Question de M. TRÉGOUËT René (Rhône - RPR) publiée le 17/05/1990

M. René Trégouët appelle l'attention de M. le Premier ministre sur la publication de certains ouvrages dont le contenu constitue une incitation directe ou implicite à commettre certains délits prévus et réprimés par la loi. Un de ces ouvrages, paru récemment, met en situation, sous la forme romanesque, un certain nombre de personnages qui commettent volontairement et de manière préméditée des délits variés, tous réprimés par notre code pénal. Bien que ce livre comporte un avertissement précisant qu'il s'agit d'une oeuvre de fiction, il n'en décrit pas moins avec une grande précision les " méthodes " permettant, selon son auteur, de commettre en toute impunité des délits aussi graves que le vol, l'usage de faux, l'usurpation d'identité et le détournement de fonds publics. Il s'agit donc bien, en l'occurrence, d'une incitation à peine déguisée à enfreindre nos lois, ce qui, sur les plans juridique, politique et moral, est absolument inadmissible. La liberté de publication est un droit fondamental garanti par notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et il ne saurait être question de la restreindre en aucune façon. Cependant, dans un Etat de droit comme le nôtre, cette liberté de publication ne peut être absolue et illimitée, et c'est à l'Etat qu'il appartient de veiller à ce que cette liberté ne puisse être utilisée de manière abusive, notamment pour inciter nos concitoyens à commettre des actes répréhensibles au regard de la loi ou pour banaliser de tels actes délictueux. De tels ouvrages, en accréditant la thèse auprès de nos compatriotes que l'honnêteté est devenue l'exception et le comportement criminel et délictueux la règle, constituent une menace pour le respect de l'ordre public et pour la sécurité des personnes et des biens ; c'est pourquoi il lui demande quelles mesures de poursuites pénales et administratives envisage le Gouvernement pour sanctionner la publication d'ouvrages dont le contenu constitue une incitation manifeste à enfreindre les lois de notre République.

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Réponse du ministère : Premier ministre publiée le 06/09/1990

Réponse. - Les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse répriment la provocation aux crimes et aux délits. La provocation directe à commettre des crimes et des délits, quelle que soit leur nature, est punissable si elle est suivie d'effet lorsque le juge relève l'existence d'un lien de causalité étroit, précis et incontestable entre la ferme incitation à la commission de telle infraction déterminée et la concrétisation de ce fait pénalement répréhensible. La provocation directe non suivie d'effet n'est punissable que si son auteur appelle à la réalisation d'infractions limitativement énumérées par les deux premiers alinéas de l'article 24 de la loi précitée parmi lesquelles figurent le meurtre et le vol. Enfin, les provocations indirectes à commettre certaines infractions sont réprimées par les alinéas 3 à 6 de l'article 24 - ainsi l'apologie de crimes terroristes ou de crimes contre l'humanité -, tandis que d'autres provocations, mêmes indirectes - l'incitation au suicide ou la provocation à l'usage de stupéfiants -, sont incriminées. L'ouvrage auquel fait référence l'honorable parlementaire, qui est un recueil d'histoires romancées dans lesquelles sont effectivement décrites de façon détaillée les méthodes utilisées pour commettre certains délits, ne saurait, en tout état de cause, constituer qu'une provocation indirecte à commettre ces infractions, provocation qui ne pourrait d'ailleurs être assimilée à une apologie, les infractions décrites n'étant pas présentées comme étant méritoires ou licites. Aucune infraction pénale ne paraît donc être caractérisée puisque le législateur, soucieux de ne pas porter une atteinte grave à la liberté d'opinion et à la liberté de la presse, qui est un des fondements de toute société démocratique, n'incrimine les provocations indirectes que lorsqu'elles s'analysent en une apologie ou qu'elles incitent à des comportements d'une gravité exceptionnelle, au nombre desquelles ne figurent pas les infractions décrites dans cet ouvrage. Il peut paraître opportun d'engager une réflexion sur l'éventuelle nécessité d'incriminer les provocations directes non suivies d'effet à commettre des actes graves tels que le viol ou l'incitation à réaliser certains délits contre les biens qui constituent des atteintes aux valeurs essentielles de notre société. Il est vrai, à cet égard, que les distinctions opérées par le droit positif méconnaissent l'évolution du droit pénal et de la criminalité modernes des affaires. N'est, en effet, sanctionnée que la provocation directe au vol, au pillage ou à l'incendie. En revanche, l'on ne saurait envisager la pénalisation de toutes les provocations indirectes à la réalisation d'infractions. Une telle démarche se heurte rapidement au principe de la liberté de la presse qui doit être sauvegardé ; en effet, il n'est pas concevable d'ériger en délit le fait pour le rédacteur d'une revue juridiquede décrire, par exemple, dans un article les mécanismes de la fraude fiscale ou la narration par l'auteur d'un roman policier d'un " crime parfait ".

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