Question de M. MÉZARD Jacques (Cantal - RDSE) publiée le 04/12/2014

M. Jacques Mézard interroge Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie sur les conséquences dommageables de la nouvelle carte des zones dites « vulnérables », annoncée le 23 juillet 2014 en application de la directive européenne 91/676/CE (dite directive « nitrates ») concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles.

La directive « nitrates » vise à protéger la qualité de l'eau en Europe, en empêchant les nitrates d'origine agricole de polluer les eaux souterraines et de surface et en encourageant l'utilisation des bonnes pratiques agricoles. Le classement, qui doit être soumis à consultation à la rentrée et tranché d'ici à la fin de l'année, concerne 3 888 communes supplémentaires, ce qui porterait à 23 128 le nombre de communes en zone vulnérable. Cette extension concerne 63 000 exploitations, dont 36 000 à orientation élevage ou polyculture élevage. En définitive, 70 % de la surface agricole utile française seraient classés en zone vulnérable. Dix-sept communes cantaliennes seraient touchées.

Or, la pollution des eaux par les nitrates dans une région comme l'Auvergne n'est, majoritairement, pas causée par l'agriculture mais par la géologie et pose des problèmes d'assainissement, dans quelques zones urbaines. Le Cantal a un des taux de nitrates les plus bas, ce qui lui permet d'être un des « châteaux d'eau » du territoire. La révision de cette carte répond de manière uniquement quantitative à la condamnation, en juin 2013, de la France par la justice européenne pour désignation incomplète des zones vulnérables, en procédant à un maillage grossier, et relève ainsi d'un dogmatisme environnemental.

Par ailleurs, des aides aux agriculteurs ont été annoncées en vue de la mise aux normes et de l'encouragement à la méthanisation. Toutefois, bien que les financements dans les nouvelles zones soient réglementairement possibles, ils devraient se faire majoritairement par les aides à la modernisation du second pilier de la politique agricole commune (PAC), mis en œuvre par les régions et il est, malheureusement, notoire que les programmes de développement rural des régions sont quasi bouclés et que celles-ci ne pourront prévoir ces financements supplémentaires.

Il lui demande d'apporter des précisions sur la mise au point de la carte et sur les actions que le Gouvernement entend mettre en œuvre, afin de procéder à une révision de la carte plus conforme à la réalité des zones vulnérables et de prendre en compte les investissements des agriculteurs, une nouvelle fois fragilisés par de telles mesures, profondément injustes et inacceptables.

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Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt publiée le 17/12/2014

Réponse apportée en séance publique le 16/12/2014

M. Jacques Mézard. Vous connaissez bien, monsieur le ministre de l'agriculture, cette question de la nouvelle carte des zones dites « vulnérables », car vous êtes au fait des réalités de nos territoires.

Cette nouvelle carte annoncée en juillet dernier, qui anticipe une nouvelle condamnation de la France par la Cour de justice de l'Union européenne, a pour ambition de protéger la qualité de l'eau en Europe en empêchant les nitrates d'origine agricole de polluer les eaux souterraines et de surface. Elle se traduit en droit interne par la définition de zones vulnérables, où des pratiques agricoles particulières sont imposées pour éviter les risques de pollution.

Le nouveau classement, qui sous-tend ces zones, concerne 3 888 communes supplémentaires et 63 000 exploitations, dont 36 000 à orientation« élevage » ou « polyculture élevage ». En définitive, ce ne sont pas moins de 70 % des surfaces agricoles utiles françaises qui se verraient ainsi classées en zone vulnérable. Selon nous, cette nouvelle extension repose sur des critères profondément critiquables, et la pertinence du nouveau zonage soulève des interrogations importantes.

À titre d'exemple, dix-sept communes du Cantal, mon département, seraient concernées par le nouveau dispositif, alors même que la pollution des eaux par les nitrates dans une région comme l'Auvergne s'explique en majeure partie par la géologie, et non par les activités agricoles.

Surtout, monsieur le ministre, ces propositions sont complètement coupées des réalités. Nous ne parvenons pas, en effet, à obtenir d'explications techniques justifiant ces nouvelles extensions, dont les conséquences risquent d'être absolument catastrophiques pour les exploitants, en termes de stockage des effluents difficiles, d'investissements à réaliser et d'accroissement de l'endettement. Il sera également impossible d'épandre le lisier, dont on ne saura plus alors que faire.

Je connais, moi aussi, les réalités du terrain, monsieur le ministre. Dans certaines communes concernées, les parcelles ont toutes une pente supérieure à 7 % ; il sera donc impossible sur le plan technique et pratique d'y appliquer ces nouvelles règles.

Compte tenu de cette situation, vous le savez, le préfet s'est rendu sur place. Il a indiqué très clairement qu'il comprenait les observations des agriculteurs et que nous avions des arguments de poids à opposer, face à un projet dont on ne nous a pas expliqué les bases.

Ma question est simple. Comment le Gouvernement compte-t-il faire évoluer ce zonage ? Il y a une véritable urgence, monsieur le ministre. Et si ce dossier n'est peut-être qu'une goutte d'eau, celle-ci risque de faire déborder le vase !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll,ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Parler de goutte d'eau et de vase qui déborde au sujet de la directive « Nitrates »...J'apprécie le trait d'humour !(Sourires.)

Le sujet est lourd. Vous l'avez dit, une procédure ayant été engagée par la Cour de justice de l'Union européenne au sujet de l'application de cette directive signée voilà plusieurs années, la France était sous le coup de deux contentieux communautaires. Nous avons donc proposé, pour éviter que notre pays ne soit mis à l'amende, des critères permettant de définir les zones vulnérables.

Nous avons ainsi proposé deux projets relatifs au risque, mentionné dans la directive « Nitrates »,d'eutrophisation. Le premier traitait de ce risque lorsqu'il est lié à l'existence de bassins versants situés en aval. Toutefois, la Commission européenne nous ayant demandé de tenir compte, aussi, du risque d'eutrophisation lié aux eaux continentales, nous avons rédigé un second projet.

Ces propositions posent problème aux agriculteurs, notamment aux éleveurs, et aux élus dans des zones agricoles d'élevage extensif, dont la surface fourragère est principalement composée d'herbe. Avec la ministre de l'écologie, je m'efforce d'y remédier.

Premièrement, j'ai demandé à l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, et à l'Institut de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture, l'IRSTEA, de revoir les critères permettant de définir le risque d'eutrophisation.

En effet, selon les publications scientifiques, dont certaines datent de dix ou quinze ans, les analyses peuvent être différentes. Nous avons besoin d'y voir clair ! Si nous voulons défendre la position de la France devant la Commission européenne, il nous faut disposer d'arguments scientifiques sérieux. L'INRA et l'IRSTEA travaillent donc actuellement à une meilleure évaluation du risque d'eutrophisation.

Deuxièmement, afin d'éviter que le classement en zone vulnérable ait l'incidence, que vous avez évoquée, en termes d'alourdissement des investissements des éleveurs, nous avons décidé, en nous fondant sur l'arrêt de la Cour de justice, qu'en l'absence de ruisseau et de rivière au bas d'une pente, celle-ci ne saurait être considérée comme« à risque ». Cette décision permet d'élargir à nouveau le potentiel d'épandage.

Nous avons également fait en sorte que les fumiers pailleux puissent être stockés en plein champ, ce qui évitera aux agriculteurs d'engager de coûteux investissements.

Enfin, toujours pour limiter ces investissements, nous favorisons l'autoconstruction lorsqu'il s'agit simplement d'ajouter des bâtiments de stockage. Néanmoins, lorsque des investissements plus lourds seront nécessaires, nous mobiliserons, dans le cadre du plan de modernisation des bâtiments d'élevage, les aides du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, et des agences de l'eau.

Je veux évoquer un autre point important. Jusqu'à présent, pour définir une zone vulnérable, il fallait, selon les critères établis par la Commission, s'en référer aux surfaces administratives des communes. Or, du fait des actuelles évolutions techniques et technologiques, on peut aujourd'hui cartographier par satellite les bassins hydrographiques. Cela permet de redéfinir très clairement les zones vulnérables, non plus sur la base administrative, qui oblige à prendre en compte la totalité d'une surface, mais en fonction du seul bassin hydrographique.

Telle est la solution que nous allons proposer devant la Commission européenne, afin de réduire l'impact des zones vulnérables sur l'ensemble du territoire. Dans les autres zones, nous appliquerons les procédures que je viens d'indiquer.

Nous délivrerons ainsi un message très clair : si la carte des zones vulnérables, la lutte contre les pollutions et l'application de la directive « Nitrates » sont nécessaires, il n'est pas question que ces dispositifs aient pour conséquence d'alourdir les investissements et l'endettement des exploitants agricoles, en particulier des éleveurs.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre écoute sur ce dossier extrêmement important pour de nombreux départements.

Nous avons besoin de concertation. Or le projet de carte des zones dites « vulnérables » a été considéré, à juste titre, comme totalement arbitraire et dénué de fondement scientifique.

J'ai compris que le Gouvernement, en ayant pris conscience, avait modifié les critères de délimitation de ces zones en demandant à l'INRA de lui soumettre des propositions scientifiques, qui sont tout à fait indispensables. En effet, lorsque nos concitoyens et les agriculteurs ne comprennent pas les motifs d'un tel classement, ils sont en droit de réagir vivement.

Nous espérons que cette concertation aura lieu et qu'elle permettra aux agriculteurs de continuer à exercer leur métier, notamment dans les petites exploitations de montagne, où les conditions de travail - vous le savez pour être allé sur le terrain, monsieur le ministre - sont parfois très difficiles.

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