Question de Mme DERYCKE Dinah (Nord - SOC) publiée le 26/05/2000

Question posée en séance publique le 25/05/2000

M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Je me permets d'attirer votre attention sur les négociations en cours à Vienne, relatives à
l'élaboration d'une convention des Nations unies sur la criminalité transnationale et, plus précisément, sur un protocole
qui y sera expressément rattaché, concernant le trafic des personnes, en particulier des femmes et des enfants, l'objet
initial de ce protocole étant de lutter contre l'exploitation sexuelle des personnes victimes de ce trafic.
La France est largement concernée, puisqu'elle fait partie des pays destinataires de ces trafics : 45 % des proxénètes
poursuivis en 1999 étaient étrangers ; 35 % des femmes qui en étaient victimes étaient originaires des pays de l'Est et
des Balkans.
La France a toujours fermement condamné l'exploitation de la prostitution des personnes, aussi bien au plan
international qu'en droit interne, en réprimant sévèrement le proxénétisme.
Aujourd'hui, les pressions de certains pays se font de plus en plus fortes pour que la prostitution soit considérée
comme un travail, et les prostituées comme des travailleuses de l'industrie du sexe.
Ces pressions, à l'oeuvre à Vienne, mais également dans d'autre instances internationales, s'opposent non seulement à
la convention des Nations unies de 1949 condamnant la traite des êtres humains et l'exploitation de la prostitution
d'autrui, mais aussi aux principaux instruments internationaux de protection des droits de l'homme.
C'est ainsi que, dans les négociations qui nous préoccupent plus particulièrement, il est proposé d'intégrer la notion de
non-consentement des personnes à leur trafic.
Une telle définition serait contraire à la reconnaissance du statut de victimes aux personnes victimes de ces trafics,
qu'elles aient ou non consenti à ce trafic aux fins d'exploitation sexuelle.
Par ailleurs, si cette définition devait être adoptée, la convention de 1949 s'en trouverait très affaiblie et la répression du
proxénétisme transnational sur notre territoire perdrait une grande partie de son efficacité.
Connaissant l'attitude ferme que la France a toujours adoptée depuis cinquante ans dans ce domaine qui touche aux
droits de l'homme et plus particulièrement à la dignité des personnes, je souhaite savoir, monsieur le ministre, si notre
pays maintiendra et défendra avec force cette position à Vienne, lors des négociations qui auront lieu du 5 au 9 juin, et
s'il refusera toute autre définition qui la remettrait en cause. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

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Réponse du ministère : Coopération publiée le 26/05/2000

Réponse apportée en séance publique le 25/05/2000

M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Madame la sénatrice, vous m'avez
interrogé sur une question fondamentale puisqu'elle a trait au respect de la personne.
Le projet de protocole auquel vous faites référence et qui concerne le trafic des personnes, en particulier des femmes et
des enfants, est en effet annexé à la convention contre la criminalité transnationale organisée, dont les négociations ont
été lancées à Vienne, en janvier 1999. Il s'agit d'un instrument de droit pénal destiné à lutter plus efficacement contre la
traite des personnes par des groupes criminels organisés. La difficulté que vous soulevez, madame la sénatrice,
concerne en effet la définition du trafic des personnes. A ce jour, aucun accord n'a pu être trouvé ni sur la définition du
trafic, ni sur celle de ses finalités.
Comme vous l'avez rappelé, la France est signataire de la convention de 1949 pour la répression et l'abolition de la traite
des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui. Or cette convention prévoit de punir « toute personne
qui exploite la prostitution d'une autre personne, même consentante ».
En outre, la législation française incrimine le proxénétisme indépendamment du fait de savoir si la personne se livrant à
la prostitution est ou non consentante. La France s'est toujours opposée à l'adjectif « forcée » pour qualifier la
prostitution. C'est cette position qui prévaudra à Vienne et que nous allons défendre lors de la session du mois de juin.
Devant les difficultés soulevées par la définition des différentes finalités du trafic, notamment de l'exploitation sexuelle,
la France a donc choisi de ne pas définir lesdites finalités afin de parvenir à une notion la plus large possible.
Si cette option était retenue dans la version finale du texte, ce que nous souhaitons et ce pour quoi nous allons nous
battre, le problème posé par les Etats promoteurs de l'expression « prostitution forcée » se trouverait, de ce fait, résolu.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur
certaines travées du RDSE, du RPR et de l'Union centriste.)

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