Question de M. LAURENT Pierre (Paris - CRC) publiée le 11/12/2014

M. Pierre Laurent attire l'attention de M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique sur le devenir de l'entreprise Sanofi. Sanofi représente 30 à 40 % du potentiel national de l'industrie pharmaceutique française et a une importante activité internationale. Le résultat net de ses activités a été de 6,8 milliards euros en 2013 et les projections sur 2014 laissent envisager une progression de 5 % de celui-ci. La rentabilité de Sanofi est estimée, par les économistes, parmi les meilleures de l'industrie pharmaceutique dans le monde. Elle est parmi les premières capitalisations boursières au « CAC 40 » et, rien qu'en 2013, elle a reçu 136 millions d'aides publiques (crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et crédit impôt recherche (CIR), sans parler du fait que l'industrie pharmaceutique est financée en France à travers la sécurité sociale. En outre, Sanofi redistribue une très grande part de ses bénéfices aux actionnaires. En même temps cette entreprise a, depuis 2008, procédé à plus de 5 000 suppressions d'emploi. Ces dernières années ces licenciements ont été grandement facilités par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi. Sa direction vend, ferme et cède des sites et des activités sans se soucier ni des salariés, ni de la sécurité sanitaire, ni même de l'indépendance thérapeutique du pays et du maintien de son potentiel scientifique et industriel. Face à cette situation préoccupante nombre de salariés et de leurs représentants expriment l'exigence d'un véritable contrôle des fonds publics, CICE et CIR, et même la réaffectation de ceux-ci en faveur de la recherche publique et de programmes scientifiques prioritaires ayant été clairement positionnés sur des pathologies bien identifiées. Au vu de la situation et des fonds publics reçus, ils estiment également que les pouvoirs publics doivent, en toutes circonstances, s'opposer aux suppressions d'emploi décidées par la direction. Il lui demande ce que le Gouvernement compte faire face à ces demandes. Il lui demande également, plus généralement, au vu des effets préjudiciables de la loi dite de sécurisation de l'emploi qui apparaissent de plus en plus au grand jour et dont Sanofi est tristement symbolique, s'il ne serait pas souhaitable d'abroger cette loi et d'inscrire, rapidement, à l'ordre du jour du Parlement un projet de loi interdisant les suppressions d'emploi pour les entreprises bénéficiaires et/ou reversant des dividendes à ses actionnaires.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargé du numérique publiée le 04/02/2015

Réponse apportée en séance publique le 03/02/2015

M. Pierre Laurent. Madame la secrétaire d'État, ma question porte sur la situation de l'entreprise Sanofi.

Vous le savez, Sanofi représente de 30 % à 40 % du potentiel national de l'industrie pharmaceutique française et a une importante activité internationale. Le résultat net de ses activités a été de 6,8 milliards d'euros en 2013, et les projections sur 2014 laissent envisager une progression de 5 % de celui-ci. Les économistes estiment que la rentabilité financière de Sanofi est l'une des meilleures de l'industrie pharmaceutique mondiale. L'entreprise fait partie des premières capitalisations boursières au CAC 40.

Or, rien qu'en 2013 Sanofi a reçu 136 millions d'euros d'aides publiques, au titre du CICE, le crédit d'impôt compétitivité emploi, et du CIR, le crédit d'impôt recherche : j'ajoute que l'industrie pharmaceutique est financée en France au travers de la sécurité sociale. Le montant des aides sera très certainement du même niveau en 2014 et en 2015.

Pourtant, Sanofi continue de redistribuer la plus grande part de ses bénéfices aux actionnaires. En même temps, elle a supprimé en France, depuis 2008, plus de 5 000 emplois. Ces dernières années, ces suppressions ont été grandement facilitées par la loi du 14 juin 2013 prétendument relative à la sécurisation de l'emploi. La direction de l'entreprise vend, ferme et cède des sites et des activités sans se soucier ni des salariés, ni de la sécurité sanitaire, ni même de l'indépendance thérapeutique du pays et du maintien de son potentiel scientifique.

Face à cette situation préoccupante, de très nombreux salariés et leurs représentants syndicaux exigent un véritable contrôle des fonds publics versés à cette entreprise, notamment par le CICE et le CIR. Au vu de la situation et des fonds publics reçus, ils estiment également à juste titre que les pouvoirs publics doivent s'opposer aux suppressions d'emplois décidées par la direction.

La loi dite de sécurisation de l'emploi a finalement des effets contraires à ses objectifs affichés : ses dispositions paraissent en effet de plus en plus favorables aux groupes qui licencient, et non l'inverse - Sanofi en est un triste symbole. Ne serait-il pas souhaitable, à la lumière de l'expérience, de revenir sur cette loi et d'inscrire rapidement à l'ordre du jour du Parlement un projet de loi interdisant, comme nous l'avons plusieurs fois proposé, les licenciements boursiers, c'est-à-dire les suppressions d'emploi pour les entreprises largement bénéficiaires qui reversent l'essentiel de leurs dividendes à leurs actionnaires, tout en touchant des aides publiques massives ?

Les besoins de santé dans le monde et en France sont énormes. Plus de 50 % des maladies n'ont pas de thérapie adaptée. Au lieu de fragiliser encore notre potentiel, comme c'est le cas aujourd'hui, en supprimant des milliers de postes de travail pour le profit des actionnaires financiers, ne faudrait-il pas s'engager dans une réelle politique de sauvegarde et de développement du potentiel scientifique et industriel de Sanofi ?

Madame la secrétaire d'État, que compte faire le Gouvernement pour faire cesser cette situation qui revient à verser des fonds publics à des entreprises persistant à entamer notre potentiel scientifique et industriel dans un secteur aussi stratégique que celui de la pharmacie ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire,secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur Pierre Laurent, Sanofi est une entreprise multinationale française, troisième groupe mondial dans son secteur. Alors que 80 % de la production des sites français est tournée vers l'exportation, la France concentre un tiers de la production mondiale et près de 40 % de la recherche et développement.

La stratégie du groupe mise en œuvre depuis 2012 est fondée sur un projet de réorganisation à l'horizon de la fin de cette année des activités vaccins, des fonctions support et de la recherche et développement en France. Pour les entités Sanofi Pasteur, qui est la division vaccins, Sanofi-Aventis Groupe, Genzyme, Merial et Sanofi Winthrop, toutes les procédures engagées sont terminées.

Nous resterons attentifs aux engagements pris par Sanofi quant à la pérennité de deux sites de production en France.

Le premier est celui de Toulouse. Dès le début, le Gouvernement a été très proactif pour que le plan initial soit revu dans une logique de départs volontaires, de mobilités internes et de contreparties données aux salariés et aux territoires concernés.

Conformément à ses engagements avec les pouvoirs publics, Sanofi a annoncé, à la fin de l'année dernière, être en négociation exclusive avec la société allemande Evotec pour reprendre les plateformes de recherche et technologie, avec un transfert des salariés, et créer un bioparc. Afin de garantir la pérennité de ce partenariat franco-allemand, l'entreprise Sanofi s'est engagée à hauteur de 250 millions d'euros sur cinq ans.

Nous suivons ce dossier de très près avec le préfet et la commission de suivi territorial, dans laquelle siègent également les partenaires sociaux.

Le second site est celui de Quetigny, en Côte d'Or, cédé au façonnier Delpharm. Le médicament produit dans l'usine a perdu son brevet en 2012, suscitant la concurrence des génériques. Un programme d'investissement significatif est prévu par Delpharm, alors que Sanofi s'engage par un contrat de commandes d'une durée de sept ans. L'État restera attentif à ce transfert, qui permet de garantir l'emploi de 350 salariés employés directement sur ce site de production.

Une entreprise pharmaceutique se doit d'être innovante et de préparer l'avenir. Nous souhaitons que Sanofi prépare son avenir de la France et en France, où nous avons de formidables atouts à faire valoir dans le domaine de la santé et des biotechnologies. L'entreprise a annoncé que dix-huit produits allaient être lancés d'ici à 2020, représentant 30 milliards d'euros de ventes potentielles. On peut donc espérer que ces perspectives auront une incidence positive sur son activité en France.

Nous veillerons à travailler avec les dirigeants de Sanofi pour que le « site France » contribue de manière positive et significative à la réussite de ce beau groupe français de dimension mondiale.

Plus généralement, monsieur le sénateur, vous proposez d'abroger la loi relative à la sécurisation de l'emploi, que vous estimez néfaste.

L'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a, en effet, réformé la procédure de licenciement collectif pour motif économique en donnant la priorité au dialogue social pour définir les mesures sociales d'accompagnement et rompre avec les dérives du cadre juridique antérieur. Celui-ci encourageait les acteurs à recourir de manière dilatoire aux juges, qu'il s'agisse du tribunal de grande instance ou du conseil des prudhommes, et faisait prévaloir une culture du conflit sur une culture de la recherche d'un compromis social.

Nous pouvons désormais dresser un premier bilan de l'application de ce dispositif. Près de deux ans après la signature de l'accord national interprofessionnel, les nouvelles règles, négociées par les partenaires sociaux et intégrées en totalité dans la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, ont réellement favorisé un nouvel espace de négociation.

J'en veux pour preuve le fait que 75 % des entreprises négocient les conditions d'un plan de sauvegarde de l'emploi. En outre, hors des procédures collectives pour lesquelles les délais sont contraints, 61 % des décisions administratives concernent des accords collectifs majoritaires, et ce indépendamment de l'appartenance syndicale. Enfin, seuls 7 % des plans de sauvegarde de l'emploi décidés en interne, au sein des entreprises, font l'objet d'un contentieux. Dans deux cas sur trois, la décision est favorable à l'administration.

Éviter le conflit et favoriser le dialogue, dans l'intérêt de tous, en particulier des salariés, tel est le choix du Gouvernement, et c'est un choix qui porte ses fruits ! La culture du conflit n'aide pas l'économie !

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Je vous remercie de ces éléments de réponse, madame la secrétaire d'État, mais je ne vous étonnerai pas en expliquant qu'ils ne me satisfont absolument pas, voire qu'ils m'inquiètent au plus haut point !

Je vous parle d'engager une politique sérieuse de contrôle des aides publiques accordées aux entreprises ; vous me répondez que l'État doit accompagner les restructurations engagées par la direction de Sanofi. J'évoque la préservation de notre potentiel industriel ; vous vous déclarez satisfaite de voir que l'on va aider les salariés à se reclasser, alors même que - les faits le montrent -les chiffres officiels annoncés en la matière recouvrent une réalité bien plus complexe. Vous m'expliquez que l'État aurait pour rôle d'aider l'entreprise Sanofi à organiser, en quelque sorte, la vente de ses actifs à des entreprises étrangères et d'accompagner cette démarche. Tout comme l'ensemble des salariés, c'est évidemment l'inverse que je souhaitais entendre !

En outre, vous ne répondez absolument pas à l'un des aspects de ma question : quels dispositifs d'évaluation le Gouvernement met-il en œuvre pour mesurer l'efficacité des fonds publics alloués par le biais du CICE et du CIR ? Pour notre part, nous avons demandé et obtenu du Sénat qu'une commission d'enquête, présidée par ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin, soit créée sur l'utilisation du CIR. Nous disposerons ainsi d'évaluations sérieuses, très éloignées des annonces faites par les entreprises.

Vous m'expliquez qu'il faut favoriser l'innovation... Or c'est précisément à notre potentiel de recherche que les suppressions d'emploi s'attaquent chaque jour un peu plus. Nous laissons donc des groupes comme Sanofi entamer notre potentiel de recherche, au lieu de le développer.

Enfin, vos propos sur les bienfaits de la loi relative à la sécurisation de l'emploi ne convaincront personne. Il suffit d'aller discuter avec des représentants syndicaux et des représentants des salariés pour se voir confirmer que l'adoption de cette loi a accéléré les procédures de licenciement et privé les salariés de moyens de contre-expertise, face aux plans qui leur sont opposés par les entreprises.

Le pays a besoin non pas que l'on organise un peu mieux la mise en application des plans de sauvegarde de l'emploi, mais que l'on mette enfin un terme à l'hémorragie industrielle.

Pour toutes ces raisons, madame la secrétaire d'État, la réponse que vous m'avez apportée, au nom du Gouvernement, m'inquiète plus qu'elle ne me rassure !

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