Question de M. ASSOULINE David (Paris - SOC) publiée le 18/06/2010

Question posée en séance publique le 17/06/2010

Assouline.

M. David Assouline. Ma question s'adresse à M. le ministre de la culture et de la communication.

Monsieur le ministre, je veux vous faire part d'un profond malaise et d'une inquiétude partagée par toutes celles et tous ceux qui sont attachés à la liberté, au pluralisme et à l'indépendance de l'information.

La semaine dernière, nous avons appris que le Président de la République aurait appelé et même convoqué le directeur du journal Le Monde pour lui indiquer que, si tel candidat à sa recapitalisation était choisi, le journal ne pourrait plus compter sur l'aide de la Caisse des dépôts et consignations pour aider son imprimerie.

Cette nouvelle ingérence de l'exécutif, cette pression sur un quotidien de référence interviennent alors que l'ensemble du paysage médiatique et de l'information dans notre pays est progressivement mis sous influence directe ou indirecte de l'Élysée.

Ainsi, l'audiovisuel privé et les grands groupes de presse sont en grande partie détenus par des amis proches du Président de la République.

M. Robert Hue. Dassault !

M. David Assouline. L'audiovisuel public est mis sous tutelle financière et politique, avec la nomination prochaine du P-DG de France Télévisions par Nicolas Sarkozy.

M. Jacques Mahéas. Eh oui !

M. David Assouline. Bien plus, cette mainmise concerne également la presse quotidienne régionale, fleuron et richesse de la presse quotidienne, encore si populaire et si proche de nos concitoyens. La multiplicité des titres encore disponibles n'est plus que le paravent de la concentration de ces journaux entre les mains de quelques grands groupes, qui, petit à petit, tuent la diversité et la pluralité des contenus et des expressions.

M. Guy Fischer. Oui !

M. David Assouline. Tout le territoire national est touché, mais un seul exemple suffira à étayer mon propos.

Savez-vous que, en Alsace, en Bourgogne, en Franche-Comté, en Lorraine et Rhône-Alpes, l'ensemble des titres de la presse quotidienne régionale sont contrôlés, directement ou indirectement, par le groupe bancaire Crédit Mutuel Centre Est Europe, dont les dirigeants sont réputés proches du Président de la République ?

M. Guy Fischer. Voilà !

M. David Assouline. Vous semble-t-il normal et sain qu'aujourd'hui un même groupe bancaire contrôle, en situation de monopole, pas moins de onze titres de presse quotidienne sur vingt-deux départements ?

Victor Hugo, ici même, dans cet hémicycle,...

M. Guy Fischer. Il était assis là où je me trouve !

M. David Assouline. ... affirmait : « Le principe de la liberté de la presse n'est pas moins essentiel, n'est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. Ce sont les deux côtés du même fait. Ces deux principes s'appellent et se complètent réciproquement. La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c'est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. »

M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue.

M. Éric Doligé. Il n'en a pas !

M. David Assouline. N'est-ce pas cela dont il est question aujourd'hui pour vous : …

M. le président. Posez votre question, monsieur Assouline. Pensez au dernier orateur inscrit, qui appartient à votre groupe !

M. David Assouline. … contrôler la presse pour obscurcir le jugement des citoyens en vue des élections de 2012 ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 18/06/2010

Réponse apportée en séance publique le 17/06/2010

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, les mouvements capitalistiques qu'a déjà connus la presse et qu'elle connaîtra de nouveau dans les prochains mois sont indispensables à la survie d'un secteur fragilisé tant par la révolution numérique que par la crise. En France, cette consolidation se fait dans le respect du pluralisme des courants de pensées et d'opinion, fondement de notre démocratie et objectif de valeur constitutionnelle. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP. –Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?

M. Guy Fischer. Ce n'est pas vrai !

M. Alain Gournac. Mais si !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. À ce titre, le législateur a d'ailleurs défini, dans les lois relatives à la presse et à la liberté de communication, un ensemble de règles limitant la concentration et assurant l'indépendance des médias. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

S'agissant du Monde, la qualité des candidats à sa reprise est un élément très positif. Cela démontre que la presse quotidienne parvient à attirer de grands investisseurs, qui plus est, de grands éditeurs européens.

Nous nous sommes engagés à soutenir ce journal dans son effort de modernisation industrielle. Je veux ici souligner l'importance des décisions prises par le Président de la République à l'issue des états généraux de la presse écrite, qui ont montré l'engagement de l'État aux côtés des entreprises de presse.

M. Roland Courteau. C'est bien cela le problème !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Les efforts consentis depuis par le Gouvernement – ils sont d'ailleurs considérables – n'ont pas eu d'autre objectif. Jamais l'État n'avait soutenu avec une telle force aussi bien le secteur économique que les valeurs et les métiers du journalisme. Sans les dispositifs souhaités par la profession et confirmés par le Président de la République à l'issue des états généraux, la France aurait certainement régressé en termes de pluralité et de diversité d'opinion.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Depuis plus de deux ans, les faits démontrent donc qu'il est totalement inexact de soupçonner le Président de la République d'une quelconque mainmise sur les médias. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – Huées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Claude Bérit-Débat. Quelle honte !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Au contraire, il s'est lui-même investi dans toutes les mesures qui ont permis de renforcer l'indépendance éditoriale, la pluralité de l'information, la transparence du capital et les équilibres économiques des entreprises de presse.

M. Paul Raoult. Quel cynisme !

M. Robert Hue. C'est scandaleux !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Aujourd'hui, après de nombreuses années d'équilibre précaire, Le Monde est singulièrement fragilisé. Que ne dirait-on pas si le Président de la République ou moi-même nous désintéressions du sujet ?

Mme Nicole Bricq. N'en faites pas trop !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Il s'agit d'un enjeu de société. À l'évidence, sans presse d'opinion, il n'est pas de liberté d'expression, sans journaliste pour défendre cette expression, il n'est pas d'État de droit. Oui, l'avenir du Monde nous intéresse.

M. Roland Courteau. C'est pitoyable !

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.

M. Frédéric Mitterrand, ministre. Les craintes d'une ingérence ou d'une quelconque instrumentalisation de ce grand journal relèvent du fantasme. (Protestations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est pourtant de cela qu'il s'agit !

M. Frédéric Mitterrand, ministre. L'indépendance éditoriale, à laquelle je suis farouchement attaché, constitue aussi la marque de fabrique du Monde : c'est un enjeu éditorial et un atout commercial. Les candidats à la reprise ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, puisqu'ils se sont tous prononcés pour le renforcement de tout ce qui touche à l'indépendance de la rédaction du Monde. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

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