Question de M. DELFAU Gérard (Hérault - SOC) publiée le 24/01/1997

Question posée en séance publique le 23/01/1997

M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers
collègues, ma question s'adressait à M. le ministre de l'économie et des finances, mais, étant donné la gravité de la
situation, je me tourne vers vous, monsieur Juppé : je vous interpelle au moment où la tension ne cesse de croître entre les
salariés du Crédit foncier et votre gouvernement, au moment où nombre de nos concitoyens se demandent si vous n'avez
pas décidé de jouer la politique du pire et si, après avoir obtenu la libération du gouverneur Meyssonnier, vous n'auriez
pas choisi de spéculer sur la lassitude, voire le découragement des personnels.
Depuis huit mois, toute l'histoire de ce conflit montre leur détermination, leur sang-froid et leur inventivité dans les formes
d'action. Vous ne les aurez pas à l'usure, monsieur le Premier ministre, d'autant que nombre de parlementaires de votre
majorité, ouvertement, ne cessent d'exprimer leurs objections, leurs critiques et leur désapprobation. (Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. M. Dominati, par exemple !
M. Gérard Delfau. J'ai écouté une nouvelle fois M. le ministre de l'économie et des finances. Il argumente à contre-sens,
à contre-vérité, il accumule les mensonges par omission. (Exclamations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et
des Républicains et Indépendants.)
Mes chers collègues, j'en apporte la preuve : M. le ministre de l'économie et des finances passe sous silence la
suppression à l'automne 1995, sans contre partie et sans étalement dans le temps, contrairement aux usages, des prêts
d'accession à la propriété. C'est la première raison des difficultés actuelles du Crédit foncier de France.
Prenons les chiffres...
M. le président. Monsieur Delfau, vous disposiez de deux minutes trente et vous les avez déjà épuisées. (Vives
protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jacques Mahéas. Laissez-le parler, tout de même !...
M. Gérard Delfau. Je termine, monsieur le président : il me reste à apporter deux éléments de réflexion et à poser une
question.
Prenons les chiffres : alors que vos services avaient prévu 500 millions de francs de pertes pour 1996, 1 milliard de francs
de bénéfices ont été constatés. Sur cinq ans, ces bénéfices atteindront 4,5 milliards de francs, soit une somme suffisante
pour recapitaliser le Crédit foncier de France !
M. Jacques Mahéas. Absolument !
M. Gérard Delfau. Acceptez, monsieur le Premier ministre, une confrontation publique sur ces chiffres, comme nous
vous le demandons depuis huit mois.
J'en viens à ma question : y a-t-il un double langage, ou seulement un manque de cohérence dans la politique du
Gouvernement ?
Quand je vous vois nommer un conciliateur - personnalité au demeurant estimable - et ne pas reparler de sa mission
devant les travées du Sénat, je me dis qu'il faut que cesse au plus tôt cette partie de cache-cache. Il faut négocier avec les
salariés...
M. Jean Chérioux. La question ! La question !
M. Gérard Delfau. ... et assurer la pérennité de leur entreprise.
Monsieur le Premier ministre, le temps presse, il y a eu de votre part trop d'occasions manquées, et, je le vous dis
solennellement : « Attention, danger ! » (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)

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Réponse du ministère : Premier ministre publiée le 24/01/1997

Réponse apportée en séance publique le 23/01/1997

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jacques Mahéas. Ah, enfin !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le sénateur, M. Jean Arthuis a excellemment répondu aux questions qui
ont déjà été posées sur la situation du Crédit foncier de France. Je voudrais juste apporter quelques éléments
supplémentaires, d'abord pour dire - je le crois profondément, et c'est conforme à la vérité - que, si le Gouvernement
n'avait pas fait ce qu'il a fait depuis deux ans, le Crédit foncier aurait déposé son bilan.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Premièrement, parce que le Crédit foncier est une entreprise privée, contrairement à
ce que l'on croit parfois.
Deuxièmement, parce que, au 31 décembre 1995, il avait accumulé, pour les raisons évoquées par M. Jean Arthuis, des
pertes avoisinant 11 milliards de francs.
M. Gérard Delfau. C'est contesté, vous le savez !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Mais je confirme que ces pertes n'ont strictement rien à voir avec la réforme du prêt
à taux zéro,...
M. Gérard Delfau. Mais si !
M. Alain Juppé, Premier ministre. ... pour la bonne raison que cette réforme n'a pris effet qu'à partir du mois
d'octobre, que le Crédit foncier a distribué des prêts à taux zéro en 1996 et qu'il en a distribué autant que les PAP qu'il
avait distribués l'année précédente. Cette explication n'est donc en aucune manière valable.
M. Jean Chérioux. C'est clair !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Les pertes du Crédit foncier sont imputables aux opérations immobilières
aventureuses qui ont été réalisées entre 1990 et 1993 par la précédente équipe dirigeante (Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE), ce qui devrait d'ailleurs - et, de ce point de vue, je suis tout à fait le propos de M. Jean Arthuis - nous conduire à
rechercher de manière plus précise les responsabilités de ces pertes.
M. Henri Revol. Très bien !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Dans la situation qui s'était ainsi créée et compte tenu de la disparition des fonds
propres du Crédit foncier, l'application de la loi aurait dû conduire très normalement au dépôt de bilan de cet organisme.
Je ne l'ai pas voulu, et c'est la raison pour laquelle le Gouvernement a pris un certain nombre d'initiatives. D'abord, nous
avons dit que nous assumerions les dettes du Crédit foncier. Celui-ci avait émis dans le public beaucoup d'obligations,
vous le savez, et l'on compte de nombreux petits porteurs d'obligations du Crédit foncier. Si l'Etat n'avait rien fait, ces
petits porteurs auraient donc été justement inquiets. Mais nous avons dit : « Nous assumerons. » Ainsi, la situation a été
apaisée.
Toujours pour éviter cette faillite, nous avons fait racheter les actions du Crédit foncier sur le marché par un organisme
public, la Caisse des dépôts et consignations. Tel a été le but de l'OPA qui a été conduite voilà quelques mois et qui, il est
vrai, compte tenu des règles boursières applicables en la matière - à tout le monde, y compris aux opérateurs publics -
nous a conduits à une certaine discrétion.
Enfin, nous avons nommé une nouvelle équipe, un nouveau directeur à la tête du Crédit foncier pour y développer - c'était
un objectif prioritaire - le dialogue social avec le personnel et trouver des solutions.
Aujourd'hui, tout cela a donc été fait, je le dis au personnel du Crédit foncier, qui nous écoute peut-être...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il nous regarde, cela, c'est sûr !
M. Alain Juppé, Premier ministre. ... pour sauvegarder ses intérêts...
M. Jacques Mahéas. Ils ne s'en sont pas aperçus !
M. Alain Juppé, Premier ministre. ... et éviter la situation qui eût été la pire, à savoir le dépôt de bilan du Crédit
foncier.
Ils s'en sont d'ailleurs aperçus...
M. Jacques Mahéas. Il ne semble pas !
M. Alain Juppé, Premier ministre. ... puisque, pendant toute cette période, le calme social a régné.
Puis une crise est apparue, et une incompréhension s'est établie devant la solution de reprise qui a été envisagée. Parce
qu'il s'agissait bien de trouver une solution de reprise !
Je le dis ici devant la représentation nationale : est-il imaginable que, pour éponger les pertes liées à ces erreurs
antérieures, le contribuable soit appelé à donner 8 milliards de francs pour recapitaliser le Crédit foncier ? Je ne le crois
pas. Ce n'est pas possible ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. -
Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Il y a pourtant eu d'autres cas !
M. Alain Juppé, Premier ministre. C'est la raison pour laquelle nous avons cherché d'autres solutions.
Ces solutions n'ont pas été bien comprises, et c'est dans cet esprit que j'ai demandé à une personnalité que vous
connaissez, qui est tout à fait respectable, compétente et très ouverte, de jouer un rôle de conciliateur entre les parties
pour « explorer », comme cela a été dit, toutes les solutions possibles. Nous en sommes là aujourd'hui.
J'examinerai avec beaucoup d'attention, lorsque M. le ministre de l'économie et des finances me les présentera, les
propositions du conciliateur. J'aurai donc l'occasion d'en reparler devant la Haute Assemblée.
L'objectif doit être clair, et le rappel du passé doit l'être aussi. Si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait, le Crédit
foncier de France eût été en faillite et son personnel exposé aux licenciements. Nous l'avons sauvé, et c'est cet objectif-là
que nous avons en tête : traiter de manière convenable des hommes et des femmes qui n'ont pas démérité, eux ! (Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Il faut retirer le plan Arthuis !
M. Gérard Delfau. Je demande la parole, car je tiens à répondre à M. le Premier ministre.
M. le président. Je ne peux pas vous la donner, monsieur Delfau, car nous en sommes, pour l'heure, aux questions
d'actualité au Gouvernement.

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