Question de M. DREYFUS-SCHMIDT Michel (Territoire de Belfort - SOC) publiée le 30/01/2003

M. Michel Dreyfus-Schmidt rapelle à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, que la Convention sur le Brevet Européen de 1973 ouvrait la faculté pour les Etats membres d'exiger la traduction intégrale du brevet dès sa délivrance dans une langue nationale pour produire ses effets. La France, comme tous les autres Etats membres, a exercé à bon droit cette faculté jusqu'à présent. Or, le " Protocole de Londres " signé par la France organise la renonciation à cette faculté et, par conséquent, la suppression de l'obligation de traduction des brevets en langue française pour qu'ils produisent des effets en France. Cela provoque des inquiétudes justifiées : les brevets en langue étrangère produiraient ainsi donc des effets juridiques en France ; la sécurité des tiers serait compromise car des droits privatifs exprimés en langue étrangère seraient directement opposables aux entreprises françaises sur leur territoire ; les avocats spécialisés en droit de la propriété industrielle et les acteurs juridiques seraient pénalisés dans leur exercice professionnel ; la tradition juridique française en matière de normes et de brevets, en droit de la propriété intellectuelle et industrielle, exprimée à travers notre langue - vecteur de son influence juridique et économique dans le monde - serait ainsi atteinte. Il lui demande s'il est d'accord pour que la France s'abstienne de ratifier ou, à tout le moins, sursoie à la ratification tant qu'il ne sera pas établi que les mesures d'application préservent les intérêts du droit français.

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Transmise au Ministère délégué à l'industrie


Réponse du Ministère délégué à l'industrie publiée le 27/03/2003

Du point de vue juridique, et contrairement à ce qui est souvent affirmé, l'accord de Londres ne modifie pas la situation juridique actuelle : depuis 1973, par un traité ratifié par la France (convention de Munich, article 14), le seul texte qui fait foi en matière de brevets européens est le texte original déposé à l'Office européen des brevets (70 % en anglais ; 20 % en allemand ; 10 % en français). En cas de litige, le brevet est toujours - et le restera avec l'accord de Londres - intégralement traduit dans la langue exigée par le tribunal compétent. Les revendications - partie essentielle au plan juridique du brevet parce qu'elles fixent le champ de la protection - sont et resteront traduites dans les trois langues officielles de l'Office européen des brevets (allemand, anglais et français). C'est un avantage considérable pour l'usage de notre langue qui est pérennisé par l'accord de Londres. Trois arguments méritent débat. Tout d'abord, la non-traduction en français de la seule partie appelée " description " du brevet, qui expose les voies et moyens par lesquels le déposant est parvenu à l'invention qu'il souhaite breveter, porterait préjudice au rôle du droit français dans le système européen des brevets. Cette critique ne résiste pas à l'examen : la description ne crée pas de droit et se contente d'exposer des mécanismes techniques ; le droit européen des brevets est fixé par la convention de Munich et par son règlement d'application, l'une et l'autre disponibles en français, anglais et allemand ; par les directives communautaires éventuelles (par exemple, la directive n° 98-44 sur les biotechnologies), disponibles dans toutes les langues de l'Union ; par les lois et règlements nationaux ; par les décisions des chambres de recours de l'OEB - disponibles en français - et les différentes décisions des juridictions françaises qui peuvent faire jurisprudence. Le maintien du français comme langue fondatrice du droit européen dépend de la présence française à l'Office européen des brevets, à la commission et dans les chambres de recours de l'Office européen des brevets. Le fait que le français soit une des trois langues de dépôt et de travail de l'Office européen des brevets constitue la véritable garantie de notre présence en ce domaine et favorise les déposants français, surtout les PME. Le deuxième argument est tiré du fait que l'absence de traduction des descriptions engendrerait un véritable risque de contrefaçon de bonne foi de certaines entreprises françaises, notamment les PME, moins bien averties du contenu réel du brevet contrefait. Sur ce point, il convient de relever que l'un des éléments d'accompagnement de l'accord de Londres consistera à insérer une disposition législative dans le code de la propriété intellectuelle permettant de ne pas exiger de dommages et intérêts lorsque l'absence de traduction de la description laissera supposer la bonne foi du contrefacteur. Enfin, la question de la compatibilité de l'accord de Londres avec l'article 2 de la Constitution a été posée au Conseil d'Etat ; celui-ci a répondu par l'affirmative par un avis de septembre 2000. Du point de vue économique, le fait que dix pays européens représentant 75 % environ des déposants de brevets en Europe aient signé cet accord tend à démontrer qu'il présente quelque avantage. L'argument essentiel est simple mais incontournable : le brevet européen - et non le brevet français - est plus cher à l'obtention (50 % environ) que son homologue japonais ou américain. C'est un handicap fort pour l'industrie européenne, d'autant plus significatif que le déposant est petit, jeune et impécunieux. C'est un obstacle majeur au développement des PME européennes - et donc françaises - et à la prise de brevets par les centres de recherche et, au total, un frein à la création d'emplois, fondée de plus en plus sur l'innovation. Or, le coût des traductions représente 40 % du coût d'obtention du brevet européen : il faut donc le réduire, sans négliger d'autres pistes comme les taxes des offices. Celles-ci doivent diminuer ; l'Office européen des brevets a commencé en 1997, mais il pourrait aller plus loin. Cette opinion est partagée par l'ensemble des entreprises françaises - des plus grandes aux plus petites -, par les inventeurs indépendants et par les responsables de la valorisation de la recherche dans les organismes de recherche français. A cet argument économique s'ajoute - en raison même de sa pertinence - un argument politique dirimant : le coût du brevet européen dans une Europe élargie à trente sera insupportable. Il faudrait traduire tout brevet européen déposé en français dans vingt-cinq langues. C'est possible pour les grands groupes, quoique coûteux, et inenvisageable pour les PME. Un consensus existe déjà au sein de l'Office européen des brevets - y compris l'Allemagne et les pays du sud de l'Europe - et dans l'industrie pour accepter une seule langue : l'anglais. L'accord de Londres est donc - dans ce champ particulier du brevet - la dernière chance de préserver l'usage du français, lequel sera renforcé par le fait que les brevets européens déposés en français seront valables dans les pays acceptant l'accord de Londres sans avoir besoin d'être traduits. Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'accord de Londres en France a pour objectif essentiel d'augmenter le nombre de dépôts de brevets en France, encore insuffisant au regard de notre effort de recherche et développement. Le surcroît d'activité qui en résultera profitera aux professionnels français de la propriété industrielle et notamment aux conseils en propriété industrielle qui y trouveront une compensation à la perte de leur activité de traduction. Il est exact que l'accord de Londres remet en cause la situation des traducteurs indépendants de brevets et réduit cette partie de l'activité des cabinets de conseils (soit en moyenne 15 % de leur chiffre d'affaires) ; au total, ce sont sans doute quelques centaines d'emplois qui sont concernés, et non plusieurs dizaines de milliers comme quelquefois affirmé. Le Gouvernement étudie avec leurs représentants les mesures de reconversion nécessaires : emplois à l'Office européen des brevets et à l'Organisation mondiale de la propriété industrielle, formation pour devenir conseils en propriété industrielle pour ceux qui ont une formation d'ingénieur...

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