N° 98 SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017 21 février 2017 |
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rÉsolution visant à agir avec pragmatisme et discernement dans la gestion de l’eau. |
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Le Sénat a adopté la
résolution dont la teneur suit : |
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Voir
les numéros : Sénat : 247 (2016-2017). |
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la
Constitution,
Vu la directive 2000/60/CE
du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre
pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (DCE),
Vu la loi n° 2006-1772
du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA), ayant pour
objectifs de doter la France des outils permettant d’atteindre, en 2015, l’objectif
de « bon état des eaux » fixé par la DCE, d’améliorer le service
public de l’eau et de l’assainissement, d’organiser l’accès à l’eau pour tous
avec une gestion plus transparente et de prendre en compte l’adaptation au
changement climatique dans la gestion des ressources en eau ,
Vu le rapport d’information
de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du
20 juillet 2016, intitulé « Gestion de l’eau : agir avec
pragmatisme et discernement », (n° 807, 2015-2016),
Conscient que l’eau est une
ressource rare, qu’elle n’appartient à personne et est la propriété de
tous ;
Considérant que le
thermomètre normatif en matière de gestion de l’eau change trop souvent alors
que l’ensemble des acteurs, usagers, consommateurs, professionnels, agriculteurs,
industriels, contribuables, associations et collectivités ont fait et font des
efforts considérables pour atteindre les critères fixés par la directive cadre
sur l’eau (DCE) et ceux de la loi Grenelle ;
Considérant que les
ponctions aux budgets des agences de l’eau au profit du budget de l’État font
peser un réel danger sur l’investissement des collectivités et donc sur l’emploi
local, et ne peuvent que pénaliser les collectivités dans leurs travaux d’investissements,
mais également dans la réalisation des engagements européens ;
Observant le manque de
concertation et de directives claires sur les décisions prises, la diffusion de
diagnostics se fondant uniquement sur les points négatifs des ouvrages, sans
jamais tenir compte des apports positifs éventuels des différents ouvrages,
comme par exemple la stabilité de biodiversité qu’ils permettent, ou encore le
potentiel de production hydro-électrique, ou le maintien d’un niveau d’eau
(avec une humidité des sols) dans les parcelles jouxtant les ouvrages ;
Observant que les aires d’alimentation
des captages (AAC) manquent de moyens pour leur mise en œuvre, leur
fonctionnement, mais aussi d’animation locale à même d’instaurer une dynamique
vertueuse, en concertation agricole ; constatant que les collectivités en
charge de la mise en œuvre des aires d’alimentation, des actions pour lutter
contre les pollutions manquent de moyens financiers ;
Considérant que la
suppression de la taxe finançant le fonds de garantie des risques liés à
l’épandage agricole des boues d’épuration urbaines ou industrielles risque de
se traduire sur le terrain par la remise en cause des plans d’épandage, et donc
par d’importantes difficultés pour certaines collectivités en ce qui concerne l’élimination
de leurs boues d’épuration ; observant que la profession agricole
considère que cette taxe, pour les territoires où les boues sont épandues en
agriculture, est une garantie nécessaire à la pérennité de cette pratique, dont
les coûts de mise en œuvre sont bien supérieurs aux autres filières d’élimination
des boues ;
Considérant que 20 %
de l’eau traitée et mise en distribution est perdue en raison des fuites dans
les réseaux d’eau potable, ce qui représente une perte annuelle d’un milliard
de mètres cube, que les causes de ces fuites peuvent être liées à la vétusté
des installations et des canalisations, à une corrosion naturelle, aux
évolutions et mouvements des sols ou encore à la pression élevée de l’eau dans
les canalisations, que le coût de financement des réseaux d’assainissement,
particulièrement dans les territoires ruraux, justifie des investissements très
importants, difficilement réalisables par certaines collectivités ;
Considérant le dispositif
de gestion collective de l’eau introduit par la LEMA, et notamment la création
des organismes uniques de gestion collective (OUGC) dans les secteurs en
tension quantitative ; observant que les OUGC ne peuvent pas refuser l’accès
à l’eau à un agriculteur hors de la zone de répartition des eaux (ZRE), que les
périmètres de consommation restreinte ne respectent pas nécessairement les
ressources ;
Considérant qu’environ un
quart du territoire métropolitain est aujourd’hui inscrit en ZRE, c’est-à-dire
dans des sous-bassins hydrographiques caractérisés par une insuffisance
chronique de la quantité d’eau mobilisable au regard des besoins à satisfaire,
que ces ZRE ne sont pas toutes justifiées ;
Constatant une diminution
des surfaces irriguées à cause de la complexité des autorisations de pompage et
des difficultés liées à l’instruction des dossiers de demande de stockage d’eau
pour l’agriculture ; considérant que la ressource en eau pour l’agriculture
doit redevenir une priorité et être considérée comme une richesse en terme de
diversification des cultures (obligation européenne) et une assurance pour les
récoltes, notamment pour les semences ;
Considérant la
réglementation française en matière de réutilisation des eaux usées (REUT) et
sa complexification par l’arrêté du 25 juin 2014 modifiant
l’arrêté du 2 août 2010 relatif à l’utilisation d’eaux issues du
traitement d’épuration des eaux résiduaires urbaines pour l’irrigation de
cultures ou d’espaces verts, fixant
des prescriptions techniques particulières pour les systèmes d’irrigation et d’arrosage
par aspersion ;
Considérant que, selon la
classification des cours d’eau ‑ ruisseau, rivière, canal ou simple
fossé –, les possibilités d’entretien diffèrent, qu’une demande préalable
à l’entretien doit être effectuée et acceptée par les services départementaux,
que les procédures administratives ne sont pas toujours d’une rapidité
suffisante, que le mauvais entretien des cours d’eau est pointé comme un
facteur aggravant des inondations ;
Considérant que l’arasement
systématique des seuils des moulins menace le développement de la petite
hydroélectricité qui représente en France une filière industrielle importante
dans le domaine de l’énergie ;
Constatant que la
complexité des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE)
ne permet pas aux acteurs de l’eau d’en comprendre les fondements et de définir
les modalités pratiques de mise en œuvre ; observant que certains de ces
acteurs semblent être sous-représentés, comme les irrigants, les jeunes
agriculteurs ou les propriétaires ruraux, au sein des instances de
bassin ;
Considérant que le niveau
intercommunal n’est pas le mieux adapté pour l’exercice de la compétence
relative à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations
(GEMAPI), pour des raisons financières et parce qu’il ne correspond pas à la
notion de bassin versant ;
Affirme l’urgence de
parvenir à une meilleure gestion qualitative et quantitative de la ressource en
eau ;
En conséquence,
invite le Gouvernement à engager les mesures suivantes.
Pour une meilleure
gestion qualitative de l’eau :
Veiller à ce que les normes
applicables s’en tiennent au strict respect des directives européennes et fixer
des objectifs réalistes, pragmatiques et stables, afin de pouvoir mesurer les
progrès réels effectués en matière de politique de l’eau ;
Interdire tout prélèvement
par l’État sur le fonds de roulement des agences de l’eau, afin de garantir un
financement stable de la politique de l’eau et d’atteindre les objectifs de
qualité de l’eau fixés au niveau européen ; appliquer le principe de
« l’eau paye l’eau » ;
Favoriser les solutions au
cas par cas, acceptables économiquement et socialement, ainsi que la
combinaison de différentes techniques pour restaurer la continuité
écologique ; inscrire les modifications de seuils dans le cadre d’actions
plus globales de restauration du milieu aquatique dans son ensemble ;
Mieux utiliser les moyens
du fonds de garantie boues mis en place par la LEMA ;
Renforcer les moyens
financiers pour les collectivités locales dans la protection des captages, des
réseaux d’assainissement et stations d’épuration.
Pour une meilleure
gestion quantitative de l’eau :
Soutenir financièrement les
collectivités pour lutter contre les fuites d’eau sur les réseaux d’eau potable
et mettre en place un plan d’action visant à acquérir une connaissance plus
approfondie de ces réseaux, rechercher et réparer les fuites ou renouveler les
conduites ;
Sécuriser juridiquement les
OUGC en clarifiant les liens entre les OUGC et les irrigants ;
Renforcer la présence des
acteurs et professionnels concernés au sein des comités d’orientation des OUGC ;
Promouvoir le développement
de contrats avec les agriculteurs pour effectuer des prestations de services
environnementaux ;
Définir des plans d’action
qui concilient protection de la qualité de l’eau et potentiel de production et
qui prennent mieux en compte l’évaluation des risques (inondations, sécheresse,
etc.) en favorisant par exemple des bassins d’écrêtement des crues ;
Favoriser la recharge des
nappes phréatiques en dehors des périodes d’étiages ou lorsque la situation le
permet ;
Favoriser les retenues de
substitution et collinaires avec la possibilité de remplissage dès lors que les
niveaux d’eau sont suffisants ou excédentaires en période de crue ;
Encourager la recherche en
matière de techniques d’accroissement de la ressource en eau ;
Réutiliser
les captages d’eau potable abandonnés pour des usages non alimentaires
(irrigation, arrosage public, etc.).
Pour une
simplification des procédures et l’allégement des normes applicables à l’eau :
Simplifier les procédures
de nettoyage des rivières et des fossés ;
Raccourcir les procédures
et alléger les contraintes d’autorisation de pompage et de mise en œuvre des OUGC,
notamment les obligations en matière d’études préalables pour l’obtention de l’autorisation
unique de prélèvement ;
Raccourcir les délais d’instruction
pour les dossiers de création de réserves en eau et les sécuriser
juridiquement ;
Compléter l’article
L. 214-17 du code de l’environnement, qui concerne les obligations
relatives aux ouvrages, afin de préciser que le classement des cours d’eau en
liste, c’est-à-dire dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport
suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, doit
permettre de concilier le rétablissement de la continuité écologique avec les
différents usages de l’eau, et en particulier le développement de la production
d’électricité d’origine renouvelable ;
Agir avec pragmatisme et
discernement pour un arasement non systématique des seuils et préserver le
fonctionnement des moulins qui font partie du patrimoine national.
Pour une meilleure
gouvernance et planification de l’eau :
Revoir le contenu des SDAGE
en y intégrant notamment un volet prospectif sur l’anticipation au changement
climatique et en les simplifiant ;
Rééquilibrer la composition
des instances de bassin sur la base d’une répartition prévoyant un tiers de
consommateurs et associations agréées par l’État, un tiers de collectivités et
un tiers d’utilisateurs industriels et agricoles ;
Reconnaître les
propriétaires ruraux comme des acteurs environnementaux ;
Attribuer la compétence de
GEMAPI à une collectivité correspondant davantage à un bassin versant
(département ou syndicat de rivière) à condition de leur transférer les moyens
financiers pour en assurer la mise en œuvre en lien étroit avec les agences de
l’eau.
Délibéré en séance publique, à Paris, le 21 février 2017.
Le
Président,
Signé :
Gérard LARCHER