Question de M. RENAR Ivan (Nord - CRC) publiée le 09/10/1996

Le Gouvernement a annoncé un certain nombre de projets fiscaux visant à supprimer les déductions supplémentaires pour frais professionnels accordées à certaines professions, dont les musiciens. Les conséquences d'une telle mesure, si elle était appliquée, sont multiples. Pour les musiciens eux-mêmes, dont le pouvoir d'achat régresse alors que les frais professionnels augmentent. Pour les orchestres enfin, dont les cotisations salariales des musiciens sont calculées sur le salaire brut minoré de l'abattement fiscal actuellement remis en question. En conséquence, M. Ivan Renar demande à M. le ministre de la culture quelles mesures il compte prendre afin de favoriser le retrait de ce projet.

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Réponse du ministère : Culture publiée le 30/10/1996

Réponse apportée en séance publique le 29/10/1996

M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les musiciens constituent l'une des
professions touchées par la décision de suppression de l'abattement fiscal pour frais professionnels.
Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur l'iniquité de cette mesure lourde de conséquences pour les
musiciens eux-mêmes et pour un secteur culturel déjà en prise aux difficultés importantes en raison tant de la faiblesse des
crédits que de la concurrence déloyale du commerce international du spectacle.
En effet, cette mesure a une double conséquence.
Elle a des répercussions sur le revenu des musiciens tout d'abord.
Les musiciens des orchestres permanents ont déjà vu leur pouvoir d'achat diminuer ces dernières années, notamment
depuis 1983, avec la désindexation des traitements de la fonction publique, plus encore, depuis le blocage des salaires de
1996.
Pour parler d'un orchestre que je connais bien, celui de Lille, puisque j'ai l'honneur de le présider, le salaire moyen est de
14 000 francs nets. On voit aussitôt l'importance de la suppression de l'abattement de 20 % non seulement sur les impôts
mais aussi sur le paiement de certaines cotisations sociales dont celles de l'URSSAF, qui vont augmenter, étant calculées
elles aussi jusqu'à présent sur 80 % du salaire brut.
Or les frais professionnels sont réels. Les musiciens sont des salariés qui doivent payer leur outil de travail. Comme vous
le savez, le prix des instruments est élevé et de nombreux musiciens doivent emprunter pour les acheter. De plus, certains
instruments de musique peuvent se déprécier très rapidement ! Ils doivent être changé tous les quatre ou cinq ans. Par
ailleurs, tous les instruments doivent être entretenus, et cela au prix fort.
Savez-vous qu'un bon violon coûte en moyenne 100 000 francs, et cela sans excès ?
Autre exemple de frais professionnels : un musicien doit s'exercer, travailler personnellement. Or le bruit, même
mélodieux, gêne. C'est donc à grands frais que les musiciens doivent insonoriser une pièce de travail pour ne pas gêner le
voisinage, trouver une maison isolée ou un local adapté.
L'abattement n'est donc pas un privilège, c'est une juste compensation. Il existe car, je le répète, les salaires ne prennent
pas en compte le coût de l'achat et de l'utilisation des instruments de travail.
La seconde conséquence de cette mesure porte sur les structures, sur les orchestres eux-mêmes.
Les cotisations sociales étaient calculées sur le salaire brut minoré de l'abattement fiscal. Le surcoût de cette mesure est
donc, pour l'Orchestre national de Lille, de 1 million de francs, et cela sans compter que l'employeur devra prendre le
relais de l'Etat en totalité ou en partie.
Est-ce à dire, monsieur le ministre, que les orchestres devront acheter les instruments des musiciens ? Vous connaissez
comme moi la situation financière des orchestres et vous savez bien qu'ils n'en ont pas les moyens !
En affirmant vouloir lutter contre les privilèges, on aggrave dans les faits la situation d'un certain nombre de salariés et on
fragilise tout un secteur déjà en difficultés.
Monsieur le ministre, cette mesure devrait être rapportée !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu appeler mon attention
sur les conséquences que pourrait avoir, pour les musiciens et pour les orchestres qui les emploient, la suppression des
déductions supplémentaires pour frais professionnels.
Je souhaiterais indiquer qu'il s'agit d'une mesure qui trouve sa place dans l'ensemble de la réforme de l'impôt sur le revenu,
laquelle repose sur une baisse des taux pour tous et la suppression, c'est vrai, de certains avantages fiscaux.
Cette mesure présente également une certaine logique en termes d'équité fiscale : il n'est sans doute pas normal que
l'imposition à situation égale entre deux de nos concitoyens soit significativement différente selon leur situation
professionnelle.
De plus, les contribuables concernés auront la possibilité de déduire, pour leur montant et sans limite, les frais réels dont
ils pourront justifier.
En outre, je vous indique que cette disparition progressive des déductions supplémentaires restera sans incidence sur
l'assiette des cotisations sociales, ce qui me paraît répondre à votre préoccupation, bien sûr tout à fait justifiée, de
préserver l'équilibre financier des orchestres - en particulier celui de Lille...
Je vous rappelle qu'afin d'éviter des à-coups trop importants sur le pouvoir d'achat le Premier ministre a demandé à M.
Jean Arthuis de « faire en sorte que cette mesure n'entraîne aucun désavantage pour quelques situations dans les
professions bénéficiant actuellement de cet abattement ».
D'une façon générale, je tiens à vous assurer que, comme il l'a montré à plusieurs reprises dans le passé, le ministère de la
culture restera attentif à ce que la mise en oeuvre de nouveaux dispositifs légaux ou réglementaires ne viennent pas
perturber le développement d'une profession dont la vitalité et la qualité constituent un gage de notre rayonnement
artistique national.
M. Ivan Renar. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le ministre, tout en vous remerciant de votre réponse, je tiens à dire que je ne suis pas
totalement satisfait sur le fond.
Bien entendu, c'est toute la politique du Gouvernement que je mets en cause, au-delà de l'autorité de tutelle sur les artistes
et les musiciens que vous représentez.
Il est clair que l'on ne s'attaque pas aux vrais privilégiés.
Je rappelle que, en l'occurrence, si l'abattement existe, c'est parce que les musiciens paient leur instrument de travail. Je ne
saurais trop souligner qu'ils le paient cher en raison de la spéculation qui sévit sur certains instruments de musique,
lesquels, comme beaucoup d'autres objets sont devenus à notre époque matière à placement financier ; je pense
notamment à tout ce qui concerne la lutherie.
Par ailleurs, je voudrais attirer votre attention sur le fait que ce sont les musiciens les moins payés qui sont le plus touchés
puisque l'abattement est plafonné à 50 000 francs.
Je conçois que le Gouvernement cherche à traquer des niches fiscales, monsieur le ministre, et je suis prêt à l'aider à en
trouver. Avec un peu de bonne volonté, on peut facilement en débusquer : je pense à la spéculation, aux conditions
d'imposition sur la fortune, à la dilapidation des fonds publics, au bradage du patrimoine français - regardez ce qui se
passe actuellement pour Thomson ! Ainsi, à mon sens - c'est également l'avis d'un certain nombre de nos concitoyens ! -
on pourrait atteindre le but recherché en agissant tout autrement.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Très bien !

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