Question de M. HABERT Jacques (Français établis hors de France - NI) publiée le 28/07/1994

M. Jacques Habert attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la gravité de la résolution que le gouvernement américain aurait l'intention de déposer cette semaine devant le Conseil de sécurité des Nations Unies pour obtenir l'autorisation d'intervenir militairement en Haïti. De plus, selon certaines informations parues dans la presse, Washington aurait demandé à plusieurs pays, et notamment à la France, de participer à une force multinationale qui serait éventuellement constituée pour cette intervention. L'attention doit être attirée sur les dangers et l'inopportunité d'une telle politique. Alors qu'avant tout recours à la force, il convient d'épuiser tous les moyens de la diplomatie, aucune négociation n'a été tentée, depuis des mois, avec les autorités de fait de Port-au-Prince. La possibilité d'un retour au processus démocratique à l'occasion des élections législatives qui doivent avoir lieu en Haïti à l'automne, bien que proposée par la délégation française à l'ONU, n'a pas été sérieusement examinée. Il est donc envisagé d'envoyer des soldats en Haïti pour " régler " le problème politique de ce pays, malgré l'opposition d'une grande partie de l'opinion américaine, les très fâcheux précédents à cet égard et les déclarations d'une quinzaine d'organisations populaires favorables au président en exil Jean-Bertrand Aristide, qui ont condamné d'avance toute intervention militaire étrangère. Il paraît inconcevable que, d'une manière ou d'une autre, la France puisse s'associer à une telle entreprise. Et cela d'autant plus qu'en ce moment même un drame humain d'une dimension catastrophique se déroule sous nos yeux. Au Rwanda, des dizaines de milliers de personnes, échappées à l'horreur des massacres, meurent chaque jour de la soif, de la faim et du choléra. Malgré leur dévouement, les militaires français, envoyés seuls pour une mission humanitaire, ne peuvent suffire à la tâche. " C'est avec des camions-bennes que l'on déverse les corps dans la fausse commune, sans même plus les recouvrir d'un pauvre linceul. Faute de décision politique, la mort continue de faucher. " Devant une telle tragédie, toute la communauté internationale ne devrait-elle pas se mobiliser ? Alors que l'on assiste à des initiatives ponctuelles, désordonnées et inefficaces, les Nations Unies ne devraient-elles pas prendre la direction d'un vaste mouvement de sauvetage, en invitant tous les pays du monde à envoyer au Rwanda des médecins, des médicaments, des hôpitaux et tout ce qui peut aider à la survie des malheureux réfugiés ? Ne devraient-elles pas suivre l'exemple de la France, qui a investi ses hommes, ses avions et tout le matériel disponible dans cette grande oeuvre humanitaire ? C'est, de toute évidence, dans cette direction que se trouve aujourd'hui le devoir essentiel de l'ONU et des Etats-Unis et non pas dans une expédition militaire qui, de façon ridicule et scandaleuse, rappellerait la " politique de la canonnière " du siècle passé. Le monde, profondément ému par le drame du Rwanda, attend, en priorité absolue, que l'on aille au secours des populations de ce pays. Est-ce bien là la recommandation que la France s'apprête à faire, cette semaine, aux Nations Unies et au gouvernement américain ?

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Réponse du ministère : Affaires étrangères publiée le 01/09/1994

Réponse. - La résolution 940 concernant Haïti a été adoptée par le Conseil de sécurité le 31 juillet par 12 voix pour et 2 abstentions (Chine et Brésil), le Rwanda ne participant plus aux travaux du conseil. La France a soutenu et coparrainé cette résolution avec l'Argentine, le Canada et les Etats-Unis. Cette résolution est conforme aux dernières propositions du secrétaire général des Nations Unies et de son représentant spécial en Haïti, M. Caputo. Elle autorise la constitution d'une force multinationale sous commandement unifié pour faciliter le départ des dirigeants militaires, le retour du président élu et le rétablissement des autorités légitimes et l'instauration d'un climat sûr et stable permettant la mise en oeuvre de l'accord de l'île des Gouverneurs. Elle prévoit qu'une fois cette phase achevée la mission des Nations Unies en Haïti (MINUHA) se déploiera pour aider le gouvernement démocratique à professionnaliser les forces armées et à créer une force spéciale de police séparée, et à créer les conditions permettant l'organisation d'élections législatives libres et régulières observées par les Nations Unies. Cette résolution autorise également l'envoi d'un élément précurseur de la MINUHA, dès la première phase, comprenant un groupe d'observateurs, pour veiller à ce que la force multinationale agisse conformément au mandat donné par le Conseil de sécurité. Avant d'en venir à cette solution ultime, comme le sait l'honorable parlementaire, toutes les voies du dialogue et de la raison ont été explorées. Le Conseil de sécurité, saisi depuis juin 1993, a multiplié les messages et les signaux adressés aux militaires (neuf résolutions et une dizaine de déclarations présidentielles) pour qu'ils respectent l'accord de l'île des Gouverneurs, conclu sous l'égide des Nations Unies, qu'ils avaient librement accepté il y a plus d'un an et qu'ils n'ont depuis cessé de violer. Aucun de ses avertissements n'a été entendu. Les putschistes portent donc la pleine responsabilité de la situation présente catastrophique en Haïti, tant sur le plan des droits de l'homme que du point de vue économique et social. Le président Aristide a d'ailleurs lui-même demandé une action décisive au Conseil de sécurité pour mettre un terme à cette situation. La position de la France au sujet d'Haïti est demeurée constante : l'accord de l'île des Gouverneurs doit être appliqué, qui prévoit le retour du président élu, une profonde réforme de l'institution militaire et la reprise de l'aide économique. C'est à l'initiative de la France que le mandat de la MINUHA a été élargi à la préparation des élections législatives, étape essentielle à une restauration durable de la démocratie. La France a indiqué au secrétaire général et aux pays " amis d'Haïti " qu'elle participerait, comme initialement prévu, à la MINUHA pour des actions de formation de la nouvelle police, mais qu'elle ne se joindrait pas à la force multinationale du fait notamment de l'importance de ses engagements dans d'autres opérations, en particulier au Rwanda. En effet, la France a déployé jusqu'à 1 500 hommes sur le sol rwandais au lendemain de l'adoption de la résolution 929 autorisant les Etats membres qui le souhaitaient à intervenir dans ce pays afin d'y protéger les populations menacées et alors que la force des Nations Unies n'avait toujours pas les moyens de renforcer ses effectifs. Elle a ajourd'hui achevé son retrait conformément au mandat de ladite résolution. Au sein du dispositif Turquoise, mis en place par la France à cette occasion, participaient également des forces sénégalaises, tchadiennes, congolaises, nigériennes, bissao-guinéennes, ainsi qu'une unité médicale mauritanienne et sept observateurs égyptiens. Le geste de la France a encouragé les pays membres de l'ONU à agir davantage en faveur du Rwanda. La MINUAR élargie est maintenant en cours de constitution, grâce au renfort de troupes africaines et aux offres en équipements proposés par certains pays industrialisés. La relève des forces françaises par des forces de la MINUAR s'est opérée dans de bonnes conditions. L'effort humanitaire est également considérable quoique encore insuffisant. La France incite sans relâche la communauté internationale à ne pas diminuer son effort en faveur de la restauration de la paix dans ce pays. ; également des forces sénégalaises, tchadiennes, congolaises, nigériennes, bissao-guinéennes, ainsi qu'une unité médicale mauritanienne et sept observateurs égyptiens. Le geste de la France a encouragé les pays membres de l'ONU à agir davantage en faveur du Rwanda. La MINUAR élargie est maintenant en cours de constitution, grâce au renfort de troupes africaines et aux offres en équipements proposés par certains pays industrialisés. La relève des forces françaises par des forces de la MINUAR s'est opérée dans de bonnes conditions. L'effort humanitaire est également considérable quoique encore insuffisant. La France incite sans relâche la communauté internationale à ne pas diminuer son effort en faveur de la restauration de la paix dans ce pays.

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