Question de M. RICHERT Philippe (Bas-Rhin - UC) publiée le 10/12/1998

M. Philippe Richert appelle l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur la situation des chrétiens au Pakistan, et notamment sur les condamnations à mort pour blasphème qui auraient été prononcées contre plusieurs d'entre eux ces dernières années. Selon l'association Portes ouvertes, une douzaine de chrétiens auraient été emprisonnés ces sept dernières années, sous de prétendues accusations de blasphème. Quatre d'entre eux auraient été exécutés et trois contraints à l'exil. Si la constitution pakistanaise garantit l'égalité des minorités, la loi de la charia instaurée en 1991 assure une discrimination à l'égard des minorités chrétiennes et en faveur de l'Islam. En vertu de cette loi, une personne peut être accusée de blasphème, emprisonnée et condamnée à mort sur la base d'un simple témoignage, sans aucun respect des droits de la défense. Le Parlement européen a, pour sa part, adopté cet été une résolution demandant l'abolition de la loi sur le blasphème au Pakistan et dénonçant l'arrestation arbitraire des représentants de minorités religieuses. Il lui demande de bien vouloir lui faire connaître la position du Gouvernement français face à cette situation, et notamment les mesures qu'il envisage de prendre pour amener le Gouvernement pakistanais à modifier sa législation et à respecter le droit des minorités religieuses.

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Réponse du ministère : Affaires étrangères publiée le 25/02/1999

Réponse. - La situation de la communauté chrétienne pakistanaise (3 millions de personnes sur une population de 125 millions d'habitants) demeure, depuis de longues années, assez précaire. Des phénomènes d'intolérance s'exercent à son encontre et la promotion sociale de ses membres se heurte à de nombreux obstacles. Les chrétiens pakistanais sont d'origines diverses et se subdivisent en deux groupes principaux, celui du Pendjab et celui de Goa. Au sein du premier groupe, quelques fidèles se rattachent aux premières communautés apparues dans le nord du sous-continent et fondées, dit-on, par l'apôtre Saint-Thomas. D'autres sont des descendants d'hindous de caste inférieure convertis à la fin du xixe siècle et originaires de la région de Sialkot (d'abord protestants ou anglicans, ils ont par la suite embrassé la religion catholique en grand nombre). Des villages catholiques sont ainsi apparus au Pendjab au début du siècle, puis se sont multipliés à la suite d'une nouvelle conversion d'hindous de basse caste entre 1930 et 1937. D'une façon générale, ces chrétiens ne se distinguent que peu de leur entourage musulman, tant sur le plan linguistique que pour ce qui est du mode de vie. Environ 80 % d'entre eux vivent au Pendjab et sont pour la plupart des ouvriers agricoles, souvent illettrés, comme la majorité des paysans pakistanais. Certains ont quitté leur village pour s'installer dans la périphérie des grandes villes de la province où ils exercent des tâches subalternes (employés de maison, travaux de voirie, ramassage des ordures). Le deuxième groupe est constitué de chrétiens originaires de Goa, évangélisés par les Portugais et qui se sont installés au cours des siècles d'abord à Bombay puis à Karachi. Cette petite communauté est moins bien intégrée au tissu social pakistanais. Très largement anglicisés, ces chrétiens ont conservé une identité culturelle distincte et sont d'un niveau d'éducation supérieur à la moyenne. Certains d'entre eux exercent des professions libérales. Sur le plan religieux, les chrétiens pakistanais jouissent de la liberté de culte. Ils se répartissent approximativement en un tiers de catholiques, un tiers de presbytériens et un tiers de fidèles de l'Eglise du Pakistan (regroupement de diverses églises protestantes). La hiérarchie catholique comprend deux sièges d'archevêques et six évêques. S'agissant plus particulièrement de l'Eglise catholique au Pakistan (935 000 fidèles, soit 0,78 % de la population), elle est animée par dix évêques. Elle compte également 265 prêtres, 49 religieux et 744 religieuses. Dans le domaine de l'enseignement, l'Eglise administre 124 écoles maternelles, 161 écoles primaires et 133 écoles secondaires pour un total d'environ 150 000 élèves. Sur le plan de la santé, l'Eglise gère 9 hôpitaux, 52 dispensaires et 2 léproseries. C'est une Eglise autochtone à 95 % : toute sa hiérarchie est tenue par des clercs locaux et près de la moitié des religieux sont pakistanais. Comme pour la grande majorité des chrétiens, cette communauté est cantonnée dans les secteurs les plus ingrats de l'économie. Il s'agit donc d'une Eglise pauvre, appartenant aux classes les plus méprisées de la société pakistanaise, et dépendant de ce fait assez largement du clergé. C'est aussi une Eglise isolée, très minoritaire, victime de discrimination, vivant dans une sorte de ghetto où elle reste sujette à des préjugés de castes. Mais on peut y voir aussi une Eglise jeune, ouverte aux courants progressistes du catholicisme, dans le droit-fil des évolutions nées du Concile de Vatican II. Sur le plan politique, les chrétiens disposent, en tant que minorité religieuse reconnue par la Constitution, de quatre des dix sièges réservés aux minorités à l'Assemblée nationale pakistanaise et de plusieurs sièges dans chacune des quatre assemblées provinciales. Au Sénat, les minorités n'ont pas de sièges réservés. Les électeurs chrétiens ne peuvent voter que pour des candidats chrétiens se présentant dans le cadre de ce système électoral séparé. Dans le domaine de l'éducation, la Constitution garantit le droit pour chaque minorité de posséder ses propres écoles et d'y enseigner sa religion. Le libre accès à tout établissement scolaire est par ailleurs un droit constitutionnel. Bien que plusieurs écoles et hôpitaux chrétiens aient été nationalisés à l'époque de Zulfikar Ali Bhutto, les institutions scolaires chrétiennes restent nombreuses et ont conservé leur prestige auprès de l'élite musulmane qui y envoie toujours ses enfants. D'une manière générale, la communauté chrétienne n'est pas systématiquement persécutée, mais elle souffre, comme d'autres minorités, de la survivance des préjugés de castes et d'une insécurité grandissante. Dans un climat général de violences interconfessionnelles, la montée du fondamentalisme musulman l'inquiète d'autant plus que la loi sur le blasphème (1985) a conduit à des abus (arrestations arbitraires, lourdes condamnations) et même à la récente condamnation à la peine de mort d'un jeune chrétien entraînant le suicide d'un évêque pakistanais, Mgr John Joseph, évêque de Faisalabad (Pendjab), et vice-président de la conférence épiscopale, geste de désespoir face à la montée de l'intolérance à l'égard des chrétiens. D'autres lois d'inspiration islamiste sont également dénoncées par les minorités du fait de leur caractère discriminatoire (loi sur la preuve et le témoignage en justice). Enfin, des lacunes dans la législation pakistanaise rendent même possible l'enlèvement par des musulmans de femmes chrétiennes (ou hindoues), mariées ou non, en déclarant ultérieurement qu'elles se sont converties à l'islam ce qui rend leur mariage antérieur nul et non avenu. Le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, a récemment relancé son projet de loi, actuellement bloqué au Sénat, visant à inscrire la charia comme loi fondamentale en matière pénale et civile. Cette initiative, signe d'une tendance à l'islamisation de l'ensemble du système juridique hérité de la colonisation britannique, est critiquée par l'opposition et une partie de la presse. La conférence épiscopale pakistanaise a officiellement protesté auprès du Premier ministre, soulignant que cette loi limiterait la liberté religieuse au Pakistan.

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