique ne laisse présager actuellement une reprise prochaine de la consommation textile.

Dans ces conditions, la part du marché national textile laissée à l'industrie nationale est en réduction constante : 61 % en 1977, 54 % en 1979, 49 % pour le premier semestre 1980. Dans l'industrie cotonnière cette réduction est encore plus dramatique puisque la part du marché réservée à l'industrie nationale, dans cette filière, est passée de 41 % en 1977 à 28 % au premier semestre 1980, pour la filature de coton. Toutefois un niveau soutenu des exportations permet encore à cette industrie d'exister et de préserver des emplois.

Face à cette situation dramatique, il est du devoir de la Haute Assemblée de se préoccuper d'urgence des mesures à prendre en faveur de l'industrie textile française afin, d'une part, de briser les tendances actuelles de pertes de marchés et d'emplois et, d'autre part de définir une politique volontariste pour l'industrie textile française sous le double aspect des emplois et de la balance commerciale.

À cet égard il convient de mettre les Parlementaires en garde contre une tendance à la fatalité économique qui laisserait croire que l'industrie textile nationale est condamnée. Une fois de plus, malheureusement, les leçons de l'étranger nous prouvent le contraire :

1) Tous les pays du monde protègent leur industrie textile, non seulement sous couvert d'accords officiels mais aussi par des séries de mesures douanières aussi discrètes qu'efficaces pour dresser aux importations textiles des obstacles difficilement franchissables : c'est le Brésil qui oppose des droits de 100 % aux importations textiles, ce sont les Philippines, l'Indonésie ou la Corée où les importations textiles sont interdites, c'est Hong Kong qui vient d'instaurer un visa technique sur toutes importations textiles et habillement, c'est l'Espagne qui oppose, même aux pays de la CEE, des droits de douane importants et des quotas restreints, c'est le Japon qui, sous couvert du contrôle des changes, ne délivre pas les devises nécessaires aux achats étrangers, ce sont les États-Unis, enfin, qui renégocient parfois les plafonds AMF jugés excessifs ou bien utilisent le contrôle des documents douaniers pour retarder notablement l'entrée des marchandises sur le territoire fédéral. Aussi les importations textiles aux États-Unis sont-elles limitées à 13 % du marché intérieur.

La France, par elle-même ou sous couvert de la CEE, serait-elle seule contrainte au laisser-aller par suite d'accords et de réglementations trop laxistes qu'elle serait seule à respecter?

2) En 1977, on dénonçait à juste titre le danger des importations des produits textiles originaires des seuls pays à bas prix. Aujourd'hui, les États-Unis prouvent leur habilité et leur compétitivité dans un secteur industriel où il était de bon ton de reconnaître que les pays industrialisés n'y avaient plus leur place.

Là encore, la Haute Assemblée se doit d'examiner avec pragmatisme les conséquences de ces leçons, les raisons pour lesquelles elles n'ont pas été appliquées en France et l'urgence avec laquelle il convient de définir les nouvelles orientations d'une politique textile compatible avec les données économiques internationales et les pratiques en vigueur chez nos principaux concurrents.

Les circonstances qui viennent d'être rappelées justifient qu'en application des pouvoirs donnés aux Assemblées parlementaires en vertu de l'Ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée, relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires, il soit créé une commission d'enquête qui permette à la Haute Assemblée d'évaluer la gravité de la situation de l'industrie textile française.

En application de l'article 11 du règlement du Sénat, nous avons en conséquence l'honneur de demander au Sénat d'adopter la présente résolution tendant à la création d'une commission d'enquête.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article Unique

Il est créé, en application de l'article 11 du règlement du Sénat, une commission d'enquête de 16 membres sur les origines de la crise du textile en France, la situation présente et les mesures à prendre propres à la résoudre, tant au plan national qu'européen.

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