OPECST

M. HENRI REVOL, SÉNATEUR, PRÉSIDENT DE L'OPECST ET M. CHRISTIAN CABAL, DÉPUTÉ, PRÉSIDENT DU GROUPE PARLEMENTAIRE SUR L'ESPACE

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II. INTERVENTIONS DE L'APRÈS-MIDI

A. PREMIÈRE TABLE RONDE : NOUVELLES APPLICATIONS AU SERVICE DES CITOYENS

Président : Monsieur Pierre COHEN, Député, membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Vice-président du groupe d'études sur l'industrie aéronautique.

1. M. Pierre COHEN, Député de la Haute-Garonne

La Haute-Garonne est une circonscription où se trouvent un grand nombre de prestigieux organismes ou entreprises de l'espace. Il y a au moins le CNES, pour ne citer que celui-là, et comme je ne veux pas me fâcher avec les grandes entreprises nationales, voire européennes, je ne resterai qu'au niveau du CNES qui fait partie du patrimoine national.

Ce matin vous avez eu deux tables rondes avec des sujets extrêmement importants :

- l'accès à l'espace,

- l'importance de l'espace par rapport au savoir, à la connaissance.

Je suis chargé d'animer un débat avec un grand nombre de grandes personnalités sur les nouvelles applications au service des citoyens.

Ce titre est extrêmement intéressant parce que nous sommes dans une période où la mondialisation a plutôt tendance à parler de services marchands et donc de consommateurs plus souvent que de citoyens. Il est de ce fait très approprié de se poser la question de l'espace par rapport aux citoyens avec cependant un certain nombre de questions.

Je présume que les orateurs auront préparé leurs interventions, ils ne seront pas obligés d'y répondre, mais en ce qui me concerne, j'ai quelques interrogations concernant cette thématique.

Est-ce par hasard que nous voulons nous adresser au service des citoyens ?

Est-ce qu'il y a toujours les discours qui ont pu peser il y a quelques années avant la crise que rencontre l'espace, qui a amené un grand nombre de discours pouvant laisser penser qu' a priori les applications permettraient d'équilibrer, alors que maintenant tout le monde est unanime pour penser que l'espace a besoin de politique publique, d'engagement public, réellement d'ambition et de programmes à moyen et long termes ?

Je voudrais savoir si a priori les stratégies des personnes qui interviennent s'adressent bien à la citoyenneté, au citoyen.

Ensuite, sommes-nous capables de connaître ce que souhaitent les citoyens, l'enjeu pour que les citoyens jouent leur rôle de citoyens et qu'il n'y ait pas uniquement des marges bénéficiaires ?

Je suis convaincu - et je l'évoque souvent dans les débats au sein de l'Assemblée ou dans les débats politiques - que l'espace aura réellement une ambition européenne si elle est inscrite dans une stratégie de citoyenneté.

Sommes-nous capables de connaître les applications qui seront les leviers par rapport à cette citoyenneté ?

Enfin savons-nous exactement si la stratégie de chacun s'applique par rapport à ces volontés ?

Y a-t-il une adéquation ?

Y a-t-il réellement des stratégies mises en place ?

Je vais maintenant vous présenter les personnes qui participeront à cette table ronde :

- M. Olivier COSTE, Vice-Président Business Development de la Stratégie Marketing d'Alcatel Alenia Space.

- M. José ACHACHE, Directeur du Group on Earth Observation (GEO).

Je remercie nos amis étrangers d'être venus parce que les autres sont presque ici chez eux à Paris. Je ne dirai cependant pas qu'ils n'ont pas fait beaucoup d'efforts parce qu'il est quand même toujours important de venir débattre avec des élus et des industriels.

- M. Sergio VETRELLA, que je voudrais remercier particulièrement, Président de l'Agence Spatiale Italienne,

- M. R.V. PERUMAL, que je voudrais également remercier et qui vient d'encore plus loin puisqu'il est Directeur du Centre des propulsions à carburants liquides à l'Indian Space Research Organisation (ISRO),

- M. Yannick d'ESCATHA, Président du CNES,

- M. Daniel SACOTTE, Directeur des programmes de vols habités, de la microgravité et des programmes d'exploration, Agence spatiale européenne (ESA),

- M. Giulano BERRETTA, Directeur général d'Eutelsat.

Ce sont nos invités et, pour ne pas perdre de temps, ils ont un quart d'heure chacun, je donne la parole à M. PERUMAL.

2. M. R.V. PERUMAL, Directeur du Centre des systèmes de propulsion à carburants liquides, ISRO

Monsieur le Président, chers collègues, chers intervenants, Mesdames, Messieurs, bonjour.

D'emblée permettez-moi, au nom de notre Agence Spatiale indienne, de vous exprimer ma reconnaissance de nous avoir invités. Je vous transmets les salutations de notre Agence et je suis très content d'être ici parmi vous aujourd'hui pour vous présenter les activités de notre agence en matière d'application aérospatiale.

D'abord j'ai un petit problème dans le sens où l'Inde est un pays en voie de développement et que je ne sais pas si les applications que nous réalisons ont un intérêt pour l'Europe.

En revanche, il est peut-être important pour vous d'en prendre connaissance pour savoir ce que nous avons fait dans l'utilisation des techniques spatiales pour justement pouvoir mettre notre société à la hauteur et au diapason de l'Europe et du reste du monde en matière non seulement d'aérospatiale, mais aussi d'information, d'enseignement, de santé aussi, pour un gouvernement indien qui cherche actuellement à mieux s'autogérer.

Venons-en au sujet. Notre programme spatial indien a quatre décennies d'existence et ses caractéristiques sont les suivantes.

D'abord les orientations étaient et sont restées dans le domaine civil sans autre interface avec d'autres agences. 1965 était une époque où notre programme spatial cherchait à mobiliser les ressources, notamment les moyens humains.

A partir de 1975, nous avons commencé à envisager d'autres applications, notamment ce qu'on appelle notre expérience en matière de satellites télévisuels où nous avons utilisé six vaisseaux aérospatiaux de la NASA pour pouvoir livrer des informations dans le domaine de la santé, de l'enseignement, de l'agriculture, etc. Tout cela devait être un jalon dans ce type d'expérience. C'était en matière de télécommunications, l'expérience la plus importante jamais réalisée dans l'histoire.

En 1977, 1978, nous avons repris Symphonie, un vaisseau spatial de la France qui pour nous était une expérience en matière de télécommunications avec lequel nous avons établi un certain nombre de liens à partir de l'Inde pour pouvoir atteindre et utiliser les télécommunications de manière rentable et viable.

Nous avons repris des données de NOA et d'Insat pour pouvoir lancer ce concept de satellites à distance. Toutes ces applications ont servi le gouvernement indien pour pouvoir utiliser et mobiliser ces techniques pour s'attaquer à nos problèmes nationaux.

Le gouvernement indien a mis à notre disposition un financement dans le domaine des vaisseaux spatiaux et des différents lanceurs. Le programme indien a commencé par-là pour lancer des applications et nous avons créé des satellites par la suite. Pour nous suffire à nous-mêmes, nous avons lancé un certain nombre de véhicules de lanceurs.

En 1995 nous avons commencé à acheter des satellites, la première série d'Insat, qui a été lancée à partir de l'étranger, puis nous avons commencé à créer d'autres séries 2, 3 et 4 en interne, et différents systèmes, Oribat et Denon, et d'autres systèmes.

En 1995 nous avons commencé à lancer d'autres véhicules de lancement, notre véhicule polaire pour un système de Sensing à distance et différents vaisseaux spatiaux.

A partir de 1995, nous avons cherché à intégrer nos moyens, nos techniques pour développer l'ensemble de cette filière, mais par nos moyens internes tout en envisageant d'autres applications.

Pour résumer, sur quatre décennies à partir de 1963, nous avons eu vingt missions de lancement qui ont été achevées avec des démonstrateurs et d'autres satellites opérationnels avec d'autres véhicules de lancement, y compris différents vaisseaux spatiaux.

Nous avons lancé vingt missions avec Ariane.

Il y a bien entendu deux séries de lanceurs Arias et d'autres satellites Insat. Je prends maintenant IRS, qui était un élément fort dans ce genre d'application satellitaire avec une résolution d'un kilomètre alors qu'aujourd'hui, nous sommes au niveau d'un mètre. Comme vous devez le savoir, toutes ces observations trouvent des applications dans la culture, notamment l'industrie de l'eau, ainsi que dans la sylviculture et la gestion foncière.

Comme vous le savez sans doute, l'Inde est un sous-continent vaste avec une période de mousson où, notamment dans la partie centrale du pays, l'eau potable constitue un problème majeur, où il faut parfois faire dix kilomètres pour chercher de l'eau potable.

En 1990, le gouvernement a commencé à lancer un programme d'approvisionnement en eau potable pour ces villages. C'est donc une mission nationale d'approvisionnement en eau potable par la collecte de données là où la nappe phréatique est de meilleure qualité. Nous cherchons à établir des cartographies de ces zones qui ont permis des forages où nous avons 90 % de capacité d'eau pour ces populations qui ont besoin d'eau potable.

C'est un problème immédiat. Par ailleurs nous devons nous attaquer à d'autres projets pour rendre la fourniture en eau plus fiable, non seulement en eau potable mais aussi en eau de qualité agricole. D'autres programmes ont été lancés, notamment dans l'Etat de Karnataka.

En 1977, un certain nombre de bassins versants ont été développés, notamment grâce à l'aide de la Banque Mondiale. Nous contrôlons et surveillons le déploiement de ce programme grâce à la superposition des donnés aérospatiales et en faisant le lien avec la situation par rapport à la nappe phréatique de cette région. C'est un modèle d'excellence qui a été jugé comme tel pour le contrôle et la surveillance d'un programme tout à fait vital pour notre pays.

Nous avons également ce programme en ce qui concerne la mousson Même en temps de mousson, il y a des zones de sécheresse. Il y a donc une évaluation du système de l'étendue des sécheresses et nous pouvons suivre de près les zones où il y a un manque d'eau et savoir où le gouvernement peut intervenir en termes de soutien en approvisionnement d'eau. C'est un programme très important dans les années où la mousson est moins importante que d'habitude.

Un autre point est que l'Inde est un pays qui compte un milliard d'habitants et qu'il y a beaucoup de pression sur le terrain. Nous avons beaucoup de terrains qui ne sont pas cultivés et 46 millions d'hectares sont cultivables par l'homme. Nous avons beaucoup de terrains qui pourraient être viabilisés. Le résultat est que certaines de ces zones sont maintenant cultivables mais nous avons toujours 8 millions d'hectares, c'est-à-dire beaucoup de terrains, qui ne sont pas cultivés.

Nous avons aussi des glissements de terrain qui sont un risque majeur. Nous avons donc fait des recherches pour voir où se produisaient ces glissements de terrain et le gouvernement a pris des mesures pour stabiliser les sols.

Un des satellites détecteurs que nous avons lancés, Hamsat, suit les prises de poissons et est destiné à l'halieutique. Nous avons vu en moyenne 52 % d'augmentation des prises par les bateaux de pêches. Nous mettons cela à jour semaine après semaine sur les zones de pêche potentielles qui peuvent donc être rejointes par les pêcheurs au moment où ils quittent les ports.

Il faut aussi faire l'évaluation des produits agricoles chaque année. Ce schéma a été mis en place pour suivre les progrès de l'agriculture en commençant dès le moment des semailles jusqu'aux récoltes. Notre position actuelle nous permet de pouvoir suivre et prédire les récoltes saisonnières.

Nous faisons des prédictions à plus de 90 % d'exactitude sur les saisons de récolte, si bien que ces prévisions peuvent être utilisées par le gouvernement pour la mise en place de systèmes maintenant les prix des céréales.

Nous avons aussi à disposition une bonne prévision concernant le marché des matières premières.

Il faut aussi pouvoir mettre en place des données qui fournissent aux décideurs les moyens de prendre des décisions intelligentes afin de choisir quels sites seront utilisés pour installer telle ou telle entreprise ou telle ou telle industrie.

Je voudrais en arriver aux applications Insat dont nous connaissons tous l'étendue, la communication et l'utilisation de la communication. Nous pouvons aussi développer la télésanté, la télé-éducation, les communications d'urgence. Nous sommes très actifs aussi dans les satellites de recherche et de navigation.

En termes de satellites de communications, nous avons du VHR qui nous donne des capacités de recueil de données à partir de diverses plates-formes. Nous sommes donc en situation de pouvoir suivre et d'avertir lorsqu'il y a des catastrophes naturelles, et ce avant qu'elles ne se déploient sur la Terre.

Nous avons plusieurs transpondeurs pour les réseaux d'Etat. Nous avons 25 canaux de télévision publique, 65 canaux de télévision privée, 210 terminaux de réseau radio et aussi des réseaux qui relient les différentes bourses.

En ce qui concerne les applications, au cours des deux dernières années, nous avons commencé des initiatives importantes. L'Inde est une région très vaste où les communications ne sont pas bonnes en raison du faible développement sur le sol. Il y a des zones de concentration de médecins et d'autres où ces médecins manquent, où il n'y a pas les facilités minimales requises.

La région du nord-est souffre de la déficience de soins de santé. Nous avons pu y remédier par des liens entre les hôpitaux dans les grandes métropoles et des centres de santé extrêmement décentralisés où peut s'établir un dialogue direct avec des personnes qui sont à des milliers de kilomètres des médecins, que ce soit en cardiologie ou dans d'autres domaines de la santé.

C'est devenu un outil extrêmement utile pour pouvoir relier des hôpitaux centraux et des centres de santé très délocalisés sur le terrain. Cela a rendu l'accès à la santé extrêmement bon marché pour de très nombreuses personnes et ce réseau est développé.

Nous allons aussi vers des réseaux spécialisés, dans Carla par exemple. Dans la région de Karnataka, il y a un réseau spécialisé dans le traitement du cancer. Il y a un autre réseau avec l'ophtalmologie. Dans les années à venir, il sera étendu très largement afin de permettre à ceux qui en ont vraiment besoin d'atteindre les services de santé, dans des endroits inaccessibles autrement.

D'autres initiatives qui ont été prises dernièrement sont la télé-éducation, par un satellite lancé avec HSLV, sur un réseau national qui va couvrir l'intégralité de la région de l'Inde et qui pourra relier les universités avec les différents collèges. Une des déficiences dont nous souffrons en dépit de la main d'oeuvre spécialisée et éduquée est le manque d'enseignants spécialisés. Et cette carence d'éducateurs spécialisés est vraiment un problème qui retarde notre développement.

Nous avons plusieurs réseaux qui pourront nous aider à pallier ces diverses carences. Plusieurs milliers de canaux seront ajoutés cette année pour pouvoir améliorer les télétransmissions. Il y aura donc des cours complets disponibles en télé-éducation depuis l'université centrale vers les collèges qui sont disséminés à travers l'intégralité du territoire indien.

Nous avons besoin de ce qu'on appelle les ressources de villages. Dans chaque village il y aura un terminal et n'importe quel villageois pourra obtenir toute information nécessaire, que ce soit en ce qui concerne sa vie quotidienne, les bassins versants, l'eau potable, la météorologie, la télé-éducation, la télémédecine, la formation, l'agriculture ou bien sûr l'information.

Tout ceci est planifié pour que cela puisse être distribué à travers toute l'Inde, dans tous les villages, en reliant tous ces villages avec un nodal central. Il aura un système d'informations relié à des banques de données pour donner par exemple le prix des matières premières et indiquer les produits nécessaires.

Cela a été mis à jour à trois endroits différents, cela a été inauguré dans trois endroits en 2004. Nous espérons que beaucoup d'organisations non gouvernementales qui déploient leur effort pour pouvoir étendre ces services à tous les villages à travers l'Inde, pourront s'intégrer dans le système.

Il y a aussi des informations cadastrales, des informations personnelles sur chaque agriculteur, sur chaque type de terrain qu'il peut travailler, etc. Toutes ces informations sont recueillies et tout paysan peut y avoir accès.

Nous allons aussi avoir des informations venant de plusieurs niveaux, c'est-à-dire du terrain, de la région, du district et, à l'avenir, nous allons pouvoir fournir de l'éducation à chaque village.

Tout cela mis ensemble, c'est fondamentalement l'effort indien pour le développement dans l'espace qui l'a commencé, et nous devons être les meilleurs dans les applications que nous voulons mettre en place, et pouvoir les utiliser pour pallier les carences dont nous souffrons.

Ce programme est développé depuis des décennies, nous allons continuer à le faire avec ce budget dont nous pouvons disposer. Nous pouvons dire maintenant que nous pouvons nous mesurer aux défis qui sont devant nous, nous pouvons créer un lanceur, mettre des satellites en orbite et avoir la possibilité de transférer ces données au service opérationnel.

Concernant la façon dont le programme spatial se développe en Inde, vous voyez qu'il est tiré vers des applications directes et je pense que peut-être sur le continent africain, ou dans des endroits où il y a des manques sur le plan de la recherche spatiale, l'Union Européenne devrait pouvoir obtenir ces informations et les utiliser.

Voici le système de cartographie satellitaire qui prend des images télescopiques de la Terre. Nous espérons que cela nous aidera grandement dans la cartographie de l'Inde. C'est semblable à ce que vous voyez sur les diapositives.

A la fin de mon exposé, je voudrais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant vous, merci beaucoup,

M. Pierre Cohen - Merci Monsieur PERUMAL.

3. M. Yannick d'ESCATHA, Président du CNES

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, bonjour à toutes et à tous.

Je voudrais d'abord remercier les organisateurs de m'avoir invité à ce colloque pour parler de l'espace au service des citoyens. Le 26 novembre, nous fêterons le quarantième anniversaire du lancement du premier satellite français A1, encore nommé Astérix, par la fusée française Diamant A. A cet événement sont directement liées les deux séances matinales du colloque qui nous réunit aujourd'hui.

La fusée Diamant A offrait à la France et à l'Europe l'accès autonome à l'espace et inaugurait une ère de succès, de compétences qui permet aujourd'hui à l'Europe de disposer d'une véritable garantie d'accès indépendant à l'espace et de préparer l'avenir de ses capacités de lancement. Ce satellite A1, de son côté, illustrait même très modestement l'apport essentiel des techniques spatiales au progrès des sciences et des techniques.

Depuis quarante ans la politique spatiale française est ainsi bâtie autour de ces deux objectifs :

- un espace à atteindre,

- un espace à connaître et à utiliser.

Pour autant, dès cette époque mais plus encore aujourd'hui, notre Terre reste un des objectifs les plus essentiels de l'entreprise spatiale.

Elle est si belle notre petite planète bleue vue d'en haut, n'est-ce pas Madame la Ministre, si fragile, on l'aime et elle aussi nous fait rêver. C'est d'ailleurs pour cela que le CNES en a fait son slogan : « de l'espace pour la Terre ».

La politique spatiale de la France au sein de l'Europe a pour priorité de mettre l'espace au service des citoyens, comme l'affirme le titre de ce colloque. L'innovation, la conception, la programmation, la mise en oeuvre et le suivi industriel, le traitement et l'exploitation des données, en matière d'applications spatiales au service de nos concitoyens, tout cela correspond à la vocation profonde et aux missions prioritaires confiées au CNES.

En effet, il me semble que nous sommes en train de changer d'époque. Nous passons d'une technologie « push », c'est-à-dire faire tout ce qu'il est possible de faire techniquement, au « market pool », c'est-à-dire faire uniquement ce que le marché, qu'il soit institutionnel ou commercial, demande au service du citoyen, de sa santé, de son environnement, de sa sécurité, de son éducation etc.

Le colloque nous invite à réfléchir sur les ambitions de la politique spatiale européenne à l'horizon 2015. Nous savons d'expérience que le délai de dix ans qui nous sépare de cette date est extrêmement proche - à cette date le système Galileo, dont je vais reparler, sera fonctionnel au mieux depuis quelques années - mais aussi très lointain.

D'ailleurs un regard rétrospectif sur l'état des sciences et des techniques, de l'économie et de la politique d'il y a dix ans, suffit à nous inviter à la prudence lorsqu'il s'agit de faire un exercice de prospective à dix ans.

La prudence ne doit et ne peut cependant pas conduire à l'immobilisme, on doit voir loin, c'est une nécessité, on doit préparer l'avenir, car nos missions sont autant de responsabilités à l'égard de nos concitoyens pour répondre à leurs besoins.

A ce sujet, je voudrais également insister sur la responsabilité qui consiste à assurer la continuité des services opérationnels qu'apportent nos systèmes spatiaux, car ils sont devenus indispensables dans la vie de tous les jours de nos concitoyens. C'est donc une véritable responsabilité d'en assurer le remplacement en fin de vie et de préparer les générations suivantes.

Il convient de bien préciser les rôles et les responsabilités des différents acteurs si effectivement on veut être les plus efficaces et à ce niveau, je voudrais insister sur un point.

Nous connaissons tous le rôle moteur que joue et que devra jouer encore davantage dans l'avenir l'Union européenne, en particulier la Commission, pour fédérer et exprimer les besoins des citoyens européens. C'est son rôle, notamment pour ce qui concerne les applications spatiales à travers son Programme cadre de recherche et développement, comme c'est le cas actuellement.

A cet égard les deux priorités majeures retenues par l'Europe sont :

- le système européen de navigation par satellite Galileo,

- l'initiative en matière de surveillance mondiale de l'environnement et de la sécurité GMES.

C'est ainsi que dans le contexte d'élaboration de la politique spatiale européenne qui est d'actualité, et par-là même d'un programme spatial européen, l'espace est mentionné explicitement dans les propositions du 7 e PCRD en tant que domaine nouveau pour l'Union où la recherche joue un rôle moteur, et devrait donner lieu à des applications spécifiques orientées vers la satisfaction des besoins des citoyens européens.

Cette prise de conscience, qui se développe très clairement et qui se répand, de l'importance du spatial pour répondre aux aspirations des citoyens européens, ne se traduit en fait pas encore par une volonté politique suffisamment affirmée au niveau des institutions européennes.

Puisque l'objet de ce débat concerne la prospective à dix ans et qu'il a lieu à l'initiative de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, eh bien je souhaite attirer l'attention sur la nécessité de renforcer les responsabilités de l'Union européenne en matière spatiale de façon que bien avant l'échéance de 2015, celle-ci soit en mesure d'assumer son rôle dans la mise en place et le renouvellement des infrastructures spatiales que nécessiteront ses propres politiques communautaires ainsi que la continuité des services opérationnels répondant aux besoins quotidiens des citoyens européens.

Je vais passer à quelques illustrations. En effet, les utilisations de l'espace au service des hommes mêlent étroitement, selon les cas, selon la maturité des techniques astronautiques, des techniques non spatiales, des marchés institutionnels et des marchés de masse. Je vais prendre quelques exemples parmi une multiplicité d'applications commerciales ou institutionnelles que vous connaissez et que l'on peut segmenter usuellement en quatre grands domaines stratégiques :

- les applications grand public, je parlerai de Galileo et des télécoms ;

- le développement durable, je parlerai de GMES ;

- les sciences spatiales qui ont été traitées lors de la table ronde de ce matin ;

- la sécurité et la défense qui vont faire l'objet de la table ronde qui suit.

Galileo est un programme fondé spécifiquement sur les techniques spatiales en forte coopération européenne internationale. Destiné à donner à l'Europe son autonomie dans une technologie à l'évidence clef pour le 21 e siècle, ce programme constitue un enjeu stratégique et économique majeur. Il s'agit de répondre aux besoins gouvernementaux de sécurité et de défense, mais aussi aux besoins de la société où l'usage de la technologie va se banaliser dans tous les secteurs. Exactement comme nous ne pouvons plus nous passer de notre téléphone portable, nous ne pourrons plus nous passer de notre Galileo.

La France soutient fortement cette initiative depuis l'origine, et le CNES, qui a fortement contribué à orienter les grands choix d'architecture du système, apporte son concours aux instances européennes auxquelles les États membres ont confié la gestion de ce programme, l'entreprise commune Galileo, l'Agence spatiale européenne puis l'Autorité de surveillance Galileo demain.

Au regard de l'importance stratégique et des retombées économiques du projet Galileo pour tous les pays européens, la France n'a jamais entraîné de blocage du programme et a encore récemment voté en faveur de sa poursuite sans retard dans les instances de l'Agence spatiale européenne.

Compte tenu de l'engagement français pour la réalisation du programme Galileo, aussi bien en niveau qu'en implication de ses experts dans les négociations sur les fréquences et sur le service PRS par exemple, la France souhaite, comme vous le savez, accueillir les activités du siège du concessionnaire qui assurera le déploiement et l'exploitation de Galileo et le centre pour la sécurité et la sûreté du système rattaché à l'Autorité de surveillance Galileo.

Les télécommunications spatiales constituent à l'évidence le premier marché de masse des technologies spatiales. Ces systèmes de télécommunications spatiales continueront à offrir en complément et en synergie avec les systèmes terrestres, des services de diffusion et de communication de plus en plus diversifiés, performants et contribueront à la convergence entre les services fixes et mobiles. La télévision numérique haute définition, l'accès à l'Internet haut débit, les services de diffusion de contenu télévisuel et multimédia vers les mobiles sont les grands axes de développement qui auront atteint leur maturité bien avant l'horizon 2015.

Les mêmes services seront également offerts pour répondre aux exigences de la défense. Le CNES et le ministère de la Défense ont déjà commencé à y travailler ensemble dans le cadre de leur équipe défense qui est commune, ceci dans une perspective de coopération européenne.

A court terme, notre mission doit aussi se tourner vers la question de la fracture numérique, enjeu majeur pour l'aménagement du territoire. Les solutions bidirectionnelles d'accès à Internet par satellite sont aujourd'hui techniquement matures. Elles peuvent répondre aux demandes et attentes des collectivités, des PME-PMI, des travailleurs indépendants, etc.

On peut par exemple mentionner notre concept de villages communicants. Un tel enjeu, à un niveau cette fois-ci infiniment plus important, existe au niveau mondial dans les pays du Sud comme l'a très bien montré la présentation du Docteur PERUMAL. Santé, éducation, télétravail, notamment, sont les domaines les plus directement concernés par ces usages des nouvelles techniques d'information et de communication, spatiale ou non.

Le programme GMES met en oeuvre la capacité des techniques spatiales à offrir une appréhension et une connaissance globale des phénomènes qui régissent le fonctionnement extraordinairement complexe et incompris de notre planète. Mais il présente aussi la particularité de recourir à des technologies non spatiales. Ainsi pour l'observation océanique, les satellites dédiés ne doivent pas faire oublier l'apport des 1 500 balises disséminées de par les océans du globe.

Ce type d'application exige d'importants efforts en matière de collation et de fusion des données, d'échanges, de coopération, etc., tout comme je le répète à nouveau, en matière de pérennité et de continuité des services rendus. Dit autrement, il y a dans un tel domaine une grande exigence de cohérence technique et organisationnelle, dans des systèmes très complexes qui font intervenir un très grand nombre d'acteurs.

Les technologies spatiales peuvent donc se trouver en concurrence avec d'autres, terrestres, plus réactives par rapport au marché. Force est de reconnaître que les techniques spatiales nécessitent un temps de latence plus grand dans leur développement.

La difficulté dans la prise de décision de nouveaux programmes d'applications spatiales réside notamment dans l'anticipation et la juste évaluation de la maturité des nouvelles technologies spatiales par rapport à leurs concurrentes terrestres, par rapport aussi à la maturité et à la volatilité du marché ou dans la capacité d'intégrer, dans une approche globale, la spécificité de la niche spatiale dont nous entendrons certainement parler dans les interventions qui suivront.

J'en arrive à ma conclusion et je voudrais évoquer deux autres exemples importants dans le domaine du développement durable.

M. Perumal en a parlé et je vais y revenir rapidement. Je dirai un mot de la télésanté et de la charte sur les catastrophes naturelles.

Parler de santé, c'est s'intéresser dans un premier temps à celle de l'individu. Que la personne se trouve géographiquement isolée sur Terre - et au CNES nous connaissons les besoins de la Guyane - sur mer ou en avion, la mission de la télésanté est de lui permettre d'accéder à tout moment et en tout lieu à un service médical susceptible de la soigner du moins de poser un diagnostic et de faire les premiers gestes. Il s'agit donc d'assurer sa survie, son bien-être, mais aussi le contrôle des coûts, une évacuation sanitaire coûte 2 000 € de l'heure, un détournement au sens volontaire du terme d'avion de 250 à 400 000 €.

La télésanté s'intéresse aussi aux populations, autrement dit à la santé publique et à l'épidémiologie. Elle cherche à prédire l'évolution des épidémies en fonction de celles des caractéristiques environnementales, car il y a bien souvent des liaisons entre les deux. En Afrique, en Chine, en Amérique du Sud, plusieurs sites, plusieurs études pilotes dédiés aux fièvres hémorragiques ou à la dengue permettent de mieux analyser les perspectives prometteuses offertes par ces techniques et ces coopérations qui rejoignent une actualité brûlante.

J'en termine avec la « Charte internationale espace et catastrophes majeures » à l'origine de laquelle se trouvent le CNES, l'ESA et d'autres agences nationales, charte créée en 2000. Les organismes de sécurité civile, de sauvetage ou défense peuvent désormais s'appuyer sur les ressources spatiales pour avertir, mesurer causes et conséquences des désastres, et intervenir.

L'activation de la charte déclenche le processus de recueil des données satellitaires et leurs conversions en images directement exploitables. Son objectif consiste à fournir rapidement informations ou services issus des moyens spatiaux les plus susceptibles de contribuer à la gestion de la crise et à l'organisation des secours, là et au moment où ça se trouve, dans les circonstances en question. Déclenchée à 91 reprises depuis 2000, elle l'a déjà été 25 fois depuis le début de cette année 2005.

Ces deux missions illustrent les caractéristiques de l'entreprise spatiale internationale et ses perspectives prometteuses pour l'avenir : un large spectre d'appréhension de la réalité, du plus local au plus global, une capacité particulière à la veille et à la réaction rapide.

Elle montre également que pour les personnes humaines, aux divers niveaux de société qu'elles occupent, leur santé, leurs besoins, leur bien-être, leur sécurité restent au coeur des programmes spatiaux. Notre fierté est d'avoir été parfois à l'origine même de telles missions avec nos partenaires de par le monde entier, notre volonté, de les poursuivre et de les amplifier, car l'utilisation de l'espace est bien indispensable à la connaissance, à la compréhension du fonctionnement de notre belle planète et donc à la protection de la vie sur la Terre ce qui me permet de conclure que l'espace est bien l'avenir de l'humanité.

Je vous remercie de votre attention.

M. Pierre Cohen - Merci, Monsieur d'ESCATHA, de votre intervention avec cet hymne d'amour à la Terre.

4. M. Sergio VETRELLA, Président de l'Agence spatiale italienne (ASI)

Monsieur le Président, Messieurs les Membres des Assemblées, bon après-midi.

Je vais essayer de réduire ma présentation et de la faire en cinq minutes. Je dois simplement souligner trois points que j'ai à l'esprit sur lesquels je travaille depuis le début de ma présidence.

Il semble qu'en regardant l'avenir, la première approche qu'il faut adopter est de regarder en arrière.

Le premier problème est d'identifier ceux auxquels on doit faire face et en se fondant sur les activités que nous avons eues dans l'espace depuis.

Si l'on veut considérer les nouvelles applications au service du citoyen, il est nécessaire de prendre en compte que si nous n'avons pas investi dans ce secteur, nous avons beaucoup investi dans les infrastructures de l'espace sans prendre en compte la quantité, qui était nécessaire en termes d'applications et de services. Nous avons beaucoup d'expériences et d'exemples dans lesquels une fois les satellites déployés, on a découvert qu'il n'y avait pas suffisamment d'argent pour opérer la recherche pour l'application et les services.

Il me semble qu'il faut prendre en compte ce que mon ami Yannick d'Escatha a déjà dit, c'est-à-dire en respectant les règles de l'Union européenne, et je veux souligner qu'il est absolument indispensable d'appliquer ces approches qui sont nécessaires. Lorsque qu'on conçoit un nouveau satellite, une nouvelle infrastructure spatiale, il faut avoir constamment à l'esprit l'application possible, les services et le type d'investissement qu'on doit mettre en parallèle sur la table.

Il est certes nécessaire de prendre en compte les impacts politiques de la fabrication en Europe, le nombre d'employés, de travailleurs et aussi de considérer combien de sociétés, PME, PMI, existent pour pouvoir soutenir l'industrie fabricante.

Nous avons fait souvent une erreur récurrente, c'est-à-dire que nous avons pris en compte ces infrastructures de conception et de fabrication, mais nous avons oublié le budget nécessaire pour développer les applications, les services, et la recherche nécessaire pour atteindre ces résultats.

L'exemple est très simple. Il n'est pas nécessaire de concevoir de trains si vous n'avez ni les rails ni les passagers. Pour aider la fabrication, l'industrie, nous avons la responsabilité de prendre en compte le fait qu'il faut développer ces applications et services pour que, lorsque qu'ils seront développés, il y ait un train et des contrats pour développer cent trains de ce type.

C'est une table ronde, je ne vais pas simplement faire la liste des applications et des services impliqués du point de vue de l'investissement, ce n'est pas mon problème aujourd'hui. Je veux simplement dire qu'il faut prendre en compte les besoins pour changer notre approche afin d'aider notre industrie.

Deuxième aspect : les nouvelles applications. Il me semble que c'est extrêmement important, car l'avenir est concerné et je voudrais souligner deux points.

Premièrement, en ce qui concerne l'intervention et la prévision des catastrophes naturelles, tout le monde prend en compte aujourd'hui la beauté, tout le monde sait ce qu'est un astronaute qui vole dans l'espace, dans le vide, et on prend en compte ce qu'on a fait en termes de nouvelles technologies.

Comment est-il possible qu'aujourd'hui on soit incapable d'avoir un modèle validé d'un point de vue de la prévention des glissements de terrains ou des inondations ?

Qu'avons-nous fait en termes d'investissements dans ces secteurs ?

Combien de personnes travaillent dans ces secteurs ?

Combien d'argent reçoivent-ils ?

C'est le premier problème auquel il faut faire face.

En ce qui concerne les nouvelles applications de l'avenir, les futures applications, le premier point est que nous avons besoin d'identifier avec précision les priorités au sein de ces besoins. Il faut avoir le courage de choisir, dans cette liste de priorités, la première, la deuxième et la troisième et de faire de notre mieux afin d'investir l'argent nécessaire pour pouvoir aller de l'avant en ce qui concerne la recherche dans ces domaines.

Deuxièmement, il me semble - et c'est un domaine dans lequel nous travaillons beaucoup - que les applications futures sont toujours liées à notre capacité d'intégrer dans un système mobile unique la navigation, les télécommunications et les satellites d'observation Terrestre.

Il me semble que les autres approches dont nous aurons besoin, en particulier du point de vue des catastrophes naturelles, sont notre capacité à offrir un terminal qui intègre les satellites de navigation, les signaux, les données, les télécommunications, toutes ces observations afin qu'en cas de catastrophe naturelle nous puissions intervenir en temps réel.

Pour résumer, il me semble - et c'est un des problèmes auquel nous devrons faire face en décembre lorsque nous aurons le prochain conseil ministériel - que l'effort principal est qu'il faudra regarder vers l'avant et essayer d'obtenir toute l'expérience nécessaire pour résoudre les problèmes sans être trop liés au passé. C'est un grave problème auquel nous devrons faire face.

Merci de votre attention.

5. M. Daniel SACOTTE, Directeur des programmes des vols habités, de la microgravité et des programmes d'exploration, Agence spatiale européenne (ESA)

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Messieurs les Parlementaires, je remplace M. Dordain, retenu par la préparation du conseil ministériel.

Nous avions une réunion aujourd'hui. J'y ai présenté mes programmes ce matin, si bien que je n'ai pas pu être présent à la table ronde à laquelle j'aurais dû participer, c'est-à-dire l'exploration, qui est le sujet dont je m'occupe. Je vais parler des applications du point de vue d'un néophyte, ce qui, parfois, n'est pas trop mauvais.

La première question que je me suis posée est de savoir quelles sont les attentes d'un citoyen français qui vit dans un pays au Nord. Elles sont très simples, ce sont l'éducation, la santé, la sécurité globale ou locale, un meilleur environnement, de l'énergie sûre, un accès facile à l'information, de l'emploi, des loisirs, enfin beaucoup de choses. Dans cette liste qui me vient comme ça, l'espace est présent à peu près partout.

C'est intéressant parce qu'on voit que l'espace non seulement participe à des grandes aventures comme l'aventure Galileo, mais irradie aussi de façon assez importante les activités qui sont les activités humaines et les attentes des citoyens.

Un certain nombre d'exemples a été donné. En ce qui concerne un peu le point de vue des systèmes, je vais dire deux mots - ce sont des sujets que j'ai à traiter - par exemple de l'éducation ou de la santé.

Dans le domaine de l'éducation, l'espace a un certain nombre de rôles à jouer.

Le premier est que l'espace est une activité extraordinairement motivante. Elle attire l'attention des jeunes, c'est une des seules activités qui fait et fera que des vocations en matière scientifique, mathématique ou encore d'ingénieur, vont se développer.

Cette valeur de l'espace, les valeurs que l'espace propose et en même temps les techniques sur lesquelles elles sont fondées, va jouer un rôle important et je crois que c'est vrai pour le programme spatial dans son ensemble.

L'espace apporte aussi un certain nombre d'éléments qui vont être utilisés dans les différents cursus, des éléments pédagogiques et d'une qualité extraordinaire. Le Président d'Escatha parlait tout à l'heure de la magnifique planète bleue qui est la nôtre. A l'heure actuelle, sur un certain nombre de livres de géographie, on voit cette planète et finalement les enfants ont l'impression qu'ils vivent sur une planète, ce qui est quelque chose d'important.

De même dans les programmes de géographie, en tout cas en France, la télédétection et la cartographie sont maintenant traitées à partir d'une approche spatiale, ce qui est aussi quelque chose d'essentiel. Cela irradie notre culture et je crois que c'est extrêmement important.

C'est vrai en géographie et en physique. Mme la Ministre sait très bien que nous avons développé un certain nombre de DVD qui montrent aux enfants les lois les plus élémentaires de la physique. Ce sont des expériences réalisées par des astronautes qui deviennent extrêmement simples à comprendre et qui font là aussi progresser.

Je parle également de la biologie puisque, dans le domaine de l'éducation de la biologie physiologie, il y a un certain nombre de sujets qui sont très directement utilisés.

Enfin - cela a été cité par le représentant de l'ISRO et aussi par M. Vetrella et M. d'Escatha - l'utilisation des moyens spatiaux, notamment des télécommunications, va jouer un rôle essentiel dans la télé-éducation qui peut représenter une source extraordinaire de développement, bien sûr, pour les pays en voie de développement mais pas uniquement, car cela peut être considéré comme des techniques qui peuvent être utilisées aussi par les pays développés.

C'est un exemple et je pourrais également donner l'exemple de la santé. Il est évident que ce n'est pas l'espace qui va révolutionner la santé, mais le Président d'Escatha l'a expliqué tout à l'heure, l'espace peut apporter un certain nombre de simplifications, de progrès qui sont des progrès opérationnels par l'utilisation des moyens de diagnostic à distance, des moyens de communications, etc.

Je voudrais aussi ajouter ce que, dans le domaine dont je m'occupe à l'heure actuelle, c'est-à-dire celui des vols habités entre autres, nous avons été amenés à faire pour le monitoring des astronautes. Ce qu'a dit tout à l'heure le Président Vetrella est tout à fait juste, nous consacrons beaucoup d'argent à ce monitoring des astronautes, c'est-à-dire à peu de personnes dans un milieu vraiment très particulier. Ce monitoring des astronautes nous a cependant permis et a permis à l'ensemble hospitalier de développer un certain nombre de techniques de gestion à distance, de gestion en hôpital et de surveillance, qui ont des applications de tous les jours et extrêmement puissantes pour notre futur.

Je ne vais pas parler du pyjama pour les bébés qui va permettre de prévoir la mort subite du nourrisson, cela existe, c'est développé et c'est maintenant opérationnel. Je pourrais avoir d'autres exemples dans le domaine de la sécurité, mais comme il en sera question plus tard, ce ne sera peut-être pas la peine.

En ce qui concerne le domaine de l'environnement - je pense que José Achache en parlera beaucoup - celui de l'énergie, j'y reviendrai.

Je voudrais dire que la science d'aujourd'hui fait les applications de demain et que ce sont les applications de demain qui feront la société d'après-demain. Il est évident que notre société d'aujourd'hui, qui est une société d'information, du moins chez nous en Europe, existe parce qu'un certain nombre de recherches ont été conduites.

Personne ne pensait que les premiers travaux sur l'électricité, l'électronique, l'informatique, etc. déboucheraient sur une totale révolution de société qui est notre révolution d'aujourd'hui et sur un certain nombre de problèmes comme la fracture numérique qu'il faut combattre, mais sur une vision du monde qui n'a absolument rien à voir avec la vision du monde qui était celle qui existait quand j'étais enfant, ce qui commence à faire assez longtemps.

Quand Marie Curie manipulait le radium, personne ne se doutait qu'on aurait un jour de l'énergie sûre et propre dans un certain nombre d'États, je veux parler de l'énergie nucléaire. Il ne faut donc pas négliger cette composante, la science. Et la science se développe en particulier à partir de grandes missions spatiales.

C'est un appel important que je fais pour notre prochaine conférence ministérielle : ne pas négliger la science, l'exploration, les nouveaux programmes que nous lançons.

Je vais dire deux choses qui peuvent paraître un peu absurdes. Nous allons lancer dans quelques jours, le 9 novembre, Vénus Express. C'est l'exemple poussé à l'extrême d'une planète qui se débat dans un effet de serre absolument épouvantable : il y fait plusieurs centaines de degrés, on est dans un nuage de gaz carbonique.

Pourvu que notre belle Terre ne devienne pas quelque chose comme ça. Il est donc très important aussi de comprendre comment une planète, avec cette espèce de manteau terrifiant de gaz carbonique, évolue et se trouve confrontée à des situations extrêmes. Ce n'est pas pour cela que nous allons étudier Vénus, mais il y a quand même un intérêt dans ce domaine.

L'exploration dans le domaine qui est le mien est que nous allons chercher la présence de la vie sur Mars, voir si elle existe. Le jour où nous la trouverons, je pense que du point de vue des sociétés - c'est loin des applications, mais c'est important du point de vue des sociétés - cela représentera une révolution assez importante et je crois qu'il faut bien y réfléchir.

Il y a un autre problème que nous allons trouver dans l'exploration lunaire. On n'en parle peut-être pas beaucoup aujourd'hui en Europe, mais cela va devenir un sujet absolument essentiel dans les années qui viennent. Or, pour faire de l'exploration lunaire, programme encore bien loin des applications, il va falloir maîtriser un certain nombre d'éléments : une énergie importante, propre, qui ne nécessite pas un transfert depuis le sol de la planète Terre jusqu'au corps céleste de la Lune.

Aujourd'hui on pense à des petites centrales nucléaires hyper sûres, hyper propres, sujet intéressant qui demandera un certain nombre d'investissements, qui peut avoir des conséquences importantes, ne serait-ce que dans la façon dont l'Europe et le monde vont gérer leur problème énergétique. A l'heure actuelle, on ne fait pas de petites centrales, mais des grosses. Rien que ce problème de passer de la grande à la petite échelle est un problème très important dans le futur.

Pour aller sur la Lune, il ne faut pas emporter trop de choses, car cela coûte très cher. Le moindre litre d'eau doit être recyclé, recyclé et recyclé encore. Il va donc falloir développer des systèmes de recyclage, de récupération, de contrôle d'environnement qui trouveront des applications dans le futur d'une planète Terre dont l'énergie va se trouver un peu raréfiée, qu'il ne va pas falloir trop gaspiller. Il y a un certain nombre de progrès à faire.

Ma plaidoirie est un peu longue peut-être, sur la nécessité d'avoir une ambition scientifique qui est à l'origine de toute ambition des sociétés.

Pour conclure, Monsieur le Président, comme je l'ai dit certains se préparent à avoir une conférence ministérielle qui est ce processus un peu étonnant dans lequel, tous les trois ans, des ministres se rencontrent pour décider de programmes ; nous sommes actuellement en train de les préparer.

Parmi ces programmes, il y a un programme phare qui, après Galileo, est GMES, le programme de gestion de l'environnement et de la sécurité, qui a des composantes extrêmement importantes pour le futur dont on parlera, c'est notre première priorité.

La deuxième priorité est l'exploration et la science, parce qu'elles modèlent toutes deux le futur et nous espérons là encore que des décisions seront prises.

Il est évident que d'autres sujets seront proposés. Notre Directeur général en a proposé cinq, je n'en ai retenu que deux.

Merci.

M. Pierre Cohen - Merci, nous avons parlé d'environnement, de GMES et je donne maintenant la parole à José ACHACHE.

6. M. José ACHACHE, Directeur du Group on Earth Observations (GEO)

Monsieur le Président, Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, permettez-moi, comme tout le monde, de vous remercier de m'avoir invité à cette table ronde. Et plus particulièrement puisque, maintenant, je suis à la tête d'une organisation intergouvernementale, je n'ai pas à me mêler des affaires françaises ou européennes, mais comme j'ai été Français dans le passé et encore plus récemment Européen, je le fais avec une certaine affection.

Je vais effectivement me limiter aux affaires d'environnement et de sécurité, car s'il y a un sujet dans lequel l'espace peut être utile, c'est le domaine de l'environnement et de la sécurité. Je crois que l'actualité de ces derniers jours a été suffisamment explicite pour montrer combien le changement climatique, la prévision météorologique et le problème des catastrophes naturelles sont des problèmes qui nous touchent et vont nous toucher de plus en plus.

On peut d'ailleurs prendre le terme de sécurité dans un sens encore plus large. On a évoqué à plusieurs reprises la sécurité sanitaire, on parle maintenant de grippe aviaire, mais il y a toujours la malaria qui reste le premier tueur mondial, la plus grosse épidémie en quantité, dont le responsable est encore le paludisme.

Il y a les problèmes de l'eau avec les inondations, mais aussi les problèmes de sécheresse. On l'ignore parce que le tremblement de terre au Pakistan ou Katrina et autres font les premières lignes, mais les plus grosses catastrophes naturelles, celles qui font le plus de victimes aujourd'hui dans le monde sont les sécheresses : 30 000 morts cette année en Afrique. On n'en parle pas du tout, c'est un problème lié aux ressources en eau, au changement climatique et à la sécurité, c'est quelque chose qui doit être traité.

Avec tout cela, nous savons que l'espace peut apporter une solution. Nous avons déjà travaillé suffisamment sur ce sujet pour savoir que l'espace a une réponse à ces problèmes. La question n'est pas tant de savoir ce qu'ils sont et ce que peut faire l'espace, mais finalement quels sont les problèmes et comment on peut arriver à faire quelque chose à partir de l'espace dans ce domaine de l'environnement et de la sécurité.

En d'autres termes ce qu'on a fait jusqu'à aujourd'hui, qui nous a permis d'arriver là où on est, et ce qu'on n'a pas fait ou qu'on n'arrive pas à faire pour véritablement créer ce GMES.

Une fois n'est pas coutume, je ferai une présentation sans diapositives. Je pense d'abord qu'il faut arrêter de montrer ces très belles images parce qu'elles masquent d'une certaine façon notre degré d'ignorance de l'information qui est réellement dans ces images et du travail qu'il reste à faire pour savoir les utiliser, et puis ça change un peu.

Tout d'abord quelques questions.

Les enjeux sont des enjeux globaux, et il est clair que tous ces problèmes dont nous parlons sont des problèmes globaux auxquels il va falloir apporter une réponse globale. Cela veut dire que je suis très content d'être désormais à la tête du GEO qui est finalement l'extension mondiale de ce que nous voulions faire en Europe avec GMES.

Je tiens à rappeler ici que lorsque les Américains sont venus nous voir avec ce projet d'un sommet à Washington pour créer ce GEO qui n'était rien de plus qu'un copié-collé de GMES, mais à l'échelle mondiale, ma première réaction avec la ministre de la recherche de l'époque, Claudie Haigneré, était de dire qu'il n'était pas question d'y aller, nous avions trois ans d'avance, nous avions déjà le GMES, pourquoi nous nous mélangerions à un truc qui allait nous gêner.

Je pense que la ministre a eu raison de nous encourager à participer à ce GEO et à faire de GMES la composante de ce GEO, c'est-à-dire de ce Global Earth Observation, System of Systems. Il respectera les prérogatives et l'indépendance des différents pays, permettra à chaque pays, chaque région et chaque groupe d'apporter sa contribution à ce système. Mais d'un point de vue fondamental, il ne peut être qu'un système global international en tout cas multilatéral.

Pourquoi ? Fondamentalement - et c'est très important - il n'y a pas de bijection entre systèmes spatiaux et problèmes d'environnement. En d'autres termes, vous ne pouvez pas fabriquer une constellation pour régler le problème des catastrophes naturelles, une autre pour régler celui de l'eau et une autre encore pour faire de l'agriculture.

Alors qu'on est parti d'un système dédié à la météo, qu'il y a quelques initiatives de lancer des systèmes dédiés aux catastrophes, je pense que nous devons aller maintenant vers une approche transverse où tous les problèmes seront traités globalement par un seul système qui est ce GEO, ce système de systèmes.

Je crois que si 58 pays, la Commission européenne et 47 organisations internationales ont décidé de participer à ce GEO, c'est bien parce qu'ils reconnaissent la validité qu'il y a à mettre tous les moyens ensemble et surtout à traiter l'ensemble des problèmes.

Une caractéristique du GEO est qu'il traite des applications dans neuf thèmes différents qui sont les catastrophes naturelles, l'eau, l'épidémiologie, l'énergie, le climat, la météo, la biodiversité, etc., et qu'il faut les traiter tous ensemble, pourquoi ?

La première raison est qu'il n'y a pas de bijection simple entre les systèmes. Prenez l'altimétrie qui a été lancée pour observer les océans. Le premier véritable résultat scientifique de l'altimétrie a été le Géoide, c'est-à-dire une bien meilleure détermination du champ de gravité de la Terre, ce qui n'était pas du tout sa mission.

Ensuite il y a eu tout ce que nous avons fait en océanographie qui a permis de mesurer avec une grande précision la montée des océans, d'élucider le mécanisme d'El Niño. Nous l'avons ensuite étendu aux rivières et maintenant, nous commençons à faire de la gestion des eaux continentales à partir d'altimétrie.

Dans le cas du tsunami et toujours à travers l'altimétrie, on a également un instrument de détection de tsunami absolument clair sous réserve qu'on ait la constellation voulue.

Un système défini va donc servir toute une série d'applications qu'il faut toutes traiter.

Un autre exemple est le landcover . C'est un paradoxe, mais pour un scientifique le fait d'avoir une communauté du landcover est une sorte de stupidité et j'aimerais bien qu'elle s'arrête un jour. Le landcover n'est pas un phénomène scientifique mais un paramètre ; on n'a pas de communauté de vent ou d'ondes F.

En revanche, le landcover sert pour l'agriculture, en épidémiologie. Dans le cas des méningites par exemple, à partir du landcover on est capable d'avoir une estimation du risque de méningite six mois à l'avance. Cela sert également dans la prévision des feux et des inondations.

Il y a donc une transversalité des systèmes. A cet égard, si on me demandait aujourd'hui la constellation ou le système spatial dont on a le plus besoin, je dirais sans hésiter que c'est la mission des précipitations globales.

Les précipitations, la pluie, sont un paramètre fondamental en météo. Seuls les pays riches ont la capacité d'avoir des radars au sol qui mesurent la météo, et d'avoir donc des prévisions météo de bonne qualité. Dans la plupart des pays, cela n'existe pas. C'est bien sûr utile non seulement pour la météo, mais aussi pour le changement climatique, la gestion de l'eau, la prévision des inondations, la gestion de l'énergie et en particulier l'énergie hydroélectrique.

Avoir une connaissance permanente et globale des précipitations est probablement la mission qui servirait le mieux l'ensemble de ces besoins.

Transversalité toujours au sens où chacun des domaines sert les autres. La météo sert à mieux gérer la grille énergétique. Vous savez qu'aujourd'hui on n'arrive pas à intégrer les éoliennes dans les grilles de distribution. Comme le moment où elles apportent de l'énergie ne peut pas être anticipé, la gestion globale de la grille est très difficile à faire.

De la même façon, avoir une gestion anticipée des apports d'eau pour la composante hydroélectrique est évidemment la composante climatique pour savoir quelles seront les variations prévisionnelles dans la consommation.

On pourrait ainsi faire défiler toute une liste d'exemples de bénéfices croisés.

Du coup, les initiatives individuelles où on fait une constellation pour faire une application me paraissent une idée vraiment mal fondée. L'exemple de DMC en est un. DMC n'a pas servi à grand chose et il y a là un peu le syndrome du microsatellite qui vole sans produire de données.

RapidEye est un projet allemand et j'espère qu'il va s'intégrer dans une constellation avec Landsat, la Sentinelle 2 du GMES pour donner une donner une capacité globale d'observation du landcover et pas un business plan séparé.

Le fait que Terasar, Pléiades, Cosmo-SkyMed soient prévus pour être intégrés au sein d'un système GMES me paraît aller dans le bon sens.

Pour redire et insister sur un certain nombre de choses qui ont déjà été dites - Sergio Vetrella en particulier l'a très bien dit - ce qui manque aujourd'hui encore c'est d'améliorer et de démontrer la valeur des réponses que l'espace peut apporter et, dans ce domaine, on a du retard.

On a du retard non seulement dans l'amélioration, c'est-à-dire dans la recherche, mais aussi dans la démonstration, dans le marketing de ces applications, je vous donne quelques exemples.

Il y a six ou sept ans, j'étais à la tête du Réseau d'Innovation Technologique Terre et Espace. A l'époque, on a lancé un projet, PACT, sur la prévision des inondations. Cet été, les inondations dans un certain nombre de communes du Sud de la France ont été extrêmement bien gérées, du coup on n'en a pas parlé dans les journaux puisqu'il n'y a pas eu de catastrophe. C'est essentiellement un héritage de PACT.

Avec Antonio GUELL, on avait lancé un autre projet sur le suivi des épidémies en Afrique. Ce projet est maintenant totalement opérationnel au Burkina Faso et au Niger. Les choses continuent, mais c'est long.

Le fait que depuis trois ans, la Commission européenne et l'ESA avec son programme Service Element, fassent de la démonstration de projet, est extrêmement important. C'est en faisant de la démonstration de projet qu'on démontrera la capacité de l'espace, convaincra de sa capacité et qu'on permettra aux personnes de s'impliquer dedans et finalement d'exprimer leurs besoins avec un certain nombre de caractéristiques particulières. Ces dernières ont été indiquées, je les répète.

L'espace vient en complémentarité de l' in situ qui est nécessaire dans un certain nombre de domaines. Il est absolument nécessaire aussi d'avoir une continuité des observations, de s'assurer que l'altimétrie ne va pas s'arrêter après Jason 2, le landcover après Landsat et Spot 5. C'est absolument essentiel sinon d'un seul coup la machine s'arrête et la mécanique s'enraye.

Il faut aussi beaucoup plus de science parce que dans bien des domaines on promet, mais je ne suis pas sûr qu'on ait les moyens d'être aussi efficaces qu'on voudrait l'être, et dans ces domaines il faut que la recherche scientifique s'active.

Roger-Maurice Bonnet a présenté ce matin ces fameuses courbes montrant l'amélioration de la prévision météo à un, trois et cinq jours. Soit dit en passant, ce ne sont pas juste les modèles scientifiques qui améliorent, mais aussi le fait qu'il y a des données spatiales et que de ce fait on a des observations à la fois sur l'hémisphère sud et l'hémisphère nord. C'est davantage une démonstration de l'apport de l'espace qu'une démonstration de l'apport de la science, mais il est vrai que cela va ensemble.

Je crois qu'actuellement les sciences de la Terre sont en mutation parce qu'elles commencent à intégrer une autre façon de faire la science et de comprendre les processus terrestres en intégrant les données spatiales, ce qui a tendance à changer radicalement la façon de faire les sciences de la Terre.

Je ne crois pas que l'espace soit une façon meilleure d'observer la Terre que les observateurs in situ , c'est un point de vue radicalement différent, probablement un nouveau paradigme pour les sciences de la Terre et cela reste à mettre en oeuvre.

Finalement, les scientifiques eux-mêmes ne sont pas très allants sur cette affaire et j'ai tendance à trouver mes anciens collègues un peu mous en ce qui concerne leurs capacités à changer leurs façons de travailler et à intégrer les données spatiales dans leurs modèles. Et comme l'a montré la courbe à laquelle j'ai fait allusion, c'est extraordinairement efficace dans le cas de la météo.

Le dernier point sur lequel je voudrais insister au-delà de la science et de l'aspect transverse, est la question qui m'est chère depuis longtemps, c'est-à-dire celle de l'accès aux informations.

Je pense que pour que tout cela fonctionne, il faut que les gens - et j'emploie à dessein un terme vague - c'est-à-dire les scientifiques, les utilisateurs, les gouvernants, les conseillers, les technocrates, aient accès à l'information.

A cet égard, pour moi, deux communautés sont particulièrement importantes, celle des utilisateurs d'une part et celles des industriels d'autre part : quel rôle doivent-ils jouer et comment doit-on se comporter à leur égard ?

En ce qui concerne l'accès à l'information, lorsqu'on m'a proposé de prendre la direction du GEO, j'ai compris qu'il était un système qui devait finalement fournir un accès mondial à l'information sur la Terre et l'environnement. J'ai donc proposé qu'on rebaptise GEO en Google for Earth Observation qui donne également GEO.

Je ne croyais pas si bien dire parce que quelques semaines après on a commencé à parler de Google Earth dont je vous reparlerai tout à l'heure parce que je pense que, là, il se passe quelque chose de majeur.

En ce qui concerne les utilisateurs, on ne cesse de dire que comme GMES, GEO doit être user driven , demand driven . Le problème est que si vous demandez à un utilisateur lambda ce qu'il veut que l'espace lui apporte, il ne le sait pas. Et vous ne pouvez pas avoir de demande tant que vous n'avez pas mis quelque chose sur la table. C'est ce que M. MALENGRO avait réussi à formuler en quelques mots à la Commission.

Une démarche préparatoire à GMES doit être « deliver to learn ». Il faut lancer la machine, montrer ce qu'on peut offrir pour qu'ensuite les gens disent quel est leur intérêt. C'est ce que l'Inde a parfaitement fait et ce que nous a montré le Docteur Perumal tout à l'heure, est exactement cela. L'Inde ne s'est pas posé douze fois la question de savoir si elle attendait, s'il y avait une demande, etc., mais elle a offert le service et progressivement, maintenant, les utilisateurs, les villages explicitent leurs besoins et le service s'améliore.

Il est clair qu'il faut aller et fournir le plus vite possible toute l'information dont on a besoin à tous les utilisateurs. Finalement le problème de l'observation de la Terre aujourd'hui n'est pas un problème d'observation, mais un problème de communication, de fournir l'information, d'amener la donnée à l'utilisateur.

Prenez le cas des catastrophes. Le principal problème est l'alerte et pas la détection. On avait parfaitement détecté Katrina, je ne dirai pas la même chose du tremblement de terre et du tsunami, mais il y a d'autres catastrophes sur lesquelles on a l'information, mais cette information ne va pas où elle devrait.

La première initiative que va prendre le GEO est de lancer un projet, un programme - je ne sais pas encore comment le qualifier - qui va s'appeler Geonetcast. Il est bâti d'une certaine façon sur le Netcast, c'est-à-dire un système qui permet de faire le broadcast de l'information, en l'occurrence d'Eumetsat. Cette histoire est née d'un accident.

Il se trouve que l'un des Servicenet Amplifier sur MSG était défectueux après le lancement, si bien que la fonction de broadcast sur MSG n'a pas pu fonctionner. Du coup Eumetsat a décidé de voir si se tourner vers le marché, vers les professionnels du broadcast n'était pas plus efficace que d'avoir une fonction broadcast sur un satellite de météo. La réponse a été immédiatement positive. Cela donne un système de broadcast beaucoup plus efficace qui permet à Eumetsat de broadcaster les données et les premiers modèles assemblés.

Avec Geonetcas, on voudrait, en accord avec Eumetsat, étendre ce système à l'échelle globale et lui donner une fonction remontante. Il y a en effet un deuxième besoin en observation de la Terre qui est de collecter la donnée. De nombreux observatoires au sol, seraient susceptibles de fournir des informations, mais cette information ne remonte pas vers les centres de calculs, de modélisation.

Cela vaut pour des stations d'observation géophysique comme pour les réseaux sentinelles en épidémiologie. L'essentiel de l'information sur les épidémies en Afrique est détecté par des médecins de brousse qui ne savent pas quoi en faire. Il y a normalement un réseau MS qui collecte les informations, mais il fonctionne très mal et les moyens techniques n'existent pas.

Geonetcast serait le network pour faire la collection et le casting pour pouvoir rebroadcaster l'information à l'ensemble des utilisateurs et des participants afin de la rendre utile.

Et je terminerai, sur le rôle, la place de l'industrie. On a commencé quand on a voulu faire de l'observation de la Terre à des fins appliquées et commerciales.

Le passé c'était Matra, Aérospatiale, Alcatel et un business modèle extrêmement classique où on fabrique des satellites, produit des images que l'on vend. C'est ce qui a prévalu pour Spot 1 à 4 et Envisat. Si ce n'était pas un désastre, ça n'a pas donné grand chose.

Le présent a un peu évolué. Jean-Marc NASS à Spot Images a lancé une initiative d' anchor tenancy , c'est-à-dire trouver de gros clients à qui il allait donner ces informations, ces images en vrac. Ce sont eux qui, en contact avec le marché, allaient essayer de les diffuser de façon beaucoup plus adaptée à chacun des utilisateurs. Cela a été mis en place pour Spot 5 et Jean-Marc Nass a été capable de ramener le résultat de Spot Images très au-dessus de la barre et d'opérer un véritable renversement. Ce n'est cependant que le début du changement.

D'ailleurs les autres grands opérateurs, les Orbimages et les Digital Globe font également de l' anchor tenancy , mais avec un seul client qui est la NGN.

Qu'est-ce qui va se passer dans le futur, comment ces choses vont-elles évoluer ?

A mon avis il y a deux voies.

Il y a la voie publique qui est ce que fait l'Inde. Encore une fois les Indiens ne se demandent pas s'il faut attendre, s'il y a une demande, avant de créer l'université entièrement par satellite de télécoms. Ils ne se demandent pas s'ils vont mettre en place des systèmes de télémédecine ou de télé-éducation et essayer d'utiliser les satellites IRS pour gérer l'agriculture, les ressources en eau et les pollutions, ils le font. C'est un système complètement public, complètement étatique, où l'Etat investit, met à disposition et le système se développe.

C'est une démarche qui pourrait être le choix de la Commission européenne ; j'ai tendance à penser que ce n'est pas vraiment la philosophie en Europe actuellement et qu'on va plutôt avoir à rechercher une démarche qui, à un degré ou à un autre, impliquera l'industrie privée.

C'est là que je reviens à Google Earth. Que s'est-il passé avec Google Earth, pas celui auquel tout le monde a accès et qui permet d'avoir de belles vues en 3D et de faire de la publicité pour les pizzerias, mais une deuxième version ?

Cette deuxième version est le Google Earth professionnel. C'est quelque chose que nous avions essayé de faire avec le Réseau d'Innovation Technologique il y a six ans, avec une université à Lyon. C'est un service auquel vous pouvez vous connecter, vous avez toute la base de données disponible, GEO, référencée avec toutes les spécifications techniques. Vous pouvez charger vos propres données, vous téléchargez toute l'information géographique dont vous avez besoin pour vos propres calculs, vous faites tous vos calculs, tout le processing dont vous avez besoin pour croiser les informations d'imagerie, d'économie, de population sur le site et lorsque vous avez le résultat, vous le déchargez.

C'est en gros un système d'information à distance disponible sur un site, mais c'est un Geographic Information System, un SIG. Cela crée un business model qui est radicalement différent, qui est bien sûr apporté par Google, dont le business model global n'est d'ailleurs pas très compris. En tout cas, s'il y a dix ans quelqu'un avait dit qu'il allait faire une société dans laquelle il donnerait toute l'information sur tout, à tout le monde et gratuitement, je ne vois pas qui aurait souscrit un pence dans un tel business model et pourtant il fonctionne.

La conséquence est que derrière, on voit arriver d'autres acteurs qui s'intéressent d'un seul coup énormément à GEO, à GMES, mais plutôt à GEO parce que cela se passe beaucoup de l'autre côté de l'Atlantique. Ces acteurs sont ESRI et Microsoft, ce sont des personnes qui sont des fournisseurs d'informations.

On en revient en fait à quelque chose de très logique. GMES, GEO, les applications de l'observation de la Terre pour l'environnement, c'est un système d'information. L'industrie qui est logiquement amenée à jouer un rôle moteur dans cette affaire, est l'industrie de la fourniture d'information, c'est-à-dire Google, Microsoft et les autres.

Je ferai encore deux remarques et une conclusion.

Ma première remarque est qu'il n'y a pas beaucoup d'Européens dans cette affaire. Il est vrai que Microsoft vient de s'associer avec l'INRIA, justement sur la gestion des très grosses bases de données et applications directes . Google avec ESRI, c'est vrai qu'ESRI France, la filiale, est une des composantes fortes d'ESRI et qu'à travers cela, on peut espérer voir les Européens intervenir.

Je remarque cependant qu'il n'y a pas beaucoup d'industries européennes présentes dans ce secteur qui est cependant un secteur clef. Entre l'industrie spatiale qui fournit les satellites et l'industrie des commerces et des services qui les utilisent, il y a ce deuxième étage de la fusée dans lequel l'Europe est très peu présente.

Ce qui sera plus important, sera d'être présent dans le troisième étage de la fusée, c'est-à-dire dans la fourniture des services. A cet égard, je crois que ce qu'on a commencé à faire en développant des services et des démonstrations est extrêmement important.

Ma deuxième remarque, qui me servira de conclusion, est qu'effectivement ce qui compte est le troisième étage de la fusée, c'est-à-dire le développement des services et des applications.

Dans ce domaine, l'Europe a pris trois ans d'avance en démarrant GMES avant que tous les autres pays du monde ne fassent quoi que ce soit. Le GEO est clairement la volonté, pour un certain nombre d'autres pays, de monter dans le train et d'essayer de rattraper la locomotive.

Trois ans d'avance, ce n'est pas beaucoup. Quand on voit le retard que prend aujourd'hui Galileo, la seule recommandation que je ferai aux politiques est la suivante : si nous prenons du retard dans GMES et si tout ce que nous avons préparé, investi, depuis trois ans, venait à être retardé pour des questions de priorité, de compétition et de choix budgétaires, nous perdrions ces trois maigres années d'avance. Et lorsque, portés par les Google et les Microsoft, le service et les applications d'observation de la Terre se développeront, j'ai peur que l'Europe ne soit à nouveau pas dans le train.

Merci beaucoup.

M. Pierre Cohen - Je voudrais remercier José Achache pour son appel, mais malheureusement les politiques que je connais ici, tous bords confondus, ne sont pas ceux qui seraient les plus à convaincre pour essayer d'aller de l'avant. Il y a donc du travail, nous avons du travail, que ce soit au Sénat ou à l'Assemblée.

7. M. Giuliano BERRETTA, Directeur général d'Eutelsat

Je voudrais remercier les organisateurs de ce colloque de m'avoir invité comme unique représentant d'une compagnie privée qui gagne de l'argent dans l'espace, c'est déjà une exception.

La société Eutelsat est en effet le premier opérateur des satellites en Europe. Cela me permet de vous parler, j'espère de manière intelligente, des applications qui sont en train d'émerger, mais également de faire quelques considérations en matière d'organisation de la politique spatiale en Europe.

Je voudrais, en deux mots, vous amener de la poésie de l'espace vers la Terre en passant par l'orbite géostationnaire, et vous dire quelques mots d'Eutelsat.

Nous avons actuellement 23 satellites en opération depuis plus de vingt ans et nous avons acquis presque tous nos satellites, 29 sur 30, en Europe, ce qui est aussi assez rare chez les autres opérateurs satellitaires, je pense que vous le savez parfaitement et les industriels encore mieux que moi.

Nous faisons 750 M€ de chiffre d'affaires, dont 68 % dans le domaine de la diffusion des images de télévision.

Je suis très content que M. Achache ait mentionné des applications futures où il sera possible de diffuser les images de la Terre via les satellites commerciaux. Comme aujourd'hui, nous avons les quatre, voire peut-être Canal+, j'espère qu'un jour il sera possible de voir les belles images de la planète bleue.

Nous transportons aujourd'hui 1 500 chaînes de télévision à 53 millions de foyers directement avec des petites antennes, et à 120 millions de foyers à travers des réseaux directs et par câble.

Eutelsat est la société la plus productive. C'est pour cela que M. d'Escatha dit toujours qu'il a besoin de développements faits par les agences et je vais maintenant vous expliquer pourquoi.

Une chose très intéressante est que nous arrivons à avoir un chiffre d'affaires de 1,6 M€ par employé, qui est bien supérieur à la moyenne de notre compétiteur dont le chiffre d'affaires par employé est juste au-delà de 1 M€. Et on critique toujours la productivité des Européens et des Français en particulier, vous voyez que cela mérite d'être reconsidéré.

En ce qui concerne les applications, notre future application semble aller vers un perfectionnement de la télévision via satellite. La voie naturelle est la télévision à haute définition. Je pense que c'est un moyen très important pour le développement de notre activité spatiale.

Même avec la norme MPEG-4 qui est celle qui arrive à la meilleure compression aujourd'hui, la bande nécessaire pour un canal de télévision est de 2,5 fois supérieure à la bande, aux ressources nécessaires pour un canal de télévision numérique normale aujourd'hui avec la norme MPEG-2. Cela montre l'importance pour l'industrie spatiale et pour toute l'industrie, puisque c'est l'industrie des téléviseurs, des écrans, de la production, ce qui peut amener une production de télévision haute définition.

A 2 000 mètres en suivant les prévisions d'Airconsult, on aura 140 chaînes de télévision à haute définition en Europe. Je pense que c'est une prévision pessimiste et qu'elles seront plus nombreuses à l'avenir. Avec les Jeux Olympiques de Turin et les championnats du monde de football en Allemagne, on verra une poussée très forte pour commencer cette activité en Europe, car derrière il y a tout le complexe industriel, et le développement de cette activité.

Après, il y a la télévision vers les avions, les trains, les bateaux. Il sera très difficile de courir derrière les bateaux, les avions, je vais le dire à notre ami d'Alcatel et heureusement qu'Alcatel s'occupe aussi de l'espace. A mon avis, ce sont les applications les plus intéressantes.

Si vous parlez à Lufthansa, à British Airways, pour aller vers l'Orient, vous n'aurez pas uniquement l'information, mais aussi Internet à bord de l'avion, grâce malheureusement à la connexion byBoeing. On attend une solution européenne.

Vous devez savoir - c'est la consolation - que vous passerez à travers un satellite Eutelsat, compagnie française. C'est très important, nous attendons de pouvoir faire une expérimentation avec la SNCF, Trenitalia, la Bundesbahn et aussi Virgin pour le haut débit sur les trains. Je pense que, bientôt, un de ces quatre chemins de fer européens va le faire et l'appliquer directement sur les trains.

C'est quelque chose de très important parce quand vous êtes dans un train à longue distance pendant trois, quatre, cinq heures, vous avez besoin de continuer à être en contact avec le monde extérieur sans déranger votre voisin avec le téléphone portable - c'est très important -, grâce à Internet ou par satellite. D'ailleurs pour les trains, le satellite est aussi l'unique application.

Quelqu'un dit que la TNT est notre compétiteur, car chez nous on achemine le signal vers les points de retransmission de la TNT, en France et en Italie, aujourd'hui par un satellite que nous avons acheté à France Telecom, Stellat. Il y a quelques années, on a transformé le renommé Atlantique VR3, nom très poétique, et maintenant il est utilisé pour cette application.

Certains disent que lorsque le MPEG-4 arrivera, à part la télévision haute définition, nous aurons des problèmes parce qu'avec la compression, la réduction de la bande de moitié, en restant au MPEG-2, nous aurons beaucoup moins d'applications qui passeront à travers le satellite.

Je suis un supporter du MPEG-4. Je pense en effet que le coût pour l'utilisateur est la chose la plus importante. Ce coût va diminuer de moitié par rapport au système actuel. Aujourd'hui un canal de télévision coûte entre 30 et 40 000 € par mois ; si ce coût peut passer à 15/20 000 € par mois, je pense que nous aurons beaucoup plus d'applications spatiales de l'image.

Il n'est pas nécessaire que ce soit l'entertainment et la télévision. Monsieur Achache nous a montré qu'il y a d'autres applications qui ne sont pas seulement de l'entertainment. Nous attendons tous que ces applications deviennent réelles. Pour cette raison, je pense que c'est la chose la plus importante, c'est-à-dire d'avoir la meilleure compression.

Nous ne faisons pas seulement de la télévision, on a aussi beaucoup parlé de la fracture numérique. Il y a une petite fracture en France, en Europe, mais la grande fracture numérique est dans le Tiers Monde, en Afrique, en Asie, dans tous les pays émergents et en voie de développement. Le satellite est l'unique solution apportée à ces pays.

Nous avons créé une filiale dédiée au haut débit, Skylogic, et contrairement à ce qui arrive à notre compétiteur, elle va très bien. Après dix-huit mois, elle est déjà productive, profitable ; elle a déjà contribué à notre Ebitda l'année dernière et cette année également à la productivité de notre compagnie. C'est un cas unique.

Concernant Skylogic, il y a une plate-forme à Turin, en Italie, qui sera la plus grande plate-forme haut débit du monde. Elle sera déjà fortement utilisée pour les Jeux Olympiques de Turin. Il y a en plus une autre plate-forme achetée à France Telecom à Rambouillet ; elle représentera les éléments au sol de la plate-forme que nous avons à Turin.

Nous espérons que ces opportunités vont continuer à augmenter. Je vous donne un chiffre : nous avons augmenté le chiffre d'affaires de Skylogic de 80 % dans l'année. En dix-huit mois, nous sommes devenus positifs en ce qui concerne notre rentabilité.

Après avoir parlé des applications actuelles, je voudrais passer à un deuxième point qui porte sur l' organisation de la politique spatiale .

Les télécommunications spatiales représentent une partie importante du chiffre d'affaires de l'industrie. Elles sont de 1,8 Md€ en Europe sur un total de chiffre d'affaires de 4,8 Md€.

Il faut penser que cet argent vient des consumers directement ou indirectement en passant par nous dans l'industrie spatiale ou par les autres - j'aimerais bien avoir 1,8 Md€ de chiffre d'affaires - c'est-à-dire que toutes les applications qui sont liées aux télécommunications, à la télévision, etc. représentent un tiers de toutes les dépenses engagées dans le spatial en Europe aujourd'hui.

Ce secteur est financé presque intégralement par les utilisateurs en aval. Il est cependant impossible que des compagnies comme la nôtre puissent être dédiées à produire de la technologie, car ce n'est pas notre rôle. Nous attendons de l'industrie qu'elle produise de la technologie - nous achetons ce que nous trouvons - et en particulier les agences spatiales européennes et mondiales.

Il faut que les industriels préparent cette technologie avec cinq ou dix ans d'avance, car la chose la plus importante est le « time to market ». Si on n'arrive pas à être sur le marché au bon moment, c'est inutile.

Dans le passé, nous avons vu le développement des missions spatiales expérimentales dans les domaines de la télécommunication. Malheureusement, quand on arrive à l'expérimenter c'est déjà trop tard parce qu'ailleurs ils sont déjà au stade de l'application. On a fait cela à l'époque d'Olympus dans les télécommunications.

Eutelsat est prêt à embarquer des nouvelles technologies - il l'a démontré dans le passé - directement dans le satellite opérationnel - et à prendre des risques comme nous en avons pris avec les nouveaux lanceurs. La dernière fois, cela ne s'est malheureusement pas bien passé, mais nous espérons bien que la prochaine fois, dans quelques mois, cela ira mieux.

Nous avons monté des technologies nouvelles, nous étions en particulier les premiers à monter un système avec traitement à bord en bande K, Automel 6. C'est un satellite que nous avons développé avec Alcatel et Alenia, qui après se sont mariés, mais on avait peut-être déjà célébré les fiançailles à bord de notre satellite.

Nous avons monté Skyplex à bord des ORD VR4.

Nous sommes prêts à monter et à utiliser Artémis pour essayer la bande S et à participer. J'ai une bonne nouvelle : nous avons été sélectionnés par l'Agence spatiale européenne parmi les finalistes de cette compétition. J'espère que ce ne sera pas comme pour Galileo et qu'elle sera brève - pour Alphasat.

Nous avons proposé de monter Paylod. je peux vous révéler les mystères de notre proposition en bande KA, en bande K et en bande F à bord d'Alphasat. C'est une très grande proposition.

Cela ne suffit cependant pas. Alphasat arrive malheureusement trop tard pour ces missions. Si pour cette petite partie du Paylod, nous réussissons à trouver un financement dans les agences spatiales nationales et européennes, nous sommes prêts à mettre à bord d'un de nos satellites, WVA, une charge utile en bande S.

Pourquoi est-ce que je parle tellement de cette charge utile en bande S ?

Nous avons parlé de la télévision DVDH dans les salons avec de grands écrans plats magnifiques pour réduire aussi la dimension et l'encombrement. Dans le futur très proche, nous aurons la possibilité d'avoir de la télévision sur les portables et la norme actuelle DVDH ne suffira pas parce que le nombre de canaux est insuffisant. Le nombre de multiplex qui peuvent être dédiés à la télévision sur les portables avec toutes les autres applications de la télévision terrestre numérique est très limité et la demande sera beaucoup plus grande.

Aujourd'hui nous avons heureusement des fréquences en bande S dédiées aux satellites. Nous pouvons faire comme en Corée et aux États-Unis, une prolongation de la liaison terrestre pour les zones très fortement urbanisées, enlever les vieux systèmes et créer un système européen le plus avancé du monde.

Eutelsat est prêt à embarquer sur un de ses satellites, les WVA, une charge utile de ce genre avec les restes de la charge utile pour commencer la mission dix-huit, vingt-quatre mois en avance par rapport à Alphasat, et à prolonger ces missions avec beaucoup plus de force sur le satellite Alphasat.

J'espère que cet appel va bien être entendu par notre agence spatiale et que cette dernière comprendra que même si Eutelsat est la société la plus productive au monde, elle a besoin d'avoir un développement de technologie fait par les agences spatiales parce que c'est là que sont l'origine et le coeur de tout le système.

Merci beaucoup.

M. Pierre Cohen - Merci Monsieur Berretta. Nous terminons cette table ronde avec l'intervention de Monsieur Olivier COSTE, Vice-Président du Business Development Strategy and Marketing à Alcatel Alenia Space.

8. M. Olivier COSTE, Vice-president Business Development, Strategy and Marketing, Alcatel Alenia Space

Monsieur le Président, Mesdames Messieurs les Parlementaires, merci beaucoup à l'Office parlementaire de nous avoir invités à un tel colloque sur des applications au service du citoyen, sujet qui nous est très cher.

L'Europe et la France en particulier ont développé une industrie du satellite au premier rang mondial, qui est très active pour favoriser le développement de nouvelles applications.

Je parlerai rapidement des sujets institutionnels qui représentent aujourd'hui deux tiers de notre chiffre d'affaires. Nous avons toujours été et restons très actifs pour développer de nouvelles applications dans le domaine de la science, de l'observation de la Terre, de la météorologie, de la défense.

Il y a également les domaines commerciaux, tout ce qui est télécommunications, qui représente aujourd'hui un tiers de notre chiffre d'affaires. Nous exportons dans le monde entier, en Chine, en Corée, au Brésil, dans les pays arabes, en Afrique, aux États-Unis. Nous sommes très en pointe pour apporter des nouvelles applications qui, aujourd'hui, sont la télévision fixe et les télécommunications avec de nouvelles évolutions sur lesquelles je reviendrai.

Nous sommes évidemment très actifs en ce qui concerne un certain nombre de sujets institutionnels pour développer de nouvelles applications. Je parlerai rapidement de Galileo, sujet sur lequel nous considérons, nous, Alcatel, qu'il y a un marché potentiel considérable pour les applications liées au positionnement par satellite.

Nous sommes déjà actuellement en expérimentation commerciale non seulement chez un certain nombre de grands clients opérateurs de télécommunications, qui veulent placer des puces Galileo de positionnement sur des terminaux portables, mais également chez des opérateurs d'infrastructures ferroviaires, qui veulent utiliser aujourd'hui EGNOS et demain Galileo pour faciliter le positionnement de leurs trains.

GMES est également un sujet sur lequel nous sommes très actifs pour favoriser le développement de nouvelles applications. Je parlerai en quelques mots d'applications sur l'océanographie, des applications marines qui en dérivent ou des applications relatives à la sécurité civile pour lesquelles nous promouvons également un certain nombre de solutions.

Aujourd'hui je vais faire un focus sur une application, une vente qui est présentée dans ce titre, c'est-à-dire la télévision mobile déjà longuement évoquée par M. Berretta dans sa présentation, ce dont je le remercie beaucoup.

Pourquoi cette référence spécifique à la télévision mobile ?

Le groupe Alcatel est présent et actif depuis de nombreuses années pour promouvoir le fait que la télévision peut aussi arriver dans les foyers par les réseaux de télécommunications fixes, par l'ADSL et que cela ouvre la porte à de nouvelles applications et de nouveaux usages de la télévision.

Nous sommes aujourd'hui des pionniers dans ce domaine et nous voyons également une évolution similaire dans le domaine de la mobilité. Cela veut dire que nous voyons - et il y a une certaine surprise de la part des principaux opérateurs - le succès que représente une offre de télévision sur les terminaux mobiles, sur votre terminal 3V que vous achetez à la FNAC ou votre opérateur de télécoms favori.

Il y a eu un réel succès depuis le lancement de la 3G ; on ne parle pas d'un marché futur, mais d'un marché qui existe aujourd'hui. Les clients qui achètent aujourd'hui des téléphones 3G l'utilisent principalement pour regarder la télévision. Et dans des expérimentations en mode broadcast qui sont lancées dans le nord de l'Europe, les personnes utilisent leurs terminaux mobiles pour regarder la télévision vingt minutes par jour.

Nous considérons que dans sept à dix ans, un tiers de la population qui a aujourd'hui un téléphone mobile aura acheté un abonnement pour recevoir une quinzaine, une vingtaine ou plus de chaînes sur le terminal mobile. Ce sont des terminaux qui ont légèrement évolué par rapport aux petits écrans d'aujourd'hui, mais qui sont disponibles sur une offre 3G.

Cela nécessite l'apport d'une offre illimitée en nombre de chaînes, en termes de couverture et d'audience du nombre de personnes qui peuvent écouter ou regarder la télévision sur leurs terminaux mobiles. Or aujourd'hui, ce n'est pas possible avec les réseaux de troisième génération qui sont en place. Dès qu'on parle d'un nombre illimité d'usagers et de chaînes, il y a des limitations auxquelles il faut faire face, d'où la nécessité de mettre en place de nouvelles infrastructures.

Quelles sont les caractéristiques de ce nouveau marché que nous considérons comme devant devenir un marché de masse à horizon de cinq à dix ans ?

D'une part, il y a un besoin d'accessibilité universel. Il faut que l'on puisse recevoir la télévision sur son téléphone mobile que l'on soit chez-soi, dans son bureau ou dans des bâtiments, et même dans des bâtiments de zone dense en zone urbaine, à la campagne, en déplacement, partout sur le territoire. C'est une vraie caractéristique d'une offre de mobilité.

Un deuxième élément est que les consommateurs auront envie d'une très grande diversité de chaînes ou d'offres, ce qui nécessite des infrastructures capables de délivrer un nombre illimité de chaînes.

Enfin il faut que tout ceci soit facile pour l'utilisateur, simple, totalement transparent et ce, qu'il veuille téléphoner, faire des jeux interactifs avec son téléphone, regarder LCI ou le dernier film à la mode. Tout ceci doit être extrêmement simple pour l'utilisateur, d'où des terminaux qui doivent offrir cela de manière parfaitement intégrée.

A cause de tous ces facteurs, nous considérons que le meilleur moyen de répondre à cette attente du marché - encore une fois, il est déjà là aujourd'hui et il est en train de se développer rapidement - est d'avoir une architecture que nous appelons hybride. Cette architecture utilise des satellites et des répéteurs terrestres.

Nous avons besoin du satellite pour assurer la couverture universelle du territoire. C'est le seul moyen économique raisonnable pour assurer une couverture totale du territoire. C'est un élément clef, également en termes d'égalité d'accès des citoyens à ces nouveaux services.

Le satellite ne suffit cependant pas lorsque vous voulez apporter cette offre de télévision dans cette salle parce qu'il y a trop d'étages au-dessus. Vous avez donc besoin également de répéteurs terrestres, de répéteurs similaires aux stations de base des réseaux de téléphonie cellulaire actuelle, qui répètent le signal, le renvoient et assurent la pénétration à l'intérieur des bâtiments.

Nous considérons que ce type d'architecture hybride est celui qui est le mieux à même de répondre à l'attente du marché.

Je précise également que le type de satellite dont nous parlons est un satellite de forte puissance. C'est exactement les satellites que l'Europe est en train de développer en termes de nouvelle gamme. C'est fait conjointement entre Alcatel Alenia Space et EADS Astrium grâce à un programme de l'ESA soutenu par le CNES et l'ASI. C'est une opportunité importante pour l'industrie européenne.

Ce n'est pas totalement nouveau. C'est très innovant, mais il y a déjà des expériences qui montrent le succès que peut avoir ce type d'offres d'un point de vue commercial.

Je parlerai d'abord des exemples américains avec deux acteurs - XM Radio et Sirius - qui se sont lancés il y a quatre ans dans une offre de radio par satellite sur le marché américain. Ils offrent chacun 150 chaînes, un bouquet de chaînes de radio payante, de l'ordre de 13 $ par mois. Depuis quatre ans, ils ont un succès commercial considérable, à eux deux, ils ont sept millions de clients aujourd'hui et en attendent neuf à la fin de l'année, la période de Noël étant toujours une période de grand boom commercial sur ce type d'offres. XM Radio et Sirius valent l'un et l'autre autour de 8 Md$ en bourse aujourd'hui, c'est un succès considérable.

En Corée et au Japon plus récemment, les opérateurs ont lancé des bouquets de télévision et radio mixtes avec cette architecture hybride, c'est-à-dire satellite plus répéteur terrestre.

En Corée, le service a été lancé en mai cette année. Ils ont déjà 200 000 clients et en attendent environ 500 000 pour la fin de l'année, ce qui est là aussi un taux de pénétration très rapide.

Ce type de système existe déjà, montre déjà sa solidité et nous considérons qu'en Europe, nous pouvons faire quelque chose que je vais vous présenter et qui est encore plus innovant avec encore plus de capacités.

Comment se construit ce que nous proposons ?

Tout d'abord, cela se construit sur la base d'une norme qui est une légère évolution du DVBH qui est ce qui est expérimenté aujourd'hui avec des solutions terrestres. Cette évolution permet d'offrir suffisamment de capacités sur les satellites. Ce système utilise également ce qu'on appelle la bande S, c'est-à-dire des fréquences juste à côté des fréquences utilisées par les opérateurs mobiles pour faire de la téléphonie de troisième génération. Ce sont des fréquences adjacentes qui, aujourd'hui, sont disponibles à l'échelle de l'Europe de manière harmonisée et qui peuvent être utilisées pour développer de nouveaux systèmes typiquement avec la couverture présentée sur ce graphique.

Ce type de système permet non seulement de diffuser des contenus multimédia des chaînes de télévision, de la radio ou des services plus évolués à l'ensemble des consommateurs, mais également d'avoir une aide à la gestion de crise.

Cela permet :

- d'envoyer des alertes aux populations de manière sûre parce que, quoi qu'il arrive, les réseaux par satellite fonctionnent ;

- d'assurer de l'information spécifique à des groupes de sécurité avec des systèmes qui ont des voies de retour passant par le satellite, qui, quel que soit le lieu, fonctionnent donc dans toutes les circonstances avec une couverture totale ;

- d'avoir une communication véhiculaire grâce à une voie de retour sécurisée.

Ce sont des applications qui seront également très importantes pour le citoyen.

Quels sont les systèmes qui peuvent être mis en place pour apporter la télévision à des terminaux mobiles ?

Pour faire simple, il y a trois systèmes : les deux premiers sont purement terrestres et le troisième est un système hybride par satellite et répéteur terrestre.

Pourquoi est-ce que je présente cela ?

Je le présente parce que, traditionnellement, on voit la difficulté qu'il y a à mettre en place des réseaux hybrides par satellite au moment du démarrage à cause de l'importance des investissements et de la prise de risque que cela représente pour les opérateurs commerciaux.

En général, c'est dans cette période d'hésitation que se développent des solutions Terrestres qui, au bout de trois ou quatre ans, sont déployées sur une partie importante du marché. Elles n'assurent pas une couverture totale, mais rendent néanmoins obsolète le déploiement d'un système optimal par satellite.

C'est la raison pour laquelle nous estimons qu'il est important que le cadre public réglementaire soit mis en place de la manière la plus efficace et la plus rapide possible pour favoriser de tels investissements qui, encore une fois, permettent ce type d'infrastructures dans les meilleures conditions possible et que l'on considère également que cela peut être le rôle des agences d'aider au démarrage du lancement de ce type de systèmes.

Je rends hommage à ce qu'a dit M. Berretta et à sa proposition auprès de l'Agence spatiale européenne pour faire démarrer un tel système avec la collaboration des agences européennes et nationales.

Il me semble que c'est un élément très important pour favoriser le déploiement de tels systèmes qui sont optimaux en termes d'usage pour le consommateur et très importants pour le développement de l'industrie spatiale européenne et des emplois associés.

Je passe rapidement sur l'intérêt de cette solution par son intégration avec les réseaux de télécoms existants et vais terminer en rappelant les principaux avantages de cette solution que nous proposons :

- une couverture sans limite, une couverture complète du territoire et une pénétration dans tous les lieux,

- une capacité importante sur laquelle je n'ai pas assez insisté. Cette offre permet de compléter ce qui est en train d'être fait aujourd'hui avec un nombre de chaînes significatif : 18 chaînes en couverture nationale, 54 chaînes en couverture urbaine en plus de ce qui est permis par les réseaux de troisième génération ou les réseaux terrestres qui seront mis en place,

- une aide à la gestion de crise, nous l'avons évoqué,

- des fréquences disponibles à l'échelle européenne. Et c'est toujours un enjeu important de disposer de fréquences à l'échelle européenne pour pouvoir déployer des systèmes avec suffisamment d'effet d'échelle,

- une intégration et une compatibilité avec les réseaux mobiles,

- une technologie européenne,

- des emplois européens au service de solutions qui devraient déjà être promus dans le monde entier. Et nous sommes déjà en dehors de l'Europe dans des expérimentations concrètes avec un certain nombre de nos clients.

Je vais m'arrêter là.

M. Pierre Cohen - Je voudrais tous vous remercier, je vous propose de faire la pause et de nous retrouver à 17 h 00 pour pouvoir finir dans les temps.

Merci beaucoup et merci encore à tous les intervenants.

(La séance, suspendue à 16 h 45, est reprise à 17 h 00)

B. DEUXIÈME TABLE RONDE : QUEL ESPACE DE LA DEFENSE ?

Président : M. Henri REVOL

Compte tenu de ses implications de confidentialité, de souveraineté des États, voire de secret, c'est un sujet que nous avons parfois des difficultés à aborder. Mais étant donné l'importance de ce secteur dans les applications de l'espace, nous avons quand même souhaité l'évoquer et je remercie les éminents intervenants de cette table ronde qui vont nous donner leur point de vue sur ce sujet.

L'espace en matière de défense, c'est permettre d'écouter, d'observer sans poser de problèmes de violation de territoire national, de se déplacer grâce aux systèmes de navigation, donc de bien coordonner les interventions. Il permet de communiquer sur tous les points du monde.

Il faut constater le rapprochement entre défense et sécurité intérieure, notamment avec les problèmes posés par la montée du terrorisme international. Par conséquent il apparaît vital et possible de développer une défense européenne. C'est un sujet difficile, un sujet de fond.

Sur quelle base peut-on concevoir cette politique de défense ?

Quelles sont les pistes de réflexions sur lesquelles j'espère que les intervenants reviendront pour les confirmer ou les infirmer ?

Défense à géométrie variable ?

Certains pays s'impliqueraient plus que d'autres en fonction de leur position en matière de défense. Cela implique de :

- développer au maximum toutes les applications duales, pour réduire les coûts et satisfaire tous les besoins,

- favoriser une meilleure coopération entre les systèmes de défense et utiliser les spécialisations de chacun pour éviter les redondances. Il s'agit d'asseoir la crédibilité de l'Europe spatiale de la défense aux yeux des États membres qui y sont réticents et qui utiliseront toujours l'argument des doublons, peut-être pour ne pas faire avancer les dossiers,

- renforcer l'aspect institutionnel. Il existe déjà l'Agence de défense européenne, mais il s'agit d'en faire une politique à part entière de l'Union européenne,

- augmenter les budgets : 1 Md€ dépensé seulement chez nous en Europe contre près de 20 Md$ aux USA, et ce n'est pas assez pour rendre l'Europe spatiale de la défense crédible, d'autant que se pose le problème de l'autonomie des entreprises européennes qui travaillent pour la défense.

Si on veut s'assurer de la pérennité de notre industrie européenne militaire alors même qu'elle est complètement dépendante des commandes étatiques, il faut lui assurer un certain montant de dépenses pour maintenir et améliorer son savoir-faire.

Pour nous en parler je vais en premier lieu passer la parole au Général BOTONDI que je remercie beaucoup. C'est très intéressant d'avoir aujourd'hui le point de vue italien puisque votre pays, Général, constitue un des piliers les plus solides de la défense spatiale européenne et a montré l'exemple de collaborations réussies avec la France à travers l'échange de moyens satellitaires.

1. Général BOTONDI, Directeur national de l'armement de l'armée italienne

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Madame la Ministre, c'est pour moi un grand plaisir de m'adresser à un auditoire aussi qualifié.

En Italie, je suis Secrétaire général de la défense et responsable de la coordination administrative du ministère. Je suis aussi Directeur national de l'armement et, en tant que tel, responsable de la recherche technologique de programmes en coopération et de l'acquisition au sein des armées.

Avec cette dernière casquette, je vais vous parler très brièvement des perspectives italiennes dans l'utilisation de l'espace au sein de la défense.

Le développement évident de la qualité des services offerts par les plates-formes spatiales rend ces outils de plus en plus importants aux fins de l'enrichissement et de la consolidation du patrimoine de formation des différents pays, dont on peut bénéficier à des fins et usages aussi bien militaires que civils.

Ce domaine est en fait en extension permanente, entraînant des retombées sur une vaste gamme de domaines d'activités comme nous l'avons vu cet après-midi. Ces activités embrassent nombre de secteurs, du contrôle de l'environnement à la production des cartographies, du champ d'identification et de la vérification des ressources à celui des systèmes de communication, de l'aide à la navigation aux applications à des fins de renseignements.

Les implications en matière de sécurité nationale de plusieurs activités satellitaires ou associées sont tout à fait évidentes. Pour cette raison, l'ensemble des systèmes fondés sur des plates-formes satellitaires méritent la plus grande attention de la part des organes et des spécialistes de la défense et de la sécurité nationale.

Dans un cadre de ressources limitées surtout et comme nous venons de le voir, par rapport aux États-Unis, nous sommes tous persuadés qu'à une menace globale et transversale, il faut répondre avec autant de globalité et de transversalité en harmonisant et en partageant les outils aptes à la contrecarrer, y compris technologiques.

A cette fin, nous devons être en mesure de définir conjointement les ripostes aptes à faire face à ce défi en regroupant nos ressources et en ayant de plus en plus recours aux innovations technologiques et à des politiques d'approvisionnement efficaces.

Il faut donc exploiter des pôles d'excellence technologiques, industriels et opérationnels rendant efficace, compétitive et productive la base industrielle correspondante.

De plus, il est important de prendre en compte non seulement la mise en oeuvre spécifique des applications militaires « défense », mais aussi, face à l'évolution de la menace axée sur le nouveau terrorisme, la mise en oeuvre des applications destinées à la protection du territoire et des populations : homeland security .

L'espace est un secteur dans lequel il y a beaucoup de points communs entre la technologie militaire et civile, ce qui permet une meilleure exploitation du concept d'application duale et entraîne la synergie entre les deux mondes en vue d'obtenir des systèmes technologiquement plus avancés à un coût inférieur comportant des avantages évidents pour les deux.

Les domaines technologiques et les outils opérationnels correspondants, aptes à soutenir et à corroborer un effort commun à ce scénario, sont multiples même si certains d'entre eux revêtent une importance particulière.

Le premier pas à franchir est en tout cas celui de la connaissance de la situation. A cette fin, les technologies et les systèmes innovateurs qui entrent en jeu dans ce domaine, concernent surtout le secteur de l'observation de la Terre, des communications et de leur sécurité, et des capteurs associés.

Dans le cadre de la lutte commune contre une menace globale, il s'agit de technologies et de systèmes souvent duaux qui peuvent donc faire l'objet d'échanges parmi des pays et des organisations différentes aussi bien dans le domaine des connaissances de base que dans celui de l'exploitation des ressources disponibles.

Dans ce cadre, les programmes de l'observation de la Terre revêtent une importance capitale. En effet les récentes crises internationales ont mis en lumière la nécessité de disposer des systèmes d'observation en mesure de fournir un cadre de situation fiable et complet, apte à satisfaire les besoins de l'ensemble des acteurs engagés sur des scénarios de plus en plus vastes.

Les images satellitaires depuis longtemps très exploitées lors des engagements militaires classiques, notamment en vue de la préparation et de la projection des forces sur les théâtres d'opération, ont récemment acquis une importance renouvelée et accrue en s'affirmant en tant que source essentielle de renseignements et de données pour l'accomplissement de la mission institutionnelle confiée aux organes préposés à la défense et à la sécurité nationale.

De plus, les récents attentats terroristes sur la scène internationale ainsi que la lutte pour l'affirmation de la maîtrise de l'information moyennant la réalisation de plates-formes à intégrer dans l'architecture C4 ISTR, ont mis en évidence combien il est important que les niveaux décisionnels puissent disposer, dans les plus brefs délais, d'un cadre de situation exhaustif en mesure de représenter n'importe quel théâtre d'opération mondial.

Cela signifie que les systèmes spatiaux doivent de plus en plus constituer un ensemble homogène pleinement intégré avec les systèmes « non spatiaux » en vue de l'obtention des capacités finalisées aux besoins de l'utilisateur final.

En outre, un des avantages majeurs du satellite réside dans sa discrétion. Au contraire et différemment d'un aéronef, grâce à sa capacité de ne pas violer l'espace aérien, il permet d'obtenir des renseignements sur des zones géographiques partout dans le monde de manière discrète et non intrusive.

En Italie, les financements limités dans les domaines de la recherche et du développement ainsi que les constats des orientations et des priorités dont font état les lignes directrices pour la politique scientifique et technologique nationale ont amené à essayer d'identifier des formes d'intégration de la recherche à caractère militaire dans le contexte plus ample du problème national de recherche à travers une initiative complémentaire, tels les partages de ressources et l'établissement des programmes duaux conjoints.

Par conséquent, la défense italienne a lancé un rapport optimal de collaboration étroite avec le ministère de l'université et de la recherche. Dans ce contexte, l'administration militaire joue un rôle d'élément actif de planification, promotion et gestion des activités de recherche aérospatiale relevant de son champ d'intérêt direct.

Le programme Cosmo-SkyMed est un exemple concret d'application duale susceptible d'être exploitée aussi bien pour des exigences institutionnelles - maîtrise des risques d'environnement, sécurité, défense - que pour des applications scientifiques et commerciales.

En outre ayant vérifié au cours de la réunion bilatérale que le ministère de la défense français avait un besoin semblable à celui des Italiens et prenant en compte les besoins civils des ministères de la recherche italien et français, en 2001 les deux chefs de gouvernement ont signé à Turin un accord pour l'observation de la Terre à usage dual fondé sur les programmes des petits satellites avec des capteurs radars italiens - les quatre satellites Cosmo-SkyMed - et optiques français - les deux satellites Pléiades. Suite à la ratification du Parlement italien, l'accord est devenu une loi de l'État italien en janvier 2004.

L'accord intergouvernemental a même permis à la défense italienne d'avoir accès au système militaire français Hélios II en échange de l'accès de la défense française au mode militaire de Cosmo-SkyMed. C'est ainsi que pour la première fois, on a réalisé en Europe un échange de moyens satellitaires entre deux pays concernant des systèmes développés chacun avec ses propres ressources nationales.

Le ministère de la défense italien et l'Agence spatiale italienne ont donc su saisir les opportunités qui se sont présentées sur les nombreux scénarios internationaux. Même si le concept dual représente une excellente solution sur le papier, il n'existe pas aujourd'hui de système d'observation de la Terre doté de cette capacité, si ce n'est comme retombée a posteriori du secteur civil ou militaire sur l'autre. Cosmo-SkyMed représente donc la première application duale d'observation de la Terre.

En ligne avec la politique spatiale européenne, la défense italienne a développé son plan spatial pour la période 2005-2015 dans le but d'identifier les systèmes et, là où c'est possible, les programmes spatiaux contribuant à acquérir les capacités nécessaires dans une perspective de complète intégration avec les systèmes terrestres, navals et aéronautiques existant ou planifiés.

En substance, les plans visent à établir la répartition du besoin opérationnel sur un ou plusieurs systèmes spatiaux intégrés avec des systèmes non spatiaux. Ils constitueront ainsi les cadres de référence pour le développement et les acquisitions futures conduits aussi bien directement qu'à travers des coopérations nationales et internationales.

Pour l'essentiel, la nécessité d'avoir un plan unique pour les activités amenées dans le domaine spatial découle de la spécificité d'emploi de moyens spatiaux et de leurs retombées non seulement sur de vastes secteurs de capacités militaires, mais aussi sur les progrès technologiques en nombre de secteurs industriels.

La mise en oeuvre du plan spatial de la défense s'intègre aussi dans le plan spatial national élaboré par l'Agence spatiale italienne - nous en avons écouté le Président, M. Vetrella, aujourd'hui - auquel la défense a contribué en vue de rechercher des synergies avec le secteur civil.

Les concepts duaux formulés par la défense ont été intégrés dans le nouveau plan spatial national de l'Agence spatiale italienne couvrant la période 2006-2008, avec des projections jusqu'en 2015, qui matérialisent par conséquent l'ensemble des besoins nationaux. En outre, le plan participe à la réalisation des systèmes prenant en compte les nécessités de l'Union européenne afin d'obtenir un niveau d'intégration relevé parmi les différents programmes nationaux et multinationaux dans les divers secteurs de l'activité spatiale, tel celui des plates-formes, des charges utiles, des lanceurs, des segments terrestres et des systèmes de commandement et de contrôle.

Pour conclure, nous pouvons affirmer que bien qu'étant dans un cadre de pauvreté de ressources, la défense italienne a clairement indiqué les objectifs à atteindre dans les domaines spatiaux à l'horizon 2015, dans un contexte essentiellement européen.

Notre intention est d'exploiter l'expérience positive des coopérations notamment avec les pays partenaires des programmes Hélios I et II pour lancer de nouveaux programmes européens dans le domaine de l'observation de la Terre et des télécommunications.

Nous souhaitons également valoriser au maximum les succès des collaborations avec l'Agence spatiale italienne, dans le cadre du programme Cosmo-SkyMed, en s'inspirant d'elle pour mettre en oeuvre, même au niveau européen, la dualité dans toute l'acception du terme, à travers une collaboration de plus en plus poussée entre le monde civil et celui de la défense et de la sécurité.

L'espace représente donc une dimension stratégique contribuant à atteindre l'objectif de rendre compétitive l'économie européenne en mettant l'accent sur l'innovation, les sciences, la recherche spatiale, l'observation de la Terre et les applications duales, à travers une synergie de plus en plus poussée dans le monde civil et militaire.

Merci de votre attention.

M. Henri Revol - Merci, Général, de nous avoir fait partager cette expérience remarquable de coopération au sein de pays européens sur des programmes duaux civils et militaires.

Je vais maintenant passer la parole à l'Amiral POULAIN. Lorsque nous avons réalisé un premier rapport sur l'espace en 2000, au sein de l'Office parlementaire, nous avions souhaité dans nos recommandations qu'une partie espace soit bien identifiée au sein de notre état-major. L'Amiral Poulain dirige cette structure et je suppose qu'il va avoir des choses très intéressantes à nous dire. Je lui donne la parole.

2. Amiral Guy POULAIN, Adjoint espace, État-major des armées

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, je remercie les organisateurs de m'avoir invité parce que je suis un utilisateur et que je vais donc parler en tant qu'utilisateur de l'espace, mais aussi et comme vous l'avez dit, en tant que responsable au sein de l'état-major des armées (EMA).

L'espace de la défense n'est pas considéré comme un système de forces en tant que tel. Les télécommunications spatiales sont généralement gérées par la communauté des personnes qui s'occupent des systèmes d'information et l'observation, elle, est plutôt gérée par la communauté du renseignement.

Pour ce qui nous concerne en France, aujourd'hui, l'espace appartient au système de forces qu'on appelle des systèmes d'information et de commandement, d'une façon générale.

Aujourd'hui, l'espace de la défense au niveau européen est la somme d'initiatives nationales avec quelques touches de coopération et complétée par l'usage de services commerciaux. Pourtant la coopération, la dualité sont des mots clefs que nous avons dans la réflexion pour la construction des futurs systèmes.

Si, en 2015, nous voulons avoir un espace de défense plus commun, plus européen, il sera certainement nécessaire de repenser l'espace en termes d'expression de besoins et certainement en termes de procédure d'acquisition des systèmes ou de services.

Notre ministre de la défense, Mme Michèle ALLIOT-MARIE, a rappelé récemment le contexte et fixé le cadre de notre réflexion et de notre action. Elle a rappelé l'enjeu stratégique de l'espace au coeur des systèmes d'information et de commandement.

Nous savons bien que la maîtrise des opérations nécessite la maîtrise de l'information, et de ce fait celle de l'espace. Cette maîtrise de l'information passe par le fait que nous voulons raccourcir drastiquement les boucles décisionnelles d'appréciation et d'action. La France est grand utilisateur de l'espace, pour les militaires, et leader dans le domaine. Elle doit certainement montrer l'exemple afin de mieux pouvoir partager les efforts au niveau de l'Europe.

L'espace a pris une grande part dans les différents domaines nécessaires à l'action militaire. Cette part a été largement décrite dans les différents plans pluriannuels spatiaux et actuellement dans le plan de prospective à trente ans. Ce sont les télécommunications, l'observation, la surveillance de l'espace, l'écoute, l'alerte avancée. Et pour ce qui est de l'environnement, c'est la navigation, la localisation, la référence de temps, la météorologie, l'océanographie, la géographie.

Par cette participation dans les différents domaines, l'espace contribue aux grandes fonctions stratégiques de la défense que sont la dissuasion, la prévention, la protection et la projection.

Il faut reconnaître aujourd'hui que les projets nationaux ne couvrent pas l'ensemble de toutes ces fonctions. Devant ce constat d'insuffisance, de l'évolution du contexte international avec des conflits de plus en plus asymétriques dépassant largement les frontières des pays concernés, de l'évolution de la typologie des crises impliquant de plus en plus le milieu urbain surtout lors des opérations de retour à la paix, de l'avènement des nouvelles technologies de l'information, il est nécessaire d'adapter l'espace de la défense aux réels besoins des forces qui seront engagées dans des crises dont nous ne connaissons ni le lieu ni la nature et dont nous ne connaissons pas non plus la structure de commandement qui sera mise en place pour la traiter.

Il nous faut certainement décloisonner l'espace du stratégique vers plus de tactique en faisant des forces de réels demandeurs d'espace, ceci afin d'éviter de nous faire rappeler trop régulièrement le coût du spatial pour un service souvent trop confidentiel.

Depuis 2003, la défense progresse fortement au niveau européen ; nous avons bien sûr :

- le Livre Blanc sur l'espace rappelant l'enjeu stratégique de l'espace pour l'Europe ;

- une même définition des menaces et objectifs de sécurité et de défense de l'Union européenne ;

- l'Agence européenne de défense qui va accroître son action en intégrant les différents groupes de réflexion sur les capacités nécessaires à la sécurité et à la défense de l'Europe.

Mais la tâche pour coordonner une action certainement plus commune est difficile. En effet, dans le domaine des télécommunications, les nations ont des approches différentes au niveau des satellites, des stations sol et de leur raccordement au système d'information et de commandement.

L'accroissement des débits est inévitable avec l'arrivée de nouveaux vecteurs comme les drones ou des opérations infocentrées exigeant non seulement des autoroutes de l'information, mais aussi le recueil de données de capteurs élémentaires.

Une nouvelle génération est en cours de lancement et nous avons assisté récemment au lancement de Syracuse 3A. Son renouvellement arrivera principalement autour de 2020.

Dans le domaine de l'observation, la complémentarité des différents systèmes optiques radars de plusieurs pays ne sera réelle que dans les années 2008 et le renouvellement de cette génération est à prévoir dès l'horizon 2015.

Dans d'autres domaines, il faut bien sûr soutenir les projets actuels, mais aussi combler certaines lacunes. Je pense essentiellement à l'écoute. De façon générale, les prochains défis dans ces domaines concerneront certainement l'identification des objets, le temps de revisite et le suivi des vecteurs de menaces.

Comme nous venons de le voir, les investissements nationaux risquent de limiter une initiative commune à l'horizon 2015.

Quelles ambitions pourrons-nous avoir pour 2015 ?

La première chose est de nous assurer l'accès à l'espace, de consolider ce que j'appelle l'infrastructure spatiale européenne.

Le deuxième point est de mettre en place quelques principes solides au niveau opérationnel, précisant d'abord le rôle de l'espace à travers le nouveau contexte international et aussi de connaître la répartition entre les différents vecteurs, je pense spécialement aux drones.

Je pense que la deuxième recommandation pourrait être la mutualisation d'accès à l'information brute, c'est-à-dire en fédérant les segments de sol, ce qui ne supprime pas l'autonomie nationale d'appréciation, de décision et d'action, et enfin en définissant le réel besoin d'information en fonction de l'organisation de défense européenne.

Je terminerai ces ambitions en disant qu'il faudrait effectivement couvrir l'ensemble du spectre des besoins stratégiques pour avoir une bonne vision commune.

Je termine enfin mon propos sur deux points.

Il faut d'abord bien rappeler que l'espace est le premier élément de cohérence des systèmes d'information et de commandement et que grâce à sa nature technologique globale, c'est certainement une des clefs de l'interopérabilité.

Le second point - et nous l'avons dit tout au long de ce colloque - est que cela se prépare dès maintenant et qu'il est très important aussi pour nous de savoir quel est le partage d'informations que l'on peut faire entre les nations.

Merci.

M. Henri Revol - Merci pour ce message, il faut que nous arrivions à obtenir ces moyens duaux de maîtrise de l'information débouchant sur l'action par coopération.

Je passe maintenant la parole à M. l'Ingénieur général Charles de LAUZUN, de la Délégation générale à l'armement, qui travaille au contenu de la politique spatiale européenne de défense. Je le remercie de bien vouloir nous présenter les grands axes du futur ainsi que les défis auxquels est confrontée cette politique spatiale de défense du futur.

3. M. Charles de LAUZUN, Ingénieur général, Délégation générale à l'armement

Bonjour Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs, je suis très heureux d'être ici également.

Comme vous le constaterez, il y a beaucoup d'éléments sur l'analyse qui sont communs à ceux de l'Amiral Poulain. Ce n'est pas un hasard, c'est simplement parce que nous partageons une analyse commune.

Le premier point et notre source d'inspiration commune le soir, le week-end, est le discours très fort de Mme la Ministre de la défense lors du lancement du satellite Hélios II, je ne vous en reparlerai pas.

L'espace est une position remarquable pour observer, écouter et communiquer, c'est un enjeu majeur pour la défense et la sécurité.

C'est un constat partagé en Europe, ce qui est un peu une innovation par rapport à il y a quelques années où le consensus sur l'importance de l'espace était moins présent chez nos partenaires. Nous déduisons de ce constat que, comme l'Amiral l'a rappelé, il faut un développement des capacités.

Le budget spatial militaire en Europe est aux alentours de 1 Md€ par an. Il y a des moyens spatiaux nationaux en particulier dans le domaine des télécoms, et des développements en coopération, en particulier dans l'observation de la Terre.

En ce qui concerne les télécommunications spatiales :

- les technologies de base sont maîtrisées,

- le marché Satcom Défense, c'est-à-dire les satellites de télécommunications de défense, existe en Europe avec :

. Syracuse pour la France,

. Skynet 5 pour la Grande-Bretagne,

. Sicral pour l'Italie,

. Satcom Bw pour l'Allemagne,

. Hispasat pour l'Espagne,

- il y a un éventail de moyens nationaux,

- il y a également une offre de services commune entre la France, l'Italie et la Grande-Bretagne vis-à-vis de l'OTAN. C'est donc un modèle de coopération un peu a posteriori qui s'est développé.

Dans le domaine de l'observation de la Terre il y a un leadership français dans le domaine optique avec :

- toute la famille Spot, de Spot I à V y compris HRS, haute résolution stéréo ;

- la famille Hélios I et II dans le domaine militaire avec une coopération entre la France, l'Italie, la Belgique, l'Allemagne et l'Espagne ;

- Pléiades, satellite système dual avec un partage des capacités civiles militaires, entre la France et l'Italie.

Dans le domaine du radar, il y a un leadership en Italie et en Allemagne avec :

- SAR-Lupe pour l'Allemagne et un partage de capacités entre la France et l'Allemagne ;

- Cosmo-SkyMed et un partage de capacités entre la France et l'Italie.

Il y a une disponibilité de ces moyens satellitaires jusqu'en 2015 environ, si bien qu'il faut penser dès maintenant à lancer la nouvelle génération puisqu'il faut environ huit à dix ans pour concevoir et opérer une nouvelle génération de systèmes d'observation de la Terre.

Les enjeux pour le futur

Je reprendrai très rapidement les éléments indiqués par l'Amiral :

- réponse à des besoins croissants, en particulier :

- opérations en réseaux centrés, utilisation des drones,

- projection des forces,

- un passage du renseignement stratégique vers aussi le renseignement tactique.

Une utilisation optimale des moyens spatiaux, c'est-à-dire :

- ne pas avoir de moyens spatiaux isolés, mais rechercher la complémentarité et la cohérence avec les autres moyens disponibles pour avoir une optimisation des coûts et des performances pour les drones ou les moyens sols ;

- les actifs spatiaux coûtant cher, il est important d'en maîtriser la dépendance et la vulnérabilité.

Le spatial est un moyen essentiel pour avoir l'autonomie européenne en matière de défense et sécurité.

L'observation de la Terre

Je dirai quelques mots sur la génération suivante, donc post-Hélios.

Nous travaillons avec le CNES sur cette nouvelle génération. Des progrès très importants sont accessibles, en particulier via la reprise des innovations technologiques de Pléiades ; nous pouvons espérer :

- une amélioration de la résolution en gros d'un facteur 2 par rapport à Hélios si bien que nous atteindrions un niveau de performance similaire à celui des photos aériennes ;

- une amélioration du nombre d'images par orbite d'un facteur 5 à 10 grâce à la flexibilité des satellites ;

- une réduction du coût de deux, qui est un objectif ;

- une augmentation de la durée de vie.

Nous avons vraiment un saut de génération et un système qui a des performances assez exceptionnelles et que nous cherchons à concevoir dans une optique duale.

Deux-points sont à améliorer à l'échéance de 2015 :

Le segment sol commun avec la nécessité de disposer d'un segment au sol permettant d'opérer l'ensemble des satellites et de disposer des images de l'ensemble des satellites afin que les utilisateurs puissent « oublier » le satellite pour s'appuyer essentiellement sur les images.

Nous avons là une analyse commune avec nos partenaires sur l'importance de ce point. Nous avons également à travailler ensemble sur les moyens d'arriver à mettre au point ce point sol commun qui n'est pas aussi simple que cela au plan technologique.

Le traitement automatique des données. Il ne s'agit pas uniquement de disposer de l'information, encore faut-il la traiter quasiment en temps réel et donc réduire le cycle d'accès à l'information qui intéresse l'utilisateur. C'est clairement un domaine dual.

Il y a là peut-être une ouverture à prendre en compte dans les travaux GMES puisque cette préoccupation du traitement automatique des données est commune à l'ensemble du secteur.

S'agissant des besoins nouveaux à satisfaire, j'ai mis des points d'interrogation puisqu'on sort de l'actuelle loi de programmation.

Dans le domaine des télécommunications à très haut débit et relais pour drone, nous travaillons avec le CNES sur un projet Athena de satellite de télécommunications à haut débit en bande KA qui serait susceptible de satisfaire ces besoins.

Dans le domaine de l'écoute Sigint, nous avons lancé deux démonstrateurs. Le premier est Essaim qui a été lancé à la fin 2004 dans le domaine basse fréquence. Le deuxième, Elint, que nous développons et cofinançons en commun avec le CNES, doit être lancé d'ici à quatre ans. Suite à ces démonstrateurs, se pose la question d'un déploiement opérationnel.

Dans le domaine de la navigation localisation, il y a la question de l'exploitation opérationnelle du PRS de Galileo et de la maîtrise de la sécurité.

La surveillance de l'espace dans un cadre dual. Pour une fois les spécifications de l'espace civil concernent le suivi des débris et sont donc d'un ordre de grandeur dix fois plus important que les nôtres. Nous serions donc sans doute un peu plus suiveurs dans ce domaine.

L'alerte qui est à concevoir se situe dans un cadre plus général de la DAMB.

Le maintien de l'excellence technique nécessite, me semble-t-il, d'avoir une politique active de R&T et de démonstrateurs en vol à mener au niveau de l'Europe. Nous l'avons menée en France depuis quelques années et il faut l'élargir au niveau de l'Europe.

Il y a la question de la montée en puissance de l'Agence européenne de défense et de l'Union européenne dans le domaine de la R&D spatiale et de sécurité.

J'aborderai maintenant les moteurs de cette construction d'une Europe spatiale.

A notre sens, le succès de cette construction requiert au moins quatre éléments :

- une volonté politique et des budgets associés,

- des structures publiques adaptées,

- une base industrielle performante,

- la recherche systématique de la dualité et de coopérations.

La volonté des hommes politiques européens d'avancer ensemble dans ce domaine existe, nous pouvons noter :

- la création de l'AED,

- les liens forts entre la politique européenne sécurité et de défense et la politique spatiale européenne,

- la volonté affichée de l'ESA de se placer sur ces besoins,

- les travaux ECAP,

- les travaux SPASEC.

S'agissant des budgets, je vous donne quelques chiffres :

Au niveau européen, il y a :

- environ 280 M€ pour l'espace sur le 6 e PCRD qui concerne Galileo, GMES, les télécoms,

- pratiquement aucun budget au niveau de l'AED sur le spatial.

Au niveau des États membres, il y a :

- sur le spatial militaire, environ 1 Md€ en Europe, dont 50 % en France.

- pour la DGA en 2005, comme il y a 630 M€ de commandes, il y a une autorisation d'environ 80 M€ pour la R&D, c'est la politique volontariste de démonstrateurs, que nous avons mise en oeuvre ;

- nous estimons, comme l'Amiral, qu'environ 2 Md€ seraient nécessaires pour répondre a minima aux enjeux spatiaux de la défense européenne.

Ce niveau de 2 Md€ serait accessible si nos partenaires faisaient exactement le même effort que la France en termes de PNB. Si nous prenons le ratio des PNB par rapport à celui de l'effort français, nous arriverions à atteindre ce niveau.

La recommandation est qu'un effort significatif global est nécessaire.

Les structures publiques sont-elles adaptées ?

Il y a l'Agence européenne de défenseet la Commission, avec une vocation à l'élaboration d'une vision stratégique commune pour permettre la cohérence des politiques nationales d'équipement et de R&D.

Il y a également l'Agence spatiale européenne et les organismes nationaux, avec sans doute davantage :

- de mise en oeuvre de la politique européenne,

- d'expertise technique en particulier dans le domaine de la sécurité des systèmes,

- des compléments nationaux.

Les outils sont en place, les responsabilités doivent être néanmoins précisées parce que les plans de frontière entre les organismes ne sont pas d'une clarté fantastique. Et surtout il s'agit d'avoir une mise en route concrète de ces structures.

Sur le plan industriel, nous avons un paysage déjà structuré à l'échelle de l'Europe avec :

- des grands groupes multinationaux comme EADS Space et Alcatel Alenia Space,

- des maîtres d'oeuvre nationaux de taille un peu plus faible comme SSTL en AngleTerre et OHB en Allemagne,

- des équipementiers majeurs comme SAFT, Thales et autres,

- un riche tissu de PME.

L'industrie spatiale européenne est performante et exploite très bien la dualité civile militaire. Avec un ratio de 20 sur les budgets, nous avons quand même une industrie remarquablement performante.

Il importe simplement de veiller aux possibilités de consolidations industrielles. Il est clair qu'en particulier au niveau des PME, il y a une dispersion et qu'il faut peut-être aller plus loin dans les consolidations industrielles ou au moins laisser ouverte la possibilité de consolidations.

Il y a également la question du maintien des compétences, en particulier intercycles. Il faut, entre deux grands programmes, s'assurer que nous n'allons pas perdre l'investissement humain que nous avons pu faire.

Les axes de la croissance passent clairement par la dualité et la coopération européenne - et je crois que, là, nous rejoignons complètement le discours du Général Botondi sur l'importance de la dualité de la coopération - et ce, avec une gradation du moyen militaire spécifique à des moyens militaires du techno civil, du service dual civil et militaire et du service commercial civil pur avec aussi une gradation :

- un objectif de partage de coût,

- un impératif de partager les informations,

- une interopérabilité,

le tout pour aller vers une défense commune.

Pour la France, j'ai essayé de mettre les divers programmes sur un graphique et de les situer dans cette échelle de dualité et de coopération avec :

- une partie très nationale, Essaim, Elint et Syracuse 3,

- une coopération sur Hélios,

- davantage de coopération, plus de dualité sur le post-Hélios,

- les programmes civils : HRS, Spot 5, Pléiades,

- dans le domaine totalement ouvert : la météo, l'océanographie et Galileo.

Le leitmotiv est :

- pas de duplications inutiles,

- une interdépendance maîtrisée,

- aller ensemble vers une Europe de la défense.

Si nous pouvons conclure ou récapituler, il y a :

- une croissance prévisible du recours aux moyens spatiaux pour les besoins de défense et de sécurité,

- une volonté de rechercher systématiquement les possibilités de coopérations européennes et d'exploitations duales de l'espace,

- une nécessité d'une mise en route des structures européennes pouvant soutenir ces actions plus - et c'est peut-être le plus dur - un effort budgétaire associé,

- une promotion de véritables coopérations européennes fondées sur une interdépendance mutuelle volontaire qui est une étape de plus par rapport à ce que nous avons.

Merci.

M. Henri Revol - Merci, Monsieur l'Ingénieur général, pour cette présentation très concrète des projets dans le domaine de l'espace de la défense qui est assez réconfortante. Il y a bien sûr l'appel au budget, je pense qu'il y a des membres éminents de nos commissions de la défense dans la salle et qu'ils en feront tout à fait bon usage.

Vous avez dit aussi - et cela permet la transition - que nous disposions en Europe d'une industrie performante. Je suis heureux de passer la parole maintenant à François AUQUE, Président Directeur Général d'EADS Space, qui, lui, va nous parler un peu de la manière dont un grand industriel voit cette Europe de la défense.

4. M. François AUQUE, Président directeur général d'EADS Space

Merci beaucoup, Monsieur le Président.

Je voudrais simplement aborder ce sujet en traitant trois points.

Je ferai d'abord un constat très bref de la situation telle qu'elle est aujourd'hui : en quelque sorte, l'espace militaire en Europe, combien de divisions ?

Ensuite : où serons-nous en 2015 ?

Enfin : que faut-il faire ? C'est un point évidemment plus difficile.

La situation aujourd'hui

De façon très synthétique, je dirai que nous avons effectivement un outil extrêmement performant par rapport à son coût qui résulte essentiellement d'un investissement massif français des années 1950 et 1960 élargi à une coopération avec l'Allemagne et l'Italie. Je simplifie bien sûr à l'extrême, mais il ne faut pas se voiler la face, la réalité est celle-là.

Il y a la formation d'un outil dans deux directions :

- d'abord le balistique avec la communalité et les lanceurs civils, Ariane puis Vega, etc. ;

- ensuite tout le système satellitaire, avec l'observation, qui est une excellence européenne reconnue, les télécoms et tout ce qui concerne l'écoute, le renseignement, etc.

Voilà extrêmement résumée la situation telle qu'elle est aujourd'hui.

Si nous allons un peu plus dans le détail, en termes de budget, aujourd'hui, l'Europe dépense un peu moins de 1 Md€ en matière d'espace militaire. Et encore, je dirai que d'un point de vue conjoncturel, c'est dû à la montée en puissance de programmes comme Cosmo-SkyMed, SarLupe et bientôt Satcom Bw.

En réalité, l'étiage normal est plutôt de 600 M€ et c'est ce qui va se passer tout de suite, c'est-à-dire dès 2009.

La France est assez ambitieuse en réalité par rapport aux autres nations européennes parce que, comme l'a dit M. de Lauzun, elle consacre 1,4 % de son budget de la défense à l'espace. Ce n'est peut-être pas beaucoup, mais c'est beaucoup mieux que ses partenaires européens. Si ses partenaires européens de la LOI dépensaient le même pourcentage, cela ferait 1,6 Md€ pour l'ensemble de l'Europe et non pas un peu moins de 1 Md€.

Deuxième élément, des travaux exhaustifs ont été réalisés dans toute une série de cadres. Les acronymes sont d'un barbarisme total et je ne vais pas tous les citer - le Spacetech, le Gosp, etc. - mais en deux mots, c'est très simple. Les personnes qui avaient à travailler ont fait leur travail, on connaît parfaitement les besoins, on sait ce qu'il faudrait faire, le problème est que cela coûte de l'argent.

Troisième remarque, en termes de technologie, je pense qu'en Europe nous sommes encore à un niveau tout à fait remarquable. J'ai cité l'observation, les télécoms, je devrais citer l'alerte et je pourrais également citer les liaisons laser.

Nous avons des pôles d'excellence absolument extraordinaires, mais tout cela n'est pas pérenne, il faut que ce soit entretenu. Par ailleurs, il y a une série de champs technologiques dans lesquels nos amis investissent et dans lesquels nous sommes absents comme :

- les lancements à la demande,

- la surveillance de l'espace, des objets spatiaux,

- l'interception antimissile,

- toute l'évolution des technologies lanceurs et missiles balistiques.

Ma quatrième remarque porte sur le constat actuel et peut peut-être soutenir le propos de M. de Lauzun sur la performance de l'industrie. Il faut aller dans des colloques pour entendre son client vous dire que vous êtes performant ; cela fait plaisir de temps en temps.

Je trouve effectivement que dans l'industrie européenne, nous avons mis en oeuvre tous les moyens possibles et imaginables pour améliorer le rapport qualité prix. Comme vous l'avez dit, nous avons d'abord mis en oeuvre toutes les dualités possibles, Spot Hélios, Silex Lola (Liaison Optique Laser Aéroportée), les télécoms.

Ensuite nous avons mis en oeuvre tous les modes de coopération possibles : les programmes nationaux, les programmes bilatéraux, multilatéraux, communautaires, Galileo. Dieu sait que ce n'est pas facile, les programmes communautaires !

En ce qui concerne les schémas financiers, on parle beaucoup de PPP, à la limite certains n'en parlent pas beaucoup, mais les font. Je veux en particulier rappeler Paradigme qui est un exemple extraordinaire de mise en oeuvre d'une technique financière qui permet finalement au gouvernement britannique d'avoir un système de télécommunications militaires totalement financé par l'industrie.

Enfin je ne parlerai pas longuement des restructurations, mais je peux vous dire que nous y avons bien sûr payé notre écot. A ce sujet, il ne faut pas croire au miracle. Quand on réduit ses effectifs de 30 % - c'est, je pense, à peu près ce qu'a fait l'industrie européenne au cours des trois dernières années -, on tue des compétences. Il n'y a pas de miracle.

Voilà l'état des lieux ; s'il est, je crois, honorable compte tenu des moyens, il est extrêmement fragile.

Où serons-nous en 2015 ?

Premièrement, on est sûr qu'en 2015 il y aura une explosion de besoins nouveaux qui sont parfaitement identifiés aujourd'hui et qui sont en particulier liés - cela a également été bien cité - à la montée en puissance des réseaux infocentrés. On sait qu'il va y avoir une explosion des besoins de bandes passantes.

Ce qui n'a pas été dit, peut-être parce que ce n'est pas politiquement correct, c'est que nous allons également assister aux conséquences de l'explosion actuelle des ambitions spatiales mondiales de toute une série de pays.

Ces ambitions ont des conséquences militaires potentielles parce que ces technologies sont duales. Cela signifie donc qu'en 2015, il faudra avoir une certaine capacité de surveillance de ce qui va se passer dans l'espace. Cela signifie également qu'il va falloir anticiper l'évolution de la menace balistique. Ce n'est pas non plus politiquement correct, mais il faut quand même y réfléchir et il faut également réfléchir à tout ce qui concerne la vulnérabilité des engins spatiaux.

Nous allons avoir un bouleversement de tout ce paysage militaire qui sera dû, d'un côté à une montée naturelle de besoins parfaitement anticipés, et de l'autre à une explosion des ambitions spatiales entraînant une évolution du paysage stratégique mondial.

Cela veut dire que d'ici 2015, il faut sécuriser l'acquis que nous avons aujourd'hui, ce petit outil. Vous avez fort justement parlé, Amiral Poulain, de sécuriser l'accès à l'espace. Or cet accès à l'espace n'est pas acquis parce que c'est de la compétence. La compétence s'use si on ne s'en sert pas et, pour s'en servir, il faut des programmes. La simple conservation de l'accès à l'espace n'est donc pas du tout acquise.

Deuxièmement, il faut que les grands programmes dont on a parlé, qui font notre fierté (Hélios II, formidable, Sar Lupe, Cosmo-SkyMed), il faut que ces programmes aient des successeurs. Or aujourd'hui - cela a été dit pudiquement - si on a parlé de la succession d'Hélios II, il n'y a pas de budget, et 2015 c'est demain. Cela correspond à l'échéance de vie d'Hélios II et c'est la même chose en ce qui concerne SarLupe, Cosmo-SkyMed.

Il faut aussi que les petites graines qui ont été semées avec un extrême courage, en particulier - je peux le dire parce que je ne suis pas sous l'autorité du ministre de la défense - celui de Mme Alliot-Marie, ces petites graines, les démonstrateurs, il faut qu'elles débouchent sur des programmes européens, sinon cela n'aura servi à rien.

Il faut donc non seulement consolider tout cela, mais en plus couvrir les besoins nouveaux. Or, aujourd'hui il n'y a pas la moindre trace d'argent disponible pour le faire. Encore une fois, on sait ce qu'il faudrait, il faudrait simplement doubler les budgets, mais on n'en prend pas le chemin. Or doubler un budget de moins de 1 Md€, est tout de même moins impressionnant que de dire multiplier par deux.

Que faut-il faire ?

J'aurais tendance à dire, il faut appliquer les différents travaux que vous avez commandités. Appliquez-les au lieu de les mettre dans des tiroirs gris !

Le rapport du GOSP par exemple, ce fameux groupe de travail présidé par l'Ambassadeur BUJON de l'ETANG, est un travail extraordinaire qui aboutit à des conditions logiques et pas trop dispendieuses. Il dit qu'il y a trois séries d'actions à mener.

Premièrement, il faut mettre en place une organisation qui place les systèmes spatiaux au coeur des grands systèmes de défense ; faisons-le.

Deuxièmement, il faut doubler le budget alloué à l'espace en France et en Europe par rapport à ce qu'il est aujourd'hui ; faisons-le.

Troisièmement, il faut proposer des pistes concrètes de coopération à nos alliés : accord d'échanges de capacités sur Hélios et SarLupe ; on le fait déjà, continuons.

Il faut mettre en commun les opérateurs de télécommunications militaires et faire des économies entre Syracuse et Skynet ; faisons-le.

Et puis il faut que les industriels travaillent sur des sujets nouveaux qui ont fait d'ailleurs l'objet de ces fameux démonstrateurs très intelligemment lancés par Mme Alliot-Marie, de manière qu'ils débouchent sur des programmes européens ; faisons-le, faisons-le, faisons-le !

J'aurais simplement tendance à dire que lorsque je regarde le travail qui a été fait, ce n'est pas la peine de continuer à user le soleil, il faut passer à l'acte. Et, au fond, l'acte n'est jamais que budgétaire. Or, c'est le rôle du Parlement de voter le budget, et il n'y a pas de soutien politique sans budget.

M. Henri Revol - Merci, François Auque, de cette intervention offensive vis-à-vis du Parlement qui vous écoute et vous entend certainement, mais dont l'influence sur le budget - et vous le savez bien ici dans notre pays - est quand même assez limitée.

Je vais passer maintenant la parole à Monsieur Blaise JAEGER, directeur des télécommunications à Alcatel Alenia Space, qui travaille non seulement en étroite relation avec la DGA sur le programme Syracuse, mais également avec OHB sur les radars des satellites SarLupe pour le système de défense allemand.

En Italie vous avez réalisé Sicral, le premier système de défense par satellite italien.

Vous avez une très bonne vision des programmes qui nous occupent cet après-midi, merci de nous donner votre point de vue.

5. M. Blaise JAEGER, Directeur des télécommunications, Alcatel Alenia Space

Merci beaucoup, Monsieur le Président. Vous me volez ma première planche, ce qui raccourcira un peu mon intervention.

Avant de me lancer dans la vision à l'horizon 2015, je voudrais vous donner quelques scoops.

On a lancé Syracuse 3A le 14 octobre (ce fut un lancement parfait) par Ariane. J'ai le plaisir d'annoncer qu'après une mise à feu dans un délai éclair, au bout de huit jours, on a transféré le contrôle satellite au centre de Maisons-Laffitte géré par les armées et que comme nous nous y étions engagés, le premier répéteur, la première capacité ont été mis à la disposition des armées.

Au-delà de Syracuse c'est effectivement Sicral, vous l'avez ajouté, Hélios, SarLupe, Cosmo-SkyMed. Je crois que ce sont des réalisations dont l'industrie européenne peut être fière. On peut dire aujourd'hui que les compétences sont là.

Le Président d'Escatha parlait de technopush ou de market pool tout à l'heure. En termes de technopush , les compétences sont disponibles en Europe, on a une industrie européenne qui est capable de réaliser les ambitions qui sont les nôtres.

En termes de market pool , puisqu'on s'adresse ici aux questions de la défense, en écoutant les différents intervenants de la table ronde précédente j'ai été frappé de constater que les problématiques de l'espace des citoyens rejoignaient entièrement les problématiques de l'espace au service de la défense.

Sans entrer dans tous les détails, aujourd'hui les grands besoins sont les suivants.

On a la possibilité d'avoir davantage d'informations grâce aux satellites par leur permanence, leur pré-déploiement. La problématique est de réussir à traiter cette information, de tirer de la valeur ajoutée de ces informations, ce qui a très bien été expliqué par M. Achache. Après, il s'agit de distribuer cette information à ceux qui en ont besoin, c'est là que les télécommunications interviennent également.

Tout cela est une vision de réseaux infocentrés. Il s'agit de mettre l'espace effectivement au centre de nos systèmes de défense et d'essayer de faire en sorte de fédérer ces différents moyens satellitaires pour en extraire l'information et la diffuser aux personnes qui en ont besoin.

Tout cela correspond à faire en sorte que les satellites puissent acquérir plus d'informations, les recueillir par des liaisons inter-satellites ou des stations mobiles de réception sur les théâtres d'opérations, les exploiter sur place ou simultanément dans les centres métropolitains, les transmettre vers les personnes qui en ont besoin, donc les forces, et arriver en fin de compte à exploiter tout cela pour en tirer la décision la plus pertinente.

Cela nécessite une évolution des besoins en termes de bandes passantes, de débit d'information et aussi de bâtir un grand système d'information.

La vision qu'on a construite - je pense qu'on a participé au même groupe de travail - amène pour les télécoms à dire qu'on vend plus de capacités. Dans notre vie de tous les jours, en tant que citoyen, on constate qu'on a effectivement des capacités par Internet haut débit. On a maintenant à la maison 2 mégabits par seconde, 8 mégabits par seconde. On peut échanger des images, des vidéos, on peut faire tout cela à la maison.

Il est clair que le soldat, sur son théâtre d'opérations, qu'il s'agisse de son bien-être ou de son métier de soldat, aura également besoin d'avoir ces informations pour pouvoir assurer son service, faire son métier de soldat. Il faudra plus de débit pour apporter cette information sur le théâtre.

Notre vision d'un ensemble d'observations est ce qu'on a présenté à ces différents groupes de travail, c'est-à-dire des images dans toutes les différentes bandes de fréquence - optique, radars -, des systèmes d'écoute et la permanence de l'observation par des systèmes d'observation géostationnaires.

Je crois que les besoins - on revient sur le volet de market pool -, les technologies, les compétences sont là et que maintenant il n'y a effectivement plus qu'à. On est relativement clair à ce sujet et si on ne le fait pas, si on ne met pas les budgets correspondants, je vois deux risques.

Premièrement, je vois un risque - on a parlé de fracture numérique tout à l'heure - de fracture entre le citoyen et le soldat. Finalement, le citoyen aura chez lui accès à Google Earth, à des images haute résolution même si ce n'est certes pas l'image la plus récente. C'est d'ailleurs là que les militaires ont leurs besoins propres, c'est-à-dire avoir l'information la plus récente correspondant aux zones où ils vont intervenir. C'est possible, c'est accessible, c'est une question de moyens et de budgets.

Le risque de fracture est aussi d'avoir à la maison du 8 mégabits par seconde, d'échanger des images et des vidéos, d'avoir l'information disponible en métropole sans pouvoir la transmettre aux soldats là où leurs vies sont en jeu sur le théâtre des opérations.

Si effectivement on ne concrétise pas la fusion entre ce technopush et ce market pool , le premier risque est un risque de fracture entre le citoyen et le soldat.

Deuxièmement, ce risque a été exposé, c'est un risque de perte de compétences. Ce sont des compétences qui ont été bâties au travers de Syracuse 1, 2, 3, d'Hélios I et II, de Pléiades, de Cosmo, de tous ces grands systèmes. Les compétences sont là, mais si on ne les entretient pas, si on ne pense pas dès maintenant au futur des systèmes, elles disparaîtront très rapidement.

Il y a donc deux risques :

. un risque de fracture entre le citoyen et le soldat,

. un risque de perte de compétences.

Le thème de la table ronde est l'espace de la défense, je dirai qu'il faut aussi penser à la défense de l'espace ; ce sont des compétences qui ont mis du temps à se bâtir, il faut les entretenir.

Je résumerai tout cela en disant qu'on parle beaucoup de garanties de l'accès à l'espace, mais qu'il faut aussi penser à une garantie de l'utilisation autonome de l'espace. Et cette garantie de l'utilisation autonome de l'espace passe par des moyens de défense spécifiques adaptés aux besoins des armées et par un maintien des compétences en Europe, des compétences industrielles.

Merci beaucoup.

M. Henri Revol - Merci pour cette intervention rapide, mais très concentrée et très technique.

La rupture entre le citoyen et le soldat est un thème effectivement très important et je pense que nous avons bien fait d'organiser cette table ronde sur la défense.

Personnellement, je remercie les intervenants de la richesse des informations qu'ils ont livrées aujourd'hui ainsi que des appels lancés dont nous ferons bien entendu notre profit au Parlement.

Avant de passer la parole à mon collègue Christian Cabal pour le mot de conclusion, je tiens à saluer Claude BIRRRAUX, Député et Premier Vice-président de l'Office parlementaire, qui nous a rejoints. L'Office parlementaire étant l'organisateur de cette journée, en son nom je vous remercie.

Christian Cabal est corapporteur avec moi de l'étude dont le débat nous réunit aujourd'hui au sein de l'Office parlementaire, il est aussi le Président du Groupe parlementaire sur l'espace.

Ces dernières années, Christian Cabal a mis une énergie remarquable pour développer les relations interparlementaires. Il a organisé la conférence interparlementaire à l'occasion du Salon du Bourget, qui a réuni tous ceux qui, dans les parlements européens et même au-delà de l'Europe, s'intéressaient à l'espace en tant qu'élus de leurs nations. Je crois que nous pouvons le remercier de l'effort qu'il fait car il est bien nécessaire de mobiliser les citoyens et leurs représentants.

C. CONCLUSION PAR CHRISTIAN CABAL, CORAPPORTEUR ET PRESIDENT DU GROUPE PARLEMENTAIRE SUR L'ESPACE

Merci, Monsieur le Président.

J'espère que vous ne serez pas déçus après avoir applaudi sans m'avoir entendu. Je vais solliciter votre bienveillance parce que quelques problèmes de santé ne me rendent pas spécialement vaillant, surtout en fin d'après-midi, et après des exposés aussi riches dans la densité et la diversité des présentations qui ont été réalisées.

Je tiens à me joindre à Henri Revol pour remercier tous les intervenants qui, parfois, sont venus d'assez loin, qui ont distrait du temps dans leurs emplois du temps extrêmement denses pour faire partager leurs compétences, leurs connaissances et aussi leur enthousiasme. Vous avez pu en effet remarquer que même s'ils ont exprimé parfois des déceptions et des regrets, notamment quant au rôle des politiques, tous les intervenants étaient enthousiastes.

Henri Revol, Claude Birraux - et je pense qu'il y a d'autres parlementaires - et moi, vous avons invités ici sans arrière-pensées, nous attendant naturellement à faire un petit peu l'objet de quelques critiques de la part non seulement des industriels, mais aussi des représentants des agences et des différentes personnalités morales oeuvrant dans le domaine de l'espace.

Compte tenu des contraintes budgétaires apparemment rencontrées dans tous les grands pays du monde, il est en effet difficile de faire cadrer l'ampleur des problèmes et des solutions qui sont proposées par vous tous et vous toutes avec les capacités contributives des différents États. C'est bien une des caractéristiques communes que l'on rencontre.

Vous avez développé et exprimé aujourd'hui, à l'évidence, un sentiment de déception manifeste devant ces politiques qui n'arrivent pas à comprendre l'importance et l'enjeu de l'espace, compte tenu des conséquences et des implications qu'il représente à tous les niveaux et dans des domaines d'intervention humaine que l'on peut difficilement imaginer plus vastes, tant au plan civil que militaire.

Je vais défendre un peu les politiques parce qu'effectivement si nous, les politiques ici présents et d'autres qui, pour des raisons d'emploi du temps, n'ont pas pu se joindre à nous aujourd'hui, sommes convaincus d'être les défenseurs zélés et extrêmement hardis des questions spatiales, nous sommes aussi dans une structure politique, au sens général du terme de gestion de la cité, faisant que certains problèmes prennent une acuité extrême par rapport à d'autres.

Je pense que comme moi, vous considérez que contrairement à l'espace, ce qu'on appelle le « malaise » des banlieues qui se traduit ces jours-ci par des manifestations excessives dans certains quartiers, n'est pas une chose fondamentale pour la survie de la nation ou de l'espèce humaine et pourtant, dans la presse, c'est ce qui fait les grands titres de façon continue depuis plusieurs jours.

Je sais que la presse - et je tiens à remercier les journalistes d'être présents ici à cette journée - rend compte avec objectivité de l'importance du secteur spatial, mais sauf quelques exceptions - période de tir d'un lanceur ou d'exploration planétaire particulièrement attractive - l'actualité en général ne fait pas non plus mouvoir de façon significative les correspondants ou représentants de la presse.

Une exception des plus notables récemment a été le dossier et la réussite de Cassini-Huyghens qui a relancé d'une certaine façon une attractivité de la part du grand public au-delà du cénacle des personnes spécialisées dans les questions spatiales.

Il faut aussi globalement reconnaître qu'en dehors des grandes explorations planétaires qui marquent les esprits, les préoccupations plus générales de la société sur les questions liées à l'environnement, avec en particulier la question du réchauffement planétaire, relancent d'une certaine façon l'intérêt au-delà des cercles habituels des connaisseurs et des spécialistes de l'espace vis-à-vis du grand public.

Il y a comme toujours deux façons d'apprécier les choses : la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Etant d'un naturel optimiste, j'aurai tendance à considérer qu'étant donné l'ensemble de la problématique, l'ancienneté de la politique spatiale de recherche et de développement et au-delà des réalisations pratiques du quotidien, les grandes réalisations de ces dernières années permettent de maintenir une certaine pression sur le politique qui n'est que l'expression de ses mandants, c'est-à-dire des citoyens sur l'intérêt et l'importance de l'espace au-delà des opérations de prestige. L'espace est vraiment quelque chose qui est dans le quotidien, qui touche tous les citoyens et qui par conséquent, doit les mobiliser.

Soyez rassurés Messieurs les industriels, Messieurs les directeurs d'agence et vous tous qui êtes ici, les politiques en général manifestent une affection pour les questions spatiales qui, je pense, est peut-être même plus importante que cela ne le justifierait sur un simple aspect de répartition des capacités budgétaires au plan des différentes allocations que nous devons faire au niveau des politiques.

Certes, on s'impatiente, on regrette et on piaffe devant les capacités que vous avez, vous, les industriels ou les agences, pour progresser, obtenir encore des résultats supplémentaires et supérieurs, mais au niveau des politiques, il faut réaliser des arbitrages.

Cela a été dit et dans une situation où les capacités budgétaires sont ce qu'elles sont, cela freine évidemment les capacités de développement ou même simplement de maintien des compétences qui ont été acquises et qui vont se traduire dans certains cas, et notamment chez les industriels, par des réductions ou non-développement des activités éventuellement avec des réductions d'emplois et de capacités.

On sait que dans le domaine de l'espace, ce n'est pas comme fabriquer des automobiles, lorsqu'on n'use pas les compétences, elles disparaissent et reconstruire ce qui a nécessité trente à quarante ans s'avère pratiquement impossible.

Voilà en gros et sans entrer dans le détail, les données que l'on peut qualifier de communes sur l'ensemble de la communauté spatiale, que l'on peut observer dans tous les pays développés et même au-delà des pays développés.

Vous pourriez me dire, oui, certes, mais dans ce contexte délicat qui touche les grandes nations historiques de l'espace, il y a des nouveaux entrants. Même s'ils occupent une certaine surface sur le plan de la planète, ces pays ne sont pas forcément extrêmement riches et, à l'évidence et sans avoir bénéficié de conseils éclairés, ils ont considéré que l'espace était une nécessité vitale pour leur pays.

C'est le cas de la Chine, cela a été dit, de l'Inde, d'autres pays qui sont parfois des pays de dimension moyenne comme l'Argentine, le Brésil et d'autres qui ont considéré, pas uniquement pour des raisons de prestige ou de souveraineté, que l'espace était un moyen d'accès à une société développée. A ce sujet, je rappellerai que l'Inde montre effectivement la voie d'une utilisation très large du segment spatial qui permet non seulement d'acquérir les connaissances nécessaires, mais aussi de les répercuter immédiatement sur le terrain dans des conditions extrêmement démonstratives et d'un grand succès.

Je cite l'Inde parce que vous êtes là, Monsieur Perumal, mais je dirai que d'autres pays ont choisi la même voie et s'y dirigent sans pour autant qu'il s'agisse de préoccupations strictes de souveraineté ou d'amour-propre. C'est bien un espace utile pour tous les citoyens permettant de rattraper des retards antérieurs et de faire face aux contraintes, notamment géographiques, en dehors des contraintes climatiques et autres que connaît un pays comme le vôtre.

L'espace n'est pas comme parfois certains de mes collègues ont pu le dire, une danseuse pour des enfants un peu attardés. Il y a cent cinquante ans, on jouait avec les trains électriques, maintenant c'est avec les vaisseaux spatiaux. Non, l'espace est une nécessité pour l'humanité et les grands pays qui veulent rattraper les retards du passé ont bien compris qu'il fallait utiliser ce moyen.

Je ne reviendrai pas en détail sur toutes les interventions maintenant. Nous avons eu des exposés extrêmement riches et je ne vous cache pas que les résumer en quelques minutes va être relativement difficile.

Je rappellerai simplement que, comme l'indiquait Henri Revol, c'est un point de départ. Il y a sept ou huit ans, l'Office parlementaire a commandé un premier rapport à Henri Revol, pour permettre de faire un point sur la politique spatiale et d'éclairer le Parlement - Assemblée Nationale et Sénat - sur les enjeux en cause, les propositions qu'il fallait formuler tant au plan national que bien sûr dans le cadre d'une politique de coopération internationale. On imagine en effet difficilement que l'espace se réduise à la simple sphère nationale.

Ce rapport a servi de référence, mais qu'y a-t-il de plus mouvant que le domaine spatial ?

Henri Revol a proposé de façon tout à fait heureuse qu'à une distance d'un peu plus de cinq ans, l'Office se saisisse de l'évolution dans ce domaine, tant au plan des connaissances fondamentales qu'au vu de l'expérience acquise et accumulée au travers de multiples coopérations internationales. Il y a là aussi un retour d'information extrêmement important et utile afin de mieux orienter la politique pour les dix et quinze prochaines années.

C'est là l'objectif essentiel de ce rapport que nous pourrons présenter dans le courant ou fin de l'année 2006, d'autant qu'un certain nombre de grandes décisions politiques au sens international auront été engagées, je pense à l'ESA pour les prochaines années et ainsi de suite.

Sachons et sachez qu'il s'agit là de faire un point non pas uniquement d'étape, mais de savoir se projeter sur les dix prochaines années et d'éclairer les décideurs politiques, au sens général du terme, sur la politique qu'il y a lieu de mener tant au plan national qu'au plan des coopérations internationales, au premier chef desquelles la coopération européenne, mais bien sûr sans exclusive des autres pays.

Nous avons eu quatre tables rondes, mais je ne reviendrai pas en détail sur chacune d'entre elles.

Chaque thématique a pu être abordée de façon assez détaillée et je vous demande de bien vouloir nous excuser parce que la densité des propos, qui n'a cependant pas permis d'être exhaustifs, a perturbé ce que nous avions initialement envisagé, c'est-à-dire le jeu habituel des questions-réponses. Sur ce point, je vous présente toutes nos excuses puisque la partie questions-réponses de chaque table ronde a été limitée au strict minimum.

En revanche, comme j'ai pu l'observer pendant les pauses, les discussions de couloir ont permis non pas de nouer des contacts parce que cette communauté spatiale se connaît bien, mais peut-être de revenir sur un certain nombre de points et de questions, de les approfondir et de permettre qu'il y ait un suivi et au-delà, une exploitation des discussions d'aujourd'hui pour tout un chacun.

La première table ronde a envisagé - cela paraît logique dans la chronologie des choses - la politique des lanceurs. Sur ce point et comme cela a été signalé et développé, la communauté scientifique européenne a un certain nombre d'acquis enrichis par l'expérience d'autres nations, historiquement très présentes dans le segment spatial, comme les États-Unis et la Russie.

A cet égard, nous avons pu comparer les expériences des uns et des autres, faire le point des difficultés rencontrées et déterminer quels étaient les objectifs légitimes et les plus judicieux qu'il fallait préserver dans le cadre d'une politique européenne qui, sur ce point, la politique des lanceurs, est, je crois, une grande réussite et ce, même si elle est jalonnée par quelques difficultés, qui sont, heureusement et la plupart du temps, surmontées.

La présence de grandes agences spatiales étrangères - j'ai oublié de mentionner le Japon et je vous prie de m'en excuser - sert effectivement de référence. Je crois que la politique japonaise en particulier doit être une référence intéressante pour les autres pays et les responsables des autres pays.

On a d'ailleurs suffisamment évoqué les difficultés budgétaires, et il faut bien reconnaître que quelles que soient la qualité et les compétences des hommes, si on n'aligne pas en face les moyens budgétaires, tout ceci reste des voeux pieux, il n'y a pas de réalisation. On se rend compte, là aussi, que même si on a des moyens budgétaires - c'est le cas du Japon - les résultats dans l'espace nécessitent vraiment un très long apprentissage, ce sont des dizaines d'années et plusieurs d'entre vous l'ont mentionné. Créer un lanceur et tout son environnement n'est pas comme créer une voiture, cela paraît évident. Encore faut-il le rappeler et le démontrer. Même si on en fait des dizaines de millions, il est plus facile de faire une automobile que de faire un lanceur qui est quand même quelque chose d'un peu plus délicat.

Toyota est une réussite fantastique mondiale qui a aussi été élaborée en un certain nombre d'années. Il faut reconnaître que le développement des lanceurs de la famille japonaise aura été plus long, plus chaotique que celui de la famille Toyota. Je suis cependant convaincu que les Japonais atteindront eux aussi, à une échéance brève, le niveau d'excellence parce qu'ils ont les hommes, les compétences et continuent à injecter des crédits considérables.

On oublie régulièrement que le budget de la JAXA est largement supérieur à celui du CNES. C'est une des conditions impératives pour obtenir des résultats. Vous l'avez manifesté et répété à plusieurs reprises : sans crédits à hauteur suffisante, je dirai à hauteur importante, on ne peut pratiquement rien faire, en tout cas si on a l'ambition de couvrir l'essentiel du champ spatial.

Nous avons entendu M. Remichevski, M. Highchi, Jean-Yves Le Gall, Michel Eymard, Joël Barré et Alain Charmeau. Nous avons eu là un panel d'intervenants qui ont fait part de leurs expériences, de leurs difficultés, parfois des doutes qu'ils avaient rencontrés et aussi des solutions qu'ils avaient trouvées pour que l'Europe, ou en tous les cas les pays concernés, poursuivent un effort dans le domaine des lanceurs.

Les lanceurs sont la pierre de base, la fondation. Nous ne pouvons pas avoir une politique spatiale si nous ne disposons pas de lanceurs capables de nous donner une autonomie. Le rappel a été fait de l'origine de la création de la famille Ariane, compte tenu de certains obstacles qui avaient été mis à l'utilisation d'autres lanceurs par des utilisateurs non-Américains.

Nous avons eu ensuite une table ronde large, également passionnée et passionnante sur l'espace scientifique et la connaissance et évidemment les vols habités.

C'est un sujet qui fait un peu plus débat, c'est-à-dire la place des vols habités par rapport globalement à la robotique. Ce débat a lieu d'être parce qu'il n'y a pas de vérité infuse. On ne peut bien entendu pas trancher de façon arbitraire et définitive entre la prééminence à donner aux vols habités et celle à donner à l'exploration automatique.

Les très grandes puissances comme les États-Unis peuvent se permettre de couvrir tout le champ de l'exploration spatiale, c'est légitime et normal. D'autres puissances, même au niveau européen, sont amenées de façon évidente et obligatoire à faire des choix et à trouver la moins mauvaise des solutions permettant néanmoins de participer pour une part, en totalité ou en partie, à ces champs d'exploration.

Le domaine scientifique ne fait pas l'objet de débat, je crois - et cela a été indiqué notamment par M. Bonneville, M. Kaaf de la DLR, et Roger-Maurice Bonnet - que l'exploration scientifique est une des raisons fondamentales d'amélioration de la connaissance, de la connaissance de l'univers.

Je ne reviendrai pas sur les démonstrations qui ont été faites, elles étaient brillantes et absolument convaincantes. Je crois, je suis convaincu, que même si la recherche scientifique dans l'espace coûte cher - c'est vrai, lorsque qu'on additionne les milliards d'euros pour des opérations qui sont passées ou en cours de réalisation, cela représente beaucoup de milliards d'euros -, cela en vaut la peine.

Cela en vaut la peine, car il y a un progrès scientifique considérable qui donne des acquisitions fondamentales bien au-delà du secteur spatial et c'est toute la connaissance scientifique qui en bénéficie, qui est irriguée.

Sur ce point, Jeffrey Hoffmann a fait une démonstration tout à fait fulgurante de la nécessité de couvrir ces différents champs. Il faut reconnaître qu'il est orfèvre en la matière puisque s'il est un grand orfèvre des vols habités, il en est un aussi de la connaissance scientifique. Je crois que nous pouvons vous remercier du rôle que vous accomplissez et de la fonction qui est la vôtre pour faire progresser d'une façon magnifique et très réussie cette expérimentation spatiale.

André Brahic a un talent exceptionnel dans la capacité de vulgarisation. Ce n'est pas une critique parce qu'il est nécessaire de vulgariser l'espace auprès des scientifiques qui ont une approche parfois techniciste et parcellaire. André Brahic a la chance d'avoir une vue beaucoup plus panoramique, c'est un des meilleurs utilisateurs de l'espace, pour et par l'espace. Ses talents de conviction font que j'essaye de l'amener à participer souvent à des réunions où des décideurs, des politiques sont là. Il a une capacité de faire passer un message non seulement dans nos cénacles, mais aussi dans l'opinion publique.

André Brahic - et je le dis souvent - est un homme médiatique, il sait utiliser les média et il les utilise avec profit pour une noble cause, celle de l'espace. André, vous pouvez toujours déborder vos temps de parole - les autres aussi plus modestement - parce que chaque fois vos interventions, notamment lorsque qu'elles sont médiatisées à travers la télévision - et cela arrive souvent lorsqu'il y a des tirs un peu exceptionnels - font remonter le sondage d'opinion en faveur de l'espace. Je crois que c'est une de vos qualités supplémentaires en dehors de vos qualités personnelles de scientifique bien évidemment.

J'ai honte, avec Henri Revol, parce qu'il me semble qu'il n'y a eu qu'une participation féminine à cette journée, celle d'Anne Bondiou, de l'ONERA. Elle s'est trouvée en plus en fin de matinée et nous lui avons laissé un temps de parole très bref. Vraiment la société spatiale reste très machiste bien que Claudie Haigneré soit présente. Nous la remercions de sa présence et de l'attachement vigilant qu'elle porte à cette discipline après en avoir dirigé, à mon goût, trop brièvement la responsabilité des actions, mais tout n'est pas perdu pour l'avenir.

En dehors de Claudie Haigneré, qui n'est pas directement intervenue, et d'Anne Bondiou qui nous a fait une présentation très synthétique et très dense de l'ONERA, je crois que nous manquons d'éléments féminins. Il faut donc Claudie, que vous réussissiez à promouvoir d'autres femmes. Vous avez fait beaucoup pour la cause féminine, de façon globale et générale, par vos exploits dans l'espace et votre rôle ministériel.

Voilà pour cette deuxième table ronde que j'abrège volontairement dans ces commentaires généraux.

La troisième table ronde portait sur les nouvelles applications au service du citoyen. Nous sommes là dans un champ très large.

Pierre Cohen a brossé la problématique et les enjeux en cause et avec les interventions du Docteur Perumal, du Docteur Vetrella que je remercie de sa présence à Paris aujourd'hui, nous avons pu comparer ce qui était fait au niveau des grandes agences qui servent de références.

Je dois dire que l'Agence spatiale italienne est pour nous une référence de très grande qualité. L'Italie, avec la France et en proportion de leurs richesses nationales, est le deuxième grand pays qui a une politique spatiale cohérente de longue haleine, qui associe les interventions nationales, les politiques de coopérations internationales et européennes et de multiples coopérations bilatérales avec beaucoup de succès, tant dans le domaine civil que militaire.

C'est, je crois, un exemple qui devrait être suivi par beaucoup d'autres. Je ne dis pas cela sous l'angle de la critique puisque la DLR fait beaucoup de choses, mais je ne cache pas qu'en ce moment et depuis un certain temps déjà, nous sommes assez soucieux de l'évolution de la politique allemande dans ce domaine, compte tenu des restrictions budgétaires que, comme d'autres, le gouvernement allemand connaît ainsi que de l'incertitude sur l'avenir politique gouvernemental allemand.

Ces derniers jours, on a observé un déchirement entre des départements ministériels concernant les technologies et l'espace, qui finalement ne se résout pas - à moins qu'il ne l'ait été cet après-midi - et même se caractérise par une crise supplémentaire.

Les Allemands qui ne manifestaient qu'une appétence relative au développement spatial, qui posent - disons-le franchement, je ne pense pas que M. Kaaf m'en voudra - des exigences parfois étonnantes eu égard à leurs capacités réelles, bloquant ainsi en ce moment un certain nombre de dossiers de coopération internationale, nous soumettent à une situation un peu hypothétique quant à la suite des événements.

Il faut reconnaître que l'Europe spatiale ne peut bien marcher que s'il y a la France et l'Italie naturellement, mais aussi l'Allemagne, parmi les très grandes puissances. Nous sommes nous, les politiques, très attentifs aux choix qui seront opérés par la Chancelière sur la composition du nouveau gouvernement, des hommes ou des femmes qui assureront cette responsabilité, ce qui est une chose et, au-delà, des moyens dont ils disposeront.

La question des budgets est revenue à plusieurs reprises et dans ce cas précis, je crois qu'il y a lieu d'être soucieux puisque le budget allemand de l'espace n'était déjà pas très large et les quelques déclarations que nous avons entendues des personnes en potentialité de diriger le pays semblent non pas timorées, mais assez réductrices sur les moyens financiers qui seront consacrés à l'espace dans les prochaines années.

Espérons que nos collègues allemands du groupe Parlementaire de l'espace allemand - je pense en particulier à Kurt RUSMANIT - sauront faire pression auprès du futur gouvernement allemand pour que les Allemands poursuivent une politique spatiale importante à la hauteur de leur nation et des espérances de l'Europe.

Après les interventions des grandes agences européennes, et je mentionnerai presque de façon allusive le CNES puisque nous sommes presque dans sa maison - le CNES est bien entendu la référence - Yannick d'Escatha a pu nous présenter les différentes applications avec les qualités qui sont les siennes, largement partagées par tous. Et je crois que le message qu'il a transmis a été reçu par toutes et tous. Je tiens à le remercier encore une fois du rôle que le CNES joue dans la politique spatiale française et européenne et de la nécessité impérieuse qu'il y a de voir son développement assuré dans de bonnes conditions.

Nous avons poursuivi cette table ronde avec l'intervention de Daniel Sacotte qui, comme il l'a indiqué, s'est substitué à Jean-Jacques Dordain. S'il n'était pas tout à fait dans sa thématique habituelle, il a pu néanmoins nous apporter les éléments d'informations nécessaires et utiles, objet là aussi de débats intéressants permettant de faire un point et de poser un certain nombre de problèmes dont certains restent encore en suspens à l'heure actuelle. Je suis cependant absolument convaincu que nous saurons, et qu'il saura, apporter les réponses nécessaires dans le cadre de l'ESA.

José Achache nous a présenté d'une manière passionnante, même s'il a été un peu trop long, la nouvelle structure de coordination quasiment planétaire qui vient de se mettre en place, et qui est un progrès gigantesque. Il est en effet un peu fatigant de voir la dispersion des moyens, des interventions, des structures qui ont à connaître de la question de l'observation de la Terre.

Ce travail, fait de recentralisation, de coordination, aura en tout cas, au moins, des effets économiques intéressants et des effets scientifiques incontestables. Vous êtes devant une lourde tâche, je sais que cela ne vous fait pas peur, vous avez l'expérience de la chose.

Nous comptons beaucoup sur vous pour que cette structure soit opérationnelle le plus rapidement possible et qu'elle concoure à ce que dans l'opinion publique, si c'était encore nécessaire, il y ait un fort appui à cette politique au plan international. Nous comptons sur vous pour montrer l'utilité du caractère indispensable de cette action.

Giulano Berretta, lui, nous a fait une présentation avec ses qualités habituelles teintées d'humour, mais de bon sens. Il n'a pas eu le mauvais goût d'attaquer le concurrent européen, il a simplement lancé quelques petites piques toujours amusantes et avec beaucoup d'humour. Là, effectivement, les différentes sociétés qui ne sont pas des applications, mais qui sont dans le système commercial concurrentiel, se développent à grande vitesse. C'est logique même si elles rencontrent parfois des difficultés dans les montages structurels financiers, ce sont aussi des choses qui arrivent.

Nous avons là, il l'a rappelé, une société française qui a un chiffre d'affaires considérable, de très beaux résultats et qui surtout fournit des prestations de très grande qualité. Elle fait honneur à la politique de développement de recherche et sait développer des produits nouveaux, lancer des initiatives commerciales et répondre aux attentes de la population et des citoyens.

M. Coste nous a présenté le développement d'Alcatel Alenia Space. Il s'agit effectivement d'une novation dans la structure, les actes de développement, les réalisations. Il y a eu longtemps un certain débat sur la manière de consolider le secteur des satellites pour savoir s'il fallait une société unique, maintenir un certain niveau de compétences. Je ne dis pas qui, à ce moment-là, aurait piloté l'ensemble regroupant les différentes entreprises.

Je crois que finalement la solution mise en oeuvre s'avère assez performante puisqu'elle assure une forme de concurrence - et c'était conforme aussi aux prescriptions européennes -, d'émulation. Si j'ai bien compris, les utilisateurs s'en satisfont puisque c'est source d'un certain nombre d'économies, de complexité aussi à un certain moment, nous l'avons vu avec le dossier Galileo.

Je pense que l'équilibre qui a été atteint, dans des conditions que l'on peut qualifier d'intellectuellement justifiées et économiquement rentables, permettra à l'économie européenne de se développer de façon efficace et capable de résister aux grandes sociétés concurrentes mondiales qui, dans cette structure, permettent d'assurer un choix au niveau européen.

Je pense ne pas avoir oublié l'essentiel des interventions sur cette thématique qui était extrêmement vaste et importante. Nous y reviendrons très largement dans le rapport puisque c'est peut-être un des secteurs le plus à même d'avoir des développements significatifs dans les années à venir et qui pose peut-être le moins de problèmes financiers.

Nous avons terminé par la question de la défense et Henri Revol a eu tout à fait raison de retenir cette table ronde très particulière puisque l'espace de la défense et la défense de l'espace sont évidemment une nécessité impérative si on veut que l'Europe occupe la place qui est légitimement la sienne. Il ne s'agit pas de concurrencer les États-Unis, cela n'a aucun sens, les budgets n'ont rien à voir, même si je vais faire un petit commentaire sur ce point.

Pour toute nation ou regroupement de nations comme l'Europe, il y a là un domaine qui doit être légitime et naturel. Je crois que dans ce secteur et pour des raisons historiques, la France a défriché le terrain, acquis des compétences heureusement rejointes par des grandes nations spatiales comme l'Italie, à laquelle je tiens à rendre hommage encore une fois. Les Italiens ont en effet su discerner l'importance de ce secteur à tous points de vue, je crois qu'ils participent à cette réflexion. Les Allemands ont toujours une petite tendance à refréner, mais ont observé aussi l'importance du secteur spatial de la défense, ils poursuivent dans ce domaine.

Je crois que si, encore une fois au plan européen, la France, l'Allemagne et l'Italie font oeuvre complémentaire, la stratégie retenue n'est pas de partager directement les moyens, mais les résultats, et d'assurer les complémentarités nécessaires comme cela a été démontré par l'Amiral Guy Poulain et mentionné par le Général Botondi. Je tiens à le remercier de sa présence ainsi que M. Vetrella. L'Italie fait vraiment honneur à l'espace, ce dont nous sommes très heureux et très fiers.

Si nous poursuivons dans ce sens, avec l'appui des industriels et des organismes étatiques spécialisés, nous pourrons atteindre des résultats appréciables et je voudrais faire une toute petite parenthèse.

Lorsque François Auque nous dit : « moins de 1 Md€, et même moins à l'avenir », en ce qui concerne le budget militaire américain on n'arrive jamais exactement à savoir, c'est 25 Md$, c'est vrai, mais ce n'est pas 1 Md€ contre 25 Md$. Nous avons effectivement Hélios, Syracuse, cela se limite pratiquement à cela, nous n'avons pas besoin comme les Américains de faire des lancements de satellites spécialisés toutes les trois semaines ou tous les mois.

Nous avons un satellite d'observation, ce n'est peut-être pas beaucoup, mais c'est déjà cela et il répond à peu près à nos besoins. Un satellite de télécoms répond à peu près à nos besoins. Nous ne sommes pas le Département de défense qui doit avoir en permanence une constellation. de satellites d'observation, de télécommunications, d'intelligence, cela n'a pas de sens.

Je crois, et je ne voudrais pas choquer François Auque, qu'avec un budget de 2 ou 3 Md€ par an - il est content, je ne l'ai pas choqué- nous pourrions presque atteindre les mêmes résultats que les Américains avec 25 Md$ parce que nous n'avons pas à dupliquer chaque année par dix ou quinze le tir de ces différents satellites.

Je suis un peu provocateur, mais cela ne sert à rien et je crois que nous ne gagnons pas à dire que nous sommes des pauvres malheureux, nous devons nous couvrir la tête de cendres parce que nous n'avons pas 25 Md$ par an à mettre dans l'espace militaire, nous n'avons pas besoin de mettre 25 Md$ dans la défense. Non, pas du tout, très franchement avec 3 Md€ nous pourrions tenir et lancer des démonstrateurs chers à notre industrie...

J'indiquerai quand même que, pour la France en tout cas, la discussion budgétaire que nous avons inaugurée cette année se situe sous un angle un peu différent de celui que nous connaissions depuis toujours.

La loi organique de finances ne se présente plus par budget voté, mais par mission objective programme et avec la capacité pour le Parlement de réaliser des réaffectations - je caricature un peu, mais ça viendra - avec la fongibilité des crédits, si bien qu'en ce qui concernait le rôle du Parlement et même du gouvernement - et Claudie Haigneré le sait mieux que moi - dont la marge de manoeuvre est effectivement extrêmement réduite pour ne pas dire nulle, le vote Parlementaire était une sorte de formalité avec des épisodes tragi-comiques, qui se terminait toujours dans les mêmes conditions.

Les choses ont sensiblement changé et elles ont déjà commencé à changer avec cette discussion du mois d'octobre. Il y a une capacité, une possibilité peu exploitée encore pour l'instant - je la situe au niveau des dépenses, pas à celui des recettes - de réaffecter les dépenses dans une marge de manoeuvre qui va inévitablement s'élargir. C'est là que nous, Parlementaires, devrons être très vigilants, à l'écoute bien sûr des consommateurs de crédits, car nous aurons à démontrer aussi à nos collègues qui ne sont pas forcément des passionnés de l'espace ou des questions scientifiques et de recherche, que les dépenses proposées par les différents ministères, par les missions, sont bien nécessaires et utiles, qu'elles se justifient.

La pratique qui vient d'être mise en place en France, qui est tout à fait nouvelle, des indicateurs de performance, est bien sûr toujours discutable : un indicateur est-il fidèle ? Rend-il compte de la réalité, de la vérité ? Est-il opportun ? Evidemment, mais c'est mieux que rien. Sachez que nous dépensons des centaines de milliards d'euros sans avoir le moindre indicateur de performance. Connaissez-vous une entreprise qui se risquerait à ce genre de choses ? Vous me direz que pour les entreprises, l'indicateur de performance est le marché, certes, mais nous devons également raisonner en ces termes.

Cette novation essentielle qui s'appelle la LOLF, va permettre un peu cette année, mais surtout à partir de l'année prochaine et des années suivantes, de juger du bien-fondé des investissements, des dépenses qui ont été votés par le Parlement. Une discussion Parlementaire sera engagée avec confrontation des idées et dans quelques années et par rapport aux perspectives que présentent les différents ministères, nous aurons certainement des choix qui ne suivront pas forcément les propositions qui seront formulées.

Puisqu'on parlait du rôle du citoyen - et c'est tout à fait légitime - je crois que cette nouvelle procédure sera un élément de réorientation, de réaffectation plus fine et plus justifiée, et cassera peut-être des habitudes répétitives ou des baronnies qui avaient tendance à vivre dans le confort des services votés, sans avoir à faire preuve de beaucoup d'imagination ni à justifier de l'opportunité et de la réalité de ces dépenses.

Je ne voudrais pas oublier de mentionner ce que Charles de Lauzun de la Délégation générale à l'armement a présenté, ainsi que Blaise Jaeger. François Auque a été comme toujours passionné et passionnant aussi, parfois un peu excessif, mais je ne lui en voudrais pas, car il faut aussi beaucoup de passion dans l'espace.

Ce qui nous caractérise les uns et les autres - en tout cas l'expérience que j'en ai -, c'est que nous sommes passionnés parce que nous faisons les choses dans les différentes responsabilités qui sont les nôtres. Et heureusement, sinon l'espace n'aurait certainement pas atteint les résultats qui sont les siens.

Je crois que sur ce point, et puisqu'on parlait d'investissements, de justification de ces dépenses, très franchement, lorsqu'on fait le bilan de toutes les applications, de toutes les novations, des changements profonds de société mis en oeuvre sur des choses qui paraissent un peu futiles, comme la télévision mobile dont on nous a parlé tout à l'heure, les changements en profondeur de la société, les progrès essentiels - je ne vais pas revenir sur la télémédecine - peu de choses changent autant la vie du quotidien que toutes les applications spatiales.

Si on met cela en référence et en rapport avec le coût objectif des différents budgets, je crois que peu de domaines connaissent une telle réussite et une telle profitabilité par rapport aux investissements des différents citoyens. C'est valable en France comme ailleurs.

Si effectivement les soucis qui ont été exprimés sont tout à fait recevables, si un certain nombre de déceptions s'expriment également, nous ne sommes plus dans la grande période de l'épopée du programme spatial Apollo ou d'autres grandes expéditions, mais dans une ère de maturité, de consolidation, où ce ne sont plus les pionniers, mais les soutiers, qui sont cependant nécessaires à la vie de la société. Je crois que c'est une optique tout à fait optimiste qu'il faut formuler à l'issue de cette journée.

Il faut la formuler même si cela fait mal au coeur de voir - et je comprends les chefs d'entreprise - « alléger » des effectifs puisque le chiffre d'affaires ne répond pas à l'entretien des équipes, de voir des équipes se disperser, de voir aussi - et je le comprends au niveau des différents États - des choix extrêmement douloureux.

La coopération, tout le monde l'a dit, est un mal nécessaire, ce serait tellement plus simple pour chacune de nos agences nationales d'avoir ses propres programmes, d'engager ses propres actions et d'obtenir des résultats à hauteur de ses espoirs. Ce serait tellement facile par rapport à une politique de coopération internationale qui est extrêmement lourde, difficile, souvent remise en question pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la nature même des travaux de recherche.

Si on observe les difficultés permanentes que le programme Galileo a générées depuis trois ou quatre ans, voire cinq ans, chaque fois on dit que maintenant c'est terminé. La semaine dernière c'était une nouvelle fois la catastrophe, Galileo allait sombrer corps et bien. Il a fallu encore un épisode tragi-comique pour que pratiquement un samedi matin, je ne sais plus dans quelles conditions, l'ESA, dans un communiqué de crise, réussisse à apporter le financement des quelques centaines de millions nécessaires, sinon on était forclos et tout s'effondrait une nouvelle fois.

Je comprends la rage qui étreint un certain nombre d'entre nous qui luttons depuis des années, voire des dizaines d'années pour certains, pour construire. On construit pas à pas, difficilement, en rencontrant des hostilités, mais c'est logique. Il est normal que ceux qui avaient en charge le CMGPS, n'envisagent pas forcément de gaieté de coeur de perdre une situation de monopole. Qui accepte de gaieté de coeur de perdre une situation de monopole ? Personne.

Finalement, les Américains eux-mêmes considèrent que Galileo est une bonne chose, complémentaire, d'émulation par ailleurs, et qui élargit le champ d'utilisation des systèmes comme il faut un système de masse. Cela fait partie d'ailleurs des choses que les Russes ont de nouveau privilégiées à partir du moment où ils ont eu les ressources financières pour relancer une politique spatiale.

Nous sommes dans une situation où l'espace s'impose indiscutablement à tous, décideurs et non-décideurs, et les citoyens en sont assez largement convaincus. Il appartient aux politiques plutôt au sens général du terme, aux décideurs et notamment aux parlementaires de donner les moyens aux agences nationales, aux industriels de répondre à cette attente et de faire en sorte qu'au travers des quelques difficultés que j'ai mentionnées rapidement, la politique européenne puisse les surmonter, cela a toujours été le cas et ça continuera à l'être.

Il faut qu'au-delà de la coopération européenne, nous assurions une politique internationale avec nos grands amis américains, russes et d'autres nations, un développement multinational qui, dans les perspectives du programme Bush et des programmes à venir, permettra à la communauté mondiale de travailler ensemble en émulation, sans concurrence inutile, mais au contraire en valorisant les compétences des uns et des autres ans, en assurant avec un modèle qui ne serait peut-être pas celui de l'ISS - tout le monde s'accorde à dire que ce système n'était pas le meilleur -, mais une répartition, une complémentarité des tâches où un certain doublonnage n'est pas inutile non plus. Il faut que tout ceci soit coordonné afin de permettre d'associer et de réaliser la meilleure valorisation des compétences des femmes et des hommes de la planète.

En tout cas sachez, Mesdames et Messieurs, que les Parlementaires que nous sommes aurons, après l'audition de bon nombre d'entre vous, dans les mois qui viennent, la capacité d'apporter, je le pense et l'espère, des réponses à cette problématique pour les quinze années à venir. Comme beaucoup d'entre vous l'ont dit, c'est effectivement maintenant que nous construisons pour dans quinze ans, et nous ne pouvons ni ne devons rater ce rendez-vous historique.

Je crois qu'avec les capacités qui sont les vôtres, la passion qui vous caractérise, les Parlementaires ne vous décevront pas.

La séance est levée à 19h00.