Question de M. GODEFROY Jean-Pierre (Manche - SOC) publiée le 06/11/2008

M. Jean-Pierre Godefroy attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur l'intention de la chancellerie de supprimer la profession d'avoué à compter du 1er janvier 2010.
Cette décision annoncée sans concertation risque de causer un important préjudice à la fois économique et humain aussi bien pour les professionnels concernés que pour les justiciables. Elle risque également de perturber le bon fonctionnement de la justice.
En effet, c'est une profession qui compte plus de 3000 salariés répartis sur l'ensemble du territoire français et qui intervient en priorité sur les affaires des justiciables les plus modestes. Les avoués exercent des compétences particulières et ont développé des techniques spécifiques. De fait, la reconversion d'un avoué en avocat ne sera ni automatique, ni évidente.
En conséquence, il lui demande si une étude préalable sur les impacts de cette décision a été réalisée, si elle accepte d'engager une concertation avec les professionnels et si des mesures sont envisagées afin d'en atténuer l'impact économique et social.

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Réponse du Ministère de la Justice publiée le 14/01/2009

Réponse apportée en séance publique le 13/01/2009

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question n° 334, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Pierre Godefroy. Je souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sur l'intention de la Chancellerie de supprimer la profession d'avoué à compter du 1er janvier 2010.

Cette décision a été annoncée brusquement et a surpris toute la profession. Or, cette décision a des conséquences qui ne sont pas neutres ; elle risque de causer un important préjudice à la fois économique et humain aussi bien pour les professionnels concernés que pour les justiciables. Elle risque également de perturber le bon fonctionnement de la justice.

C'est toute une profession qui est ainsi vouée à disparaître ! Je précise qu'elle compte plus de 2500 salariés répartis sur l'ensemble du territoire français entre 235 études et 28 cours d'appel et que les avoués interviennent en priorité sur les affaires des justiciables les plus modestes.

Les avoués sont des officiers ministériels qui représentent les parties devant les cours d'appel. Ils ont exclusivement le droit de postuler et de prendre des conclusions devant la juridiction auprès de laquelle ils sont établis. Cette fonction exclusive en fait des spécialistes du droit judiciaire privé, contrairement aux avocats qui ont une activité juridique importante et dont l'activité judiciaire, même si elle peut être relativement développée en première instance, est extrêmement marginale devant les cours d'appel en matière civile et commerciale.

Les correspondants les plus importants d'une étude d'avoués ont entre huit et quinze dossiers en appel dans une année alors que la moyenne pour les avocats traditionnels en appel est de deux à quatre dossiers par an.

Les avoués exercent donc des compétences tout à fait particulières et ont développé des techniques spécifiques. De fait, la reconversion d'un avoué en avocat, comme vous l'avez suggéré, ne sera ni automatique, ni évidente. Les avoués ne pratiquent pas le métier d'avocat même s'ils ont les mêmes diplômes universitaires et des qualifications proches en procédure. Ils sont en fait aussi éloignés du métier d'avocat que le sont les avocats à la Cour de cassation.

Ceux qui ont été avocats avant de devenir avoués savent qu'ils exercent une tout autre profession, fondamentalement différente, entièrement consacrée à l'activité des cours d'appel et à la technique spécifique du procès en appel.

Madame la ministre, la spécificité est encore plus évidente pour les collaborateurs des avoués qu'une telle suppression mettra dans une situation très délicate. Il s'agit en grande majorité – 90 % – de femmes qui risquent de se trouver sans travail et donc sans ressources le 1er janvier 2010.

De même, il faut le rappeler, les avoués n'ont pas de clientèle propre ; les dossiers leur sont adressés par les avocats, au nom ou pour le compte de leurs clients qu'ils ont eux-mêmes représentés ou assistés en première instance. La clientèle institutionnelle des avoués à la cour n'est en réalité attachée à leurs études qu'en raison du caractère obligatoire du recours à un avoué pour la procédure d'appel.

Je voudrais donc savoir si une étude préalable sur les conséquences de cette décision a été réalisée, si une concertation a enfin été engagée avec les professionnels concernés, si des mesures sont envisagées afin d'en atténuer les effets économiques et sociaux et si un processus d'indemnisation a été prévu.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, la réforme des avoués a été envisagée en 1971. Les avoués ont alors été supprimés au niveau des tribunaux de grande instance, mais la réforme n'a pas été poursuivie au niveau des cours d'appel.

Ce projet récurrent n'a jamais été réalisé. Il s'agit d'un engagement du Président de la République et nous souhaitons aujourd'hui le mettre en œuvre, dans l'intérêt du justiciable pour une plus grande efficacité, mais aussi pour une plus grande lisibilité de la justice.

Le recours à un avoué est obligatoire en cas d'appel et dans le domaine civil, ce qui n'est pas le cas dans le domaine pénal. Or, pour le justiciable, avoir un avocat et un avoué n'est souvent pas compréhensible et encore moins lisible.

Il s'agit donc de réformer la justice pour qu'elle soit plus compréhensible, plus lisible, plus accessible au justiciable et évidemment moins onéreuse. Comme vous le savez, la double assistance d'un avocat et d'un avoué est très coûteuse.

Le Gouvernement a décidé de ne plus rendre obligatoire le recours à un avoué pour défendre les dossiers en appel et d'unifier les professions d'avoué et d'avocat.

Les avoués sont tenus d'acheter leur charge à leur prédécesseur. Une directive européenne du 12 décembre 2006 sur les services s'appliquera en 2010, au moment de la mise en œuvre de la réforme. En effet, les règles d'accès à la profession ne sont pas compatibles avec le principe de libre concurrence. Il est donc nécessaire d'anticiper cette réforme qui devient inéluctable.

Dans l'intérêt des justiciables, l'accès au juge d'appel sera ainsi simplifié et moins coûteux. La place de l'avocat sera renforcée. Lorsque nous avons mis en place la commission dite Guinchard, pour la déjudiciarisation d'un certain nombre de contentieux, les avocats craignaient que l'on ne restreigne leur rôle dans tous les secteurs de la justice. Par le biais de cette réforme, l'avocat verra son rôle renforcé : il sera l'interlocuteur unique de la cour d'appel.

Les avoués deviendront automatiquement avocats. Ils seront indemnisés pour la perte de la charge qu'ils ont achetée et qu'ils ne pourront plus vendre.

Tout sera mis en œuvre pour que leurs 1862 collaborateurs trouvent leur place dans cette nouvelle organisation ou bénéficient d'une aide personnalisée pour une reconversion professionnelle. J'ai rencontré ces collaborateurs, il y a quelques mois, avant de lancer ce processus de consultation.

Le Parlement sera appelé à se prononcer sur ce projet de réforme qui prendra effet le 1er janvier 2010. La concertation a été engagée avec les avoués et leurs représentants et se poursuivra en ce début d'année. Nous terminons actuellement sa première phase, qui est une phase d'écoute.

Un rapport très complet a été remis le 20 octobre par les avoués. Je l'avais demandé pour qu'il serve de base notamment à l'indemnisation de la perte des charges et à la prise en compte de leurs préoccupations. Ce rapport est important, car il permet d'évaluer les conséquences des décisions que nous prendrons. Cette mesure sera très précise, vous pouvez en être assuré.

Un haut magistrat spécialement missionné, M. Michel Mazard, avocat général à la Cour de cassation, a rencontré, pendant plus d'un mois, dans la France entière, tous les représentants des avoués. Nous devons consulter prochainement les représentants des avoués pour continuer cette concertation, qui pour l'instant se déroule dans les meilleures conditions.

Comme je vous l'ai dit, cette réforme est un projet récurrent depuis des années, elle est inéluctable et doit être menée dans l'intérêt des justiciables, pour une justice plus lisible et moins coûteuse. Par ailleurs, in fine, la directive sur les services rend obligatoire cette réforme qui prendra effet à compter du 1er janvier 2010.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous n'allons pas ouvrir le débat puisque le Parlement sera saisi de cette réforme.

Cependant, il faut être attentif et prendre beaucoup de précautions concernant les collaborateurs qui risquent de se trouver dans une situation très difficile. Compte tenu de leur compétence spécifique, ils n'auront pas nécessairement la capacité de reprendre un travail dans un cabinet d'avocats. Il faudra veiller de près à leur reconversion.

Vous avez évoqué l'indemnisation. Il importe de savoir si les avoués seront amenés à autofinancer les licenciements qui accompagneront immanquablement cette réforme. Si elle a lieu, l'indemnisation du droit de présentation, du préjudice économique et du préjudice de carrière est, d'après les estimations, évaluée à 900 millions d'euros.

Il sera donc nécessaire de discuter de toutes les modalités d'application de cette réforme que vous nous présenterez.

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