Question de M. MAUREY Hervé (Eure - UDI-UC) publiée le 14/11/2013

M. Hervé Maurey attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le fonctionnement du service public de la justice, notamment dans le département de l'Eure.
Face à la montée de la délinquance, deux services de l'État doivent être pleinement mobilisés et travailler en étroite collaboration : les forces de l'ordre (police et gendarmerie) et le service public de la justice.
Or, trop souvent, les individus interpellés sont conduits au tribunal sans qu'aucune poursuite ne soit engagée ni, a fortiori, qu'aucune peine soit prononcée. Une telle situation détruit profondément le lien qui unit la justice à nos concitoyens. Elle révolte les victimes et démobilise les forces de l'ordre dont les efforts, pour endiguer la montée de la délinquance et rechercher les coupables, sont, ainsi, réduits à néant.
Il évoque deux exemples récents : le cas d'un individu interpellé seize fois avant que le tribunal n'estime, à la dix-septième fois, nécessaire de le condamner ; le cas d'un individu interpellé, au terme de longues recherches, pour un vol aggravé dans la commune de Bernay. Présenté en comparution immédiate, il a été relaxé par le tribunal, ce dernier estimant que la présence d'une seule empreinte sur les lieux ne permettait pas d'engager des poursuites.
Une telle situation est, tout simplement, insupportable.
Or, la seule réponse du Gouvernement, à ce jour, réside dans la présentation d'un projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines qui ne semble, à aucun moment, se placer du côté des victimes, en ne prévoyant, essentiellement, que des aménagements de peine pour pallier l'absence de place dans les établissements pénitentiaires.
Dans ce contexte, faute de prise en compte de cette réalité, le sentiment d'incompréhension et même de défiance que nourrissent nos concitoyens, de très nombreux élus locaux désemparés mais, également, les forces de l'ordre ne pourra que grandir.
Aussi, sans méconnaître le nécessaire respect de l'indépendance de la justice, il lui demande quelles mesures elle entendre mettre en œuvre pour que la politique pénale du Gouvernement soit, enfin, placée au service de la sécurité de nos concitoyens.

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Réponse du Ministère chargé de l'agroalimentaire publiée le 19/02/2014

Réponse apportée en séance publique le 18/02/2014

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaitais attirer l'attention de Mme la garde des sceaux sur le fonctionnement du service public de la justice dans le département de l'Eure, notamment.

Depuis plusieurs années et, plus particulièrement, ces derniers mois, notre pays fait face à une augmentation de la délinquance, qu'attestent les derniers chiffres pour l'année 2013. Cette hausse concerne tout particulièrement les cambriolages, avec une hausse de 6,4 % en zone urbaine et de 4,7 % en zone rurale, et les vols à la tire, avec une augmentation de 11,5 % en zone rurale et de 12,4 % en zone urbaine.

« La notion de sanctuaire rural et périurbain n'existe plus [...] la délinquance et l'insécurité frappent au cœur de nos territoires, dans la ruralité profonde. » Ce constat n'est pas de moi, il émane du directeur général de la gendarmerie nationale, auditionné le 18 décembre dernier par l'Assemblée nationale. Les Euroises et les Eurois vivent ce constat au quotidien.

Face à cette montée de la délinquance, deux services de l'État doivent être pleinement mobilisés et travailler en étroite collaboration : les forces de l'ordre - police et gendarmerie - et le service public de la justice.

Les forces de l'ordre, bien que disposant de moyens de plus en plus réduits, les obligeant même à limiter l'achat de carburant et les réparations de véhicules, font un travail tout à fait remarquable, mais elles se heurtent malheureusement à la réalité de la réponse pénale.

En effet, on observe que, très souvent, les individus interpellés sont conduits au tribunal, mais aucune poursuite n'est engagée et a fortiori aucune peine n'est prononcée.

Ainsi, pour ne donner qu'une seule illustration de cette situation, un auteur d'infractions dans la ville de Bernay dont je suis maire a été sanctionné à sa quinzième ou seizième comparution devant le tribunal !

Vous le comprendrez, monsieur le ministre, cette situation démotive les forces de l'ordre, qui voient ainsi leur travail réduit à néant, et révolte les victimes. Elle détruit le lien qui unit la justice à nos concitoyens.

Lors de son audition, le directeur général de la gendarmerie nationale disait en ces termes clairs et précis l'inquiétude des forces de gendarmerie : « Les gendarmes sont inquiets, car on prend plus soin des auteurs que des victimes. » Il poursuivait en expliquant ainsi les conséquences de cette situation : « Quand vous relâchez 65 % de ceux qui se sont rendus coupables d'un certain nombre d'exactions, comment voulez-vous que les chiffres baissent ? C'est tout à fait impossible. Vous pouvez multiplier par deux les effectifs de gendarmes [...], cela ne changerait rien. »

Pourtant, le Gouvernement ne semble pas mesurer l'ampleur et la réalité de cette situation extrêmement préoccupante : aucune mesure concrète n'est proposée pour y remédier.

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Hervé Maurey. Si cette situation perdure, le climat d'incompréhension et même de défiance que nourrissent nos concitoyens, de très nombreux élus locaux, mais également les forces de l'ordre, ne pourra que croître, et vous serez comptable des conséquences qui en résulteront.

Aussi, quelles mesures le Gouvernement entend-il - enfin ! - mettre en œuvre pour faire face à l'évolution préoccupante de la délinquance et garantir la sécurité de nos concitoyens ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, je vous prie, tout d'abord, de bien vouloir excuser l'absence de Mme la garde des sceaux, qui n'a pu être présente ce matin pour vous répondre personnellement.

Monsieur le sénateur, évitons tout simplisme, en opposant la police à la justice. Au contraire, il nous faut traiter avec responsabilité ces sujets, qui doivent nous rassembler plutôt que nous diviser.

S'agissant de la politique pénale du Gouvernement, en application de l'article 1er de la loi du 25 juillet 2013 - et cela constitue un véritable progrès pour notre République -, le garde des sceaux n'est plus autorisé à donner des instructions aux parquets, dans le cadre d'affaires individuelles, ni même d'interférer dans les procédures judiciaires.

Par ailleurs, la circulaire du 19 septembre 2012 prévoit que la réponse pénale doit être ferme, juste et adaptée. Il appartient ainsi aux procureurs de la République de mettre en œuvre l'ensemble des modes de poursuite mis à leur disposition par la loi, avec pour principal objectif de prévenir la récidive. Ce qui compte, c'est l'efficacité.

Pour ce faire, il faut certes favoriser la compréhension de la peine et privilégier les mesures de nature à encourager la réinsertion de l'auteur de l'infraction, mais il faut aussi agir avec fermeté lorsque la personnalité de l'auteur et, bien évidemment, la gravité des faits le justifient.

Le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines, présenté au conseil des ministres du 9 octobre dernier, prévoit, dans son article 11, la prise en charge effective des victimes.

Sur ce point, je vous rappelle, monsieur le sénateur, que, depuis mai 2012, la ministre de la justice a fait ouvrir plus de 100 bureaux d'aide aux victimes, et tous les tribunaux de grande instance en seront dotés en 2014.

Le texte, qui vous sera bientôt soumis, a été élaboré après de très amples auditions, consultations et expertises. Au travers de ce texte, il s'agit de donner du sens à la peine, de promouvoir des solutions pragmatiques et efficaces, avec l'idée - retenez bien, monsieur le sénateur ! - que la peine doit être individualisée dans son prononcé comme dans son exécution.

L'objectif du Gouvernement est clair : instaurer un suivi et un contrôle véritables du justiciable, afin d'améliorer la sécurité des Français, de diminuer le nombre des victimes et de garantir la réinsertion des personnes condamnées.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le ministre, quelles que soient la qualité de la réponse et l'amabilité avec laquelle vous me l'avez transmise, permettez-moi de déplorer l'absence de Mme la garde des sceaux. Sur un sujet concernant la justice et la sécurité, je regrette en effet qu'il revienne au ministre chargé de l'agroalimentaire de représenter le Gouvernement. Cela peut surprendre, pour ne pas dire heurter !

Sur le fond, il n'y avait rien de simpliste dans mon propos. J'ai cité un exemple concret : lorsqu'il faut attendre la dix-septième mise en cause pour sanctionner une personne qui a été déférée quinze ou seize fois - on lui a trouvé à chaque fois une bonne raison de la laisser repartir dans la ville où elle a sévi ! -, on est très loin de la réponse pénale ferme, juste et adaptée que vous avez évoquée, très loin aussi de l'objectif de prévention de la récidive sur lequel vous avez insisté.

Je comprends que vos dossiers quotidiens ne vous permettent pas de vous familiariser avec le terrain, monsieur le ministre, mais telle est la réalité !

Vous dites qu'un texte de loi va améliorer la situation. Mais le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines tel qu'il est rédigé consiste essentiellement à pallier l'absence de places disponibles dans les établissements pénitentiaires. Pour l'instant, je n'y ai malheureusement vu aucune disposition de nature à apporter une meilleure réponse pénale et à lutter contre la récidive. Espérons que le Parlement améliorera le texte qui nous sera présenté par le Gouvernement !

M. Christian Cambon. Très bien !

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