Allocution de clôture du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à l’occasion de la remise officielle du rapport des Commissions des Affaires étrangères du Sénat et du Conseil de la Fédération de Russie sur les relations bilatérales franco-russes
(le 23 juin 2020, en visioconférence)


Madame la Présidente du Conseil de la Fédération de Russie,
Messieurs les Ambassadeurs, Monsieur l’Envoyé spécial du Président de la République pour l’architecture de sécurité et de confiance avec la Russie,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Il me revient, chère Valentina Matvienko, de conclure notre réunion.

Je tiens à souligner la qualité du rapport qui vient de nous être présenté et qui illustre l’état d’esprit dans lequel nos deux commissions ont travaillé : un état d’esprit constructif, qui participe de l’agenda de sécurité et de confiance promu par les Présidents Poutine et Macron.

Depuis 2019, conformément aux suggestions de nos deux chambres dans leur premier rapport, beaucoup a été fait en matière de coopération bilatérale, en particulier pour renforcer nos partenariats économiques et technologiques.

Mais le potentiel de notre coopération est loin d’être épuisé.

L’épidémie de Covid 19 nous incite à approfondir notre coopération en matière de santé et de promotion de normes sanitaires, en particulier à l’égard d’Etats qui, déficients en la matière, sont des foyers de transmission de maladies de l’animal à l’homme.

Dans le domaine éducatif, un chiffre doit retenir notre attention : 5400 Russes étudient en France, contre 300 Français en Russie. C’est très insuffisant. Nous serons sensibles aux mesures qui pourront être prises pour faciliter l’accueil d’étudiants français en Russie et le développement de formations co-diplômantes. Les étudiants français en Russie sont les chercheurs et les amis de la Russie de demain !

2021 sera l’Année de la coopération décentralisée franco-russe. Nos deux chambres représentent les collectivités territoriales. Elles doivent porter cette Année par leurs initiatives afin de dynamiser les partenariats existants, élargir leur champ géographique, les étendre à de nouveaux domaines, je pense à l’agroalimentaire ou à la ville durable. Je vous annonce l’intention du Sénat d’accueillir en 2021 un événement marquant de la coopération décentralisée franco-russe.

Je suis frappé par l’ampleur des dossiers internationaux qui nous rapprochent, qu’il s’agisse du conflit israélo-palestinien, de la préservation de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien et du régime de non-prolifération nucléaire, ou de la lutte contre le changement climatique.

Nos intérêts convergent pour combattre le terrorisme islamiste, qui a meurtri chacun de nos pays. Votre rapport nous invite à dégager des priorités dans nos objectifs, et peut-être à infléchir certaines positions : il est indispensable d’empêcher les drames humanitaires qui frappent les populations civiles, au prétexte de la lutte contre le terrorisme. Mais l’urgence et la priorité doivent demeurer l’éradication des forces terroristes.

Ni la Russie, ni la France, ni les Etats membres de l’Union européenne, n’imposent l’extraterritorialité de leurs mesures. L’extraterritorialité est contraire à la souveraineté des États. Il nous appartient d’utiliser tous les moyens conformes au droit international pour la dénoncer, et de mettre sur pied ensemble des mécanismes permettant de ne pas se laisser entraver.

En revanche, dans le traitement de certaines grandes crises, sur les enjeux de sécurité européenne, les marges de progrès demeurent considérables. Vous me permettrez de faire quelques propositions.

Le temps est venu, me semble-t-il, de décloisonner un certain nombre de dossiers, comme votre rapport nous y incite, et de trouver les termes d’une entente globale, en posant pour chacun d’entre nous quelles évolutions sont attendues de façon prioritaire afin d’aller de l’avant.

Pour notre pays, sont indispensables une transparence accrue et une meilleure coordination de nos efforts respectifs en Afrique. Vous connaissez la valeur de l’engagement militaire français dans la zone subsaharienne. La France est le seul État de l’Union européenne, depuis le départ du Royaume-Uni, à disposer d’une armée capable de se déployer sur des théâtres d’opérations extérieures. Nos militaires font notre fierté. Ils ont remporté récemment, avec leurs partenaires africains, d’importantes victoires sur les groupes terroristes.

Des progrès dans la mise en oeuvre des Accords de Minsk sont également indispensables, afin d’obtenir le retrait complet des armes lourdes ou de permettre à la mission de l’OSCE de se déplacer, sans contrainte, dans l’ensemble des régions séparatistes. Ces progrès ne dépendant pas exclusivement de la Russie mais, nous en sommes convaincus, la Russie a les moyens d’user de son influence.

De tels progrès briseraient bien des verrous, que ce soit dans le champ économique, en matière de libéralisation des visas ou pour enclencher la dynamique de levée progressive des sanctions, qui nous pénalisent tous. Ces progrès sont les bornes qui balisent le chemin de sortie des sanctions.

En Libye, si proche de l’Union européenne, la France a une responsabilité particulière. La Turquie ne joue pas un rôle qui encourage le rétablissement de la stabilité en Libye. Nos deux pays devraient joindre leurs efforts pour que la Turquie respecte le cadre de dialogue inter-libyen qui résulte des résolutions des Nations unies.

L’Union européenne, je le disais, n’est pas toute l’Europe. Et le 75e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale nous rappelle combien la construction d’une architecture de sécurité européenne rénovée est cruciale, alors que les périls sont aux portes de l’Europe et que les accords de contrôle des armements ou de désarmement sont, les uns après les autres, dénoncés ou menacés de caducité.

Le temps est venu de renouer avec l’esprit d’Helsinki, en l’adaptant aux circonstances présentes - je pense par exemple à la cyber-sécurité qui devrait constituer l’une des « corbeilles » du nouvel Helsinki. L’idée pan-européenne est une idée d’avenir qui doit encore trouver son cadre.

Dans les Balkans, alors que l’influence d’acteurs extérieurs à l’Europe se fait sentir de façon croissante, il nous appartient de faire taire les ambitions concurrentes : le choix de tisser des liens avec l’Union européenne ou avec la Russie ne devrait pas être exclusif.

Vous connaissez la singularité de la France, qui n’a jamais adhéré à la logique des blocs et reste partisane d’une défense européenne qui puisse d’abord compter sur ses propres ressources. La sécurité de l’Europe doit aussi être le fait des Européens.

Pour que la confiance renaisse et que la détente prévale, il nous appartient, à la France et à la Russie, de trouver les moyens d’apaiser les appréhensions de certains États européens : ils ont d’autant plus besoin de réassurance que l’histoire les a meurtris. Leurs attentes ne devraient pas être déçues.

L’Eurasie est notre horizon commun. Elle ne peut pas exister exclusivement à travers Les Routes de la Soie. Il appartient à la Russie et à la France de réfléchir à une initiative eurasiatique, qui parte de l’Europe et soit porteuse d’une coopération équilibrée, fondée sur le principe de réciprocité. La Russie peut être un pont. Son ancrage européen est un moyen efficace de remédier à des asymétries criantes avec certains de ses grands voisins asiatiques.

Afin d’assurer un suivi à notre rapport, je propose que nos deux commissions des affaires étrangères puissent approfondir, à échéance régulière, tel ou tel sujet de l’agenda bilatéral, et d’en être parfois les éclaireurs.

Vous me permettrez de conclure par ces mots du Général de Gaulle que nous pourrions placer en frontispice de notre rapport. « Pour le malheur général, trop souvent depuis des siècles, l’alliance franco-russe fût empêchée ou contrariée par l’intrigue ou l’incompréhension. Elle n’en demeure pas moins une nécessité que l’on voit apparaître à chaque tournant de l’histoire. ».

Seul le prononcé fait foi