N° 26 SESSION
ORDINAIRE DE 2016-2017 22
novembre 2016 |
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rÉsolution europÉenne sur l’inadaptation des normes
agricoles et de la politique commerciale européenne aux spécificités des régions ultrapériphériques. |
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Le Sénat a adopté la
résolution dont la teneur suit : |
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Voir les
numéros : Sénat : 65,
102 et 127 (2016-2017). |
Le Sénat,
Vu l’article 88-4 de la
Constitution,
Vu les articles 206, 207 et
349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), et l’arrêt de
la Cour de justice de l’Union européenne (grande chambre) du 15 décembre
2015 – Parlement européen et Commission européenne contre Conseil de l’Union
européenne, soutenu par le Royaume d’Espagne, la République française et la
République portugaise (Affaires jointes C-132/14 à C-136/14),
Vu le règlement (CE) du
Parlement européen et du Conseil n° 396/2005 du 23 février 2005
concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents
dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d’origine
végétale et animale et modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil,
Vu le règlement (CE)
n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production
biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement
(CEE) n° 2092/91,
Vu le règlement (CE)
n° 669/2009 du 24 juillet 2009 de la Commission portant modalités d’exécution
du règlement (CE) n° 882/2004 du Parlement européen et du Conseil en ce
qui concerne les contrôles officiels renforcés à l’importation de certains
aliments pour animaux et certaines denrées alimentaires d’origine non animale
et modifiant la décision 2006/504/CE,
Vu le règlement (CE)
n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009
concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant
les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil,
Vu le règlement (UE)
n° 283/2013 de la Commission du 1er mars 2013
établissant les exigences en matière de données applicables aux substances
actives,
Vu la proposition de
règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la production
biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, présentée le 24 mars
2014,
Vu la proposition de
règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 19/2013
portant mise en œuvre de la clause de sauvegarde bilatérale et du mécanisme de
stabilisation pour les bananes prévus par l’accord commercial entre l’Union
européenne et ses États membres, d’une part, et la Colombie et le Pérou, d’autre
part, et le règlement (UE) n° 20/2013 portant mise en œuvre de la
clause de sauvegarde bilatérale et du mécanisme de stabilisation pour les
bananes prévus par l’accord établissant une association entre l’Union
européenne et ses États membres, d’une part, et l’Amérique centrale, d’autre
part, présentée le 26 mai 2015,
Vu le projet de rapport
n° 2015/0112(COD) du 18 juillet 2016 de Mme Marielle de Sarnez
au nom de la Commission du commerce international du Parlement européen sur la
proposition de règlement précédente,
Vu la communication « Les
régions ultrapériphériques de l’Union européenne : vers un partenariat
pour une croissance intelligente, durable et inclusive » présentée
par la Commission européenne le 20 juin 2012,
Vu le document d’orientation
du 4 mars 2016 destiné à harmoniser les études de dissipation des
pesticides chimiques en milieu terrestre au champ, mis au point par l’Agence
européenne de sécurité des aliments, par l’Agence américaine de protection de l’environnement
et par l’Agence Santé Canada,
Vu la réponse du 23 février
2015 apportée par M. Phil Hogan au nom de la Commission européenne à
la question écrite E-011032-14 du 18 décembre 2014 de M. Younous Omarjee,
posée en application de l’article 130 du Règlement du Parlement européen,
sur les conséquences de la suppression des quotas sucriers sur le marché du
sucre de l’Union européenne,
Vu la réponse du 17 mai
2016 apportée par M. Vytenis Andrukaitis au nom de la Commission
européenne à la question écrite E-001040-16 de Mme Mireille d’Ornano du 3 février 2016,
posée en application de l’article 130 du Règlement du Parlement européen,
sur la révision du règlement sur les pesticides de 2009,
Vu la réponse du 3 juin
2016 apportée par Mme Corina Crețu au nom de la Commission européenne à la question écrite
E-003154-16 du 20 avril 2016 de Mme Cláudia Monteiro de Aguiar,
MM. Gabriel Mato, Younous Omarjee, Louis-Joseph Manscour et Maurice Ponga,
Mme Sofia Ribeiro, M. Ricardo Serrão Santos, Mme Liliana Rodrigues
et M. Juan Fernando López Aguilar posée en application de l’article 130
du Règlement du Parlement européen, sur la fermeture de l’unité spéciale de la
Commission pour les régions ultrapériphériques (RUP),
Vu la réponse du
23 juin 2016 apportée par M. Phil Hogan au nom de la Commission
européenne à la question écrite P‑003927-16 du 11 mai 2016 de
M. Louis-Joseph Manscour, posée en application de l’article 130
du Règlement du Parlement européen, sur la filière canne-sucre des RUP face aux
négociations commerciales,
Vu la résolution du Sénat
n° 105 (2010-2011) du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des
effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux
conclus par l’Union européenne,
Vu la résolution du Sénat
n° 68 (2015-2016) du 26 janvier 2016 relative aux effets des accords
commerciaux conclus par l’Union européenne sur les économies sucrières et la
filière de la canne des régions ultrapériphériques,
Considérant que les RUP
constituent un atout pour l’Union européenne et qu’il est dans son intérêt de
soutenir ces territoires « dans l’exploitation de toutes les
possibilités de croissance intelligente, durable et inclusive sur la base de
leurs atouts et de leur potentiel endogène », conformément aux
orientations de la Commission européenne dans sa communication de 2012 exposant
sa stratégie pluriannuelle pour les RUP ;
Considérant que l’article 349
du TFUE permet l’édiction de mesures spécifiques aux RUP afin de prendre en
compte leurs contraintes propres, notamment « leur éloignement, l’insularité,
leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance
économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits » ;
Considérant que les filières
agricoles des RUP jouent un rôle économique et social vital dans ces
territoires et constituent, au sein de leur environnement régional, des modèles
porteurs des valeurs de l’Union européenne en matière sociale et
environnementale ;
Considérant que les normes
et les procédures applicables à l’agriculture des RUP françaises en matière
sanitaire et phytosanitaire trouvent leur origine pour l’essentiel dans des
règlements européens d’application directe qui y imposent les mêmes dispositifs
et les mêmes procédures qu’en Europe continentale, sans aucune prise en compte
des caractéristiques de l’agriculture en contexte tropical ;
Considérant que l’application
uniforme de la réglementation conçue pour des latitudes tempérées, sans forte
pression de maladies et de ravageurs, conduit à une impasse qui menace
directement la survie des filières agricoles des RUP ;
Considérant que les
filières agricoles ultramarines souffrent de la prégnance des usages
phytosanitaires orphelins, de la fragilité de la couverture phytopharmaceutique
menacée par des retraits soudains d’homologation de substances actives, de l’absence
de réponse contre des ravageurs dévastateurs comme la fourmi manioc, d’un
encadrement inadapté des conditions d’utilisation des produits phytosanitaires
en climat tropical et de dérogations difficiles à mettre en œuvre ;
Considérant que les
agriculteurs des RUP subissent de surcroît les effets d’une politique
commerciale de l’Union européenne très favorable aux pays tiers, tant en termes
de conclusion d’accords de libre échange qui mettent en péril les grandes
filières exportatrices comme la banane, le sucre et le rhum, qu’au regard du
faible degré d’exigence des normes alimentaires imposées aux denrées importées
depuis ces pays ;
Considérant que, face à la
concurrence des pays tiers dont la compétitivité-coût est insurpassable, du
fait de niveaux de salaire et de conditions de travail nettement moins élevés
et onéreux que dans les RUP, la préservation des barrières tarifaires et non‑tarifaires
est indispensable pour protéger les marchés des RUP ;
Considérant que les clauses
de sauvegarde et les mécanismes de stabilisation inscrits dans les accords de
libre-échange ont fait la preuve qu’ils étaient actuellement inopérants, en
particulier lors de l’application des accords sur la banane avec la Colombie et
le Pérou et avec les pays d’Amérique Centrale, dans la mesure où la Commission
européenne a décidé de ne pas déclencher ces dispositifs malgré des
dépassements répétés des quotas d’importation ;
Considérant que l’adhésion
de l’Équateur à l’accord avec la Colombie et le Pérou ne peut manquer de porter
préjudice aux producteurs de banane des RUP, alors que l’Équateur est déjà le
premier exportateur de bananes vers l’Union européenne et qu’il bénéficiera
désormais du même démantèlement tarifaire massif qui a déjà permis au Pérou de
tripler ses exportations ;
Considérant que les
outre-mer doivent tenter de résister sur leurs marchés traditionnels à l’export,
comme sur leurs marchés locaux, en endossant un handicap normatif dont l’Union
européenne exonère les pays tiers ;
Considérant que les denrées
des pays tiers, dès lors qu’elles respectent les limites maximales de résidus
(LMR) de pesticides, même si elles ont été traitées par des substances
interdites pour les producteurs de l’Union européenne, sont acceptées sur les
marchés européens, où elles concurrencent sévèrement les productions des RUP ;
Considérant que, pour
rétablir une concurrence saine et loyale, les normes de commercialisation dans
l’Union européenne doivent exiger des conditions de production excédant le seul
respect des LMR ;
Considérant que les
contrôles des importations de denrées alimentaires dans les RUP, même selon les
modalités renforcées prévues par les règlements européens, sont insuffisants et
régulièrement contournés, ce qui aboutit à la commercialisation frauduleuse de
produits ne respectant pas les LMR sur les marchés ultramarins ;
Considérant que les
producteurs ultramarins sont engagés dans une stratégie de montée en gamme et
de certification qui ne pourra porter ses fruits tant que certaines productions
des pays tiers bénéficient parallèlement de labels de qualité européens sans
pour autant respecter pleinement les exigences communautaires ;
Considérant que les
perspectives de développement de la production biologique, qui constitue une
voie d’avenir possible pour les agricultures ultramarines, sont bridées par une
réglementation européenne défavorable et par le cumul des normes sur l’agriculture
biologique et sur les produits phytosanitaires, qui avantage à nouveau les pays
tiers par rapport aux RUP ;
Considérant que la
réglementation européenne sur l’agriculture biologique n’a jamais été élaborée
en tenant compte du contexte tropical des RUP, alors que leurs concurrents comme
la République dominicaine et le Brésil ont défini des règles d’agriculture
biologique adaptées au climat tropical et que la Nouvelle-Calédonie et la
Polynésie française, grâce à leur statut d’autonomie, ont su également élaborer
une norme d’agriculture biologique en harmonie avec leur environnement régional
océanien ;
Considérant que certaines
productions biologiques des pays tiers, moins vertueuses du point de vue
environnemental et de la santé des agriculteurs que leurs homologues
conventionnelles des RUP, envahissent le marché européen en profitant d’un
étiquetage biologique qui entretient une confusion trompeuse pour le
consommateur européen ;
Estime nécessaire de
garantir la cohérence des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l’Union
européenne, conformément à l’article 207 du TFUE, aux termes duquel
« il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les
accords négociés soient compatibles avec les politiques et règles internes de l’Union » ;
Invite la Commission
européenne à acclimater les normes européennes réglementant l’agriculture et l’élevage
aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités des
productions en milieu tropical ;
Préconise de procéder à la
révision du règlement sur les pesticides de 2009 pour dispenser d’homologation
les phéromones et les extraits végétaux, et en général tous les moyens de lutte
biologique, développés et validés par les instituts de recherche implantés dans
les RUP, afin de doter les agriculteurs de moyens de protection contre les
ravageurs, efficaces et conformes à la mutation agroécologique ;
Recommande à la Commission
européenne d’établir une liste positive de pays dont les procédures d’homologation
de produits phytopharmaceutiques sont équivalentes à celles de l’Union européenne
afin de permettre aux autorités françaises d’autoriser directement un produit
homologué dans un des pays de la liste pour la même culture et le même usage ;
Propose d’autoriser pour
les RUP, à titre dérogatoire, la culture locale de variétés végétales
résistantes aux ravageurs tropicaux mais non-inscrites au catalogue européen
des variétés ;
Demande à l’Agence
européenne de sécurité des aliments de compléter les référentiels
pédoclimatiques et d’habitudes alimentaires qu’elle utilise afin de prendre en
compte les caractéristiques propres des RUP au moment de l’évaluation des
risques ;
Recommande, à l’occasion de
la refonte du règlement sur la production biologique de 2007, de prévoir un
volet spécifique pour la culture biologique en milieu tropical afin d’assouplir
le recours aux semences conventionnelles, d’autoriser la culture sur claies, de
raccourcir le délai de conversion et de permettre le traitement post-récolte
par des produits d’origine naturelle ;
Préconise d’autoriser la
certification de l’agriculture biologique par un système participatif de
garantie (SPG), comme en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, en
rendant facultatif le recours à un organisme certificateur pour les
exploitations implantées dans les RUP ;
Invite la Commission
européenne à assurer la cohérence des normes de production et des normes de
mise sur le marché pour résorber le handicap normatif des RUP tout en veillant
à la protection du consommateur européen ;
Demande à la Commission
européenne de supprimer les tolérances à l’importation pour les denrées
traitées par une substance active interdite dans l’Union européenne ;
Recommande à la Commission
européenne d’établir une liste noire pour interdire les importations de
produits de la pêche et de légumes-racines depuis les pays qui ont traité
massivement par le passé leur production avec des substances polluantes
rémanentes dans le sol et l’eau ;
Préconise l’interdiction de
l’étiquetage biologique pour les produits importés de pays tiers lorsqu’ils ne
respectent pas les mêmes normes que les producteurs biologiques européens ;
Demande à la Commission
européenne d’activer les mécanismes de stabilisation inscrits dans les accords
commerciaux et, ainsi, de suspendre les droits préférentiels octroyés aux pays
tiers, dès que les importations en provenance de ces derniers dépassent les
seuils de déclenchement fixés dans l’accord ;
Incite la Commission
européenne à prolonger au-delà de 2019 les mécanismes de stabilisation
prévus dans les accords sur la banane avec les pays d’Amérique latine afin d’assurer
aux producteurs ultramarins une visibilité et une protection pérennes ;
Souhaite la création d’observatoires
des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des RUP, la
banane et la canne, afin de disposer de mesures fiables, publiques et
transparentes des effets des importations en provenance des pays tiers avec la
périodicité pertinente et ainsi d’alerter rapidement la Commission européenne
et les États membres en cas de perturbation grave du marché européen et des
marchés locaux, pour déclencher sans délai les clauses de sauvegarde et les
mécanismes de stabilisation ;
Appelle la Commission
européenne à évaluer systématiquement les effets sur les RUP des accords
commerciaux qu’il lui revient de négocier en menant des études d’impact
préalables et recommande au Gouvernement d’exercer la plus grande vigilance sur
la définition du mandat de négociation et sur le suivi de l’application des
accords commerciaux, dont les parlements nationaux doivent être tenus précisément
informés ;
Juge nécessaire de
développer l’information du consommateur sur les conditions de travail pour les
producteurs des pays tiers et sur le différentiel de qualité environnementale
avec les RUP.
Délibéré en séance publique, à Paris, le 22 novembre 2016.
Le
Président,
Signé :
Gérard LARCHER