Question de M. CHÉRIOUX Jean (Paris - RPR) publiée le 05/03/1997

M. Jean Chérioux appelle l'attention de M. le ministre du travail et des affaires sociales sur les difficultés d'application de l'article 46 de la loi no 95-116 du 4 février 1995 qui a modifié, à l'initiative du Sénat, l'article L. 161-22 du code de la sécurité sociale relatif aux règles de cumul emploi-retraite. Cet article visait à permettre à des personnes exerçant une activité non salariée de percevoir une pension de vieillesse à laquelle leur activité salariée leur a ouvert droit, sans renoncer pour autant à leur activité non salariée. Cette condition de cumul d'activités s'apprécie à la date d'effet de la pension du régime des salariés. Toutefois, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAVTS) considère que les personnes qui, à cette date, relèvent du régime d'assurance chômage tout en exerçant une activité non salariée, ne peuvent bénéficier de cette disposition. Or, les périodes de chômage sont assimilées à des périodes de travail effectif pour la détermination des droits à pension en vertu de l'article L. 351-3 du code de la sécurité sociale. De plus, les statistiques publiées par la CNAVTS relèvent que les deux tiers des personnes partant actuellement à la retraite sont déjà inactifs et que, parmi eux, 40 % sont des personnes au chômage. Il s'agit d'une réalité dont cet organisme ne semble pourtant pas avoir tiré toutes les conséquences. Par ailleurs, une circulaire en date du 1er décembre 1995 relative au cumul emploi-retraite a admis que, dans certains cas, la condition de pluriactivité simultanée pouvait être appréciée à la date de cessation des activités salariées. Enfin, il convient de tenir compte de l'esprit de la loi de 1995 tel que l'a défini le législateur. Le rapporteur de ce texte au Sénat avait souligné la nécessité de remédier à la situation inéquitable faite aux personnes exerçant une activité mixte et le ministre en charge des affaires sociales avait même déclaré qu'il fallait prendre en compte les " situations individuelles ". En conséquence, il souhaite savoir si le Gouvernement entend prendre les mesures de nature à permettre une application de la loi conforme à l'intention du législateur ou s'il conviendrait de préciser, par voie d'amendement, la portée de l'article 46 de la loi de 1995.

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Réponse du ministère : Santé publiée le 26/03/1997

Réponse apportée en séance publique le 25/03/1997

M. Jean Chérioux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en 1995, sur l'initiative du
Sénat, l'article L. 161-22 du code de la sécurité sociale a été modifié pour permettre à des personnes exerçant
simultanément des activités salariées et des activités non salariées de bénéficier de leur retraite de salarié et de continuer à
exercer des activités non salariées dès lors qu'elles ne demandent pas les retraites correspondant à ces dernières.
Cette mesure a été introduite pour mettre un terme à une situation injuste. En effet, avant 1995, un salarié pouvait
parfaitement faire liquider sa retraite et reprendre une activité similaire chez un autre employeur, alors qu'un travailleur non
salarié, qu'il soit commerçant, artisan ou exploitant agricole, était tenu de changer d'activité pour bénéficier de sa retraite,
ce qui dans son cas était beaucoup plus difficile.
Par ailleurs, lors de l'adoption de la loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d'ordre social, notre
excellent rapporteur Claude Huriet avait précisé que cette disposition visait à remédier à la « situation inéquitable » dans
laquelle se trouvaient ceux qui avaient exercé une activité mixte. Ces personnes ne pouvaient poursuivre leur activité non
salariée si une pension de vieillesse leur avait été versée au titre de leur activité salariée. Or le montant de cette pension est
souvent relativement peu élevé compte tenu, d'une part, de la durée de leur formation initiale et, d'autre part, de l'exercice
à mi-temps de cette activité.
Mme Simone Veil, alors ministre d'Etat chargé des affaires sociales, avait déclaré à ce propos : « Il est des situations
individuelles auxquelles nous ne pouvons pas être insensibles. Il s'agit, en effet, non pas de questions financières mais de
problèmes d'activités. En effet, des personnes qui sont encore en pleine forme pour exercer des activités ne peuvent le
faire en raison de la règle du non-cumul. »
Telle était donc initialement l'intention du législateur.
Force est de constater que certaines difficultés persistent. La principale réside dans le fait que la caisse nationale
d'assurance vieillesse considère que les personnes qui, à la date d'effet de la pension du régime des salariés, relèvent du
régime d'assurance chômage, tout en exerçant parallèlement une activité non salariée, ne peuvent bénéficier de cette
disposition.
Or les périodes de chômage sont assimilées à des périodes de travail effectif pour la détermination des droits à pension en
vertu de l'article L. 351-3 du code de la sécurité sociale.
Surtout, les statistiques publiées par cette même caisse révèlent que les deux tiers des personnes partant actuellement à la
retraite sont déjà inactives et que, parmi elles, plus d'un tiers - soit 40 % - sont au chômage. Or la CNAVTS n'a tiré
aucune conséquence de cet état de fait.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite donc savoir si la circulaire n° 1/96 du 1er décembre 1995 relative au cumul
emploi-retraite, qui avait déjà permis une appréciation rétroactive de la qualité de « pluriactif simultané », ne pourrait pas
être complétée pour tenir compte de ce type de cas, de plus en plus fréquent, ou si la rédaction de l'article L. 161-22 du
code de la sécurité sociale doit être précisée afin de mettre un terme aux actuels conflits d'interprétation.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale. M. Jacques Barrot, ministre du travail et
des affaires sociales, qui vous prie d'excuser son absence, m'a chargé, monsieur le sénateur, de vous livrer les éléments de
réponses suivants.
L'article 46 de la loi du 4 février 1995 permet effectivement à l'assuré qui exerce simultanément des activités salariées et
non salariées de bénéficier de sa retraite de salarié et de continuer à exercer une activité non salariée dès lors qu'il ne
demande pas à jouir de la retraite correspondante.
L'exercice simultané d'une activité salariée et d'une activité non salariée doit être constaté à la date à laquelle l'assuré fait
valoir ses droits à pension du régime général. De ce fait, ne peuvent bénéficier des mesures de cumul emploi-retraite ceux
qui avaient cessé leur activité salariée avant cette date pour quelque raison que ce soit.
Il est toutefois vrai que, dans l'instruction du 1er décembre 1995, il a été demandé que soit pris en compte, par mesure de
bienveillance, le cas de certaines personnes qui, par méconnaissance des textes, se sont privées d'un droit légitime ou se
trouvaient, avant la loi du 4 février 1995, dans une situation où elles remplissaient les conditions pour en bénéficier.
Quant aux périodes de chômage, il est vrai qu'elles sont prises en compte pour l'ouverture et le calcul des droits à pension
; néanmoins, elles ne peuvent en rien être assimilées à des périodes de travail effectif au sens de la législation relative au
cumul emploi-retraite.
Ne peuvent dont pas bénéficier de ce dispositif les personnes en situation de chômage au moment de leur demande de
liquidation de pension de vieillesse du régime général.
Limitée à son origine, l'autorisation du cumul emploi-retraite a déjà subi au fil des années de nombreuses modifications
visant à étendre les règles dans un sens toujours plus favorable. Le dispositif actuel réalise un compromis satisfaisant entre
le souci de permettre la poursuite d'une activité tout en percevant une retraite et la nécessité de ne pas peser davantage
sur la situation de l'emploi.
La législation relative au cumul emploi-retraite est définie par une loi de 1993 applicable jusqu'au 31 décembre 1998. En
toute hypothèse, les règles de cumul emploi-retraite seront donc réexaminées l'année prochaine. C'est à cette occasion
que de nouvelles dispositions dérogatoires pourraient, le cas échéant, être étudiées.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse, mais je ne peux pas dire qu'elle me
donne satisfaction, loin de là !
Je constate avec regret que l'administration du travail et des affaires sociales persiste dans son attitude et continue à
interpréter de façon restrictive la loi de février 1995, et cela en contravention évidente avec l'intention du législateur. En
tant que sénateur, je ne peux que m'élever contre cette attitude, qui n'est pas tout à fait admissible.
Je dirai que M. le ministre lui-même va un peu dans mon sens, dans la mesure où il estime qu'il existe des situations
regrettables et que, en 1998, nous serons amenés à revoir la législation en vigueur. Mais, monsieur le secrétaire d'Etat,
1998, c'est loin et, en attendant, les situations délicates ne sont pas réglées.
Pour ma part, je ne peux me satisfaire de cela.
Puisque l'on envisage de procéder à des modifications en 1998, je pense qu'à l'occasion de la discussion d'un texte
portant diverses dispositions d'ordre social, par exemple, pourrait être déposé un amendement tendant à préciser la loi de
1995 de façon à faire prévaloir la position du Parlement sur celle des services administratifs.
J'en viens à ce que vous avez dit à propos du chômage.
En suivant la logique jusqu'au bout, nous en arrivons à une situation tout à fait ubuesque. En effet, parmi les personnes qui
relèvent de l'assurance chômage, il n'y a pas seulement les chômeurs, il y a aussi tous les préretraités. Cela signifie que les
préretraités, qui, par définition, sont sortis du système par anticipation, ne peuvent pas faire valoir leurs droits.
Je souhaiterais donc vivement, monsieur le secrétaire d'Etat, que les services revoient leur position, en particulier en ce qui
concerne la situation des préretraités.
Pour ma part, je m'emploierai, dans le courant de cette session, à déposer un amendement visant à faire prévaloir
l'interprétation du législateur.

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